Mirabeau 1788 t31788 - Mirabeau - De la monarchie prussienne

Honoré-Gabriel de Riquetti comte de Mirabeau (1749-1791),

De la monarchie prussienne, sous Frédéric le Grand: avec une appendice contenant des recherches sur la situation actuelle des principales contrées de l'Allemagne,

À Londres, Volume 3, 1788.

Livre III, Religion, Instruction, Législation, Gouvernement. Extraits, p. 464 et sq.

Opinion de Mirabeau sur la Franc-Maçonnerie et sur les sociétés secrètes, p.464 et sq.

Honoré-Gabriel de Riquetti comte de Mirabeau (1749-1791) : De la monarchie prussienne, sous Frédéric le Grand

Opinion de Mirabeau sur la Franc-Maçonnerie et sur les sociétés secrètes, p.464 et sqMirabeau 1788 t3

Nous avons fait le choix de ne citer que quelques passages en rapport avec des personnages connus de tous, comme le comte de Saint Germain, Cagliostro, Lavater, Mesmer ou le baron de Hund avec la Stricte Observance. [Orthographe moderne]

[p. 464] « Il me reste à parler des Sociétés secrètes. Leur histoire est peu connue hors de l'Allemagne, et très-capable d'intéresser un lecteur philosophe; mais plusieurs des nôtres la regarderont peut-être comme un roman. Tous les Allemands instruits peuvent cependant attester la réalité des faits que nous allons rapporter; et ceux de nos lecteurs à qui ce vaste empire est étranger, ne sauraient peser avec une trop grande attention notre récit, avant de prononcer sur son importance. [...]

[p.467] Un autre de ces émissaires, nommé le baron de Hund, fut plus heureux. Il prêcha une réforme, et la fit adopter à nombre de loges. Il engagea le duc Ferdinand de Brunswick, le vainqueur de Creveldt et de Minden, à se mettre à la tête des loges réformées, qui se nommèrent de la stricte observance. On sait à présent qu'il enseigna que l'ordre des francs-maçons n'était qu’une association continuée de l'ordre des templiers, destinée à en perpétuer l'existence, et que son but était de rétablir cette société. Il circulait une liste de ses possessions. Le plus haut grade était d'être reçu templier avec toutes les cérémonies de l'ancienne chevalerie. On reçut des docteurs en droit et en médecine, chevaliers d'épée. Lorsqu'on est de sang-froid, on a peine à concevoir que des hommes raisonnables se prêtent à des idées si bizarres: c'est qu'on ne songe pas assez [p.468] à la contagion de l'exemple, et à la puissance de l'enthousiasme. Il régnait dans cette branche de l'ordre un esprit de despotisme monacal aussi grand que possible, dans une association qui n'était pas soutenue par l'autorité du gouvernement ; et cela encore était un nouveau lien pour les hommes, toujours saisis par les rites et les observances. On y parlait en outre de personnes cléricales qui possédaient les secrets , et qu'on disait vaguement être dans telles et telles contrées, sans déterminer jamais précisément l'endroit, ou sans qu'aux endroits indiqués on pût jamais les découvrir.

Cependant cette réforme porta un coup mortel à l'ordre, en y semant la zizanie. On était reçu maçon dans un endroit, et l'on n'était pas reconnu pour tel dans un autre. On réfléchit sur tant de bizarreries, de contradictions et de mystères. Des gens d'esprit, des observateurs attentifs voulurent savoir ce que c'était que l'ordre ; et leurs recherches n’eurent, comme on le verra bientôt, que des résultats trop sérieux. [...]

[p.472] À Schroepfer succéda Saint-Germain, qu’un comte de Lambert avait annoncé dans son Mémorial d'un mondain. Ce Saint-Germain avait vécu des milliers d'années ; il avait découvert un thé devant lequel disparaissaient toutes les maladies ; il faisait, en se jouant, des diamants gros comme le poing. Il s'attacha au prince Charles de Hesse, et oublia, comme ses prédécesseurs, de ne pas mourir. [...]

Au sein de la Suisse vivait un prédicateur d'une imagination ardente, d'un esprit pénétrant, d'une ambition démesurée, d'un orgueil indomptable ; homme ignorant, mais doué du talent de la parole, ivre de mysticisme, avide de prodiges, pétri de crédulité. Il s'imagina qu'avec la foi, l'on devait pouvoir faire encore [p.473] de nos jours des miracles. Servantes, paysans, prêtres catholiques, francs-maçons, tout s’alliait dans son esprit avec la possibilité du don des miracles, dès qu'il apercevait la moindre apparence d'un fait extraordinaire. M. Lavater se fit un grand parti, parmi les femmes surtout; les femmes lui amenèrent des hommes, et il entraîna tous ses adhérents, que bientôt il compta par milliers, par millions, dans le parti des visionnaires.

