1892 nouvelle revue1892 - La nouvelle revue

Treizième année
Tome soixante-quinze
Mars-Avril 1892

Paris
18, boulevard Montmartre.

1892

Rubrique livres, Marie-Anne de Bovet - L’occulte dévoilé, par Papus. Page 593-601

Si dans une réunion l'entretien vient à tomber sur ces phénomènes psychiques dont on se préoccupe fort aujourd'hui, et que ne méconnaît plus la science moderne — auguste et orgueilleuse personne très réfléchie, très avisée, très prudente, à qui on n'en fait pas facilement accroire — il se trouve invariablement quelqu'un pour dire d'un ton narquois « Est-ce que vous croyez à cela? »

La forme naïve de cette question montre à quel point ceux qui la posent sont mal informés sur la matière. Croire à quoi ? Ils ignorent ou feignent d'ignorer que ce n'est pas de revenants et de sorcellerie qu'il s'agit, mais de faits naturels dont on cherche la loi au nom de ce principe absolu que le surnaturel n'existe pas. Serait-ce qu'ils nient la réalité des phénomènes, s'imaginant faire preuve de sagesse en déclarant qu'ils ne croient qu'à ce qu'ils voient, et que, n'ayant jamais rien vu dans cet ordre de choses, ils ne croient à rien de ce qu'on leur en rapporte ? Autant nier la Chine parce qu'on n'y serait pas allé. Bien peu de gens ont eu occasion d'observer des effets sérieux d'hypnotisme et de suggestion mentale qui songe pourtant à les contester ? Je parle d'aujourd'hui, car il y a peu d'années encore ils ont passé pour des mystificateurs ou des fous, les premiers qui ont repris au compte de la science l'empirisme des magnétiseurs et des somnambules de foire, pratiques abâtardies de la thaumaturgie sacerdotale de l'antiquité, encore en vigueur dans l'Orient musulman et bouddhique.

1906 Sir William CrookesPour voir, il faut regarder. Il en est de ces ténébreuses questions psychiques comme de ce qui se passe dans la lune, pour quoi le vulgum pecus s'en rapporte au dire des astronomes. Lorsque certains faits sont affirmés par d'honnêtes gens, d'esprit cultivé et de raison saine, beaucoup mieux instruits que nous en des matières dont nous n'avons aucune connaissance, si étranges que ces faits nous paraissent, de quel droit les révoquerions-nous en doute ? Rien ne confond davantage notre entendement que les phénomènes de force médianimique, et en particulier les matérialisations de fluide astral ; et [page 594] cependant ne serait-il pas impertinent de se montrer incrédule, en présence des affirmations d'un savant de l'envergure de William Crookes ?

On parle d'illusions qui l'auraient égaré. Cela n'est guère croyable d'un homme habitué aux minutieuses précisions de la méthode expérimentale, et qui appelait à son secours, contre les hallucinations possibles des sens visuel et tactuel, les appareils photographiques et les enregistreurs à mouvement d'horlogerie. Il n'obéissait d'ailleurs à aucun parti pris. La découverte de la matière radiante l'a conduit à celle de la force psychique ; puis il a observé qu'une forme ayant toutes les apparences matérielles d'un être vivant s'objectivait dans certaines conditions, et deux années durant il s'est consacré à l'étude de ce phénomène dans son laboratoire particulier, en présence de témoins bien choisis. Quant à le croire dupe d'une mystification aussi prolongée de la part de son médium, fillette de seize ans, d'intelligence bornée et d'instruction nulle, comme la plupart de ses pareils, c'est une crédulité à rebours qui, pour rejeter l'invraisemblable, se fonde sur plus invraisemblable encore. Car alors c'était donc une sorcière, cette petite Cook ? Et parce que nous nous refusons à admettre comme naturels des phénomènes dont la loi nous échappe, voilà que nous tombons à les croire produits par une puissance surnaturelle

La vérité est que les questions psychiques constituent une science dont, ainsi que de toute autre, pour en discuter il faut posséder les éléments. Science non pas nouvelle, mais au contraire vieille comme le monde, depuis longtemps perdue, et qu'à diverses époques se sont essayés à retrouver des esprits inquiets et hardis, altérés des mystères de l'au-delà. Prétendant que l'humanité se contentât de la solution chrétienne du problème de vie, l’Église proscrivait naguère ces études au nom de la foi. C'est au nom de la foi qu'y revient aujourd'hui une génération lassée du dessèchement matérialiste. Ceux qui s'y livrent sentent bien encore le fagot des fagots qui ne brûlent plus personne ; mais, par un singulier déplacement du problème, ce n'est plus au regard du dogme religieux qu'ils sont hérétiques, c'est au regard du dogme rationaliste, devenu l'orthodoxie moderne.

