3ème article, pages 203-226 (1)

1865 seances academieSéances et Travaux de l'Académie des Sciences Morales et Politiques (Institut impérial de France)
Compte rendu par M. Ch. Vergé, avocat, docteur en droit, sous la direction de M. Mignet, secrétaire perpétuel de l’Académie
1865 – Quatrième trimestre
24e année – Cinquième série
Tome quatrième (LXXIVe de la collection).
Paris. Auguste Durand, libraire, 7, rue des Grès Sorbonne
1865
1. V. t. LXVI, p. 199, et plus haut, p. 89

1865 Franck 3e articleLes portes du paradis venaient de se fermer sans retour sur le malheureux philosophe; il ne revit plus ni Strasbourg ni madame de Bœcklin, et c'est entre son purgatoire et son enfer qu'il est obligé de partager le reste de sa vie. Son enfer, hélas ! il est bien forcé de l'avouer, ce n'est pas seulement la petite ville d'Amboise, c'est la maison paternelle. Saint-Martin a écrit sur le respect filial une très belle page (2. Portrait historique, n° 67). Il a fait mieux encore : il n'a pas cessé un instant de pratiquer la vertu, dont il parle avec tant de grâce. Mais il n'a pas été en son pouvoir d'établir entre lui et son père cette harmonie des pensées et des sentiments qui rend facile l'accomplissement de tous les devoirs et donne du charme au sacrifice. Ce n'est pas assez de dire que l'esprit de son père était fermé aux idées dont il nourrissait le sien ; « tout ce qui tenait à l'esprit lui était [page 204] antipathique (3. Portrait historique, n° 282, passage inédit cité par M. Matter). » Et cependant cette sécheresse, si propre à le blesser, ne lui inspire qu’un regret d’une ineffable tendresse. « C'est dans l'effusion de mon cœur, dit-il (4. Ibid., n° 314), que j'ai demandé à Dieu de donner la vie spirituelle à celui par qui il a permis que j’aie reçu la vie temporelle, c'est-à-dire le moyen d'éviter la mort. Cette récompense en faveur de cet être que j'honore eût été une des plus douces jouissances qui pût m'être accordée, et aurait fait la balance de toutes les épreuves que j'ai subies par lui et à cause de lui. » En quelque lieu qu'il se trouve, à peine a-t il reçu les ordres du morose vieillard, qu'il accourt près de lui avec la soumission d'un enfant, et, quoiqu'il n'ait pas même la consolation de lui être utile, il consent à ne plus le quitter tant qu'il vivra. Mais il ne dissimule pas les souffrances que cette chaîne lui fait endurer. Dès les premiers moments, il aurait été anéanti sans la force qu'il puisait dans les écrits de Bœhm et dans les lettres de madame de Bœcklin. Ces appuis mêmes ne lui ont pas toujours suffi. Ils ne l'ont pas empêché d'éprouver des mouvements de désespoir, des secousses du néant, comme il les appelle, « qui lui ont fait connaître l'enfer de glace et de privation. »

Ni les peines de la solitude chez un homme qui savait trouver tant de ressources en lui-même, ni les douleurs d'une séparation qui remontait déjà à plus d'une année (5. C'est le 1" juillet 1791 que Saint-Martin quitta Mme de Bœcklin ; c'est au mois de septembre de l'année suivante que se rapporte le passage que je viens de citer),  [page 205] ne suffisent pour expliquer ces sombres images. Elles trahissent encore une autre plaie que Saint-Martin ne découvre pas volontiers, mais qu'on aperçoit cependant sous les voiles et les réticences dont il cherche à l'envelopper. Déjà plusieurs fois, nous dit-il, il avait cru remarquer qu'il existait sur lui un décret de la Providence, qui lui permettait seulement d'approcher du but sans pouvoir le toucher; mais que, dans l'année 1792, précisément celle où il à tant souffert, il a connu, par une révélation expresse, cet acte de la volonté divine, sans lequel il aurait percé plus loin qu'il ne convient à une créature humaine, et aurait dévoilé à la terre des mystères destinés à lui rester cachés encore longtemps (6. Voir M. Matter, ouvrage cité, p. 192). N'est-ce pas nous faire entendre que ses yeux se sont ouverts sur la vanité de ses espérances, qu'il ne croit plus à la destinée qu'il s'était promise ici-bas, et que ses illusions perdues ne sont pas une des moindres causes de son abattement. Cette supposition se change en certitude quand on le voit, depuis ce moment, signaler lui-même le silence méprisant ou l'indifférence profonde qui accueillent tous ses ouvrages. Il se sent complètement isolé au milieu de ses contemporains, qui non seulement ne peuvent pas, mais ne veulent pas le comprendre. « Quelqu'un disait à Rousseau, qui voulait parler : ils ne l'entendront pas. On pourrait souvent me dire la même chose, et on pourrait ajouter : ils ne te voudront pas entendre; sans compter qu'il faudrait dire auparavant : ils ne te croiront pas (7. Portrait historique, n° 906). » Toute la génération [page 206] qui l'entoure ne lui paraît composée que de corps sans âmes, de véritables cadavres, que la vie a quittés sans retour. Aussi quand il songe que c'est pour de tels lecteurs qu'il rédige ses écrits, il se compare à un homme qui jouerait des valses et des contredanses dans le cimetière de Montmartre. Quelle que soit la puissance de son archet, il ne fera jamais danser les morts qui reposent dans cette funèbre enceinte.

