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1951. Martines Pasqually : Recherche fructueuse et fake news…

La recherche sur Martines de Pasqually reste la plupart du temps d’une grande difficulté. Pourtant, parfois, le chercheur a de la chance, comme l’écrivait Robert Amadou. À l’occasion d’une simple recherche sur les journaux avec Gallica, le serveur de la Bibliothèque de France, quelle ne fut pas notre surprise de voir dans le journal La Presse du 6 octobre 1951[1], un article sur Martines de Pasqually avec son sceau et un Appel pour la paix lancé par une « secte » étrange selon le rédacteur, à l’occasion d’une « adjuration [qui] fait partie des dix “opérations” magiques qui composent le rituel secret de la secte », secte qui n’est autre que le Martinisme !

Outre les trois articles que nous reproduisons ci-dessous, le journal propose dans le même numéro plusieurs autres sujets qui témoignent assez bien de cette « soif de merveilleux » (pour citer ici le journal) d’une époque pourtant (mais, peut-être justement en réaction) marquée du sceau du Scientisme ; nous en donnons ici les titres, pour simple illustration.

En première page, les deux titres suivants :

  • En quelques minutes il guérit le rhume le plus rebelle.
  • Les explorateurs de l’au-delà : Le don supranormal de la célèbre Mme de Thèbes revit en Blanche Orion.

En page huit :

  • La « voyance » de Blanche Orion est un défi aux incrédules (suite de la 1ère page).
  • La main lumineuse désignait une porte.
  • Vous n’étiez pas forcé de le savoir : ésotérisme, lycanthropie, voyance.
  • Une secte mystérieuse vient de lancer à travers l’espace un étrange appel pour la paix. Avec un encadré : Le fondateur de l’Ordre. 

En page neuf :

  • Dans un village d’Égypte, les enfants chaque soir se changent en chats.
  • Le miracle au quotidien…
  • Est aussi « rebouteuse ».
  • Dans le ciel de Corée, l’image du Christ apparaît entre deux avions ennemis.
    Par souci d’objectivité, le journal publiera un démenti à ce dernier article, dans son numéro du 8 décembre 1951 (voir infra).

La Presse continuera de présenter des faits plus ou moins étranges comme dans le numéro du 13 octobre [2],

« Deux anglaises avaient rencontré à Versailles la reine Marie-Antoinette : le savant Einstein étudie leur étrange aventure ».

Il est toutefois dommage que nous ne connaissions pas le nom des rédacteurs de ces articles.

Suit, ci-après, le contenu des trois articles annoncés.


Pour la première fois dans la presse française, la page du mystère [3]

Le siècle que nous vivons restera dans l’histoire le siècle atomique. Plus qu’aucun autre sans doute. Il aura contribué à repousser les bornes de la connaissance humaine et les progrès techniques qu’il a déjà vus naître ne se comptent plus.

Le monde, pourtant, n’a peut-être jamais connu pareille soif de merveilleux, pareille angoisse de l’Inconnu.

C’est que plus les hommes avancent dans la découverte matérielle, plus le mystère spirituel les inquiète, les trouble.

Dans le silence de leur cabinet, dans la fraternelle ambiance de cénacles très fermés, des hommes, des femmes de bonne volonté s’attachent quotidiennement à percer ce mystère dans lequel nous baignons. Certains privilégiés réussissent à pénétrer dans ce monde inconnu de l’au-delà.

C’est à ces chercheurs que « La Presse » offre aujourd’hui ses colonnes afin que le résultat de leurs travaux serve au plus grand nombre.

Cette page du mystère ne pouvait d’ailleurs mieux s’ouvrir que sur notre enquête « Les explorateurs de l’au-delà », pour laquelle nos lecteurs ont manifesté déjà tant d’intérêt.


Une secte mystérieuse vient de lancer à travers l’espace un étrange appel pour la paix [4]

BnF La Presse

Le 23 septembre, à 20 h. 37, à la minute précise qui marque l’équinoxe d’automne, les hauts dignitaires de la mystérieuse secte internationale des Martinistes se tournaient tous d’un même mouvement vers l’Orient, pour adjurer les entités invisibles de mettre leur puissance au service de la Paix.

Cette adjuration fait partie des dix « opérations » magiques qui composent le rituel secret de la secte.

Elle se déroule tous les ans, selon un rite immuable, fixé il y a près de deux siècles par le fondateur de l’Ordre, Martinez de Pasqualy [sic.].

Dans sept pays d’Europe occidentale, en Amérique du Sud et du Nord, en Océanie et en Chine, les Réaux-Croix, c’est-à-dire les initiés du plus haut grade, vêtus de leurs insignes, ont fait les mêmes gestes et prononcé les mêmes formules incantatoires.

Devant eux, dansaient les flammes de trois cierges disposés en triangle sur la triple nappe noire, blanche et pourpre, emblème des trois mondes. Un glaive nu à garde cruciale ajoutait son symbole ésotérique à celui des flambeaux.

