1836 biographie contemporains1836 - Biographie universelle et portative

Biographie universelle et portative des contemporains, ou Dictionnaire historique des hommes vivants et des hommes morts depuis 1788 jusqu'à nos jours, qui se sont fait remarquer par leurs écrits, leurs actions, leurs talents, leurs vertus ou leurs crimes..

Publié sous la direction de MM. Alphonse Rabbe, ‎Claude Augustin Vieilh de Boisjolin, ‎Sainte-Preuve

Paris, F. G. Levrault, chez l’éditeur, rue du Colombier, 21

Tome Quatrième - 1836

Article Saint-Martin (p.1222-1224)

Tome quatrième, 1836. - https://books.google.fr/books?id=2nh6Mp1vrUoC

SAINT-MARTIN (Louis-Claude de), dit le Philosophe inconnu né à Amboise le 18 janvier 1843, fit ses études au collège de Pont-le-Voy, près de Blois, et montra de très bonne heure un penchant prononcé pour la métaphysique et le mysticisme. Il parait que la lecture du livre d'Abadie, intitulé : L'Art de se connaitre soi-même, développa en lui le goût pour les abstractions et l'indifférente pour les choses de ce monde. En vain ses parents lui firent-ils étudier la jurisprudence dans l'intention d'en faire un magistrat, le jeune Saint-Martin s'occupa beaucoup moins du droit positif, qui n'est que l'ouvrage des hommes, que du droit naturel. Il abandonna bientôt la jurisprudence, et entra à vingt-deux ans dans le régiment de Foix. La vie militaire, surtout en temps de paix, lui offrait tout le loisir pour se livrer à ses contemplations psychologiques.

Ayant fait à Bordeaux la connaissance de Martinez Pascalis, chef de la secte des Martinistes, il s'attacha à ce visionnaire, adopta sa doctrine et en publia l'exposé. Après le départ de Martinez pour l'Amérique, l'école fut transportée à Lyon. Saint-Martin en devint le chef, et publia son livre des Erreurs et de la Vérité, dans lequel il attaque les auteurs de l'Encyclopédie avec toute l'exaltation d'un [1223] illuminé. Cette école se fondit bientôt dans la société formée à Paris sous le nom de Philalèthes, qui professait ostensiblement les doctrines de Martinez et de Swedenborg, et cherchait en réalité à découvrir les secrets de l'alchimie, fausse science dont le but chimérique se rattache aux systèmes métaphysiques tant de fois reproduit. Jusqu’à nos jours, et qui reprennent faveur depuis cinquante ans, lesquels ont pour principe fondamental que l'intelligence et la volonté sont les seules forces actives de la nature. Cela une fois admis, il s'ensuit que pour commander aux phénomènes il suffit de croire fermement et de vouloir ; il devient donc aussi possible de convertir le plomb en or, que de prolonger indéfiniment la vie au moyen de la merveilleuse panacée. Enfin , par la contemplation de nos propres idées et l'abstraction de tout ce qui tient au monde extérieur et à notre propre corps, ces philosophes rêveurs assurent pouvoir s'élever jusqu’à la connaissance de l'essence de l'univers ; moins ils sont éveillés et distraits par les impressions sensitives, et plus ils croient avoir l'intention claire ; et moins ils ont l'usage de la raison, et plus ils se sentent élever au-dessus du commun des misérables mortels qui ne savent que ce que l’expérience et la comparaison des faits leur ont appris.

Malgré la grande ressemblance de la nouvelle école avec celle des martinistes, qui avait cessé ses opérations en 1778, Saint Martin, invité, en 1784, à se rendre à la réunion de la société des philalèthes, refusa de prendre part à leurs travaux, parce que, disait-il, ses membres n'étaient pas unis à leurs principes, et s'occupaient plutôt de la sciences des âmes, d’après Swedenborg, que de celle des esprits qui faisait l'objet des séances de Martinez, où l'on se livrait de bonne foi à des exercices qui exigeaient des vertus actives. Ce seul énoncé suffit pour donner une idée des sublimes rêveries auxquelles ce nouveau gnostique était arrivé, à force d'abstraire ou de séparer ce que la nature a réuni, et cela dans le but, non d'analyser et d'apprécier les faits, mais afin de forger arbitrairement des êtres imaginaires formés de ces abstractions : c’est-à-dire en donnant une existence individuelle à des groupes composés de qualités et de propriétés positives, en y ajoutant comme éléments l'absence d'autres propriétés.

