la_verite_lyon_1865-06-25_sm08Dans la série Les précurseurs du spiritisme : Saint-Martin - 8e article

La Vérité - Journal du Spiritisme, paraissant tous les dimanches - Bureaux à Lyon, rue de la Charité, 48 - Troisième année – n° 18 – Dimanche, 25 juin 1865 - Pages 70-71- (8° article. — Voir le dernier numéro.)

Rappelons qu'il nous manque le 7e article. La Vérité - Journal du Spiritisme

la_verite_lyon_1865-06-25_sm08

On a déjà lu ce que nous avons dit de Jane Leade, et de madame Guyon.

 

Elles ont eu toutes deux une vision analogue. Sophie leur a apparu tantôt seule, tantôt accompagnée d'une femme portant sur sa tête un bandeau d'étoiles, avec des mots grecs (Callon), comme pour indiquer qu'elle était la représentante de la beauté idéale.

 

L'enthousiaste Gichtel [Johann Georg Gichtel, (1638-1710), éditeur des œuvres de J. Bœhme de 1682], auquel Liebisdorf donne le nom de général, qui lui est resté depuis, fut gratifié de la même vision. La première visite que Sophie lui rendit fut le jour de Noël 1673. Il vit et entendit cette vierge d'une éblouissante beauté ; sa divine fiancée l'accepte pour époux, consommant avec lui des noces purement spirituelles et mystiques, qui jettent l'estprit de Gichtel dans d'ineffables délices, où le matériel n'avait point de part. Le bienheureux époux renonce par ordre de Sophie à toutes les femmes terrestres, riches et belles, parmi lesquelles il aurait pu choisir auparavant une épouse [Lettre 58 – Kirchberger à Saint-Martin, Morat, le 25 octobre 1794 – Ce texte se trouve sur le site du Philosophe inconnu (format pdf)].

 

Liebisdorf raconte cette faveur obtenue par le général dans une de ses lettres à Saint-Martin, qui répond le 29 brumaire:

 

« J'ai lu avec ravissement le récit sur le général Gichtel. Tout y porte le cachet de la vérité. Si nous étions l'un près de l'autre, j'aurais aussi une histoire de mariage à vous raconter, où la même marche a été suivie pour moi. » Saint-Martin veut dire ici sans doute qu'il a fait une renonciation pareille à celle du général. Mais ce mariage mystique dont Saint-Martin parle si obscurément, a-t-il eu lieu avec la même vierge ? Liebisdorf le comprend ainsi puisqu'il répond le 29 novembre 1794: « La partie de votre lettre sur le général m'a donné une très grande joie : vous avez donc aussi connu son épouse personnellement ? »

 

Saint-Martin, toutefois, n'a en vue que le sens interne et tout spirituel. « Tout ceci, dit-il, se passe spirituellement pour nous, et nous ne le voyons qu'intellectuellement. — L'union mystique se consomme par la renaissance intime de nous-mêmes, qui doit nous rendre semblables à tous ces êtres par la sainteté, la pureté et par la lumière. »

 

Liebisdorf réplique que, quoiqu'il s'agisse d'êtres spirituels, ils se rendent visibles au sens externe comme au sens interne ; il cite le précédent de Jane Leade et de madame Guyon ; il donne, bien plus, des détails étranges et extraordinaires qui sont infiniment curieux.

 

« Sophie est venue, dit-il, après la mort du général, ordonner, diriger le choix et l'arrangement de ses lettres posthumes. Elle a changé, éclairci divers passages obscurs et imparfaitement indiqués ; elle a travaillé avec l'ami du général, Uberfeld, chargé de la mise en ordre et de la rédaction pour le public ; Sophie le dirigeait visiblement et en personne éthérée, tantôt elle se contentait de faire mouvoir sa main. Elle est venue nombre de fois voir Uberfeld ; elle ne l'a pas quitté pendant six semaines, au plus fort du travail. Un jour Uberfeld a vu avec stupéfaction la céleste apparition, mécontente de la manière dont il rendait quelques pensées, lui arracher la plume des mains, s'installer à la table et écrire deux pages [71] elle-même, et non seulement elle était visible à Uberfeld, mais encore à quelques disciples fidèles ; elle leur a communiqué des choses sublimes, et dépassant tout ce qui est connu. » Voilà qui est clair et net ; il s'agit non plus d'une simple vue intellectuelle et interne, mais bien d'une manifestation extérieure, la plus tranchée qui se puisse imaginer.

 

Saint-Martin est poussé ainsi dans ses derniers retranchements. Il ne nie plus la réalité physique de l'apparition, toutefois il ne se rend pas encore sur sa nature divine, et sa conscience de théosophe lui inspire les objections suivantes ; nous partageons sa manière de voir :

 

« La Sophie qui se manifeste à l'extérieur, dit-il à son ami, et prend une forme visible à nos regards, n'est point la Sophie divine; elle peut en être le rayonnement, mais elle n'en est pas la substance même. Ce n'est plus que la Sophie réfléchie par un Esprit astral; c'est la Sophie terrestre ou élémentaire (de nos éléments grossiers) ; c'est la Sophie adaptée à nous, transformée pour nous ; de même nous ne pouvons avoir ici-bas, à moins d'une mission primaire comme celle du Christ, que des rayonnements du Verbe et de l'Esprit de vérité. »

 

Les pages qui précèdent étaient nécessaires pour faire comprendre ce que Saint-Martin entend par la Sophie élémentaire. Elles présentent d'ailleurs un intérêt palpitant dans l'histoire du spiritisme.

 

Avant de passer aux rapports de Saint-Martin avec Eckartshausen, nous dirons deux mots sur une personne qui figure dans la correspondance de Saint-Martin avec madame de Bœcklin, mademoiselle Schwing. Elle avait la prétention, conformément à son nom qui en allemand signifie aile, de s'élever très haut dans le monde spirituel, et d'entretenir des communications, non pas comme l'abbé Fournié avec des Esprits d'un ordre supérieur, mais surtout avec le monde des trépassés. Elle suivait ainsi les progrès et l'élévation de chaque âme dans l'autre vie ; elle en donnait quelquefois l'heureuse assurance aux familles, justifiée, dit-on, par des signes sensibles. Elle disait, comme certains Esprits le disent de nos jours, que Jupiter était un monde relativement heureux, Mars un globe inférieur, et qu'entre ces deux planètes il existait une foule de petits astres, que l'on découvrirait peu à peu (ce que la science a confirmé) servant d'échelons de l'un à l'autre et de stations intermédiaires. Enfin elle enseignait que dans les mondes supérieurs les renaissances et les transformations de l'âme y avaient lieu sans passer par les douleurs et par les affres de la mort. Nous avons vu (Nature et destination des astres, 16e article) que telle est aussi la pensée de Schubert, approuvée par un éminent théologien, notre contemporain, l'abbé Gratry [Joseph Gratry (1805-1872), consulter l’article de Wikipédia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph_Gratry]

 

A. P.

 

(La suite au prochain numéro).