gregoire 18101810 - Histoire des sectes religieuses

Abbé Grégoire - Histoire des sectes religieuses qui, depuis le commencement du siècle dernier jusqu’à l’époque actuelle, sont nées, se sont modifiées, se sont éteintes dans les quatre parties du monde.

Paris, Potey, 1810.

Cette édition a été saisie par la police, comme l’indique l’avertissement suivant inséré sur l’édition de 1814.

Avertissement
Cet ouvrage, saisi en 1810, par ordre du Ministre de la Police Générale, a été rendu à l'Auteur dans le mois de juin 1814.

Henri Grégoire, Histoire des sectes religieuses qui sont nées, se sont modifiées, se sont éteintes dans les différentes contrées du globe depuis le commencement du siècle dernier jusqu'à l'époque actuelle, Paris, Baudouin frères, 1828-1845, 6 vol. (nouv. éd. corrigée et considérablement augmentée).

Il existe trois éditions de l’histoire des sectes religieuses : la première de 1810 en deux volumes chez Potey a été saisie par le ministre de la police générale jusqu’en juin 1814, année où elle reparait sous la même forme chez le même éditeur. Grégoire continue de travailler et publie en 1828 une édition chez Baudouin frères en 5 volumes auxquels sera ajouté en 1845 un sixième volume publié sur les manuscrits de l’auteur et précédé d’une notice biographique par M. Carnot.

Source : Catherine Maire. L’abbé Grégoire devant les prophétesses. Rivista di Storia del Cristianesimo, Editrice Morcelliana 2007, IV (2), pp.411-429. https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00609995/document

Les éditions de l'Histoire des sectes religieuses :gregoire 1814

 - 1810, p. 400-431 : https://books.google.fr/books?id=pV1NAAAAcAAJ 
-  1814 avec avertissement : https://books.google.fr/books?id=0N5AAAAAcAAJ

Illuminés, Martinistes

[Nous avons ajoutés des sous-titres entre crochets]

À Travers les siècles et les révolutions qui bouleversent les choses humaines, les langues aussi ont leurs phases ; et souvent l'acception primitive des mots ne se reconnait plus dans celle de leurs dérivés.  À partir de l'étymologie, le terme illuminé présente l'image gracieuse  de lumière physique ou morale : mais d'après le sens que lui attache l'usage, arbitre suprême des idiomes, à cette dénomination se rattache en quelque sorte l'idée d'absence de lumière, de notions saines ; et accessoirement celles de croyance à l'inspiration immédiate du ciel, â la communication directe avec les êtres purement intellectuels, celle encore d'association mystérieuse pour un but quelconque. C'et â peu près dans ce dernier sens qu'on appelle Illuminés une secte fondée en Allemagne, l'an 1775. [Il s'agit de ce qu'on appelle aujourd'hui les Illuminés de Bavière]

Les sociétés secrètes sont étrangères au plan de cet ouvrage, ainsi que les sectes philosophiques, à moins qu'elles n'aient un caractère religieux qui leur soit propre. Un article assez étendu concernant les Francs-Maçons inséré dans l'Histoire des Cérémonies Religieuses, y est comme hors-d’œuvre. Un des plus grands mathématiciens de l'Europe, qui s'occupe en même temps de recherches sur les origines religieuses, prétend que la Franc-Maçonnerie est une religion avortée ; mais il ne déduit pas les preuves de son opinion.

[La Franc-Maçonnerie]

Des hommes plus enthousiastes qu'érudits ont tenté de placer des jalons sur la route des siècles, pour y chercher l'origine ténébreuse de la Franc-Maçonnerie. Preston (1), et plusieurs de ses confrères, la font naître avec le monde. Ils la voient s'étendre, se développer dans la Palestine, l'Inde, l'Égypte, la Grèce, le Latium et chez les Druides ; ils mettent à contribution les ouvrages de Pufendorf, Sainte-Croix, et de cent autres qui, dans leurs recherches sur les associations mystérieuses et les initiations antiques, n'ont jamais trouvé le Grand Orient. Ils rattachent ensuite leur société à Godefroi de Bouillon, à la Chevalerie, aux Templiers. Grandidier et Sinclair, au lieu de remonter jusqu’au temple de Salomon, offrent quelque chose de plus vraisemblable en plaçant l'origine de la Franc-Maçonnerie dans l'espèce de confédération formée entre les ouvriers, qui, dans les douzième et treizième siècles, bâtirent la tour de Strasbourg et le monastère de Kilwinning en Écosse (2). Quelle que soit cette origine, on sait que les Francs-Maçons n'ont excité la curiosité du public en divers pays de l'Europe, que dans le siècle dernier; actuellement ils ont des loges dans les quatre parties du monde. Soit qu'il y ait des secrets réels dans la société, soit que son secret consiste à persuader qu'elle en a, c'est toujours un attrait puissant pour bien des gens ; on sait que les hommes aiment à se donner de l'importance en se couvrant de voiles mystérieux. Un savant de Berlin , qui voit des Jésuites partout, les trouve dans cette société avec le projet de rétablir en Angleterre le Prétendant sur le trône ; en partant de cette idée, Bonneville publia son livre : les Jésuites chassés de la Maçonnerie. Barruel, au contraire, qui voit partout des Jacobins, les identifie aux Francs-maçons. Il leur prête le projet de renverser les Gouvernements et la Religion, et sonne le tocsin contre tous.