Saint Martin croyait au magnétisme somnambulique, mais il le regardait comme d'un ordre inférieur dans l'échelle psychologique. Il chercha, dans une conférence qu'il eut avec Bailly, à convaincre ce savant de la réalité de l'influence magnétique, en lui citant les effets merveilleux qu'il prétendait avoir été opéré sur des chevaux. Bailly lui répondit: Que savez-vous si les chevaux ne pensent pas ? En effet, les animaux sont, aussi bien que les hommes, susceptibles d'éprouver des sensations plus ou moins fortes par le simple effet de l’attention excitée et soutenue par des objets, des gestes et des sons qui frappent leurs sens. Le principe ou penchant imitateur est extrêmement puissant chez plusieurs animaux, et par conséquent il n'est pas impossible qu'une excitation nerveuse ait pu être produite chez quelques-uns de ces êtres dont l'organisation se rapproche de la nature des effets analogues. Fidèle à son principe de chercher à découvrir des vérités sublimes dans le monde idéal, en expliquant le connu par l'inconnu, l'obscur par le plus obscur, il se lia avec Lalande, et se livra à l'étude des mathématiques pour connaitre les propriétés des nombres, et en faire des applications métaphysiques ; mais cette liaison ne dura pas longtemps, par suite de l'opposition qui existait entre les opinions et le caractère de ces deux hommes.

 Saint-Martin voyagea ensuite, toujours dans le but de rattacher les hommes et la nature au Principe unique, qu’il supposait être la vérité absolue ; et pour être plus libre de se livrer à ses inspirations et de les confronter avec celles de ceux qui prétendaient également avoir l'intuition de la vérité sans le secours des sens, de l'expérience et du raisonnement, il quitta le service militaire, et ayant entendu parler, à Strasbourg, du fameux Jacques [sic pour Jacob] Bœhm, il se mit à étudier l'allemand pour pouvoir lire en original les ouvrages de ce visionnaire, dont la déraison surpassait tout ce qui était sorti du cerveau malade de Martinez Pascalis. Aussi Saint-Martin fut-il dans l'extase en trouvant dans les écrits de l'illuminé Allemand, ce qu'il n'avait fait qu'entrevoir dans les leçons de Martinez.

En 1787, il visita l'Angleterre et s'y lia avec William Law, éditeur d'une traduction anglaise de Bœhm. L'année suivante, il fit un voyage à Rome avec le prince de Gallitzin, son élève. Cet adepte disait qu'il n'était un homme que depuis qu'il avait connu Saint-Martin. Au retour de ses voyages en Allemagne [Saint-Martin n’a jamais voyagé en Allemagne], en Angleterre et en Italie, il fut, pour ainsi dire malgré lui, décoré de la croix de Saint-Louis

Encadré 1

L’auteur se trompe ici. SM n’a jamais été décoré de cette distinction :

« Pendant le ministère de Mr de Montbarey il m’eut été très aisé d’avoir la croix de St-Louis, si j'avois sçu profiter de la bonne volonté qu’avoient pour moi sa femme, sa fille la princesse de Nassau, et sa sœur, la comtesse de Coaslin ; mais au premier refus qu’il fit de me faire avoir un relief pour l’interruption de mes services, je m’en tins là ; quand il fut sorti du ministère je luy reparlai de cela, et il me tint un langage tout différent. Quand j’ay été dans l’humain j’ay quelquefois regretté cette bagatelle ; parce que je sçais qu’elle n'est rien quand on l’a, et qu’elle est tout quand on ne l’a pas (ce qui est commun à toutes les choses de ce monde) mais quand j’ay été raisonnable je n’y ay pas seulement pensé ; et quand j’ay été juste je me serois blamé de l’avoir acceptée puisque je ne l’avois pas gagnée ». Mon Portrait, n°153, orthographe originale

La révolution ne changea rien à ses opinions, il n'y vit qu'un nouveau mystère : « Probablement, dit-il, elle a eu pour objet, de la part de la Providence, d'émonder, sinon de suspendre le ministère de la prière » [Le ministère de l'homme-esprit, 1802, p.168]. Il n'émigra point, se montra excellent citoyen, sacrifia une partie de son modique revenu aux besoins de sa commune, et montra une égale horreur pour le despotisme et l'anarchie.