Voilà certainement plus d'orgueil et d'amertume qu'on en aurait attendu de Saint-Martin. Mais il ne faut pas oublier que le mysticisme, tout en niant ou en compromettant le principe de la personnalité, est essentiellement personnel. Au reste, Saint-Martin se remet bien vite de ses défaillances passagères. Ce monde, comme il nous l'a déjà dit, lui est étranger; il ne lui appartient ni par son âge, ni par sa langue, ni par ses idées; pourquoi donc s'affligerait-il de n'en être pas compris? Toute sa mission est de se préparer par l'exil à d'autres destinées. Toute sa consolation est dans le commerce de quelques âmes privilégiées, étrangères comme lui à ce siècle aveugle et déshérité.

A la lecture des œuvres de Bœhm et aux lettres de son amie de Strasbourg il avait pu joindre récemment une nouvelle occupation pour son esprit découragé : c'est sa correspondance avec Kirchberger, baron de Liebisdorf. Ce Kirchberger est celui dont Rousseau eut la visite dans l'île de Saint-Pierre, et qui l'intéressa vivement par ses talents et ses principes (8. Confession, part. 2, liv. XII). C'était un personnage très important de la république de Berne, moitié magistrat, moitié [page 207] militaire (car il était colonel fédéral), membre du Conseil souverain et de toutes les commissions qui servaient d'organes au gouvernement de son pays. Ces grandeurs ne l'empêchaient pas d'être un des hommes les plus instruits de son temps. Il avait étudié dans sa jeunesse, et continua de cultiver jusqu'à la fin de sa vie à peu près toutes les sciences; mais elles n'avaient pour lui d'autre valeur que de servir d'introduction à la connaissance du monde surnaturel. Admirateur passionné des œuvres de Saint-Martin, épris de tous les genres de mysticisme, il appartenait surtout à l'école de Bœhm, dont il nous révèle, en les adoptant avec une merveilleuse crédulité, les extravagances et les chimères. On ne peut lire quelques-unes de ses lettres sans se croire transporté à l'époque du gnosticisme et de l'école d'Alexandrie. Telles sont particulièrement celles où l'enthousiaste Bernois raconte à son correspondant de Paris la biographie de Gichtel (9. Corresp. inédite, p. 153-177 de l'édit. Schauer et Chuquet). Jean-George Gichtel, plus souvent appelé le général Gichtel, quoiqu'il n'ait jamais commandé un peloton ni appartenu, même comme simple soldat, à aucune armée, a publié, en 1682, une édition des œuvres de Bœhm. Mais c'était plus qu'un éditeur, plus qu'un disciple du grand mystique de l'Allemagne. C'était un maître; que dis-je? un prophète, un voyant, un être surhumain, que la sagesse éternelle, la divine Sophie, devenue visible à ses yeux et revêtue pour lui d'un corps céleste éblouissant de beauté, choisit pour son époux. Afin qu'on ne s'y trompe pas et qu'on ne prenne pas ce mariage pour une métaphore, on nous indique le [page 208] jour où il a été célébré : ce fut le jour de Noël de l'année 1673; et, pour donner encore plus de précision au récit, l'on a soin d'ajouter que « les noces furent consommées avec des délices ineffables, » et que la mariée promit « en paroles distinctes la fidélité conjugale (10. Corresp. inédite, p. 159). » Elle a tenu parole non seulement pendant la vie de son époux terrestre, mais dans la liberté du veuvage; car nous apprenons qu'après la mort de Gichtel, elle est venue à différentes reprises dans sa demeure, pour mettre l'ordre dans ses papiers et compléter de sa propre main ou corriger ses manuscrits (11. Ibid., p. 177).

