Calendrier perpetuel 1845Année 1845

- Barré - Nouvelle biographie classique - Saint-Martin

- Cazotte-Nerval - Le diable amoureux

- Franck – Dictionnaire des Sciences Philosophiques - Article Dieu

- Lalanne – Curiosités littéraires - De quelques idées bizarres et singulières

- Le magasin pittoresque - Saint-Martin, le Philosophe inconnu  & Pensées de Saint-Martin

1845 – Barré - Nouvelle biographie classique

1845 bibliotheque de pocheNouvelle biographie classique, contenant jusqu’à l’année 1840, la liste des principaux personnages de tous les pays, ainsi que leurs actions et leurs ouvrages les plus remarquables,
Par M. Louis Barré, professeur de philosophie.
Troisième édition
Paris, librairie de Firmin Didot frères, imprimeurs de l’Institut, rue Jacob, 56.
1845. Article Saint-Martin

Saint-Martin (p.17)

SAINT-MARTIN (Louis-Claude de), dit le Philosophe inconnu, né à Amboise en 1743, étudia le droit, puis obtint une lieutenance dans le régiment de Foix. Mais, entraîné vers le mysticisme par la lecture d’un livre d’Abbadie, il donna sa démission, et se fit initier à la secte des Martinistes, fondée par Martinès Pasqualis. Il a publié un grand nombre d’ouvrages, dont le spiritualisme touche aux doctrines des prétendus illuminés. Le premier fut le plus célèbre est intitulé Des erreurs et de la vérité. Il meurt en 1804 [sic].

1845 – Franck – Dictionnaire des Sciences Philosophiques

1845 dictionnaire sciences philo t2Dictionnaire des Sciences Philosophiques
Par une Société de professeurs et de savants
Tome deuxième
Paris
Chez L. Hachette et Cie, libraires de l’université royale de France, rue Pierre Sarrazin, 12
1845 - Article Dieu

 Article Dieu, extrait p.122

Cependant ce n'est pas la raison seule qui nous révèle l'existence de Dieu: le sentiment en est une autre preuve, mais beaucoup plus variable et plus obscure. En effet, n'est-il pas vrai, quand des passions basses ou des besoins grossiers n'arrêtent pas l'essor de nos facultés, que nous éprouvons un besoin d'aimer et d'admirer, un amour du bien et du beau que rien d'imparfait ni de fini ne peut satisfaire? D'où nous viendrait un pareil sentiment, sinon de celui qui est lui-même le beau et le bien dans leur essence, ou la source inépuisable de toute admiration et de tout amour ? Cette preuve est précisément celle que le mystique saint Martin, dans son livre de l'Esprit des choses, et plusieurs autres philosophes de son école, par exemple François Baader, ont recommandée comme la plus simple à la fois, et la plus inattaquable. Mais elle remonte beaucoup plus haut : déjà Platon en a consacré l'usage dans sa théorie de l'amour, en nous représentant l'amour et la dialectique comme les deux ailes sur lesquelles notre âme s'élève à la contemplation de l'absolu. Ce que nous disons du beau et du bien s'applique aussi à l'infini ; en d'autres termes, nous avons le sentiment de l'infini comme nous en avons l'idée. Quel autre sens donnerions-nous à ces émotions mystérieuses, à ce respect indéfinissable que la vue de la nature nous fait éprouver au milieu de la solitude et du silence? Comment expliquer autrement cette terreur en quelque sorte innée de l'invisible et de l'inconnu qui poursuit tous les hommes, qui a pesé d'un si horrible poids sur les premiers peuples, et que la voix de la raison parvient si difficilement à maîtriser? C'est un fait remarquable, que dans l'antiquité païenne tant de riches et de bizarres fictions n'aient pas pu suffire à ce sentiment, et qu'on ait imaginé, au-dessus de toutes les divinités de l'Olympe et de l'enfer, une puissance inconnue, indéfinissable, inaccessible aux dieux comme aux hommes, le Destin (Voyez ce mot).

1845 – Lalanne – Curiosités littéraires

1845 bibliotheque de pocheCuriosités littéraires
Bibliothèque de poche par une société de gens de lettres et d’érudits
Par Ludovic Lalanne
Paris. Paulin, libraire éditeur, rue Richelieu, 60
1845 - De quelques idées bizarres et singulières

De quelques idées bizarres et singulières - Extrait, p.219

[…]

Le célèbre visionnaire Saint-Martin, surnommé le Philosophe inconnu, avait sur les premiers hommes des idées tout à fait différentes de celles de la Bible. Suivant lui, « l'homme avait autrefois une armure impénétrable ; il était muni d'une lame composée de quatre métaux, et qui frappait toujours en deux endroits à la fois; il devait combattre dans une forêt formée de sept arbres, dont chacun avait seize racines et quatre cent quatre-vingt-dix branches ; il devait occuper le centre de ce pays ; mais s'en étant éloigné, il perdit sa bonne armure pour une autre qui ne valait rien ; il s'était égaré en allant de quatre à neuf, et il ne pouvait se retrouver qu'en revenant de neuf à quatre. » [Des Erreurs et de la Vérité, Edimbourg, 1775, p.35]

Citons encore quelques exemples des explications et interprétations extravagantes auxquelles ont donné lieu l'Ancien et le Nouveau Testament.

