1897 - Opinions - L’Occulte & la littérature
Matines : revue de littérature et d'art
Rédacteur en chef : Serge Basset
1er octobre 1897. Pages 21-23
L’Occulte & la littérature, par Papus
Un des initiateurs du mouvement occultiste (tradition orientale) en France, F.-K. Gaboriau, avait placé, sur la couverture rouge de son excellente revue Le Lotus, le mot littérature astrale.
Cette littérature était représentée dans la revue par des vers fort beaux et d'une très grande envolée, signés Jean Rameau. Il y était question de l'Univers vivant et des émotions de l'Âme du Monde communiant avec l'âme humaine.
Plus tard Emile Michelet voulut bien prendre la direction de Psyché qui, durant son année d'existence, défendit vaillamment la cause de l'art idéaliste.
Quand on songe que la connaissance de l'occulte et du monde invisible a fait le fond des œuvres de Shakespeare, de Goethe, de Balzac, d'Edgard Poe et de Villiers de l'Isle-Adam, pour ne citer que les plus connus, on comprend de quelle ressource ces traditions peuvent être pour le littérateur.
L'école actuelle des psychologues a poussé l'analyse de l'âme incarnée jusqu'à ses dernières limites ; mais quel merveilleux champ et combien peu exploré par de véritables artistes que celui de la vie future de l'être humain. Déjà un artiste d'une conscience si unanimement reconnue : Léon Hennique [1851-1935], dans son roman Un Caractère, a abordé le problème de la communion de deux existences : l'existence terrestre et l'existence extra-terrestre.
Je ne parle pas des ouvrages de Huysmans [1848-1907] et de ses imitateurs car, s'ils révèlent un écrivain dont je suis le premier à reconnaître la valeur, ils ont été établis sur des mystifications tellement grossières, depuis celle de la Messe Noire jusqu'à l'affaire Diana [page 22] Vaughan, qu'ils indiquent un manque total d'informations sérieuses.
Or tout littérateur qui n'aura pas été admis dans les centres réguliers d'initiation fera de la fantaisie, de l'érotisme plus ou moins artistique, se laissera mystifier à droite et à gauche et finalement devra changer de carrière, car l'occulte écrase ceux qui n'en peuvent pénétrer régulièrement le mystère.
L'histoire de l'Âme humaine avant la Naissance et après la Mort ne s'invente pas, à moins de tomber dans le fatras des communications naïves des cercles spirites ; elle s'apprend par l'expérience directe dans les centres réguliers de transmission des mystères. C'est après avoir étudié dans les centres Martinistes que Balzac adapta génialement ce qui pouvait être dit, en composant Louis Lambert et Les Proscrits. C'est après l'affiliation aux mystères hermétiques que Goethe connut le secret des Trois Mères qu'il adapta dans son Faust.
Le théâtre lui-même doit être normalement établi sur deux pôles : la Magie et l'Amour. Les contemporains ont oublié le premier de ces pôles ; de là, la sécheresse de leur théâtre d'idées. Seule, la féerie qui peut réunir, quand elle est bien faite, les deux pôles, intéresse autant l'enfant de neuf ans que l'homme de quarante. Un contemporain : M. Georges Polti a appliqué avec bonheur la loi du tétragramme aux situations dramatiques et il sera intéressant de voir la suite des travaux de cet auteur.
L'occulte est assez large, dans ses enseignements, pour permettre d'admirer, à leur réelle valeur, les forteresses philosophiques de cet artiste puissant qu'est Zola, aussi bien que les délicates et brillantes broderies dont Joséphin Péladan a tissé ses manifestations intellectuelles auxquelles on ne peut refuser du génie, dans son théâtre si injustement écrasé sous la conspiration du silence et de l'envie.
Mais si nous citons ce que la littérature doit à l'occulte, il ne faut pas oublier ce que l'occulte doit à la littérature. Si nous sommes justement fiers de compter parmi les jeunes maîtres contemporains Stanislas de Guaita, nous devons nous souvenir que c'est dans les cercles littéraires qu'il fit ses premières armes.
De même Paul Adam [1862-1920] qui peut revendiquer le titre de Frère [page 23] Illuminé de la Rose-Croix, apporte, dans nos études, l'appui de son prodigieux talent se pliant sans efforts aux adaptations les plus variées.
Enfin je ne puis terminer cette rapide revue des rapports de l'occulte et de la littérature, sans appeler l'attention sur un des cerveaux les plus fortement organisés (que je connaisse) pour adapter l'abstraction de l’ésotérisme aux catégories psychiques du public intellectuel, je veux parler de Jules Lermina [1839-1915]. Je n'ai jamais connu travailleur plus infatigable et plus érudit que ce modeste auquel nous devons L’Elixir de vie et les troublantes analyses de La Magicienne.
Je suis forcé d'être injuste et d'oublier beaucoup de ceux qui devraient prendre place dans cette rapide énumération. -Qu'ils me pardonnent en songeant que j'accapare des pages que d'autres rempliront bien plus dignement et bien plus justement que moi. N'est-ce pas, M. Serge Basset ?
PAPUS.