Cette opération, dite la « cinquième » a lieu non dans un temple, mais dans une pièce à usage privé dont une fenêtre, au moins, s’ouvre sur le soleil levant. Aucune assistance n’est prévue. Le Réau-Croix opère seul ou, exceptionnellement, en présence de deux « frères » ayant le même degré d’initiation que lui.

*
*   *

Sur l’ordre du S. I. (Supérieur Inconnu), Grand Maître de la secte, la cérémonie a pris, cette année, une ampleur extraordinaire. Les loges américaines ont été particulièrement sollicitées et il est vraisemblable que quelques Réaux-Croix, appartenant aux troupes de Corée, ont dû joindre là-bas, sur le théâtre même du conflit, leurs mystérieuses adjurations à celles des autres initiés épars dans le monde.

Certes, profanes et sceptiques ne verront là qu’une banale coïncidence, mais c’est pourtant un fait matériel — donc contrôlable — que les pourparlers d’armistice ont repris une vigueur nouvelle, dans les heures qui suivi l’appel équinoxial aux forces de l’au-delà...

Coïncidence aussi que cette volonté affirmée récemment par l’U.R.S.S. de soulever enfin son rideau de fer...

Tout peut impunément être taxé de coïncidence.

Pourtant, ces étranges cérémonies, dont le caractère spécial a bien de quoi surprendre, reconnaissons-le, n’ont pas toujours été jugées inefficaces par les autorités civiles ou même militaires.

Il y a à peine quelques années, sur la double injonction de Vichy et de Berlin, l’Ordre martiniste était dissous, ses archives brûlées et ses membres poursuivis.

Pire ! Le 23 mars 1944 – à l’équinoxe de printemps – M. Chevillon, professeur de philosophie et Grand Maître de l’Ordre, était appréhendé à Lyon, entraîné dans un terrain vague et exécuté d’une rafale de mitraillette.

Or, les services qui dirigeaient les poursuites contre les fidèles de Martinez et de son continuateur, Claude de Saint-Martin [5], avaient à leur tête des personnes assez érudites pour ne pas ignorer que les buts poursuivis de tout temps par les martinistes de tous grades ont toujours été empreints de la plus haute moralité.

À côté de savants, de prélats et de notables divers, on a pu compter parmi ses membres des personnalités du renom de Stanislas de Guaïta, de René Guénon et de Maurice Barrès.

Les initiés de 1940 ne le cédaient en rien à leurs prédécesseurs. Les buts de l’Ordre n’avaient pas changé, les cérémonies étaient les mêmes – toujours empreintes, certes, de ce caractère à la fois mystérieux et mystique indispensable à leur déroulement – mais absolument dépourvues d’intentions contraires aux lois morales ou nationales.

La folie meurtrière des assassins de M. Chevillon n’avait donc pour inspiratrice, au sommet, que la haine de Hitler pour tous les tenants des forces spirituelles. Selon le dictateur, ces savants, ces cabalistes, ces experts en magie blanche étaient plus redoutables, avec leurs trois cierges disposés en triangle, que vingt escadrilles de chasse. Aussi les a-t-il fait traquer, sans répit, reconnaissant ainsi l’efficacité de leurs pouvoirs. Mais, de toute façon, les mesures qu’il fit prendre : vols d’archives, incendies de bibliothèques, arrestations d’adeptes, assassinats d’initiés, n’ont pas réussi à interrompre la tradition séculaire.

Même pendant les années terribles, les martinistes n’ont cessé d’accomplir, dans l’ombre, leurs étranges « opérations ». Les maîtres des Hauts-Grades ont toujours prononcé, aux moments prévus par le rituel ou fixés par le « Supérieur Inconnu », les exorcismes magiques destinés à purifier l’Aura terrestre de tout ce qui peut être néfaste aux hommes.

Simultanément, les Réaux-Croix ont toujours émis leurs appels et tracé leurs signes cabalistiques dans l’espace. Cette année, ces appels ont été plus pathétiques. Nul doute qu’ils n’aient créé ce courant qui influe mystérieusement sur la pensée des hommes, même les plus éloignés par la distance ou par la culture. Ce phénomène relève de la télépathie. Cette télépathie dont le savant Bergson disait qu’il croyait en elle « avec le même degré de certitude qu’à la défaite de l’Invincible Armada. »

Ci-après, l’encadré associé à cet article  :

Le fondateur de l’Ordre

BnF La Presse sceauJacques de Livron Joachim de la Tour de la Case Martines de Pasqually était né à Grenoble en 1727.

Après avoir déployé une grande activité au sein des groupements maçonniques, il propagea dès 1758 sa propre doctrine et recueillit des adhérents dans les loges de Marseille, Avignon, Montpellier, Narbonne, Foix et Toulouse. Le 28 avril 1762, il s’établit enfin à Bordeaux, où il épousa la nièce d’un ancien major du régiment de Foix. À Paris, trois ans plus tard, Martinez de Pasqually pose les bases de son « Tribunal Souverain » et il y nomme Bacon de la Chevalerie, son substitut.