1845 - Le magasin pittoresque

1845 bibliotheque de pocheLe magasin pittoresque, rédigé, depuis sa fondation, sous la direction de
M. Édouard Charton
Treizième année
1845
Paris, aux bureaux d’abonnement et de vente, 29, quai des Grands Augustins
M DCCC XLV

Tome XII, n° 23, p.178

Le magasin pittoresque, Tome XII, n°23

« Les faiblesses retardent, les passions égarent, les vices exterminent. »

Saint-Martin
[Portrait historique et philosophique de Mr de Saint-Martin, fait par lui-même, dans Œuvres posthumes, T. I. Tours, 1807, p.101, §780


1845 – Cazotte-Nerval

1845 bibliotheque de pocheLe diable amoureux : roman fantastique
Par Jacques Cazotte
Précédé de sa vie, de son procès et de ses prophéties et révélations par Gérard de Nerval
Illustré de 200 dessins par Édouard de Beaumont
Paris. Léon Ganivet, éditeur, 12, rue des Cordiers Sorbonne
1845 - 192 pages - Le diable amoureux

Le diable amoureux, extrait p. XXIII-XXVI

… Cazotte dut être d'autant plus porté à réparer la faute qui lui était signalée, que ce n'était pas peu de chose alors que d'encourir la haine des illuminés, nombreux, puissants, et divisés en une foule de sectes, sociétés et loges maçonniques, qui se correspondaient d'un bout à l'autre du royaume. Cazotte, accusé d'avoir révélé aux profanes les mystères de l'initiation, s'exposait au même sort qu'avait subi l'abbé de Villars, qui, dans le Comte de Gabalis, s'était permis de livrer à la curiosité publique, sous une forme à demi sérieuse, toute la doctrine des rose-croix sur le monde des esprits. Cet ecclésiastique fut trouvé un jour assassiné sur la route [XXIV] de Lyon, et l'on ne put accuser que les sylphes ou les gnomes de cette expédition. Cazotte opposa d'ailleurs d'autant moins de résistance aux conseils de l'initié qu'il était naturellement très porté à ces sortes d'idées. Le vague que des études faites sans méthode répandaient dans sa pensée, le fatiguait lui-même, et il avait besoin de se rattacher à une doctrine complète. Celle des martinistes, au nombre desquels il se fit recevoir, avait été introduite en France par Martinez Pasqualis, et renouvelait simplement l'institution des rites cabalistiques du onzième siècle, dernier écho de la formule des gnostiques, où quelque chose de la métaphysique juive se mêle aux théories obscures des philosophes alexandrins. [XXV]

1845 bibliotheque de pocheL'école de Lyon, à laquelle appartenait dès lors Cazotte, professait, d'après Martinez, que l'intelligence et la volonté sont les seules forces actives de la nature, d'où il suit que, pour en modifier les phénomènes, il suffit de commander fortement et de vouloir. Elle ajoutait que, par la contemplation de ses propres idées et l'abstraction de tout ce qui tient au monde extérieur et au corps, l'homme pouvait s'élever à la notion parfaite de l'essence universelle et à cette domination des esprits dont le secret était contenu dans la Triple contrainte de l'enfer, conjuration toute puissante à l'usage des cabalistes du moyen âge.

Martinez, qui avait couvert la France de loges maçonniques selon son rite, était allé mourir à Saint-Domingue ; la doctrine ne put se conserver pure, et se modifia bientôt en admettant les idées de Swedemborg et de Jacob Boehm, qu'on eut de la peine à réunir dans le même symbole. Le célèbre Saint-Martin, l'un des néophytes les plus ardents et les plus jeunes, se rattacha particulièrement aux principes de ce dernier. [XXVI] A cette époque l'école de Lyon s'était fondue déjà dans la Société des Philalèthes, où Saint-Martin refusa d'entrer, disant qu'ils s'occupaient plus de la science des âmes, d'après Swedemborg, que de celle des esprits, d'après Martinez.

Plus tard, parlant de son séjour parmi les illuminés de Lyon, cet illustre théosophe disait : « Dans l'école où j'ai passé il y a vingt-cinq ans, les communications de tout genre étaient fréquentes; j'en ai eu ma part comme beaucoup d'autres. Les manifestations du signe du Réparateur y étaient visibles : j'y avais été préparé par des initiations. Mais, ajoute-t-il, le danger de ces initiations est de livrer l'homme à des esprits violents; et je ne puis répondre que les formes qui se communiquaient à moi ne fussent pas des formes d'emprunt. »

Le danger que redoutait Saint Martin fut précisément celui où se livra Cazotte, et qui causa peut-être les plus grands malheurs de sa vie. Longtemps encore ses croyances furent douces et tolérantes, ses visions riantes et claires; ce fut dans ces quelques années qu'il composa de nouveaux contes arabes qui, longtemps confondus avec les Mille et une Nuits, dont ils formaient la suite, n'ont pas valu à leur auteur toute la gloire qu'il en devait retirer.

