Introduction, pages 1-17

WillermozJusqu'à présent, on ne possédait aucun document sérieux permettant d'élucider la vie d'un des hommes qui ont le plus contribué au développement et à la propagande de l'illuminisme en France, Martines de Pasqually l'initiateur de Claude de Saint-Martin dit le Philosophe inconnu et le fondateur du rite des élus coëns.
Représentant de la tradition martiniste, nous avons été mis à même, grâce à notre loge de Lyon, d'étudier des archives miraculeusement sauvées et qui permettent de jeter une lumière décisive sur l'histoire de l'illuminisme en France au XVIIIe siècle et sur les rapports des loges avec la stricte observance du baron de Hundt. [page 2]
Ces archives proviennent d'un homme à peine connu des auteurs spéciaux, J.-B. Willermoz, placé à la tête du mouvement ésotérique à Lyon et qui a joué un rôle des plus importants dans l'histoire du martinisme.
Parmi les documents précieux que renferment ces archives nous avons surtout étudié :

1. La correspondance de Martines de Pasqually avec Willermoz (1767-1774).
2. La correspondance de Louis-Claude de Saint-Martin avec Willermoz, correspondance d'initié à initié, composée de quarante-huit lettres (1771-1790.)
3° La correspondance de quelques autres initiés comme l'abbé Fournier (dix lettres, 1778-1787), plus les catéchismes, les communications écrites et les rituels des élus coëns et des chevaliers bienfaisants de la cité sainte.

On comprend combien ce classement demande de soins pour être soigneusement fait et pour permettre d'établir enfin une histoire véritable de l'illuminisme en France.
Aussi avons-nous décidé de diviser la besogne en trois parties formant chacune un ouvrage distinct du reste. Nous consacrerons donc une étude spéciale.

1. A Martines de Pasqually ; [page 3]
2. A Louis-Claude de Saint-Martin ;
3. A Willermoz et à ses documents provenant en grande partie du convent de Wilhelmsbad.

C'est l'étude consacrée à Martines de Pasqually que nous livrons aujourd'hui au public. Ce travail fut commencé par nous à Lyon, sur place, en juillet dernier (1893) et poursuivi jusqu'à ce jour (16 octobre) sans interruption.
Pour indiquer aux lecteurs le caractère de nos recherches nous allons aborder successivement les points suivants :

1. État des lettres de Martines de Pasqually (style orthographe, matières traitées.)
2. Recherches concernant l'authenticité de ces documents. Histoire des archives.
3. Méthode que nous avons suivie pour la publication de ces documents, vie, doctrine, œuvre de Martines. Éclaircissements personnels.
4. Réfutation des erreurs inévitables commises par les historiens, faute de documents certains.

Les lettres de Martines à Willermoz, déduction faite des feuillets accessoires et des copies sont au nombre de vingt-huit ainsi échelonnés :

2 lettres in-f° de 4 pages, 19 juin 1767, 19 Septembre 1767.
1 lettre in-f° de 4 pages, 20 juin 1768. [page 4]
6 lettres in-4° de 4 pages, 2 septembre 1768.
6 lettres in-f° de 4 pages, 11 septembre 1768.
6 lettres in-4° de 3 pages, 18 septembre 1768.
6 lettres in-4° de 3 pages, 27 septembre 1768.
6 lettres in-4° de 4 pages, 2 octobre 1768.
6 lettres in-4° de 3 pages, 25 septembre 1768.
5 lettres in-f° de 4 pages, 23 janvier 1769.
5 lettres in-4° de 4 pages, 19 février 1769.
5 lettres in-4° de 5 pages, 3 mai 1769.
5 lettres in-4° de 4 pages, 8 avril 1769.
5 lettres in-4° de 3 pages, 29 août 1769.
6 lettres in-f° de 4 pages, 20 janvier 1770.
6 lettres in-4° de 4 pages, 16 février 1770.
6 lettres in-f° de 4 pages, 13 mars 1770.
6 lettres in-4° de 4 pages, 7 avril 1770.
6 lettres in-4° de 8 pages, 11 juillet 1770.
6 lettres in-4° de 3 pages, 16 décembre 1770.
3 lettres in-4° de 3 pages, 27 août 1771.
3 lettres in-4° de 3 pages, 1er novembre 1771.
3 lettres in-4° de 3 pages, 26 novembre 1771.
2 lettres in- 4° de 2 pages, 13 janvier 1772.
2 lettres in- 4° de 2 pages, 17 avril 1772.
1 lettre in-4° de 4 pages, 12 octobre 1773.
2 lettres in-4° de 3 pages, 24 avril 1774.
2 lettres in-4° de 4 pages, 3 août 1774.