Les sociétés secrètes causèrent assez longtemps de l'ombrage à la Religion et à la Politique ; et c'est peut-être dans la politique qu'il faut chercher les motifs qui portèrent Frédéric II de Prusse et tant d'autres princes à se faire initier dans la Franc-Maçonnerie. Ils pensèrent qu'il fallait s'emparer des loges, en affectant d'y préconiser l'égalité, soit pour les neutraliser, soit pour leur imprimer une direction conforme à leurs vues. On en trouvera une nouvelle preuve dans un ouvrage qui a paru en 1802 : Loge centrale des véritables Francs-Maçons (3).

Cette institution, envisagée sous des rapports religieux et moraux, avait donné des inquiétudes au clergé. Clément XIII et Benoît XIV lancèrent des bulles contre les Francs-Maçons. Belsunce, évêque de Marseille, fit un mandement dans le même sens. Les deux puissances ecclésiastique et civile les poursuivirent à Naples, en Espagne, en Portugal. La calomnie leur imputa des crimes atroces, crimes d'irreligion, de libertinage, de sédition ; on ne voit plus guère actuellement dans la Franc-Maçonnerie qu'une association qui, au goût pour l'amusement, associe quelques actes de bienfaisance.

L'Angleterre paraît être le seul pays où cette institution ait une sorte de caractère religieux. L'ouvrage de Preston contient des formules liturgiques, des prières pour l'ouverture et la clôture des séances, les réceptions, l'ordre des funérailles. Alors la Bible, placée sur un coussin et couverte d'un voile noir, est portée par le doyen d'âge, on chante des antiennes, le maître fait un discours. Il n'est pas rare de voir annoncer dans les journaux anglais des sermons prêchés devant la Société Maçonnique de telle ou telle ville ; et d'après cela on ne sera pas surpris d'apprendre qu'à Kirkaldy, en Écosse, la loge des Francs-Maçons sert en même temps d'église à une congrégation d'Indépendants.

Voilà à quoi se réduisent les rapports éloignés de la Franc-Maçonnerie avec les institutions religieuses : ainsi laissons-là le Grand-Orient, les Loges, les Frères Asiatiques, les Noachites ou Chevaliers de Prusse, les Maçons Africains, les Mopses, l'ordre de Harodim, les découvertes de Bohemann, etc., pour dire encore quelques mots sur les Illuminés d'Allemagne, et rentrer ensuite dans le sujet spécial de cet ouvrage.

[Les Illuminés de Bavière]

Les sociétés Maçonniques, qui occupaient beaucoup les esprits dans le siècle dernier, parurent offrir des abus, des dangers. Quelques personnes en Bavière crurent trouver un remède dans le sein même de ces associations. Sous le nom d'Ordre des Illuminés naquit une société nouvelle dont le fondateur, ou plutôt l'un des principaux fondateurs, était Weishaupt, professeur de droit-canon à Ingolstad, aujourd'hui retiré à Gotha. Un des coopérateurs était le baron de Knigge, qui, en 1782, voulut enter le projet des Illuminés sur la Franc-Maçonnerie.

A l'aspect des sociétés politiques si souvent gouvernées par l'ineptie, l'ignorance et le crime, ils conçurent le projet très louable assurément de former une confédération dont l'ascendant pût amener un meilleur ordre de choses, et substituer au moins quelquefois la vertu éclairée au vice stupide et triomphant : c'est le point de vue sous lequel fut présentée l'entreprise à des personnes respectables dont on désirait l'affiliation. Il entrait dans le plan de répandre les lumières, l'union, la charité, la tolérance ; de faire abolir l'esclavage des paysans, les droits féodaux, et tous les privilèges qui, en élevant une portion d'individus, avilissent les autres ; de disséminer l'instruction parmi le peuple, de faire triompher le vrai mérite, d'établir la liberté individuelle et politique, et d'améliorer graduellement et sans secousse le système social.

Il est dans la destinée des choses humaines que le mal soit presque toujours à côté du bien. Les vues les plus saines, les projets les plus sages, ne deviennent que trop souvent la proie des méchants qui s'en emparent ; dans toute société il n'est pas rare de trouver des hommes qui, n'étant pas animés de son esprit, en contrarient les opérations, et celle des Illuminés en avait. Peut-être s'y étaient-ils introduits dans cette intention ; trop de facilité dans les réceptions leur en aura ouvert l'entrée : n'eussent-ils été que des membres nuls, par-là même ils, étaient nuisibles. Tout ce qui a l'air mystérieux éveille le soupçon et favorise la calomnie... La calomnie s'épuisa sur le compte de l'invisible Société. Dès qu'on eut sonné l'alarme, on débita que la Société, très nombreuse et accréditée, avait pour but de dévorer toutes les places honorifiques et lucratives ; d'éteindre le flambeau des sciences, de renverser tous les gouvernements, de détruire toutes les religions. En 1781, le gouvernement Bavarois déploie contre eux les mesures les plus violentes ; ils sont chassés, proscrits, emprisonnés, tourmentés. Weishaupt, qui avait pris la fuite, demande sans succès que sa conduite soit examinée devant les tribunaux. Aux formes d'une procédure régulière qui eût fait jaillir la vérité, l'électeur substitue l'arbitraire que la raison réprouve, qui atteste la lâcheté ou la perversité de quiconque l'emploie, et dont l'effet le plus certain est d'établir des préventions favorables à ceux qui sont l'objet de ses rigueurs.

L'opinion publique n'est pas encore fixée sur les Illuminés. On nage dans l'incertitude quand, après avoir vu les écrits de Luchet, de Mirabeau et l'Apologie des Illuminés par Weishaupt, on passe à ceux de leurs antagonistes. Wolf, auteur de l'Histoire des Jésuites, en blâmant les persécutions exercées contre les Illuminés, pense que leur institut aurait pu devenir dangereux, attendu que les fondateurs avaient copié les règles des Jésuites, quoique ce fût dans de bonnes vues. Comment concilier cette assertion avec celle d'autres auteurs, qui disent que les Jésuites ont concouru à persécuter les Illuminés ?