Extrait, page LII

Saint-Martin, le plus illustre d'entre eux, est un spiritualiste chrétien à la manière de Malebranche. Nous avons dit plus haut qu'il avait déploré l'intervention d'esprits violents dans le sein de la secte lyonnaise. De quelque manière qu'il faille entendre cette expression, il est évident que la société prit dès lors une tendance politique qui éloigna d'elle plusieurs de ses membres. Peut-être a-t-on exagéré l'influence des illuminés tant en Allemagne qu'en France, mais on ne peut nier qu'ils n'aient eu une grande action sur la révolution française et dans le sens de son mouvement. Les sympathies monarchiques de Cazotte l'écartèrent de cette direction et l'empêchèrent de soutenir de son talent une doctrine qui tournait autrement qu'il n'avait pensé.

Extrait, page LIV-LV

Une femme âgée, grande et majestueuse, la marquise de la Croix, veuve d'un grand seigneur espagnol, faisait partie de la famille et y exerçait une influence due au rapport de ses idées et de ses convictions avec celles de Cazotte. C'était depuis longues années l'une des adeptes [LV] de Saint-Martin, et l'illuminisme l'unissait aussi à Cazotte de ces liens tout intellectuels que la doctrine regardait comme une sorte d'anticipation de la vie future. Ce second mariage mystique, dont l'âge de ces deux personnes écartait toute idée d'inconvenance, était moins pour madame Cazotte un sujet de chagrin, que d'inquiétude conçue au point de vue d'une raison tout humaine touchant l'agitation de ces nobles esprits. Les trois enfants, au contraire, partageaient sincèrement les idées de leur père et de sa vieille amie.


1845 - Le magasin pittoresque - Tome XII, n° 42 p.330-332

1845 bibliotheque de pocheLe magasin pittoresque, rédigé, depuis sa fondation, sous la direction de
M. Édouard Charton
Treizième année
1845
Paris, aux bureaux d’abonnement et de vente, 29, quai des Grands Augustins
M DCCC XLV - Saint-Martin, le Philosophe inconnu

Saint-Martin, le Philosophe inconnu

Louis-Claude de Saint-Martin est né le 18 janvier 1743 à Amboise. On a peu de détails sur sa famille. Il a écrit : « J'ai une belle-mère, à qui je dois peut-être tout mon bonheur, puisque c'est elle qui m'a donné les premiers éléments de cette éducation douce, attentive et pieuse, qui m'a fait aimer de Dieu et des hommes. » Il fut envoyé, vers l'âge de dix ans, au collège de Pont-le-Voy. De toutes ses lectures pendant son cours d'humanités, une seule eut sur lui une sérieuse influence : L'Art de se connaître soi-même, par d'Abbadie. Ses études terminées, après avoir passé quelques années dans sa famille, il se fit d'abord recevoir, suivant le vœu de son père, avocat du roi au siège présidial de Tours. Mais ces fonctions l'attristèrent ; elles exigeaient d'ailleurs une application et une activité soutenues qui lui laissaient à son gré trop peu de temps pour l'étude de la philosophie : il les abandonna. Toutefois, son père désirant le voir engagé dans une profession positive, il choisit la carrière militaire. À l'âge de vingt-deux ans, il entra comme lieutenant au régiment de Foix qui était en garnison à Bordeaux. Plusieurs officiers de ce régiment étaient affiliés à une association théosophique, dirigée par Martinez Pasqualis. Saint-Martin ne tarda pas à se faire initier aux formules et aux pratiques de cette secte, qui avait son origine en Allemagne. Dès ce moment, sa vocation fut décidée ; et tout en s'appliquant avec ardeur à l'étude des mathématiques et à celle des langues anciennes et modernes, il fixa pour but principal de ses travaux la recherche de la vérité dans la voie mystique où il s'était engagé. Il considéra l'enseignement de ce qu'il croyait être la seule science véritablement utile, comme la seule affaire importante de sa vie. « Excepté mon premier éducateur Martinez Pasqualis, a-t-il dit plus tard, et mon second éducateur Jacob Bœhm, mort il y a cent cinquante ans, je n'ai vu sur la terre que des gens qui voulaient être maîtres et qui n'étaient pas même en état d'être disciples. » Il dit ailleurs : « Il y a plusieurs probabilités que ma destinée a été de me faire des rentes en âmes ; si Dieu permet que cette destinée-là s'accomplisse, je ne me plaindrai pas de ma fortune : cette richesse-là en vaut bien d'autres. » Après la mort de Pasqualis, l'école fut transportée à Lyon. Saint-Martin, qui demeura quelques années dans cette ville, y professa ses principes à la loge de la Bienfaisance. Il y composa son premier ouvrage. « C'est à Lyon, dit-il, que j'ai écrit le livre des Erreurs et de la Vérité. Je l'ai écrit par désœuvrement et par colère contre les philosophes (sous ce nom, Saint-Martin comprend les philosophes qui nient la divinité et qui appartiennent particulièrement à l'école sensualiste). Je fus indigné de lire dans Boulanger que les religions n'avaient pris naissance que dans la frayeur occasionnée par les catastrophes de la nature. Je composai cet ouvrage vers l'an 1774, en quatre mois de temps et auprès du feu de la cuisine, n'ayant pas de chambre où je pusse me chauffer. » En 1778, l'école de Pasqualis vint se perdre à Paris dans la franc-maçonnerie, et Saint-Martin cessa d'être au nombre de ses disciples.