La tâche effectuée, il s’embarque, en mai 1772, pour Saint-Domingue, sur le navire « Duc-de-Duras. » Parti pour recueillir une succession, il meurt à Port-au-Prince, le mardi 20 septembre 1774. A l’instant même de sa mort, il apparut à sa femme semblant traverser, en diagonale, la pièce où celle-ci se trouvait. La malheureuse s’écria aussitôt : « Mon Dieu ! mon mari est mort ! » Par la suite, la nouvelle parvint en France et fut reconnue exacte.

Ce fut son secrétaire, Louis-Claude de Saint-Martin, qui donna plus tard son nom à la doctrine.


Dans le ciel de Corée, l’image du Christ apparaît entre deux avions ennemis [6]

Est-ce un mystérieux effet des invocations lancées dans l’espace par la secte des Martinistes dont nous parlons en page 8 [cf. le deuxième article reproduit], il serait téméraire de l’affirmer. Toutefois, la coïncidence est bizarre. Le quotidien américain « Askland independent » vient de publier en première page d’une de ses dernières éditions, le cliché que nous reproduisons ci-dessous. Il s’agit d’un combat entre deux avions dans le ciel de Corée. Rien de bien original dans ce combat, mais au-dessous des appareils, on peut nettement distinguer le visage du Christ, dessiné par les nuages. Le cameraman qui a pris la photo ne s’était pas aperçu de l’étrange présence ; ce n’est qu’au journal qu’on s’est rendu compte, après avoir développé la pellicule, du curieux dessin qui s’inscrivait dans le ciel. En légende, sous l’image, la direction du « Askland independent » affirme sur l’honneur qu’aucune retouche n’a été opérée sur le cliché de son correspondant. Signalons également que c’est dans les heures qui ont suivi la première reprise des pourparlers d’armistice que la photo a été prise.

BnF La presse ciel coree


Las ! Fake-new comme l’on dit aujourd’hui, et qu’un article dénonce dans un autre numéro du même journal :

La mystérieuse photo du Christ de Corée n’était qu’un truquage [7]

BnF La presse christ

Il y a quelques semaines, un journal américain d’Ashland (E.-U.), publiait la photo d’un de ses correspondants de Corée, représentant un symbolique visage de Christ dessiné dans le ciel par un jeu de nuages. Au-dessus de la troublante apparition, deux avions se livraient combat.

— Pas de truquage ! affirmait le rédacteur en chef du journal. Si bien qu’en citant ses sources, « La Presse » reproduisait à son tour l’extraordinaire vision à la page 9 d’un de ses premiers numéros d’octobre.

Aujourd’hui, notre souci de l’objectivité nous oblige à compléter l’information.

La belle image ne serait qu’un faux.

Reproduite, en effet, à des dizaines de milliers d’exemplaires et diffusée par les « Religions News Service » américain aux U.S.A. et en Corée, elle avait soulevé parmi les troupes, une véritable vague d’enthousiasme. Les combattants y voyaient le signe d’un prochain arrêt des hostilités. Et la presse des deux continents faisait chorus… « La Presse » y compris.

Mais la semaine dernière, un sergent de l’E… M. des forces de l’air des U.S.A., M. C. Burnham, a écrit à l’« Evening Press », de Savannah, en dévoilant l’origine de la trop belle image.

Celle-ci serait l’œuvre d’un photographe militaire qui, en 1944, en Angleterre, aurait habilement complété un de ses clichés en utilisant la curieuse disposition des nuages.

Un minutieux travail de laboratoire donna ensuite au contretype de la photo, l’authentique apparence que l’on sait et le maître truqueur réussit à en vendre quelques exemplaires comme souvenir à des aviateurs.

Un de ces exemplaires, artistement coloré, est encore en possession du sergent C. Burnham. Et celui-ci a déclaré par la voix de l’« Evening Press » : « Maintenant, la supercherie est allée trop loin. Il est temps que l’on apprenne la vérité… »

Cette vérité, nous avons jugé loyal de la faire connaître à notre tour.


Notes

[1] 6e année. - N° 308. Semaine du 6 au 12 octobre 1951. Administration, rédaction : 142, rue Montmartre PARIS-2e, « La Presse » du 6 octobre 1951 [consulté le 14 mai 2023]. L’article se trouve en pages 8 et 9.

[2]  « La Presse » du 6 octobre 1951, [consulté le 14 mai 2023].

[3]  « La Presse » du 6 octobre 1951, page 1, [consulté le 14 mai 2023].

[4] Ibid., page 8, [consulté le 14 mai 2023].

[5] Louis-Claude de Saint-Martin n’est pas le continuateur de Martines de Pasqually, pas plus, du reste, qu’on ne peut lui imputer la paternité d’un ordre martiniste quelconque.

[6] La Presse, 6 octobre 1951, page 9La Presse, 6 octobre 1951, page 9, [consulté le 14 mai 2023]. 

[7] La Presse, 8 décembre 1951, p. 8, [consulté le 14 mai 2023].