Hâtons-nous de dire que le général, puisque tel est le titre sous lequel on se plaît à le désigner, était parfaitement digne de cette faveur extraordinaire. Tout entier à l'amour que lui inspirait la Vierge céleste, il avait méprisé les dons de la fortune, les millions qu'on lui offrait de toute part avec les alliances les plus recherchées, le pouvoir que donne la science de soumettre la nature aux calculs de notre ambition, en un mot, la possession de la pierre philosophale; car c'est elle évidemment que Kirchberger veut indiquer par cette périphrase : la solution du grand problème physique. Gichtel avait méprisé tout cela, et plus encore, l'amour d'une femme belle, riche, ornée de toutes les grâces, qui, séduite par ses vertus, aurait voulu se consacrer à son bonheur. Les puissances mêmes du monde spirituel semblaient approuver cette union. « Un jour qu'il se promenait dans sa chambre, il vit, en plein midi, [page 209] descendre du ciel une main qui joignait la sienne dans celle de la veuve (j'ai oublié de dire que telle était la position de cette aimable personne). Il entendit en même temps, une voix forte et claire qui disait : Il faut que tu l'aies. » — « Quelqu'un d'autre à sa place, continue Kirchberger, aurait pris cette manifestation pour une direction divine; mais il vit bientôt que ce n'était que l'esprit de la veuve, qui, dans la ferveur de ses prières, avait percé jusqu'au ciel extérieur et pénétré l'esprit astral. Il se donna dès lors entièrement à Sophia, qui ne voulait pas un cœur partagé (12. Corresp. inédite, p. 159). » Elle se montra d'une telle jalousie, qu'elle lui défendit même de prier pour le repos des pauvres cœurs dont il était l'idole. Ces prières, au reste, n'avaient d'autre effet, selon l'énergique expression du narrateur, que de jeter de l'huile dans leurs feux (13. Ibid). Irrésistible en amour, le terrible général ne l'était pas moins à la guerre, car c'est lui qui a battu les armées de Louis XIV à Hochstett, à Oudenarde et à Malplaquet; c'est lui qui, en 1672, a forcé le grand roi, arrivé sous les portes d'Amsterdam, à rebrousser chemin et à épargner la ville habitée par le prophète. Mais ces prodiges militaires n'ont été accomplis que par des armes spirituelles. Les vaillantes troupes, commandées par Vendôme et Villars, ont été vaincues non par Malborough et Eugène, « mais par un général qui ne sortait pas de sa chambre (14. Ibid., p. 159 et 169). »

Je n'ai pas cru inutile de m'arrêter à ces récits, parce [page 210] qu'ils nous signalent l'écueil où vient échouer tôt ou lard le mysticisme, même s'il est aussi abstrait que celui de Plotin ou de Jacob Bœhm. Ils nous montrent comment les idées deviennent des personnages fabuleux, comment la légende se substitue à la métaphysique.

Croit-on que Saint-Martin, pour l'honneur même de sa foi, pour la gloire de son maître, dont quelques fanatiques ont à ce point défiguré les doctrines, va essayer de combattre ces folies ? Non ! il y applaudit, au contraire, et les autorise au nom de son expérience personnelle : « J'ai lu avec ravissement, écrit-il à son ami, les nouveaux détails que vous m'envoyez sur le général Gichtel. Tout y porte le cachet de la vérité. Si nous étions près l'un de l'autre, j'aurais aussi une histoire de mariage à vous conter, où la même morale a été suivie pour moi, quoique sous d'autres formes, et qui a fini par avoir le même résultat (15. Corresp. inédite, p. 167). » Répondant aux questions de Kirchberger, Saint-Martin, dans une autre lettre, revient sur ce sujet avec plus de détails. « Je crois bien, en effet, dit-il (16. Ibid., lettre LVII, p. 170.), avoir connu l'épouse du général Gichtel, dont vous me parlez dans votre lettre du 29 novembre, mais non pas aussi particulièrement que lui. Voici ce qui m'arriva lors du mariage dont je vous ai dit un mot dans ma dernière. Je priai un peu de suite pour cet objet, et il me fut dit intellectuellement, mais très clairement : Depuis que le Verbe s'est fait chair, nulle chair ne doit disposer d'elle-même sans qu'il en donne la permission. Ces [page 211] paroles me pénétrèrent profondément, et quoiqu'elles ne fussent pas une défense formelle, je me refusai à toute négociation ultérieure. » J'en demande pardon au philosophe inconnu, ces paroles, si elles sont réellement un décret du ciel, ont beaucoup plus de gravité que n'en offrirait une défense formelle adressée à un seul. Elles signifient que, depuis l'avènement du Christ, la virginité doit être la règle générale de la société et le mariage une rare exception, une dispense accordée par des moyens surnaturels. Voilà, il faut en convenir, une étrange manière de réformer le genre humain ! Mais je ne veux point discuter ; je me borne à raconter.