En 1784, il écrivit un mémoire sur cette question posée par l'Académie de Berlin : « Quelle est la meilleure manière de rappeler à la raison les nations, tant sauvages que policées, qui sont livrées aux erreurs ou aux superstitions de tout genre ? » Saint-Martin s'était efforcé de [331] démontrer que la question était insoluble avec les seuls moyens humains. C'était au fond, la cause du sentiment religieux qu'il défendait. Le moment n'était point favorable. Il avait lui-même parfaitement compris que son mémoire ne pouvait pas être couronné, et il le disait dans sa péroraison ; mais il croyait remplir un devoir. La question fut remise au concours l'année suivante. Un pasteur de l'Église française de Berlin, M. Avillon, remporta le prix : par un singulier contraste, ce ministre de l'Évangile avait cherché à résoudre le problème en s'appuyant sur Platon.

Saint-Martin voyagea ensuite en Italie, en Allemagne et en Angleterre, moins pour voir de nouveaux paysages ou des œuvres d'art que pour étudier la vie des hommes. « Je n'ai jamais goûté bien longtemps, dit-il, les beautés que la terre offre à nos yeux, le spectacle des champs, les paysages. Mon esprit s'élevait bientôt au modèle dont ces objets nous peignent les richesses et les perfections. » Il abandonnait l'image pour jouir du doux sentiment de son auteur. Qui oserait prétendre que le charme que goûtent tous les admirateurs de la nature ne naît point, bien qu'à leur insu, de cette même source ?

À Paris, il était admis dans la société du duc d'Orléans, de la duchesse de Bourbon, du marquis de Lusignan, du chevalier de Boufflers et d'autres personnes élevées par leur rang ou leur esprit. Il fut compris sur la liste des candidats pour le choix d'un gouverneur du Dauphin.

Pendant la Révolution, il fut quelque temps exilé de Paris en qualité de noble, par le décret du 27 germinal an II ; mais il ne sortit point de France. Soupçonné d'avoir fait partie d'une association religieuse distinguée sous le nom de la Mère de Dieu, il fut cité devant le tribunal révolutionnaire : le 9 Thermidor le sauva de ce danger. À la fin de 1794, il fut désigné par le district d'Amboise comme un des élèves aux écoles normales destinées à former des instituteurs pour propager l'instruction. Il accepta cette mission qui lui permit de professer publiquement ses opinions philosophiques. En 1795, il fit partie des premières assemblées électorales.

Lorsque la politique intérieure fut tout à fait au calme, il s'occupa avec zèle de propager ses principes et de s'affermir lui-même dans ses convictions par des études constantes. Il fréquentait quelques-uns de ses anciens amis, les hommes de lettres, les philosophes, et il suivit les cours publics. Il était bienfaisant sans ostentation. Un de ses amis qui a été son biographe, J.-B.-M. Gence, en rapporte des exemples touchants : « Saint-Martin avait beaucoup aimé les spectacles. Souvent, pendant les quinze dernières années de sa vie, il s'était mis en route pour jouir de l'émotion que lui promettait la vue d'une action vertueuse mise en scène par Corneille ou Racine. Mais en chemin, la pensée lui venait que ce n'était que l'ombre de la vertu, dont il allait acheter la jouissance et qu'avec le même argent, il pouvait en réaliser l'image. Jamais il n'avait pu, disait-il, résister à cette idée : il montait chez un malheureux, y laissait la valeur de son billet de parterre et rentrait chez lui satisfait. »

Saint-Martin a écrit un grand nombre d'ouvrages sans les signer, ou en se désignant seulement sous le nom de Philosophe Inconnu. Les principaux sont : 1° des Erreurs et de la Vérité ; 2° le Tableau naturel ; 3° l'Homme de désir ; 4° le Nouvel homme ; 5° l’Ecce Homo ; 6° le Crocodile ; 7° l'Esprit des choses ; 8° le Ministère de l'homme esprit.

Il a traduit de Bœhme, ce pauvre cordonnier allemand qui est au premier rang des mystiques, quatre ouvrages : l'Aurore naissante, les Trois Principes, les Quarante questions sur l'âme, la Triple Vie.

« C'est à Paris, dit-il, partie chez madame de Lusignan, au Luxembourg, partie chez madame de Lacroix, que j'ai écrit le Tableau Naturel, à l'instigation de quelques amis ; c'est à Londres et à Strasbourg que j'ai écrit l'Homme de désir, à l'instigation de Thieman ; c'est à Paris que j'ai écrit l'Ecce homo , d'après une notion vive que j'avais eue à Strasbourg ; c'est à Strasbourg que j'ai écrit le Nouvel Homme, à l'instigation du cher Silverichm, ancien aumônier du roi de Suède et neveu de Swedenborg. »

Saint-Martin avait laissé des manuscrits dont une partie a été publiée sous le titre d'Œuvres posthumes. C'est peut-être ce dernier ouvrage que doivent lire avant tout les personnes qui désireraient connaître et apprécier les tendances philosophiques, sinon la doctrine de Saint-Martin. On y trouve plusieurs choix de sentences, et divers essais, entre autres : des Trois époques de l'âme ; Quel est le premier ouvrage de l'homme ? ; le Mémoire sur la question proposée par l'Académie de Berlin ; un Traité des bénédictions ; les Rapports spirituels et temporels de l'arc-en-ciel ; des Fragments littéraires ; enfin, quelques poésies plus remarquables par la pensée que par le rythme, entre autres, le Cimetière d'Amboise.