Un mémoire contre eux fut adressé en 1792 à l'empereur Léopold par le médecin Zimmerman; Tissot, dans la Vie de son Ami, répète que leur projet était d'anéantir le Christianisme et tous les trônes. L'Écossais Robison répète cette accusation dans un ouvrage intitulé : Preuves des conspirations contre toutes les Religions et tous les Gouvernements de l'Europe, ourdies dans les assemblées secrètes des Illuminés, des Francs-Maçons, par John Robison, professeur de physique à Edimbourg (4). Au nombre des adeptes, il compte absurdement Fauchet, Sieyes et Léquinio. Barruel, qui a égaré l'opinion par des romans sous le nom d'histoire, répète, dans ses Mémoires sur le Jacobinisme, que tel était le projet des Illuminés. Il veut même que les Illuminés de France, qui n'eurent jamais de loges, qui ne furent jamais une corporation, aient été créés par Bode et Busch, venus à Paris en 1787 : puis il annonce gravement que les Illuminés d'Allemagne ont fait la révolution française en 1789; époque à laquelle ils étaient presqu'entièrement détruits. Les contes de Barruel ont été pulvérisés par Mounier, dans son écrit intitulé : De l'influence attribuée aux Philosophes, aux Francs-Maçons, et aux Illuminés, sur la révolution de France (5).

Barruel met au nombre des Illuminés, Munter, évêque Protestant de Sélande, le baron de Zach, le duc défunt de Saxe-Gotha, et la duchesse douairière, le coadjuteur de Mayence, aujourd'hui Prince primat. D'ailleurs, sur ces personnages, qui planent au-dessus de la calomnie, Barruel veut probablement faire refluer la prévention qu'il inculque à ses lecteurs contre les Illuminés. Si le projet de la Société était de détruire les religions et les trônes , comment se peut-il que des princes souverains et des hommes religieux s'y soient affiliés ? Tout conduit à croire que la Société, pure et louable dans le principe, mais trop peu sévère sur les admissions, fit craindre aux hommes sages qu'elle ne déviât de son but pour prendre une direction opposée ; ainsi il est arrivé aux Illuminés la même chose que chez nous aux Jacobins. On voulut fixer l'opinion sur les derniers temps de leur existence ; on affecta de confondre les hommes et les époques pour envelopper le tout dans la même proscription : en sorte qu'aujourd'hui la malveillance placarde l'épithète d'Illuminés sur le front de tout homme qu'elle veut rendre odieux ; comme en Italie, en Espagne et en Angleterre, on qualifie de Jacobins ou Jansénistes tous ceux que l'on veut décrier, Telle est l'explication que plusieurs des illustres accusés ont donnée à l'auteur de cet ouvrage, qui, absolument étranger à la Franc-Maçonnerie et à l'Illuminisme, termine par-là cet article concernant des institutions étrangères à l'objet de son travail.

[La Seconde Vue]

Parmi les paysans de la principauté de Galles et ceux de l'Ecosse, est répandu depuis des siècles, sous le nom de Second Sight, Seconde Vue, un préjugé dont Johnson parle dans son voyage, ainsi que la plupart des auteurs qui ont donné des relations de ce pays. La Seconde Vue est une impression de l'esprit sur l'œil, ou de l'œil sur l'esprit, qui fait apercevoir comme présentes des choses très éloignées ou futures. Par exemple, un voyageur est tombé de cheval ; précisément un autre a rêvé qu'il le voyait nager dans son sang : il a vu les funérailles d'un homme plusieurs jours avant qu'il fût mort. L'auteur des Lettres sur les Anglais, Muralt, écrivain Suisse, accuse les femmes Anglaises d'être très crédules et avides de prédictions ; Wendeborn à cette occasion demande s'il n'y a des femmes que dans les îles Britanniques. Tous les pays ont des gens qui attachent de l'importance à des rêves, et qu'à raison de cette crédulité, on appelle des Illuminés.

[Les Illuminés]

Au seizième siècle en Espagne, on appelait Illuminés, Los Alumbrados, une espèce de Quiétistes répandus dans les diocèses de Séville et de Cadix, contre lesquels fut rendu un édit en 1625 : on condamna soixante-seize propositions de leur doctrine, et sept ou huit mille d'entre eux confessèrent leurs erreurs. Heidegger, dans son Histoire de la Papauté, raconte, sur le témoignage de Melchior Canus, que vers l'an 1540, saint Ignace de Loyola avait été obligé de prendre la fuite pour se soustraire à l'Inquisition qui le soupçonnait d'être Illuminé.

D'Espagne l'Illuminisme était passé en France, où il fut découvert en 1654 ; deux moines apostats l'avaient répandu surtout à Chartres et dans la Picardie. Sur les instances du fameux Père Joseph, et par l'ordre de Richelieu, les juges de Roye et de Montdidier, firent faire des recherches contre ces extravagants qu'on nommait les Guérinots. Les filles, chez eux, avaient droit de prêcher ; et par leur moyen, on établissait des communautés dévotes du même sexe. « Les hommes, dit à cette occasion d'Avrigny, les hommes font les hérésies, les femmes leur donnent cours, et les rendent immortelles (6) ».

Depuis la Bourignon, ses rêveries s'étaient implantées en divers pays dans des têtes propres à les recevoir; et quel pays n'en a pas ? Muralt est, dit-on, l'auteur anonyme de deux ouvrages intitulés : l'un Lettres Fanatiques (7), et l'autre l'Instinct Divin recommandé aux Hommes (8) qui, publié en 1727, a été réimprimé à Londres en 1790.