Ce qui rend cette correspondance particulièrement intéressante, c'est le temps auquel elle appartient. Comprend-on qu'entre les années 1792 et 1799, pendant les crises les plus terribles de la Révolution, pendant que la France et toute l'Europe étaient en feu, on ait pu agiter entre Paris et Berne des questions qui ne touchent qu'au monde des esprits ? C'est que, pour des hommes du tempérament de ceux que nous rencontrons ici, les événements extérieurs n'existent pas ; et, pour Saint-Martin, personnellement, le bouleversement dont il était témoin avait un sens mystique qui ne troublait pas le cours de ses pensées habituelles. C'est à lui que de Maistre a emprunté l'idée que la Révolution est un fait surnaturel, un miracle effrayant destiné tout à la fois à régénérer le monde et à l'instruire : « Un des grands objets de la Révolution française a été, dit-il (17. Portrait historique, n° 594), de montrer aux hommes ce qu'ils deviendraient si Dieu [page 212] les abandonnait entièrement à la fureur de sa justice, c'est-à-dire, à la fureur de leurs ténèbres. Il a voulu leur faire apercevoir la racine infecte sur laquelle repose le règne de la puissance humaine; il a voulu leur apprendre visiblement qu'il est la source d'une puissance bien plus aimable et plus salutaire pour eux.... Malheur! Malheur ! à ceux qui laisseront passer sans profit la grande leçon qu'on nous donne ! Elle tendait à nous rapprocher de Dieu, et les malheureux hommes ne font et ne feront que s'en éloigner davantage. » La Révolution, telle qu'il la comprend, lui paraît tantôt un sermon, « un des sermons les plus expressifs qui aient été prêchés en ce monde (18. Corresp. inédite, lettre LV, p. 150), » tantôt une miniature du jugement dernier et la révolution du genre humain (19. Ibid., lettre LXXII, p. 199).

Mais les conséquences que Saint-Martin fait sortir de cette conviction, sont tout autres et beaucoup plus logiques que celles de l'auteur des Soirées de Saint-Pétersbourg. Cet ordre social, qui a mérité d'être renversé par la justice divine, il ne sera pas rétabli et disparaîtra bientôt des lieux où il existe encore. Ces castes privilégiées, qui viennent d'expier si cruellement leur orgueil passé, elles ne retrouveront pas leurs titres et leur puissance. Une ère nouvelle va commencer où l'homme, ramené à son point de départ, ne reconnaîtra plus d'autre puissance que celle de Dieu, où la politique se confondra avec la religion, et où la religion elle-même sera renouvelée comme la société. « La Providence saura bien faire naître du cœur de l'homme une [page 213] religion qui ne sera plus susceptible d'être infectée par le trafic du prêtre et par l'haleine de l'imposture, comme celle que nous venons de voir s'éclipser avec les ministres qui l'avaient déshonorée (20. Lettre à un ami sur la Révolution française). »

Saint-Martin n'avait donc aucune raison d'être hostile à la Révolution ; et, en effet, il mérite plutôt d'être compté au nombre de ses amis. On vient de s'assurer par le dernier passage que j'ai cité, et qui n'est pas un des plus énergiques de ce genre, qu'il en partageait toutes les rancunes contre l'Église. Il n'est pas plus indulgent pour la noblesse, quoiqu'il en fasse partie et qu'il ait passé presque toute sa vie avec ses plus éminents représentants. Nous lisons dans ses Mémoires (21. Portrait historique, n° 965): « L'objet du fléau que la révolution fait tomber sur les nobles, est de purger ceux qui peuvent l'être des influences d'orgueil que ce titre leur avait communiquées, et de les rendre plus nets et plus présentables lorsqu'ils paraîtront dans les régions de la vérité. » Ailleurs (22.Ibid., n° 536 ) il s'exprime avec encore plus de dureté, mais il ne juge pas moins sévèrement la multitude et ceux qui gouvernent en son nom. « Dieu a voulu, dit-il (23. Ibid., n°973), que je visse tout sur la terre. J'y avais vu longtemps l'abus de la puissance des grands ; il fallait bien que j'y visse ensuite l'abus de la puissance des petits. »

La Révolution, pour lui, ne s'arrête pas au 18 brumaire; et il ne l'aurait pas crue même terminée par l'Empire, s'il [page 214] avait vécu assez longtemps pour voir le Consulat remplacé par ce nouveau régime. Voici ce qu'il écrit au lendemain de la signature de la paix d'Amiens : « Cette pacification externe et cet ordre apparent, produit par l'effet de la Révolution, ne sont pas le terme où la Providence ait eu exclusivement l'intention de nous conduire, et les agents et les instruments qui ont concouru à cette œuvre se tromperont s'ils se croient arrivés. Je les regarde, au contraire, comme des postillons qui ont fait leur poste; mais ils ne sont que des postillons de province ; il en faudra d'autres pour nous faire arriver au but du voyage, qui est de nous faire entrer dans la capitale de la vérité (24. Portrait historique, n° 1024). » Que nous entrions jamais dans la capitale de la vérité et que nous sachions même où elle est située, cela est extrêmement problématique ; mais il n'en reste pas moins à Saint-Martin le mérite d'avoir compris que la compression des esprits n'en est pas l'apaisement, et qu'une abdication momentanée imposée par la lassitude, autorisée par la gloire, n'est pas encore la conciliation et la paix. Au reste, il témoigne à plusieurs reprises la plus vive admiration pour la personne du Premier Consul. Il le regarde « comme un instrument temporel des plans de la Providence par rapport à notre nation (25. Ibid., n° 1000). »