Il parut pressentir sa fin avec plus de joie que de crainte.

« Le 18 janvier 1803, qui complète ma soixantaine, m'a ouvert un nouveau monde. Mes expériences spirituelles ne vont qu'en s'accroissant. J'avance, grâce à Dieu, vers les grandes jouissances qui me sont annoncées depuis longtemps, et qui doivent mettre le comble aux joies dont mon existence a été comme constamment accompagnée dans ce monde. »

Il écrivit, peu de temps avant de mourir, quelques belles pages sur la mort, qui commencent par cette impétueuse apostrophe :

« La mort ! est-ce qu'il y en a encore ? est-ce qu'elle n'a pas été détruite ? »

Dans l'été de 1803, il avait fait un voyage à Amboise, où il avait retrouvé avec plaisir quelques bons amis ; il avait visité avec une pieuse émotion la maison où il était né.

Il mourut le 13 octobre 1803 à Aunay, dans la maison de campagne du sénateur Lenoir-Laroche.

Saint-Martin avait toujours été d'une santé assez faible. « On ne m'a donné de corps qu'un projet, dit-il. Ma faiblesse physique a été telle, et surtout celle des nerfs, que, quoique j'aie joué passablement du violon pour un amateur, mes doigts n'ont jamais pu vibrer assez fort pour faire une cadence. »

Il a été quelquefois sévère envers lui-même dans différents passages de ses écrits où il a essayé de se peindre :

« J'ai été gai, dit-il, mais la gaieté n'a jamais été qu'une nuance secondaire de mon caractère… Je m'ennuie quand les gaietés sont trop longues, ou bien je deviens désagréable et dur par impatience ; chose dont je me repens et qui est très opposée à ma manière d'être. »

Toutes les personnes qui ont connu ce philosophe (et plusieurs vivent encore) s'accordent à dire qu'il était charitable, bienveillant, d'un caractère aimable. Il avait un regard doux, affectueux et noble. Une personne disait de lui en termes un peu maniérés qu'il avait les yeux doublés d'âme.

Il est nécessaire d'ajouter que quelques-uns même de ceux qui ont le mieux apprécié ses excellentes qualités l'ont considéré comme un homme bizarre, excentrique, et affectant d'entourer de plus de mystère qu'il n'en était utile, une doctrine assez vague et assez obscure par elle-même. Il est certain d'ailleurs que Saint-Martin ne se défendait point d'appartenir par ses convictions à la série d'esprits que l'on comprend généralement sous le nom de théosophes et de mystiques, et parmi lesquels sont Rosencreuz, Rusbrock, Agrippa, François Georges, Valentia Voigel, Thomassius, les deux Van Helmont, Adam Boreil, Bœhm, Poiret, Guirinus, Kullmann, Henri Morus, Pordage, Jeanne Leade, Swedenborg.

Il ne voulait pas qu'on l'appelât spiritualiste ; il aurait mieux aimé la qualification de diviniste.

« Les gens du monde me traitent de fou ; je veux bien ne pas contester avec eux sur cela : seulement, je voudrais qu'ils convinssent que s'il y a des fous à lier, il y a peut-être aussi des fous à délier, et ils devraient au moins examiner dans laquelle de ces deux espèces il faudrait me ranger, afin qu'on ne s'y trompât point. »

« On m'a regardé assez généralement comme un illuminé ; quand on m'appelle ainsi, je réponds que cela est vrai, mais que je suis un illuminé d'une rare espèce ; car je peux, quand il me plaît, me rendre tellement comme une lanterne sourde, que je serais trente ans auprès de quelqu'un qu'il ne s'apercevrait pas de mon illumination, s'il ne me paraissait pas fait pour qu'on lui en parlât. »

Quelles que fussent au fond les traditions et la doctrine de Saint-Martin, si l'on veut le juger seulement par ses écrits, on remarque avant tout qu'il a un profond sentiment religieux, qu'il professe un pur spiritualisme et une excellente morale. Il a écrit d'admirables pages sur la vertu de la prière. Nous ne connaissons rien de plus touchant que ces simples paroles de Saint-Martin :

« À force de répéter mon père, espérons qu'à la fin nous entendrons dire mon fils.  »

Il dit dans son ouvrage intitulé le Nouvel Homme : « L'âme de l'homme est primitivement une pensée de Dieu : de là, il résulte que le moyen de nous renouveler en rentrant dans notre vraie nature, c'est de penser par notre propre principe, et d'employer nos pensées comme autant d'organes pour opérer ce renouvellement. »

En somme, les œuvres de Saint-Martin, dans leur plus grande partie, si l'on veut les lire avec simplicité et en se tenant seulement un peu en garde contre la tendance mystique, renferment d'excellents conseils, de belles pensées, consolantes pour ceux qui souffrent et aspirent à un état meilleur, fortifiantes pour ceux qui ne sont pas inaccessibles au doute et à une sorte de langueur morale. Aussi croyons-nous que les écrits de ce philosophe mériteraient d'être plus recherchés. Il est vrai que leur style, parfois incorrect, exalté ou obscur, a dû contribuer à détourner un grand nombre de lecteurs. La forme entre pour une part si importante dans la destinée des livres, que souvent elle emporte le fond. Saint-Martin comprenait bien ce qui lui manquait, et il n'a point su se défendre de quelque regret ou même de dépit dans sa vieillesse, en voyant le peu d'empressement du public à le lire. Il a laissé échapper, à cet égard, des plaintes qu'il n'avait probablement pas l'intention de laisser entendre au public, et que cependant on a dû respecter dans le choix de ses Œuvres posthumes.