L'auteur prétend que la période qui devait durer jusqu'au second avènement de Jésus-Christ est finie ; bientôt arrivera une régénération universelle qui sera précédée de grands fléaux. Dans un autre ouvrage en 1759, il paraît indiquer la France comme le lieu où se feront les premiers pas vers cette régénération qui sera la fin du monde corrompu, et non la destruction de la terre, comme on l'a cru par une fausse interprétation des paroles de Jésus-Christ et des prophètes,

L'auteur veut que les hommes, rentrant en eux-mêmes, écoutent la voix intérieure qui leur parle. Cette parole intérieure leur est connue par l'Instinct Divin qui envisage Dieu en tout. La religion enseignée par les hommes est arrivée à son terme ; on ne doit pas craindre de passer de cette religion à celle qui leur vient de Dieu, qui était réservée aux derniers temps. L'auteur maltraite la théologie, et prétend que les Païens, généralement parlant, valaient mieux que nous ; il loue leurs philosophes, surtout Epictète et Socrate : le génie de celui-ci était son Instinct Divin. Il s'objecte que l'instinct étant sujet à varier, peut conduire à des extravagances ; l'objection est pressante, comment la repousse-t-il ? c'est en disant que l'instinct ne serait pas divin s'il ne conduisait qu'à ce qui est raisonnable et approuvé des hommes : ce qui est folie à leurs yeux est sagesse dans le plan de la Divinité (9). Ailleurs il paraît regarder comme mystérieux ce que dit l'Écriture des deux arbres du paradis ; car ils sont sur notre monde actuel aussi bien que dans le paradis (10).

Dans ses Lettres Fanatiques Muralt observe, et cela est vrai, que le mot Fanatisme abusivement employé, est appliqué quelquefois à des vérités incommodes dont on voudrait se débarrasser. Jésus-Christ a été outragé des épithètes d'insensé, de séducteur, équivalentes à celle de fanatique ; ce qui doit encourager à porter ces noms : mais vient ensuite l'apologie du Séparatisme qu'on traite, dit-il, de fanatisme, et qu'il essaie de justifier à cause de la corruption du clergé; il trouve qu'on met trop de prix au culte extérieur (11). L'auteur paraît croire à l'inspiration immédiate, et admettre une classe d'hommes apostoliques qui ont la connaissance des voies intérieures ; aussi vante-t-il Jacques Boehm et la Bourignon (12). Il n'y a que deux véritables sciences ; se connaître, et à chaque chose mettre son prix. Le savoir et le raisonnement sont de peu d'usage ; ils sont même dangereux quand ils s'étendent sur la religion : le talent de raisonner est le moindre des talents dans l'ordre apostolique. La septième lettre est intitulée : Que le raisonnement et le savoir ont causé la chute de l'homme, et  qu'ils nous y entretiennent ; là il assure que le premier raisonnement eut le diable pour auteur (13).

La religion naturelle lui paraît suffisante pour sauver les hommes, quoique la Révélation les conduise à une plus haute perfection(14) ; aussi, après s'être plaint de l'importance qu'on attache aux opinions des Pères de l'Église, il élève des doutes sur l'éternité des peines, et prétend, contre Rollin, justifier Socrate, qui prendra part à table avec Abraham, Isaac et Jacob : il paraît même en sauver bien d'autres ; car, selon lui, la véritable Eglise a toujours consisté et consistera toujours dans tous les gens de bien. On ne voit pas trop comment justifier cette opinion, quand on reconnaît Jésus-Christ pour médiateur. Ce mélange incohérent annonce dans Muralt le précurseur des Martinistes.

[Saint-Martin]

Mais quel est le fondateur de cette secte, car on peut choisir entre Saint-Martin et Martinez, par lequel il fut initié aux mystères Théurgiques. Martinez Paschalis [sic] admettait la chute des anges, le péché originel, le Verbe réparateur, la divinité des Saintes-Écritures. Quand Dieu créa l'homme, il lui donna un corps matériel : auparavant, (quoi ! avant d'exister ?) il avait un corps élémentaire. Le monde aussi était dans l'état d'élément : Dieu coordonna l'état de toutes les créatures physiques à celui de l'homme.

Saint-Martin, né à Amboise en 1743, fit ses études à Pont-Levoi, fut d'abord avocat, puis officier au régiment de Foix. Étant à Bordeaux, il eut occasion de connaître Martinez Paschalis, qu'il cite pour son premier instituteur, et Jacques Boehm pour le second. Cette tournure d'esprit et ces liaisons décidèrent du sort de sa vie et de sa doctrine. Son goût ne s'accordant pas avec le tumulte des armes , il obtint sa retraite , voyagea en Italie et en Angleterre, passa trois ans à Lyon, puis vint se fixer à Paris, demeura jusqu'à la révolution chez la duchesse de Bourbon, qui était aussi une espèce d'Illuminée, et mourut à Aulnay près Paris, en 1804. Ceux qui l'ont connu, louent la bonté de son caractère, ses mœurs aimables, et assurent qu'en bon Théosophe, il montra constamment l'exemple de la soumission aux lois, de la résignation, de la bienfaisance. Il est absurde de penser, comme Barruel, qu'il voulait renverser le gouvernement. Qu'est-ce qu'un Théosophe ? un ami de Saint-Martin va vous l'apprendre.