 

Toutes ces lettres sont parfaitement conservées. [page 5]
Le style de ces lettres est relativement clair surtout quand on songe qu'elles ont été écrites par un étranger. Les idées exposées sont le plus souvent très élevées principalement chaque fois que le maitre aborde la doctrine.
L'orthographe est toutefois des plus bizarres et nous avons dû faire de véritables traductions des extraits que nous citons dans le cours de ce travail ; ce fut là une des parties les plus ardues de notre tâche. Sans cette précaution il eut été impossible au lecteur de suivre la pensée de Martines. Nous donnons de suite comme exemple le simple extrait suivant de la lettre du 19 septembre 1767.

« Retard doit être attribué à une maladie ases considérable qui ma tenu prets d'un mois et demy or détat de pouvoir suporté ma tette sur mais epolles a quause d'une fluction affreuse que jeus au bout de l'oreille droite, jeus de plus une gripe considérable, le tout me tomba sur la poitrine, joignés à tout ses maux un point de cotté et une bonne fièvre, Je me demande si d'un seul de tous ses maux il n'y aurai pas asé pour me faire repentir de quelque faute que j'aurai pu commettre contre le Grand Maitre, suposé que je ne m'en fut point aperçu. »

Ainsi qu'on le verra par la suite, chaque lettre aborde les sujets les plus divers en insistant [page 6] particulièrement sur divers points : l'initiation de Willermoz à la pratique et la constitution de la société de Martines.

1895 papus martines signatureTous les auteurs qui ont parlé du fondateur du Martinisme écrivent son nom : Martinez de Pasqualis.
Or toutes les lettres adressées à de Willermoz sont signées : Don MARTINES DE PASQUALLY.
Une lettre du 1er novembre 1771 est signée : DEPASQUALLY DE LA TOUR.

Et c'est à ce nom que Martines a fait envoyer sa correspondance à Paris :

« Depasqually de la Tour, aux Trois-Rois, rue Montorgueil, près la Comédie italienne. » (Lettre de Paris du 27 avril 1771.)

Aussi les lettres écrites rapidement sont-elles signées : D. P. D. L. T. Abréviation de la signature précédente. (Lettre de Bordeaux du 26 novembre 1771.)
1895 papus martines griffeCependant les actes officiels sont signés généralement de Don Martines de Pasqually, grand [page 7] souverain, et cette signature est suivie de la griffe ésotérique de Martines. Cette griffe remplace assez souvent la signature. (Lettre de Port-au-Prince du 24 avril 1774.)
Enfin, dans la lettre du 17 avril 1772 annonçant l'initiation de Saint-Martin, la griffe et un autre signe qui l'accompagne sont marqués deux fois.

 

Quelle déduction peut-on tirer de cette signature ?

Nous n'insisterons actuellement que sur un seul point.
Remarquez le mot Don, écrit avec un N et non avec un M. Nous pouvons admettre que, quelque mépris qu'ait eu Martines pour l'orthographe, il savait du moins écrire correctement son nom. Or un Portugais se fait un scrupule d'écrire toujours DOM devant son nom, et ceux qui connaissent les préjugés locaux savent que jamais il ne tiendrait à être confondu avec un Espagnol en écrivant don.
Jusqu'à preuve du contraire, nous persisterons donc à ne pas considérer Martines comme Portugais.