Aux Schroepfer, aux Gassner, aux Saint-Germain, succédèrent Mesmer, Cagliostro, dont les extravagances ou les friponneries sont assez connues, sans compter la foule d'insensés, de charlatans, de jongleurs de moindre réputation , qui s'élevèrent de tous côtés. [p.474]

Une nouvelle branche de francs-maçons s'éleva dans les états du roi de Prusse. On la nomma les loges et le système de Zinnendorf [sic pour Zinzendorf], du nom de son fondateur. Ce Zinnendorf, autrefois membre de la branche des templiers, s'en détacha, et se forma un grand parti, assurant qu'il avait seul les vrais rites et les vrais mystères. Chacune de ces branches décriait toujours les autres.

Cette agitation nouvelle attira de plus en plus l'attention des gens sensés, du moins dans l'ordre. Frappés du côté favorable de la maçonnerie, et de l'opprobre dont elle se couvrait par ses dissentions intérieures, ils formèrent une association, sous le nom de maçonnerie électique. Elle professait pour principe une tolérance générale de toutes les sectes de l'ordre ; et ce système, le seul sensé au fond, si quelque chose pouvait l'être en telle matière, gagna, en peu de temps, beaucoup de partisans.

Les chefs de l'ordre des templiers virent alors que leur machine tombait en ruine. Depuis quelque temps, on tenait des chapitres fréquents, où les députés des provinces se rendaient pour délibérer sur les affaires de l'ordre. Il s'en était tenu à Brunswick, à Wisbaden; on en convoqua enfin un général à Wilhelmsbald, dont un M. Beyerlé de Nancy a publié les résultats (1).

On y voit avec surprise que la première question [p.475] qu'y proposa le grand-maître, fut : Quel EST LE VRAI BUT DE L'ORDRE, ET SA VÉRITABLE ORIGINE ? Ainsi ce même grand-maître, et tous ses assistants, avaient travaillé pendant plus de vingt années avec une ardeur incroyable, à une chose DONT ILS NE CONNOISSOIENT NI LE VRAI BUT, NI L'ORIGINE, pas plus que les supérieurs par lesquels ils avaient été menés jusqu'alors. A ce congrès des chefs de l'ordre, le système des templiers fut abandonné, et l'on institua un ordre de la Chevalerie de la Bienfaisance.

Vers ce même temps parurent deux livres remarquables, l'un intitulé, DES ERREURS ET DE LA VÉRITÉ ; l'autre, DE L'HOMME ET DE SES RAPPORTS. Ils contenaient tous deux des choses inconcevables. Un assez grand nombre de lecteurs les élevaient jusqu'aux nues, assurant qu'ils renfermaient le résultat le plus pur de toutes les connaissances humaines. D'autres disaient nettement que c'était un galimatias insensé, auquel personne ne pouvait rien comprendre.

Un homme (2), dont le nom deviendra cher à l'humanité, quand la crise souterraine qui agite l'Allemagne sera passée, si elle ne réussit pas à écraser le bon sens et la saine raison, entreprit de dévoiler ce mystère. Il [476] fit voir distinctement, selon nous, qu'il y avait un chiffre à ces livres ; il montra qu'en donnant un sens caché à certains mots, tout s'expliquait clairement et simplement. M. Nicolaï, d'un autre côté, dans son histoire des templiers, dont on n'a traduit que la première partie en français, rendit très vraisemblable que l'origine de la franc-maçonnerie n'était autre chose qu’un parti formé en Angleterre, pour remettre la famille des Stuarts sur le trône (3).

Notes

(1) De conventu generali latomorum, M. Jean-Pierre-Louis Beyerlé (1709-1786), de Nancy. Il s'agit d'un examen critique des délibérations du convent de Wilhelmsbad. Beyerlé n'a point assisté à ce convent et n'en a lu que le compte-rendu. À la suite de ce livre, il publiera deux ans plus tard, son Essai sur la Franc-Maçonnerie, ou Du but essentiel et fondamental de la f.˙. m.˙. : de la possibilité & de la nécessité de la réunion des différens systèmes ou branches de la m.˙. ; du régime convenable à ces systèmes réunis, & des loix maç.˙. A Latomopolis, chez Xiste Andron, rue du Temple de la Vérité, à l'Enseigne du Soleil. L'an de la V.˙. L.˙. 5784 (1784) en deux tomes :

- Tome 1 : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1053162x 
- Tome 2 ; https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k10531581

(2) M. Boden [pour Bode], dans un écrit qui a pour titre, Examen impartial du livre intitulé , DES ERREURS ET DE LA VÉRITÉ, par un frère laïque en fait de science. Il a circulé manuscrit dans quelques mains, et même, il en est un très-petit nombre d'exemplaires imprimés...

(3) Versuch über die Beschuldigungen urder den Tempelhermorden , tom. I, pag. 146 et suiv. C'est dans l'appendice, que nous ne croyons pas avoir été traduit non plus.