« Un Théosophe est un ami de Dieu et de la sagesse. C'est, d'après l'étymologie, la définition que comporte le défini. La doctrine théosophique est fondée sur les rapports éternels qui existent entre Dieu, l'homme et l'univers. Ces rapports sont développés dans les livres théogoniques de tous les peuples, et surtout les Saintes Écritures entendues selon l'esprit et non selon la lettre ; on peut consulter la Genèse, le Deutéronome , les Prophètes, les Livres Sapientiaux, particulièrement le chapitre VII de la Sagesse; les Sentences de Pythagore. Au nombre des ouvrages théosophiques, on peut classer encore l'Oupneekh'at et le Malhabharata, poème de cent mille stances. Parmi les Théosophes, il compte Rosencreuz, Reuchlin, Agrippa, François George, Paracelse, Pic de la Mirande, Valentin Voigel, les deux Van Helmont ; Thomasius, Adam Boreil, Boehm, Poiret, Quirinus Kuhlman, Zimmerman, Bacon (15), Henri Morus, Pordage, Jeanne Leade, Leibnitz, Swedenborg, Martinez Paschalis, Saint-Martin, etc.

 » La fin de la philosophie est d'élever l'âme de la terre au ciel, de connaître Dieu, de lui ressembler; mais la France se ressentira longtemps des principes détestables des faux philosophes. Les Théosophes ne font point secte Un Théosophe est vrai Chrétien ; et pour le devenir, il ne faut pas commencer par être savant, mais seulement humble et vertueux.

» Jésus-Christ est Dieu ; il est le père des lumières surnaturelles, le grand-prêtre, le chef des vrais Théosophes : il inspira Moïse, David, les Prophètes ; et hors du peuple choisi, Pythagore, Platon, Pherecyde, Socrate.

» Depuis J.-C., les Théosophes admettent la Trinité, la chute des Anges rebelles, la création après le chaos causé par leur chute ; la création de l'homme dans les trois principes, pour gouverner et combattre ou ramener à résipiscence les Anges déchus. Les Théosophes sont d'accord sur la première tentation de l'homme ; le sommeil qui la suivit ; la création de la femme, lorsque Dieu eut reconnu que l'homme ne pouvait plus engendrer spirituellement ; la tentation de la femme, la suite de sa désobéissance, qui occasionna celle de son mari ; la promesse de Dieu, que de la femme naîtrait le briseur de la tête du serpent; la rédemption, la fin du monde ».

Saint-Martin prend le titre de Philosophe inconnu, en tête de plusieurs de ses ouvrages. Le premier, qui parut en 1775, avait pour titre : Des Erreurs et de la Vérité, ou les Hommes rappelés aux vrais principes de la science (16). « C'est à Lyon, dit-il, que je l'ai écrit par désœuvrement et par colère contre les philosophes ; j'étais indigné de lire dans Boulanger, que les religions n'avaient pris naissance que dans la frayeur occasionnée par les catastrophes de la nature. Je composai cet ouvrage en quatre mois de temps, et auprès du feu de la cuisine, n'ayant pas de chambre où je pusse me chauffer (17). »

C'est pour avoir oublié les principes dont je traite que toutes les erreurs dévorent la terre, et que les hommes ont embrassé une variété universelle de dogmes et de systèmes. Cependant, quoique la lumière soit faite pour tous les yeux, il est encore plus certain que tous les yeux ne sont pas faits pour la voir dans son éclat ; et le petit nombre de ceux qui sont dépositaires des vérités que j'annonce, est voué à la prudence et à la discrétion par les engagements les plus formels. Aussi me suis-je permis d'en user avec beaucoup de réserve dans cette écrit, et de n'y envelopper souvent d'un voile que les yeux les moins ordinaires ne pourront pas toujours percer ; d'autant que j'y parle quelquefois de toute autre chose que de ce dont je parais traiter ».

Il s'est ménagé comme on le voit, le moyen d'être inintelligible, et il s'est si bien enveloppé que ce qu'il y a de plus clair dans le livre, c'est le titre. Cependant son obscurité même est peut-être ce qui lui a donné quelque crédit ; on a imprimé à Londres, comme faisant suite à l'ouvrage de Saint-Martin, deux volumes auxquels il n'a eu aucune part (18).

Il fit paraître ensuite son Tableau de l'Ordre naturel, l'Homme de désir, Lettre sur la Révolution Française, un opuscule sur les Institutions propres à fonder la Morale d'un Peuple, un Essai sur les Signes : lui-même nous apprend qu'il a fait l'Ecce Homo d'après une notion vive qu'il avait eue à Strasbourg. C'est dans cette ville qu'il a écrit le Nouvel Homme, à l'instigation d'un neveu de Swedenborg. Le tome II de l'ouvrage intitulé : De l' Esprit des Choses (19), offre des morceaux intéressants par lesquels il justifie divers faits consignés dans l'Ecriture-Sainte, sur lesquels les incrédules avaient formé des objections ; par exemple, le Matérialisme dont ils ont accusé Moïse. Là s'applique une phrase de son premier volume : « Le besoin d'admiration dans l'homme dépose victorieusement contre l'Athéisme (20) ». On y retrouve la touche originale et bizarre de Saint-Martin, à l'occasion de vingt-trois mille hommes condamnés à périr; la mort, dit-il, n'est que le mandat d'amener des criminels (21).