« Il y a de bonnes raisons, dit-il, pour que les livres des savants et des littérateurs l'emportent sur les miens : 1° ils sont mieux faits, et, dans le vrai, leurs auteurs ont grand besoin de suppléer par la forme à ce qui manque au fond dans leurs productions ; 2° leurs ouvrages doivent faire fortune plus que les miens, parce qu'ils songent plus que moi à travailler pour ce monde-ci, attendu que je ne travaille que pour l'autre.

« Le monde m'a repoussé à cause de l'obscurité et de l'imperfection de mes livres. S'il s'était donné la peine de me scruter profondément, peut-être aurait-il goûté mes livres à cause de moi, ou plutôt à cause de ce que la Providence a mis en moi. »

Parfois un sentiment d'orgueil s'élevait en lui, et il se consolait en disant : « Ce n'est point à l'audience que les défenseurs officieux reçoivent le salaire des causes qu'ils plaident, c'est hors de l'audience et après qu'elle est finie. »

Après tout, Saint-Martin n'est pas aussi inconnu qu'il semblait redouter de l'être. Même au seul point de vue littéraire, il s'en faut de beaucoup que ce soit un écrivain sans éloquence et tout à fait sans agrément. Quelquefois ses pensées sont exprimées avec concision, avec force et avec bonheur. Prochainement, nous appuierons cette remarque par quelques exemples qui, nous l'espérons, frapperont en même temps l'attention de nos lecteurs par un mérite plus profond.


1845 - Le magasin pittoresque - Tome XII, n° 45 p.357-359

1845 bibliotheque de pocheLe magasin pittoresque, rédigé, depuis sa fondation, sous la direction de
M. Édouard Charton
Treizième année
1845
Paris, aux bureaux d’abonnement et de vente, 29, quai des Grands Augustins
M DCCC XLV - Pensées de Saint-Martin

Pensées de Saint-Martin, extraites de ses Œuvres posthumes

(Voy., sur la vie et les œuvres  de Saint-Martin, le Philosophe inconnu, p. 330.)

Je me disais dans ma jeunesse : Fais en sorte d'être assez heureux pour n'être jamais content que de ce qui est vrai.

Dans une circonstance critique de ma vie, où j'avais des torts, je me dis avec assurance : La vraie manière d'expier ses fautes, c'est de les réparer, et pour celles qui sont irréparables, de n'en être point découragé.

[358] Si, en présence d'un homme honnête, des hommes absents sont outragés, l'honnête homme devient de droit leur représentant.

Avant de nous livrer à des actes importants, nous aurions trois conseils à consulter : 1° si nous pouvons ; 2° si nous voulons ; 3° si nous devons. Malheureusement, presque toujours, ce sont les circonstances qui nous tiennent lieu de volonté ou de désirs, et ce sont nos volontés ou nos désirs qui nous tiennent lieu de devoirs.

Le monde frivole passe sa vie dans une chaîne de néants qui se succèdent et qui lui ôtent jusqu'aux moyens de s'apercevoir qu'il y ait une vérité, de même que la capacité de la saisir. Le plus grand nombre des femmes et des hommes qui leur ressemblent sont comme des enfants qui regardent tout, qui crient à la moindre contradiction, mais qui n'ont d'autre force que celle de crier, et qu'il faut défendre de tout, parce que la peur et l'impuissance sont leurs éléments constitutifs.

La société du monde, en général, m'a paru comme un théâtre où il faut continuellement passer son temps à jouer son rôle, et où il n’y a jamais un seul moment pour l'apprendre. La société de la sagesse, au contraire, est une école où l'on passe continuellement son temps à apprendre son rôle, et où l'on attend, pour jouer, que la toile soit levée, c'est-à-dire que le voile de l'univers soit disparu.

A la manière dont les gens du monde passent leur temps, on dirait qu'ils ont peur de n'être pas assez bêtes.

C'est parce que l'esprit du monde n'est pas droit, qu'il a besoin d'être droit. Mais l'esprit de vérité ne se soucie pas d'être droit, et est au-dessus de cette ressource : toute sa force et toute sa confiance sont dans sa droiture.

Les hommes en agissent avec leurs corps comme les enfants avec leur poupée, qu'ils habillent et déshabillent continuellement, qu'ils frisent et défrisent, qu'ils parent et dépouillent le moment d'après de ses ornements.

Le nombre des personnes qui se trompent est sûrement considérable ; mais celui des personnes qui se trompent elles-mêmes l'est infiniment davantage.