En 1793, il alla donner ses soins et rendre les derniers devoirs à un père infirme et paralytique. Jusque là, il n'avait point été inquiété, car au centre de l'orage révolutionnaire il ne s’occupait que du monde invisible et vivait dans le plus grand isolement, se regardant comme le Robinson Crusoé du spiritualisme [voir encadré 2] ; mais ayant été compris dans le décret du 17 germinal an II, qui ordonnait aux anciens nobles de quitter la capitale, il fut obligé de s'y soumettre. Impliqué plus tard dans la conspiration dite de la Mère de Dieu, et atteint d'un mandat d'arrêt, il dut son salut au 9 thermidor. En 1794, il fit, en qualité de garde national, son service au Temple, lorsque le fils de Louis XVI y était détenu ; et par un rapprochement aussi singulier que fortuit, il avait été, trois ans auparavant, compris dam la liste des candidats pour le place de gouverneur du dauphin.

Encadré 2

« En considérant l'état de l'homme dans ce bas monde, et ma situation personnelle au milieu de tant de mortels dont je ne peux attendre aucun secours spirituels, et même à qui je n'en peux pas procurer, il m'est venu en pensée de me regarder là où je suis, comme le Robinson de la spiritualité, et obligé comme lui de pourvoir seul à ma subsistance, de me défendre des animaux voraces, et d'employer sans cesse tout mon être à ma préservation et à mon entretien. Mais je me suis trouvé comme lui, une confiance qui me procure des consolations, et une forte espérance qu'un jour quelque vaisseau hospitalier viendroit me tirer de mon désert ». Œuvres posthumes, « Portrait », §458 (orthographe originale).

Vers la fin de 1794, il fut désigné par le district d'Amboise comme un des élèves aux écoles normales. Il accepta, espérant, disait-il, qu'il pourrait en présence de deux mille auditeurs animés de ce qu'il appelait le spiritus mundi, déployer utilement son caractère de spiritualité et sa doctrine du sens intérieur ou de l’intuition psychologique. Il retourna dans son département, et fil partie des premières assemblées électorales. A l’âge de soixante ans, Saint-Martin disait qu’il s’avançait vers les grandes jouissantes qui lui étaient annoncées depuis longtemps.

Quoique infirme et ressentant des attaques de la maladie qui avait enlevé son père, il conserva toutes ses facultés morales, et vit approcher sans crainte le terme de son existence. A la suite d'un entretien qu'il avait ardemment désiré avoir avec M. Rossel, sur les mathématiques et les propriétés des nombres, il prononça ces mots : « Je sens que je m'en vais ; la Providence peut m'appeler, je suis prêt ; les germes que j'ai tâché de semer fructifieront. Je pars demain pour la campagne d'un de mes amis : je rends grâce au ciel de m'avoir accordé la dernière faveur que je lui demandais ». Le jour suivant, il se rendit à Aulnay, près de Sceaux, dans la maison de campagne de Lenoir Laroche, mort depuis pair de France. Après un léger repas, il se retira dans sa chambre où il eut une attaque d'apoplexie, et expira, sans agonie, le 13 [sic pour 14] octobre 1803.

Saint-Martin fut un homme estimable ; il aima ses semblables, qu'il jugeait meilleurs qu'ils ne le sont en effet : toutes ses pensées et ses actions n'eurent d'autre but que de tâcher de Ies rendre vertueux, en cherchant à leur démontrer la nécessité de diriger-toute leur conduite d'après un principe unique qui doit lier tous les hommes comme il domine la nature. Il était bienfaisant, charitable, et ce qui est plus extraordinaire , assez tolérant pour un enthousiaste, du moins pour les personnes qui n'adoptaient pas ses opinions. Il entretenait des correspondances suivies avec plusieurs personnes distinguées qui partageaient les doctrines mystiques de sa secte, et surtout avec un membre du conseil de Berne. Il s'établit entre les deux correspondants, qui ne se connaissaient que par leur rapports épistolaires, une telle amitié qu'ils se prêtèrent des secours mutuels dans l'adversité qu'ils éprouvèrent alternativement à des époques différentes.

La doctrine de Saint-Martin est celle des théosophes, professée dès la plus haute antiquité, avec de légères modifications, par les cerveaux malades de l'Inde, de l'Egypte, et qui s’est tant de fois renouvelée depuis Pythagore, l'école [1224] platonicienne , les gnostiques, jusqu'à nos jours. C'est l'effet d'une disposition naturelle chez certains individus et acquise chez d'autres, qui tend à substituer le sentiment à la raison , et les rêves aux réalités. Portée à un haut degré d'Intensité, elle constitue l'exaltation, le fanatisme, et deviens même une aliénation mentale passagère ou permanente. Les progrès des sciences et l’habitude d'analyser et d'interroger Ia nature par l'observation et les expériences peuvent combattre avec succès les fausses sciences et la tendance au mysticisme mais jamais ce penchant ne pourra être entièrement déraciné chez les hommes qui préféreront croire sans raison, à l'aveu naïf de leur ignorance.