En s'inclinant devant le principe et en partageant à bien des égards les passions de la Révolution française, Saint-Martin se fait un devoir d'en accepter les épreuves et les charges. De quel danger peut-elle d'ailleurs être pour lui ? [page 215] Ne nous a-t-il pas déjà appris que sa destinée n'a rien de commun avec celle de ce monde, et qu'aucune des tribulations réservées à celui-ci ne saurait l'atteindre (26. Portrait historique, n° 763.) ? « La « paix passe par moi, écrit-il à son ami Kirchberger, et je la trouve partout à côté de moi (27. Corresp. inédite, lettre LX, p. 167.). » Il en a eu, en mainte occasion, des preuves irrécusables, surtout pendant la journée du 10 août : car il était alors enfermé dans Paris, et il n'a cessé de le traverser tout le jour sans éprouver la plus légère crainte, sans rencontrer le moindre obstacle. Cela le frappe d'autant plus, qu'il n'y est absolument pour rien; il n'a par lui même aucune force physique qui puisse lui donner ce qu'il appelle le courage des sens. Mais qu'importé le courage des sens quand l'esprit, transporté dans les espaces imaginaires, n'a aucune idée du péril ? Veut-on savoir de quoi s'occupait Saint-Martin le lendemain de cette catastrophe du 10 août, qui venait de plonger la France et l'Europe dans la stupéfaction ? Il s'entretenait, avec son correspondant de Berne, de la lumière cachée dans les éléments et de la XLVII° épître de Bœhm (28. Ibid., lettre VI, p. 24). Devenu libre, au commencement de 1793, par la mort de son père, il résidait tantôt à Paris, tantôt à Petit-Bourg, près de son amie la duchesse de Bourbon, ou la citoyenne Bourbon, comme on disait dans ce temps-là. Il était à Paris, il venait de monter sa garde à la porte du Temple, devant la prison de ce même enfant royal dont l'Assemblée constituante l'avait jugé digne d'être le précepteur, quand parut, [page 216] le 27 germinal de l'an II, un décret de la Convention qui interdisait aux nobles le séjour de la capitale. Saint-Martin, obéissant sans murmurer, retourna dans sa ville natale, où la confiance et le respect de ses concitoyens adoucirent son exil. Lui, de son côté, soit par des dons patriotiques, soit par des services personnels, s'efforça, en toute circonstance, de prouver son attachement à la cause de la Révolution : « On doit s'estimer heureux, écrit-il, toutes les fois qu'on se trouve pour quelque chose dans ce grand mouvement, surtout quand il ne s'agit ni de juger les humains, ni de les tuer. »

Nommé commissaire pour la confection du catalogue des livres nationaux, il trouve dans l'accomplissement de cette tâche une jouissance inattendue pour son esprit; c'est celle que lui a procurée la découverte d'une légende de couvent, parfaitement ignorée hors de l'enceinte où elle prit naissance : La vie de la sœur Marguerite du Saint-Sacrement. Ici nous rentrons dan» les excès d'imagination dont nous avons déjà eu un exemple à l'occasion de la vie de Gichtel. Il s'agit d'une pauvre carmélite du XVIIe siècle, dont les perfections, les tortures et les souffrances surhumaines seraient une nouvelle confirmation des principes du mysticisme, ou, pour mieux dire, des principes de Bœhm et de Martinez. Inférieure à d'autres pour la science et la puissance, elle s'est élevée aussi haut que notre nature le permet « dans l'ordre de la régénération et des vertus de l'amour (29. Corresp. inédite, lettre LIII, p. 143). » Mais voici ce qu'il lui arriva. Pendant que la main divine la transportait dans ces sublimes régions, [page 217] l'action spirituelle de l'ennemi la tirait en sens contraire. Il en résultait pour elle des souffrances épouvantables, dont toute son organisation fut ébranlée, mais qui s'attaquaient surtout à la tête. On appela à son secours les hommes de l'art ; mais que pouvaient-ils dans leur ignorance, sinon la torturer en vain? Ils épuisèrent sur elle tous les remèdes de la pharmacie, ils lui appliquèrent sur le crâne un fer rouge, ils lui firent subir l'opération du trépan. La pauvre fille, quoique parfaitement sûre qu'il ne changerait rien à son état, supporta son martyre avec une héroïque résignation. Cette histoire, dont il ne conteste pas un instant la véracité, est pour Saint-Martin une magnifique occasion de montrer que la médecine, quand elle ne tient pas compte de l'ordre surnaturel, n'est pas une science plus fondée que la philosophie, et qu'elle n'aboutit qu'à tuer le corps, comme celle-ci à tuer l'âme ? « Je ne veux point, dit-il (30. Corresp. inédite, p. 144), scruter ici l'ordre scientifique. Si cette fille eût joui de ses droits, elle eût pu renverser ses médecins, comme Jésus-Christ renversa les archers qui vinrent le saisir au jardin des Olives. »