La chose qui m'a paru la plus rare en fréquentant les hommes, c'est d'en rencontrer un qui logeât chez lui ; ils logent presque tous en chambre garnie, et encore ce ne sont pas là les plus dénués et les plus à plaindre ; il en est qui ne logent que sons les portes, comme les lazaronis de Naples, ou même dans les rues ou à la belle étoile, tant ils ont peu de soin de conserver leur maison patrimoniale, et de ne se pas laisser évincer de leur propre domaine.

Nous ne nous livrons avec tant de plaisir à la lecture des romans que par la paresse de notre esprit. Dans ces sortes de lectures, nous nous repaissons des tableaux, des belles actions et des vertus qui nous y sont présentés, et, cette passagère jouissance étouffant en nous la faim des réalités, nous sacrifions ainsi des besoins réels à des plaisirs illusoires. On peut en dire autant du spectacle.

En fait de malheurs, regardez toujours au-dessous de vous ; en fait de vertu et de science, regardez toujours au-dessus ; ce sera le moyen de vous préserver du désespoir et de l'orgueil.

Ce qui est le plus difficile pour nous, ce n'est pas de nous connaître, c'est de nous corriger. Nous manquons bien moins d'intelligence que de courage.

Si l'homme se passe une faute, il en commettra trente.

La politesse est une sorte de charité où l'on doit toujours s'oublier pour les autres.

Ne regardons point, si longtemps derrière nous que devant ; et si nous avons eu la faiblesse de nous arrêter en chemin, que ce soit une raison de plus de nous presser davantage.

Tous les hommes peuvent m'être utiles ; il n'y en a aucun qui puisse me suffire. Il me faut Dieu.

Mon plus grand charme eût été de rencontrer des gens qui devinassent les vérités ; car il n'y a que ces gens-là qui soient en vie.

Le respect filial a été dans mon enfance un sentiment sacré pour moi ; j'ai approfondi ce sentiment dans mon âge avancé, et il n'a fait que se fortifier par là ; aussi, je le dis hautement, quelque souffrance que nous éprouvions de la part de nos père et mère, songeons que, sans eux, nous n'aurions pu le pouvoir de les subir et le les souffrir, et alors nous verrons s'anéantir pour nous le droit de nous en plaindre, songeons enfin que, sans eux, nous n'aurions pas le bonheur d’être admis à discerner le juste de l’injuste ; et si nous avons occasion d'exercer à leur égard ce discernement, demeurons toujours dans le respect envers eux pour le beau présent que nous avons reçu d'eux par leur organe, et qui nous a rendus leurs juges.

La mort n'est qu'une des heures de notre cadran, et notre cadran doit tourner éternellement.

L'espérance de la mort fait la consolation de mes jours ; aussi voudrais-je que l'on ne dit jamais, l'autre vie ; car il n'y en a qu'une.

Ce qui est est plus loin de nous que ce qui n’est pas ; nos œuvres sont la mémoire de nos lumières.

Les fausses affections dont l'espèce humaine est la proie l'empêchent de s'élever à la région libre et vive. Les hommes sont presque tous, comme les insectes enfermés dans de la glu ou dans des gommes et dans ces fossiles transparents que l'on rencontre dans la terre : il est impossible qu'on les remue et qu'on les sorte de leur prison.

Qu'est-ce que c'est que l'homme ; tant qu'il n'a pas la clef de sa prison ?

C'est dans l’homme que nous devons écrire, penser et parler ; ce n'est point sur du papier, en l'air, et dans les déserts.

Conduis-toi bien, cela t'instruira plus dans la sagesse et dans la morale que tous les livres qui en traitent ; car la sagesse et la morale sont des choses actives.

La route de 1a vie humaine est servie par des tribulations qui se relaient de poste en poste, et dont chacune ne nous laisse que lorsqu'elle nous a conduits à la station suivante pour y être attelés par une nouvelle tribulation.

J'ai vu que les hommes étaient étonnés de mourir, et qu'ils n'étaient point étonnés de naître. C'est là cependant ce qui mériterait le plus leur surprise et leur admiration.

J'ai vu que l'enfant dédaignait et laissait au-dessous de soi les choses du monde qui occupent les hommes, parce qu'elles sont au-dessus de lui ; mais j'ai vu aussi que les hommes, qui ne sont que de grands enfants, en faisaient autant relativement aux lumières et aux vérités éternelles de la divine sagesse.

Je crois être comme un homme tombé dans la mer, mais qui tient à la main une corde dont son poignet est fortement entouré, et qui correspond jusqu’au vaisseau. Quoique cet homme soit le jouet des flots, quoique les vagues l'inondent et passent par-dessus sa tête elles ne peuvent pas l'engloutir ; il sent de temps à autre son soutien; et à la ferme espérance qu'il va bientôt rentrer dans le vaisseau.

Les livres m'ont paru n'être que les fenêtres du temple de la Vérité, et n'en être pas la porte ; ils ne font que montrer les choses aux hommes, ils ne les leur donnent pas.

J'ai observé combien les hommes 'se trompaient sur le bonheur de ce monde. Ce bonheur ne leur est accordé que pour qu'ils aillent plus loin et pour qu'ils montent ; au contraire, ils s'y arrêtent ; ils prennent le moyen pour le terme, et quand ce moyen leur est ôté, ils tombent.