Voici les titres des principaux ouvrages de Saint-Martin :

Examen des erreurs et de la vérité , ou les Hommes rappelés au principe universel de la science, Lyon , 1778, in-8°. Il composa cet ouvrage à Lyon, pour réfuter Boulanger qui avait avancé que les religions n'avaient pris naissance que dans la frayeur occasionnée par les catastrophes de la nature.

Encadré 3

« C’est à Lyon que j’ay écrit le livre intitulé : Des Erreurs et de la vérité. Je l’ay écrit par désœuvrement, et par colère contre les philosophes. Je fus indigné de lire dans Boulanger que les religions n’avoient pris naissance que dans la frayeur occasionnée par les catastrophes de la nature. J’ecrivis d'abord une 30aine de pages que je montrai au cercle que j’instruisois chez Mr Willermoz, et l’on m’engagea à continuer. Il a été composé vers la fin de 1773 et le commencement de 1774, en quatre mois de tems, et auprès du feu de la cuisine, n’ayant pas de chambre où je pusse me chauffer. Un jour même le pot à la soupe se renversa sur mon pied, et le brula assez fortement ». Mon portrait, n° 165.

 

2° Suite des erreurs et de la vérité, etc. , Salomonopolis (Paris), 1784 , in-8°

[Titre complet : Suite Des Erreurs Et De La Vérité ou Développement du Livre des Hommes rappelés au principe universel de la Science, par Charles de Suze. Ce livre est un pamphlet et n’est pas de Saint-Martin] ;

Tableau naturel des rapports qui existent entre Dieu, l’homme et l'univers, avec cet épigraphe tirée de l'ouvrage précédent, suivant l'usage de l'auteur : Expliquer les choses par l'homme , et non l'homme par les choses, Edimbourg (Lyon), 1782, in-8°. Le titre seul de cet ouvrage suffit pour faire connaître l'erreur fondamentale de l'auteur et de tous les philosophes qui sont partis du même principe, et qui ont méconnu que l'homme est un résultat des forces de la nature combinées d'une manière spéciale.

L'Homme de désir, Lyon, 1790; réimprimé à Mets, an X (1802), in-12;

Ecce homo, de l'imprimerie du Cercle Social, 1792, in-12. Dans cet écrit, il cherche à guérir les hommes du goût pour le merveilleux d'un ordre inférieur, c'est-à-dire des miracles, et des prodiges magnétiques, etc., pour ne se vouer qu'à la contemplation des mystères sublimes de l'univers.

Le nouvel homme, Paris, 1799, in-8°

de l'Esprit des choses, ou Coup-d'œil philosophique sur la nature des êtres et sur l'objet de leur existence, Paris, an VIII (1800), 2 vol. in-8°. Cet écrit n'est qu'un tissu de propositions bizarres, ridicules et inintelligibles, résultat d'une imagination malade. Nous en citerons quelques-unes pour preuve de ce que nous avancions : « L'existence des êtres corporels n'est qu'une véritable quadrature [T. I, p.310]. — Toute la nature eut un somnambulisme ». Boehm avait dit, que Dieu est le néant ou le silence éternel. M. de Chateaubriand l'a appelé le grand célibataire des mondes. Schelling définit l'absolu la raison privée de-conscience ! « Si l'homme fût resté dans sa gloire, dit Saint Martin dans l'ouvrage cité, sa reproduction eût été l'acte le plus important, et qui eût le plus augmenté le lustre de sa sublime destination : aujourd'hui , cette reproduction est[-elle devenue] exposée aux plus grands périls. Dans le [La raison en est que lors du] premier plan, il vivait dans l'unité des [de toutes ses] essences, mais actuellement les essences sont déniées [divisées] [p.61] : [...] une preuve de notre dégradation, est que ce soit la femme terrestre qui engendre aujourd'hui l'image de l'homme, et qu'il soit obligé de lui conférer [sic pour confier] cette œuvre sublime qu'il n'est plus digne d'opérer lui-même. Néanmoins, la loi des génération des divers principes est telle, que, quelle que soit la région vers laquelle il porte son désir, il y trouve bientôt un matras pour recevoir [et modifier] son image : vérité immense et terrible ! » [p.62]

Lettres à un ami, ou Considérations politiques, philosophiques et religieuses sur la révolution françaises, Paris, an III (1795):