Un homme qui, sous le régime de la Terreur, se laissait absorber par de telles lectures, n'était certainement pas dangereux pour la république. Cependant, et malgré la prudence qu'il s'était imposée avec son ami Liebisdorf, même dans les controverses du mysticisme (31. Il écrit dans une lettre du 6 brumaire an III, à l'occasion du procès de dom Gerle et de Catherine Théot : « Dans ce moment-ci, il est peu prudent de s'étendre sur ces matières. Les papiers publics auront pu vous instruire des extravagances spirituelles que des fous et des imbéciles viennent d'exposer aux yeux de notre justice révolutionnaire. » Corresp. inédite, lettre LIX, p. 167.), Saint-Martin [page 218] fit ombrage aux autorités du moment. Un mandat d'amener fut lancé contre lui, et il était sur le point de comparaître devant le tribunal révolutionnaire, c'est-à-dire de monter sur l'échafaud, quand la chute de Robespierre et la réaction thermidorienne vinrent l'en sauver. Il ne connut le danger que lorsqu'il fut passé, et naturellement, il fut persuadé plus que jamais qu'une puissance surnaturelle veillait sur lui comme une mère sur son enfant.

Il était seul, à quelque distance d'Amboise, dans sa petite maison de campagne de Chaudon, quand il fut nommé par son district élève des écoles normales, récemment créées par la Convention. C'était au mois de frimaire de l'an III, c'est-à-dire à la fin de 1794. Saint-Martin venait d'atteindre sa cinquante -deuxième année. C'était un peu tard pour s'asseoir sur les bancs de l'école. De plus, s'il ne nageait pas dans l'abondance à Chaudon, il y trouvait au moins le nécessaire; tandis qu'à Paris, au milieu de la saison rigoureuse, il ne pourra éviter la gêne et les privations; il sera obligé, comme il dit, de se faire esprit pour ne manquer de rien. Enfin, il sera forcé de s'abaisser à des études de détail qui répugnent à son esprit et font violence à ses habitudes ; il lui faudra aussi prendre part à la discussion, s'exercer à la parole, lui qui n'en voudrait entendre ni proférer d'autre que la parole interne (32. Ibid., p. 166). Aucune de ces considérations ne l'arrête, parce qu'il y en a d'autres d'un ordre supérieur qui [page 219] lui font un devoir d'accepter, si humble qu'elle paraisse, la mission que lui ont confiée ses concitoyens. D'abord, il pense que tout est lié dans notre grande révolution ; dès lors, il n'y a plus rien de petit pour lui, et ne fût-il qu'un grain de sable dans le vaste édifice que Dieu prépare aux nations, il ne doit pas résister quand on l'appelle. Mais le principal motif de son acceptation , c'est l'espérance que, avec l'aide de Dieu, il arrêtera une partie des obstacles que l'ennemi de tout bien ne manquera pas de semer dans cette grande carrière qui va s'ouvrir et d'où peut dépendre le bonheur des générations (33. Portrait historique, p. 167).

Ainsi il ne faut pas se tromper : ce n'est point par des raisons purement humaines, par des raisons politiques, philosophiques ou morales, que Saint-Martin se décide à renoncer à son repos et à sa solitude; c'est aussi par des motifs tirés de l'ordre surnaturel, c'est pour combattre face à face l'ennemi de tout bien, celui qu'il appelle ailleurs (34. . Ibid.. n° 505 : « Il est certain que j'ai toujours appris quelque chose de grand à la suite de quelque grand écart, surtout à la bêtise de l'ennemi et l'amour du père. ») tout simplement l'ennemi : Je vous avoue, ajoute-t-il, que cette idée est consolante pour moi, et quand je ne détournerais qu'une goutte du poison que cet ennemi cherchera à jeter sur la racine même de cet arbre, qui doit couvrir de son ombre tout mon pays, je me croirais coupable de reculer et je m'honore même alors d'un pareil emploi. » Et comment ferait-il pour ne pas en être fier ? Cet emploi lui paraît être sans exemple dans l'histoire des peuples ; non pas que les peuples soient restés jusqu'aujourd'hui [page 220] absolument dépourvus d'instituteurs, mais parce qu'ils n'en ont jamais eu un tel que lui, « vu le caractère extérieur et intérieur qui fait tout son être », ou pour parler clairement, parce qu'il est d'une nature plus exquise que celle de ce monde. C'est ainsi que dans le mysticisme l'extrême humilité et l'extrême présomption se rencontrent presque toujours l'une à côté de l'autre. Le mystique s'abaisse devant Dieu, mais il se place sans scrupule au-dessus des hommes.

