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Dans la série Les précurseurs du spiritisme : Saint-Martin - 14e et dernier article

 

La Vérité - Journal du Spiritisme, paraissant tous les dimanches - Bureaux à Lyon, rue de la Charité, 48 - Troisième année – n° 25 – Dimanche, 13 août 1865 - Page 98 (14e et dernier article — Voir le dernier numéro.)

Rappelons qu'il nous manque le 7e article. La Vérité - Journal du Spiritisme

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Cette dernière pensée [voir le 13e article, in fine] que nous avons soulignée en entier vient donner le démenti le plus formel à M. Matter, qui soutient que notre auteur a été hostile à la pluralité des existences, à la rotation des âmes. Quoi de plus net et de plus précis en effet ? La mort comparée à un relais. Les réincarnations sont les chevaux neufs pour se remettre en route, et le temps employé pour payer ses comptes arriérés n'est-ce pas l’erraticité ? Le texte est positif et tranche résolument la question. Mais, d'ailleurs, toute la doctrine de Saint-Martin est imprégnée de cette idée. Il n'admet pas qu'on puisse tomber si bas dans l'astral, qu'on ne puisse s'en relever à la fin et à la suite peut-être de plusieurs vies ; il reconnaît la possibilité et, qui plus est, la réalité des réincarnations même terrestres pour ceux qui s'y trouvent à leur place, c'est à recommencer, tel est leur sort, dit-il, d'être encore attachés aux misères de cette vie. Il y a donc lieu de s'étonner qu'un écrivain, ordinairement aussi exact et aussi scrupuleux que M. Matter, ait commis la singulière inadvertance que nous signalons.

Ceux qui se trouvent à leur place sur notre planète, ce sont ceux qui, grossiers et vulgaires, se sont laissé prendre aux attraits du sensible astral, du matériel inférieur, c'est la grande majorité des hommes. « Ah! s'il nous était permis de revivre ici-bas avec toute notre expérience, disent ces insensés. » Ce sont là leurs souhaits les plus ordinaires ; ils ne voient rien de mieux sur cette terre et ses jouissances, ils n'ont rien de divin en eux. Eh bien, leur crie St-Martin, vous revivrez, vos vœux seront accomplis, c'est pour vous à recommencer, tant que vous ne vous élèverez pas plus haut, au-dessus de l'astral. Quant à lui, il est venu ici-bas d'en haut, c'est-à-dire tout pénétré de Dieu ; il est venu pour rappeler aux hommes leur vraie destinée, pour servir à Dieu dans cet enseignement sublime. Il ne veut pas revivre ici-bas, quand on lui donnerait tous les trésors de la terre ; il s'en explique formellement : « L'homme véritable, dit-il (l'aîné, le majeur), se trouve déplacé sur notre séjour, et le considère comme un pays étranger. »

Il n'a pas assez de sarcasmes et de mépris pour le commun des hommes qui pensent autrement et se complaisent dans l'astral ; il qualifie leur conduite de bêtise et de sottise.

Quant à lui, St-Martin, il vit sur la terre avec une dispense, à savoir que les épreuves de notre monde ne sont pas pour lui, il a déjà vaincu dans d'autres vies, ce n'est pas dans son intérêt qu'il est venu prendre un corps terrestre, mais dans l'intérêt de Dieu, pour une mission d'enseignement et d'amour ; il n'appartient qu'à Dieu, il est de Dieu et aspire à sortir au plus tôt d'ici-bas pour remonter d'où il vient et se rejoindre au Père. Cc sont là de bien hautes prétentions qui ne seraient pas justifiées au premier coup d'œil, par le peu de vulgarisation de ses écrits obscurs (on l'a nommé le philosophe inconnu) ; mais si l'on réfléchit à l'influence exercée sur les personnages distingués de son temps, à ses correspondances nombreuses avec tous les mystiques, si l'on songe encore à la moralité supérieure qu'il a préconisée dans tous ses livres, on se sent pris bientôt d'enthousiasme et d'admiration pour cette grande et belle figure.

M. Matter, dont nous critiquions tout à l'heure une inconcevable inadvertance, rend comme nous hommage à St-Martin, dont il dit : « Il est un point qui domine cette vie et qu'on doit bien établir au point de départ, comme on doit y revenir au terme ; c'est le point lumineux de la vie humaine , étoile du matin, soleil du jour et flambeau du soir ; c'est cette vérité à la fois humble et sublime, que la science n'est pas un but, qu'elle n'est qu'un moyen. Cette vérité, nul ne l'a mieux prise pour guide que Saint-Martin. Toute sa science, toute sa théosophie n'est que le moyen de sa vie morale, et la vie morale elle-même, que la préparation à l'illumination divine. A la seule école du perfectionnement éthique se trouve la sagesse, et nul n'a de lumière s'il n'en a cherché là : nul ne sait un mot vrai sur la vie humaine, s'il n'a mis la sienne au service de son auteur ; nul n'est rien s'il n'a Dieu, et nul n'a Dieu, s'il ne sert en rien à Dieu. » [2].

Saint-Martin, comme il le dit, a passé dans le monde, à côté du monde, il ne s'est pas mêlé aux faiblesses humaines, sinon pour les consoler et relever les autres de leurs chutes ; il a vu la corruption sans en être terni, il a touché la boue sans en être sali ; il était trop à Dieu pour qu'il en fût autrement et avait reçu en naissant trop peu d'astral.

Sa mort fut digne de sa vie. Il est certain que depuis trois mois il était averti de sa fin prochaine ; il le répète dans plusieurs de ses correspondances. On veut que, trois jours avant, il ait lui-même prédit le jour et l'heure où il quitterait la terre ; mais cela est aussi douteux que le premier fait est prouvé.

Il mourut le 13 [14] octobre 1803, au soir, d'une attaque d'apoplexie, à Aunay, à la campagne de son ami Lenoir Laroche. Il eut quelques moments pour adresser de touchantes paroles à ses amis accourus. Il leur recommanda, au rapport de M. Gence, l'union fraternelle et la confiance en Dieu.

Nous avons fait avec Saint-Martin l'étude historique du spiritisme au XVIIIe siècle.

 

Nous allons à présent passer en Suède avec Swedenborg.

A. P.


Notes

1. La mort ne doit se regarder que comme un relais dans notre voyage. Nous arrivons à ce relais avec des chevaux fatigués et usés, et nous y venons pour en prendre qui soient frais et en état de nous conduire plus loin ; mais aussi il faut payer tout ce qu'on doit pour la course qui est faite, et jusqu'à ce que les comptes aient été [sic pour soient] soldés, on ne vous met point en route pour la course suivante. [n°134]. Extrait de « Pensées extraites d’un manuscrit de Mr de St Martin », Œuvres posthumes, p. 286.

2. Jacques Matter, Saint-Martin, le philosophe inconnu: sa vie et ses écrits, son maitre Martínez et leurs groupes d'après des documents inédits, Paris, Didier, 1862, p. 400.