Mais à quelques vues saines s'intercalent une foule de choses inintelligibles au milieu desquelles la raison s'égare, sur la danse, sur la moëlle. « Elle est l'image du limon de ce matras général, ou de ce chaos par lequel la nature temporelle actuelle a commencé. — Sur l'esprit astral ou sidérique : le temple de Jérusalem eut lieu pour garantir les opérations du culte Lévitique des communications astrales. — L'existence des êtres corporels n'est qu'une véritable quadrature. —Toute la nature est un somnambulisme. — Notre bouche est entre les deux régions interne et externe, réelle et apparente ; elle est susceptible de frayer avec l'une et l'autre : aussi les hommes se donnent plus de baisers perfides que de baisers sincères et profitables. — Si l'homme fût resté dans sa gloire, sa reproduction eût été l'acte le plus important, et qui eut le plus augmenté le lustre de sa sublime destination : aujourd'hui cette reproduction est exposée aux plus grands périls. Dans le premier plan il vivait dans l'unité des essences, mais actuellement les essences sont divisées : une preuve de notre dégradation est que ce soit la femme terrestre qui engendre aujourd'hui l'image de l'homme, et qu'il soit obligé de lui conférer cette œuvre sublime qu'il n'est plus digne d'opérer lui-même. Néanmoins la loi des générations des divers principes tant intellectuels que physiques est telle que, quelle que soit la région vers laquelle il porte son désir, il y trouve bientôt un matras pour recevoir son image; vérité immense et terrible (22) ».

Le Ministère de l'Homme- Esprit par le Philosophe inconnu, parut en 1802 (23). C'est « l'homme de désir qui va parler. Mais comment se fera-t-il entendre des hommes du torrent ? il n'a que des principes à leur offrir .— L'homme n'est pas dans les mesures qui lui seraient propres, il est dans une altération. — L'Univers est sur son lit de douleur; c'est à nous à le consoler ». Viennent ensuite des rêveries sur la formation des planètes et sur la révolution française. — « Probablement elle a eu pour objet, de la part de la Providence, d'émonder sinon de suspendre le ministère de la prière ».

Dans un parallèle entre le Christianisme et le Catholicisme, comme si ces deux choses n'étaient pas identiques, il s'est donné libre carrière pour dénaturer et calomnier le Catholicisme, « qui n'est, dit-il, que le séminaire, la voie d'épreuves et de travail, la région des règles, la discipline du Néophyte pour arriver au Christianisme. — Le Christianisme repose immédiatement sur la parole non écrite; il porte notre foi jusque dans la région lumineuse de la parole divine : le Catholicisme repose en général sur la parole écrite ou sur l'Évangile, et particulièrement sur la messe ; il borne la foi aux limites de la parole écrite ou de la tradition. — Le Christianisme est le terme, le Catholicisme n'est que le moyen ; le Christianisme est le fruit de l'arbre, le Catholicisme ne peut en être que l'engrais ; le Christianisme n'a suscité la guerre que contre le péché, le Catholicisme l'a suscitée contre les hommes (24) ». L'auteur étaie sans doute de quelques preuves ses assertions ? Oh non ! Assurer d'un air tranchant, cela lui suffit. Veut-on savoir ce que lui-même pensait de son Ministère de l'Homme Esprit, il va nous l'apprendre.

« Quoique cet ouvrage soit plus clair que les autres, il est trop loin des idées humaines pour que j'aie compté sur son succès. J'ai senti souvent en l'écrivant que je faisais là comme si j'allais jouer sur mon violon des walses [sic] et des contredanses dans le cimetière de Montmartre, où j'aurais beau faire aller mon archet, les cadavres qui sont là n'entendraient aucun de mes sons et ne danseraient pas ».

Saint-Martin a publié un Eclair sur l'Association Humaine (25). « Le but de cette association ne peut être que l'équilibre d'où elle est descendue par une altération quelconque ». Jusque-là on le comprend ; mais comprendra qui pourra comment « la propriété de l'homme est son indigence, et la souveraineté du peuple « son impuissance (26) »

Le philosophe inconnu , qui ne se croyait pas digne de dénouer les cordons de Boehm (27), s'est cru digne au moins de traduire divers écrits de ce visionnaire ; les Trois principes de l'Essence divine, la Triple vie, l'Aurore naissante. « On a voulu tout matérialiser, dit le traducteur ; mais l'époque approche où les sciences divines seront réconciliées avec les sciences naturelles : à force de scruter celles-ci et de tourmenter les éléments , on remontera à la source. L'Aurore naissante n'est que le premier bourgeon de la branche (28) ». Le Traité des trois principes de l'Essence divine ou de l'Éternel engendrement (29), nous apprend que dans l'état d'innocence, « Adam ne prenait pas de nourriture ; car, s'il eût dû manger du fruit terrestre, il aurait dû manger dans son corps et avoir eu des boyaux. Or, une puanteur comme celle que nous portons actuellement dans notre corps, pouvait-elle subsister dans le paradis, dans la sainteté de Dieu (30) » ? Cent autres passages de la même force dans les Œuvres de Boehm et de Saint-Martin, peuvent servir à fixer l'opinion qu'on doit avoir de lui et de son traducteur qui l'admire.

« On ne devrait faire de vers qu'après avoir fait un miracle, puisque les vers ne doivent avoir d'autre objet que de le célébrer (31) ». On ignore si Saint-Martin a fait des miracles ; mais il a publié le Cimetière d'Amboise, poème qui n'est pas merveilleux : on y lit entre autres ces vers :

Homme, c'est ici-bas qu'il a pris la naissance,
Ce néant où l'on veut condamner ton essence.

On entrevoit sa pensée qui est bonne, mais un néant qui a pris naissance !

On a rendu à plusieurs grands hommes le mauvais service de mettre au jour une foule de pièces qu'ils avaient condamnées à l'oubli. On l'a fait pour Montaigne, en publiant ses Voyages ; pour Erasme, en exhumant des archives de Bâle diverses lettres, presque toutes sans intérêt. La postérité n'élèvera jamais le Philosophe inconnu au même rang que le philosophe de Roterdam ; c'était une raison de plus pour faire un choix dans ce qu'on a publié de lui sous le titre d'Œuvres Posthumes (32). La république des lettres est-elle grandement intéressée à savoir que « dans l'ordre de la nature, il était plus sensuel que sensible ; et que les femmes sont plus sensibles que sensuelles » ?