N'est-ce pas une douleur pour la pensée de voir que l'homme passe sa vie à chercher comment il la passera ?

Pour prouver que nous sommes régénérés, il faut régénérer tout ce qui est autour de nous.

Souvent de n'être pas un monstre, cela suffisait pour [359] que je me crusse sage. Qu'est-ce que c'est que l'homme ?

Les hommes impétueux et courts d'esprit, quand ils aperçoivent quelques défauts dans leurs semblables, ne les expliquent que par la méchanceté et non point par la faiblesse, parce que cette faiblesse n'est point leur analogue. Les hommes doux expliquent, au contraire, les méchancetés de leurs semblables par de l'erreur et de la faiblesse, parce qu'ils n'ont point leur analogue dans les méchancetés. C'est ainsi que notre jugement tient à la teinte de notre caractère ; mais la seule et vraie teinte qui lui convienne, c'est la douceur et la charité. Il n'y a que cela qui en éloigne tous les nuages.

Ce n'est pas assez d'avoir de l'esprit, il faut avoir de la spiritualité.

Ce n'est point du hazard [sic] que j'attends mon bonheur,
Je l'attendrai toujours de la loi de mon cœur ;
De cette antique loi qui, dans moi-même innée,
Me laisse en liberté régler ma destinée.
Voilà le souverain qui doit me gouverner.
Si pour une autre loi j'allais l'abandonner,
Si je livrais mon sort aux soins de la fortune,
Je descendrais alors dans la classe commune,
Et je mériterais de ne jamais goûter
Cette paix qu'ici-bas je peux me procurer.

Nous sommes tous comme un même sel dissous dans des eaux différentes, tant pour la qualité que pour la quantité. Or il ne faudrait autre chose que laisser évaporer dans les hommes ces eaux diverses qui sont leurs préjugés, leurs passions, etc. ; et on retrouverait partout en eux le même sel, comme cela arrive dans les évaporations naturelles des sels que nous dissolvons tous les jours dans différents liquides.

Rien n'est plus aisé que d'arriver jusqu'à la porte des vérités ; rien n'est plus rare et plus difficile que d'y entrer ; et c'est là le cas de la plupart des savants de ce monde.

Travaille pour l'esprit avant de demander la nourriture de l'esprit ; qui ne travaille pas n'est pas digne de vivre.

La paix se trouve bien plus dans la patience que dans le jugement ; aussi il vaut mieux pour nous être inculpés injustement, que d'inculper les autres, même avec justice.

Si, après notre mort, ce monde-ci ne doit plus nous paraître qu'une féerie, pourquoi ne le regarderions-nous pas comme tel dès à présent ? La nature des choses ne doit point changer.

Qu'il est doux de pouvoir nous regarder sans que notre haleine ternisse le miroir !

Tout est vanité, dit Salomon ; mais n'étendons point cette doctrine jusqu'au courage, à la charité et à la vertu ; et, au contraire, élevons-nous assez vers ces choses sublimes pour pouvoir dire : Tout est vérité, tout est amour, tout est bonheur.

Comme notre existence matérielle n'est pas la vie, notre destruction matérielle n'est pas la mort.

Avec quelle vivacité deux gouttes d’eau se réunissent quand l'instant de leur contact est arrivé! O vérité ! ô âme de l'homme ! votre union future doit encore être plus active quand le moment sera venu de vous rapprocher !

La vérité s'est fait faire son portrait, qui est le monde, et elle nous l'a mis sous les yeux pour tempérer l'amertume de notre privation. Mais qu'est-ce que la contemplation de la copie; auprès de la contemplation du modèle !

L'homme a des avertissements de tout, mais il n'y fait pas attention. En effet, tout est dans notre atmosphère ; le secret est de savoir y lire.

Un homme opulent qui a sa bourse pleine d'or, et l'homme du peuple qui n'a que du cuivre dans la sienne, ne différent que par la somme ; mais ce qu'ils ont l'un et l'autre porte l'image du même souverain.

C'est un grand travail que de chercher à nous connaître tels que nous sommes ; mais il faut ensuite travailler à nous connaître tels que nous voudrions être. Ces deux sciences sont liées et doivent continuellement nous occuper. Une troisième science vient après ces deux, et est sans doute la plus difficile de toutes ; c'est qu'après avoir appris à connaître ce que nous devrions être, il faut travailler sans relâche à le devenir.

Les bibliothèques sont pour l'esprit de l'homme ce que les pharmacies sont pour son corps. L'homme ne doit oser des remèdes qu'elles contiennent qu'avec précaution et beaucoup de réserve et de choix. C'est dans lui seul qu'il peut trouver la santé et l'immortalité.

J'aime à voir une opinion répandue chez les Chinois : qu'il fallait que leurs musiciens eussent des mœurs pures et le goût de la sagesse pour tirer des sons réguliers et parfaits de leurs instruments de musique.

Certains hommes ne veulent entendre parler que de la loi naturelle, et moi aussi ; mais non pas de la loi naturelle des bêtes, car il y a une loi naturelle pour l'intellectuel, et c'est la seule qui se compte.

On dit dans le monde qu'il faut hurler avec les loups : à la bonne heure ! mais en s'habituant à hurler avec eux, ne finit-on pas, comme eux, par mordre et dévorer ?