Éclair sur l'association humaine, Paris , an V (1797);

10° Réflexions d’un observateur sur cette question proposée par l'institut : Quelles sont les institutions les plus propres à fonder la morale d'un peuple ? an VI (1798);

11° Discours en réponse au Citoyen Garat, professeur d'entendement humain aux écoles normales, prononcé à la suite d'une conférence publique, le 9 ventôse an III (27 février 1795) ;

12° Essai relatif à la question proposé par l'institut : Déterminer l'influence des signes sur la formation des idées , an VII (1799), in-8°;

13° Le Crocodile, ou Guerre du bien et du mal, arrivée sous la règne de Louis XV, poème épico-magique en 102 chants et en prose, mêlé de vers, œuvre posthume d'un amateur des choses cachées. Paris, an VIII (1799), in-8° ;

14° le Ministère de l'homme-esprit, Paris , an II (1802), in-8°. C'est l'écrit le plus intelligible de Saint-Martin, et néanmoins voici ce qu'il en dit lui-même : « Quoique cet ouvrage soit plus clair que les autres, il est trop loin des idées humaines pour que j'aie compté sur son succès. J'ai senti souvent en l'écrivant que je faisais là comme si j'allais jouer sur mon violon des valses et des contredanses dans le cimetière de Montmartre, où j'aurais beau faire aller mon archet, les cadavres qui sont là n'entendraient aucun de mes sons et ne danseraient pas » [Œuvres posthumes, « Portrait », n°1090].

15° Traduction d'ouvrages de Boehm ; savoir: l'Aurore naissante, les Trois principes de l'essence divine, de la Triple Vie de l'homme, quarante Questions sur l’âme, d'après la traduction allemande de Gichtel, 1682, par le Philosophe inconnu, avec une notice sur Jacques Boehm, Paris, an IX (1800), in-8°. Ces écrits du rêveur allemand renferment tout ce que l'esprit en délire peut enfanter de plus extravagant. Le traducteur y prétend qu'on ne devrait faire des vers « qu'après avoir fait un miracle, puisque les vers ne doivent avoir pour objet que de le célébrer ». À propos de cette singulière proposition, le savant et estimable évêque Grégoire dit avec beaucoup d'esprit, dans son excellente Histoire des sectes religieuses : « On ignore si Saint-Martin a fait des miracles, mais il a publié le Cimetière d'Amboise, poème qui n'est pas merveilleux ; on y lit beaucoup de vers de cette force.

« Homme, c'est ici-bas qu'il a pris la naissance,
Ce néant où l'on veut condamner ton essence ».

« ... Un néant qui a pris naissance ! »

Enfin on a publié, à Tours, en 1807, en 2 vol. in-8°, les Œuvres posthumes de Saint-Martin qui contiennent une foule de choses qui ne méritaient guère de voir le jour. « On y lit  que l'auteur était plus sensuel que sensible, et que les femmes sont plus sensibles que sensuelles [O.P., Portrait, n°36]- que depuis l'évènement du Christ, chaque homme peut, dans le don qui lui est propre, aller plus loin que le Christ [O.P., Portrait, n°1123], etc., etc. » L'auteur prétend que les autres écrivains ne donnent que de le crotte dorée, mais que lui il donne de l'or crotté [Idem, n°1009].

Quant à nous, ce qui nous semble vraiment précieux dans ses écrits, c'est le ridicule dont il a, sans s'en douter, couvert le genre de recherches auxquelles il s’est livré ; la lecture de ses ouvrages est le meilleur antidote pour préserver la jeunesse de la théosophie ou de la philosophie transcendantale et mystique, et de son inintelligible jargon pseudo-scientifique. Les admirateurs de Saint-Martin soutiennent que, pour comprendre l'ensemble de sa doctrine sublime, il faut être initié complètement dans son système, mais ils ne disent point par qui, ni comment on parvient à pénétrer dans le sanctuaire. Sur ce point, cette doctrine ressemble à celles de Kant, de Fichte, de Schelling, et de tant d'autres abstracteurs de quintessence de l'Allemagne.

On a publié, à Londres, deux volumes faisant suite au premier outrage de Saint-Martin auxquels il n'a pris aucune part. Plusieurs écrivains l'ont confondu à tort avec son maitre Martinez Pascalis, mort à Saint-Domingue , en 1799 [sic pour 1794].

Le style de Saint-Martin est en général facile, animé, quelquefois brillant : il serait clair si la nature du sujet pouvait le permettre.