Les écoles normales ne s'ouvrirent qu'à la fin de janvier 1795. Saint-Martin n'est pas content de leur début et il prévoit, avec beaucoup de sagacité, qu'elles ne dureront pas longtemps. Maîtres et disciples lui sont également suspects. Il ne reconnaît en eux que le spiritus mundi, « et je vois bien, ajoute-t-il, qui est celui qui se cache sous ce manteau (35. Corresp. inédite, lettre LXIV, p. 174.). » Puis c'est beaucoup si, dans un mois, il peut parler cinq ou six minutes, et cela devant deux mille personnes à qui il faudrait auparavant refaire les oreilles. Cependant, cette institution, qu'il juge avec tant de sévérité, lui procura le plus grand, ou, pour parler exactement, l'unique succès qu'il ait eu de sa vie. Je rapporterai plus loin, avec un peu plus de précision qu'on ne l'a fait jusqu'à présent, sa discussion avec Garât. Je me bornerai à dire ici que c'est à lui que revient l'honneur d'avoir le premier en France ébranlé dans les esprits et humilié par un échec public le triste système de !a sensation transformée. Aussi ne peut-on pas l'accuser d'exagérer son importance, lorsqu'il écrit à son ami de Berne : « J'ai jeté une pierre dans [page 221] le front d'un des Goliath de notre école normale, en pleine assemblée, et les rieurs n'ont pas été pour lui, tout professeur qu'il est. C'est un devoir que j'ai rempli pour défendre le règne de la vérité ; je n'attends pas d'autre récompense que celle de ma conscience (36. Corresp. inédite, lettre LXVI, p. 181.). » Il faut cependant remarquer, pour être juste, qu’il n’est pas le seul qui, dans cette occasion, ait élevé la voix contre la doctrine régnante. Nous voyons, dans les séances des écoles normales recueillies par les sténographes, que, dans la même séance où il prit la parole, celle du 9 ventôse de l'an III, un de ses condisciples, appelé Teyssèdre, défendit la méthode et la doctrine de Descartes, c'est-à-dire une des sources les plus fécondes du spiritualisme moderne. Ce même Teyssèdre attaque la toute puissance que Garât, à l'exemple de son maître Condillac, accordait aux signes sur les idées. C'était la question à laquelle s'attacha principalement Saint-Martin et sur laquelle il revint, en 1796, dans un mémoire adressé à l'Académie des sciences morales et politiques. Un autre, du nom de Duhamel, élève des objections pleines de force et de bon sens contre la fameuse hypothèse de l'homme statue. Mais Saint-Martin eut les honneurs de la journée.

Son pronostic sur les écoles normales ne tarda pas à se vérifier : elles ne vécurent pas au-delà de trois mois. En les quittant, il songeait un instant à devenir professeur d'histoire à l'école centrale de Tours; mais il s'aperçut bien vite que ces fonctions n'étaient pas faites pour lui. L'histoire et la nature, c'est-à-dire l'action et la vie, sont [page 222] une protestation permanente contre les principes du mysticisme, et ce n'est qu'en les réduisant à une ombre vaine, à une figure, à un symbole, que ces principes ont quelquefois essayé de les dominer. Nommé membre de l'assemblée électorale de son département, Saint-Martin, grâce à l'éclat qu'il venait d'ajouter à sa renommée, aurait pu comme un autre se pousser vers la vie publique. Mais il comprit que la politique active lui convenait encore moins que l'enseignement. Il se renferma donc tout entier dans les travaux de la pensée. Il publia sa Lettre à un ami sur la Révolution Française, bientôt suivie de l’Éclair sur l'association humaine (37.Publié par M. Schauer avec le traité Des Nombres, in-8°, Paris, 1861 ), où il complète sa doctrine sur l'ordre social. Il prend part à deux concours de l'Académie des sciences morales et politique (38. L'un, comme je l'ai déjà dit, sur les signes, en 1796, l'autre, en 1797, sur cette question : « Quelles sont les institutions les plus propres à fonder la morale d'un peuple? »), tout en raillant les académies dans son étrange poème du Crocodile (39. In-8°, Paris, an VII (1799).), et en se présentant devant elles dans l'attitude d'un juge plutôt que d'un justiciable. Il s'efforce de résumer ses idées et de les revêtir de leur forme définitive dans deux derniers ouvrages : De l'esprit des choses (40. Deux vol. in-8°, Paris, an VIII (1801).) et le Ministère de l'homme esprit (41. In-8°, Paris, an XI.). En même temps, il traduisait en français plusieurs œuvres de Bœhm (41bis. L'Aurore naissante ou la Racine de la philosophie, in-8°, 1800 ; les Trois principes de l'essence divine, 2 vol. in-8, 1802; De la triple vie de l'homme, in-8, 1809 ; Quarante questions sur l'âme, traduction revue et éditée par Gilbert, Paris, 1807.), quoiqu'il soit extrêment [page 223] douteux qu'il les ait jamais comprises, et il continuait sa correspondance avec Kirchberger, resté pour lui jusqu'à la fin de sa vie l'ami le plus tendre et le plus dévoué. Il le perdit en 1799, sans l'avoir jamais vu autrement qu'en peinture ; car les deux amis échangèrent leurs portraits, n'ayant pu, comme ils l'auraient voulu, échanger leurs bourses et se soutenir réciproquement dans les circonstances difficiles qu'ils eurent à traverser.