Les Chrétiens ne verront qu'un blasphème dans la phrase suivante : « Depuis l'avènement » du Christ, chaque homme peut, dans le don qui lui est propre, aller plus loin que le Christ (33) ».

L'auteur nous dit que les écrivains ne donnent que « de la crotte dorée, mais que lui il donne de l'or crotté (34) ». Il serait étonnant que dans la volumineuse collection de ses écrits on ne trouvât pas quelques paillettes d'or. Il faut parler à charge et à décharge. On a indiqué ci-dessus quelques morceaux concernant l'Ecriture-Sainte, qui annoncent autant d'énergie que de sagesse. En général son style est facile, animé, quelquefois brillant; des sentiments pieux et l'amour de la vertu respirent dans ses ouvrages. On lit avec plaisir des réflexions telles que celle-ci : « Je n'ai jamais goûté bien longtemps les beautés qu'offrent à nos yeux la terre, le spectacle des champs : mon esprit s'élevait bientôt au modèle dont ces objets nous peignent les richesses et les perfections ; et il abandonnait l'image pour jouir du doux sentiment de son auteur. Qui oserait nier même que tous les charmes que goûtent les admirateurs de la nature, fussent pris dans la même source, sans qu'ils le croient » ?

On sera surpris peut-être de ne pas trouver ici un précis raisonné de ses idées, un corps de doctrine ; mais à qui la faute ? Ses disciples contestent la faculté de l'apprécier à quiconque n'est pas initié dans son système : tel ne l'est qu'au premier degré ; tel autre au second, au troisième. À merveille ! Mais si le système de votre maître est, comme vous le prétendez, si intéressant, si avantageux pour l'humanité, pourquoi ne pas le mettre à portée de tout le monde ? De cette région élevée où vous le dites placé, ne pourrait-il pas s'abaisser jusqu'à l'intelligence du vulgaire ? — Non , c'est chose impossible. — Alors, permettez-moi d'élever des doutes sur l'importance et l'avantage de son système ; car, en fait de religion et de morale, il est dans la bonté de Dieu et dans l'ordre essentiel des choses que ce qui est utile à tous soit accessible à tous. Au surplus, Saint-Martin nous dit : « Il n'y a que le développement radical de notre essence intime qui puisse nous conduire au Spiritalisme [sic] actif (35) »; et si ce développement radical ne s'est pas encore opéré chez bien des gens, il n'est pas surprenant qu'ils soient encore à grande distance du Spiritalisme actif ; et que n'étant que des hommes du torrent, ils ne puissent comprendre l'homme de désir.

La mode des analyses est un peu en désuétude ; mais l'usage s'est introduit de nous donner l'esprit des divers auteurs : c'est une chose utile aux hommes qui sont persuadés qu'après la vertu le temps est la chose la plus précieuse. Il y a tant à faire dans le courant de la vie ; et la vie est si courte ! Quelques vues saines, quelques idées lumineuses surnagent aux extravagances dans les Œuvres de Saint-Martin. Ce triage, fait avec goût, formerait un petit volume, et serait accueilli du public ; sans cela la collection volumineuse du philosophe inconnu n'aura pour lecteurs que des adeptes de l'Illuminisme. Quoique Lavater ait loué l'Homme de désir, cet éloge d'un rêveur, d'ailleurs estimable, est-il sur les objets de cette nature une recommandation auprès de la postérité ? Probablement elle mettra sur la même ligne les ouvrages de Muralt, de Saint-Martin, de Dutois, qui a fait la Philosophie Divine en trois volumes ; et ce traité De l'origine, des usages, des abus, des quantités et des mélanges de la Raison et de la Foi (36). Il est dirigé contre le Magnétisme, l'Illuminisme, le Somnambulisme : il combat Mesmer, Swedenborg, quoiqu'il y trouve de grandes vérités, et paraît opposé à Saint-Martin : il reproche aux frères Moraves de prendre pour la grâce pure du Saint-Esprit, une grâce inférieure qui est un mélange de sensuel. Leur religion, dit-il, n'est qu'un fard du vieil homme; car si on quitte leur société, alors on manque de charité envers les déserteurs. L'auteur , qui paraît Protestant, s'étend, néanmoins sur les sectes nombreuses de Protestants, leurs ramifications multipliées, qu'il attribue à l'orgueil spirituel (37).

Il prédit (c'était en 1792, et cela était facile à voir) que les incrédules deviendraient persécuteurs contre tout ce qui porte l'empreinte du Christianisme. Réaumur ayant amassé quatre-vingt mille araignées espérait en tirer de la soie : elles se massacrèrent toutes; image exacte de ce que feraient les déistes, s'ils étaient réunis (38). « Les incrédules trouvent injuste qu'on ait  chassé les Cananéens de la Palestine , et ce  sont les horreurs du Somnambulisme qui les  ont fait chasser (39) ». Assurément voilà du nouveau.

» Le chaos dont parle Moïse n'est pas à beaucoup près la première création décrite par Moïse : cependant il est possible que la création décrite par Moïse soit la première création, physique des corps (40). L'oignon reproché aux Egyptiens était type dans la nature physique des cieux astraux, de leur coucher (41).

» L'esprit astral est un diminutif de l'esprit uni à Dieu ; c'est une émanation de Dieu avant le péché originel. Cet esprit astral est le plus haut point de la raison, qui est un substitut inférieur à l'esprit de Dieu qui éclairait Adam avant sa chute (42).

» Tout boit et est bu à son tour dans l'univers (43). Socrate a eu l'accessit du martyre (44) ».