Nous ne voyons pas que Saint-Martin ait pleuré sur sa mort, ni celle d'aucune autre personne qui lui fût chère. Il a toujours regardé la mort comme un avancement, et il condamnait cette expression : l’autre vie, parce qu'il n'y en a qu'une, précisément celle-là : « C'est moins sur les morts que sur les vivants, dit-il (42. Portrait historique, n° 826), qu'il faudrait nous affliger. Comment le sage s'affligerait-il sur les morts, tandis que sa journalière et continuelle affliction est d'être en vie ou dans ce bas monde? » On ne peut pas lui appliquer cette maxime de La Rochefoucault : « On a toujours assez de courage pour supporter les maux d'autrui ; » car il mettait son principe en pratique sur lui-même. Il n'a jamais cessé de placer dans sa dernière heure le plus ardent de ses désirs et la plus douce de ses espérances (43. Ibid., n° 1050). Chaque pas qu'il fait dans la vieillesse est salué comme un acheminement, non pas vers la délivrance, mais vers le couronnement des joies qui l'ont toujours accompagné dans ce [page 224] monde (44. Portrait historique, n° 1092). La seule maladie que l'âge lui ait apportée, c'est celle qu'il appelle le spleen de l'homme; mais ce spleen est bien différent de celui des Anglais. « Car, dit-il, celui des Anglais les rend niais et tristes, et le mien me rend intérieurement et extérieurement tout couleur de rosé (45. Ibid., n°1105). » Je veux citer encore ces lignes où la même idée est exprimée sous une forme plus grave et plus poétique : « Quand je vois les admirations du grand nombre pour les beautés de la nature et les sites heureux, je rentre bientôt dans la classe des vieillards d'Israël qui, en voyant le nouveau temple, pleuraient sur la beauté de l'ancien (46. Ibid., n°1106). » C'est ici que Saint-Martin et Rousseau auraient pu se comprendre, parce que la beauté de la nature n'est pas diminuée par cette mélancolique comparaison. La nature est d'autant plus belle qu'elle élève davantage nos pensées et nos sentiments.

Cette vie donnée tout entière à l'esprit et cette jouissance anticipée du ciel ne le rendaient pas indifférent aux peines matérielles de ses semblables. Il y avait des entrailles humaines chez cet exilé d'un monde supérieur. En voici une preuve. Il n'était pas riche, comme on sait, et il aimait beaucoup le spectacle. Il l'aimait à un tel point que, lorsqu'il se dirigeait vers le théâtre, l'idée de la jouissance qui l'attendait lui donner [sic] des transports. Mais chemin faisant, il se disait : « Je vais payer le plaisir d'admirer une simple image ou plutôt une ombre de la vertu. Eh bien ! avec [page 225] la même somme, je puis atteindre la réalité de cette image; je peux faire une bonne action au lieu de la voir retracée dans une représentation fugitive. » Puis, il montait chez quelque malheureux de sa connaissance et y| laissait la valeur de son billet de parterre. Jamais il n'a manqué à ce virement d'une nouvelle espèce. Aussi ne peut-on s'empêcher de croire que lui, si orgueilleux à d'autres égards, il se calomnie lorsqu'il soutient que Rousseau valait mieux que lui, sous prétexte que Rousseau tendait au bien par le cœur et lui par l'esprit (47. Portrait historique, n° 423). L'esprit, chez Saint-Martin, ne se sépare point du cœur et, en même temps qu'il lui donne quelque chose de sa finesse, il lui emprunte sa grâce et son indulgence.

Cette double et aimable nature demeura jusqu'au dernier moment semblable à elle-même. Dans l'été de l'année 1803, Saint-Martin sentit sa fin approcher. Il eut, pour me servir de ses expressions (48. Ibid., n°1132), quelques avertissements d'un ennemi physique qui, selon toute apparence, devait l'emporter, comme il avait emporté son père. Il ne se trompait point. Le 23 octobre de la même année, il mourut à Aunay, dans la maison de campagne de son ami, le sénateur Lenoir-Laroche. La veille de sa mort, il s'entretenait avec M. de Rossel sur la vertu des nombres, qui lui avait fourni le sujet d'un de ses ouvrages (49. Des Nombres, œuvre posthume, publiée en 1843 par M. L. Ch. Une nouvelle édition de ce livre a été publiée par M. Schauer en 1861, Paris, iu-8°.), et il rendait grâce au ciel de lui avoir accordé cette dernière faveur. [page 226] Quelques instants avant d’expirer, il recommanda à ses amis de vivre dans l’union fraternelle et dans la confiance en Dieu. Il ne se faisait aucune illusion sur l’influence qu’il avait exercée de son vivant, sur la place qu’il avait tenue parmi ses contemporains, et sur la gloire qui allait entourer son nom. Mais il disait : « Ce n’est point à l’audience que les défenseurs officieux reçoivent le salaire des causes qu’ils plaident, c’est hors de l’audience et après qu’elle est fini. Telle est mon histoire et telle est aussi ma résignation de n’être pas payé dans ce bas monde (50. Portrait historique, n° 1099). »

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