A ces rêveries s'intercalent quelques réflexions qui seraient bonnes si l'on n'y retrouvait un alliage hétérogène qui en atténue la valeur. « La Rochefoucault connaissait assez le monde pour peindre la fausseté des vertus infectées de l'amour-propre ; mais il ne connaissait pas assez les grands principes de la religion, les vertus vraies et divines en regard avec les fausses (45). »

La religion de la croix est seule vraie, universelle, éternelle ; ainsi la religion de Jésus-Christ est la seule qui ait jamais été. La croix est répandue dans toute la nature, et dans tout l'univers astral et physique (46) ».

L'auteur vient ensuite au Quiétisme, qui paraît lui être cher. On a réimprimé à Lausanne les ouvrages de Madame Guyon en 40 vol., dont vingt d'un Commentaire sur la Bible : il trouve cela admirable. Le vrai Quiétisme, ou Mysticisme, n'est autre que la religion du cœur et de l'amour; et cette vie intérieure, cachée en Dieu dont parle l'Apôtre. Le fougueux Bossuet supposait, dit-il, que les Quiétistes attendent la grâce dans un état d'immobilité sans prier ; mais qu'on lise, ajoute-t-il, les divers ouvrages de Madame Guyon, on y verra le contraire (47).

Les efforts qu'on a faits depuis une cinquantaine d'années pour répandre en France les visions des Swedenborgistes, Martinistes, Victimes, ont donné lieu de composer quelques bons ouvrages destinés à les réfuter. Dès l'an 1763 un prêtre, nommé Bausset, imprima ses Principes généraux pour l'intelligence des Prophéties (48). Il ne nie pas l'inspiration particulière, mais il veut qu'on en discerne les caractères ; et il établit que l'enseignement intérieur ne peut jamais être opposé à l'enseignement de l'Église. Chassanis, mort récemment, publia en 1802 son livre du Christianisme et de son Culte contre une fausse spiritualité (49). Il combat surtout le livre des Manifestes et le discours intitulé : l'Union de Dieu et de l'Homme, ou l'Avènement spirituel du Verbe. Chassanis réfute très bien les nouveaux Illuminés, qui, feignant d'être Chrétiens, prétendent ne devoir être instruits que par la parole intérieure, dépouillent la religion de tout extérieur, n'admettent que le culte en esprit, veulent des sacrements qui n'ont rien de sensible, des lois qui n'ont pour organe que l'Esprit-Saint ; qui en un mot métamorphosent le Christianisme en une religion sans mystères, ni dogmes, ni sacrements, ni préceptes.

Notes

1. Voyez Illustrations of Masonry, By Will. Preston, in-12. London, 1792.
2. Sinclair, Tome II , page 170 et suiy. Cet article est très curieux.
3. In-12, Paris, 1802.
4. Deux vol. in-8. London, 1799. Voyez Tome I, Part. I, page 2 I.
5. In-8°, 1801.
6. Voyez Mémoires Chronologiques et Dogmatiques pour servir à l'Histoire Ecclésiastique, depuis 1600 jusqu'en 1716, par le P. d'Avrigny, 4 vol. in-8., 1720, Tome I, page 558 et suiv. Voyez aussi l'Histoire de Port-Royal, par Racine,
7. Deux vol. in-12. Londres, 1759.
8. In-12.
9.Voyez pages 9, 14, 55, 58, 133, etc.
10. Voyez page 77.
11. Voyez Tome I, page 256; et Tome II, page 196 et suiv.
12. Tome II, page 289; Tome I, page 6o et suiv.
13. Voyez Tome I, pages 269, 1 15, 155, 159.
14. Voyez Tome II, la Lettre IV, et page 24o et suiv.
15. Bacon et Zimmerman. Lesquels ?
16. In-8., Édimbourg.
17. Voyez Œuvres Posthumes de Saint-Martin, 2 vol. in-8°. Paris, 1808, Tome I.
18. Voyez la Biographie Moderne, deuxième édition. Leipsick, 1806, article Saint-Martin.
19. De l'Esprit des Choses, ou Coup-d'œil philosophique sur la Nature des Êtres et sur l'Objet de leur existence, 2 vol. in-8. Paris, an VIII.
20. Tome 1, page 9.
21. Page 180.
22. Voyez Tome I, pages 61, 62, 1o6, 124, 186, 19o, 278 , et Tome II, page 286.
23. In-8.
24. Voyez pages 5, 6, 15 , 104, 168 , 57 1 , 574 ; et passim.
25. In-8. Paris, 1797.
26. Voyez pages 19, 43 , etc.
27. Voyez ses Œuvres Posthumes.
28. Voyez page 4 de l'Avertissement.
29. In-8., 2 vol. Paris, 1802,
30. Page 74.
31. Voyez Œuvres Posthumes, Tome I, page 199.
32. Deux vol. in-8. Tours, 1807.
33. Tome I, pages 6, 7; et page 135.
34. Tome I, page 119.
35. Voyez le Ministère de l'Homme-Esprit, page 14 de l'Introduction.
36. Nouvelle édition, 2 vol. in-8. Paris, 1792.
37. Tome I, pages 158, 298; et Tome II, pages 153, 294, 5o9 et suiv. -,
38. Tome I, page 87 et 97.
39. Tome I, page 256.
40. Tome II, page 268.
41. Tome II, page 275.
42. Tome I, pages 18, 50, etc.
43. Tome I, page 314.
44. Tome I, page 249.
45. Tome II, page 56.
46. Tome I, page 285 et suiv.
47. Tome II, pages 25, 26, etc.
48. In-12., 1763.
49. In-12, Paris, 1802.