Cette science, c'est la science de l'occulte, autrement dit la recherche de l'invisible à travers le visible, par opposition à la science proprement dite, qui étudie le phénomène en soi sans s'occuper de ses rapports métaphysiques. C'est la science des anciens, chez qui elle avait un caractère religieux, et qui en faisaient l'objet d'une initiation conférée par le corps sacerdotal. Le temple alors était un collège, une académie les prêtres étaient des docteurs en les diverses branches des connaissances humaines. Si l'analogie ne semblait plate, on pourrait dire que les épreuves de l'initiation équivalaient à nos modernes examens, les signes mystérieux des initiés aux diplômes [page 595] universitaires, avec en plus un élément symbolique dont les rites secrets des saintes vehmes, de la rose-croix, de la franc-maçonnerie, de l'écossisme, du martinisme, sont des souvenirs transmis à travers les âges. Dans toutes les grandes civilisations évanouies la religion faisait corps avec l'état social. Ce n'étaient pas les prêtres qui gouvernaient les peuples, c'étaient les gouverneurs des peuples qui étaient les prêtres. En même temps que comme gardiens des mystères sacrés ils représentaient l'intellectualité et la spiritualité du pays, comme évocateurs et théurges ils pourvoyaient aux besoins mystiques de la masse ignorante. Cette distinction jalouse entre l'ésotérisme et l'exotérisme des choses était le principe fondamental de toutes les religions antiques. Liés par des serments terribles, les initiés ne pouvaient rien révéler aux profanes qu'à travers des symboles, et c'est ainsi que cette science cachée du caché a pu être très justement définie scientia occulta, scientia occultati, scientia occultans [science cachée, science du caché, science cachant ou qui cache].

C'est à renouer la chaîne rompue d'une tradition mille et mille fois vénérable, et à reconstituer l'occultisme pour ensuite le désoccultiser, si l'on ose ainsi dire, que depuis quelques années se vouent une phalange de modestes travailleurs de la pensée réunis sous le nom de Groupe indépendant d'études ésotériques. Labeur désintéressé s'il en fut, en notre âge de fer et de boue, papus image 1et auquel pourtant nombre d'esprits élevés et délicats commencent à porter un très vif intérêt. Il semble qu'un frisson de l'infini vienne réveiller la spiritualité endormie dans les âmes. Tâche laborieuse aussi. Ce n'est pas une petite affaire de rassembler en un corps de doctrine les épaves dispersées de l'ésotérisme universel. N'ayant pas l'espace nécessaire pour parler en détail de l'œuvre, je ne saurais m'arrêter à tous les ouvriers.

En n'en citant qu'un, j'aurai nommé non pas le chef du mouvement ce mot serait en désaccord avec l'esprit d'indépendance absolue qui y préside mais un des principaux apôtres, celui dont le zèle ardent et le dévouement exclusif, la plume féconde et la parole infatigable font le plus pour la diffusion je ne dis pas la vulgarisation de la doctrine secrète. On qualifie plaisamment de mage le jeune médecin qui cache sa personnalité exotérique sous l'appellation ésotérique de Papus. Rien n'est plus vrai si l'on donne à ce mot non pas le sens de magicien, établissant ainsi une confusion ridicule entre les nécromants moyenâgeux et le très moderne directeur de l'Initiation et du Voile d'Isis, mais bien l'acception exacte de docteur ès sciences psychiques, car ce n'est pas autre chose qu'étaient les sages de Chaldée, dont il prétend faire revivre la science. Papus en effet, non plus qu'aucun de ses collaborateurs, n'invente pas : il retrouve. C'est à ce titre que ses deux derniers ouvrages doivent être recommandés aux personnes curieuses de s'instruire de ces choses. [page 596]

1891 Papus traite methodiqueLe Traité méthodique de science occulte comme le Résumé méthodique de la Kabbale ne sont que des compilations, mais des compilations intelligentes, dont le but philosophique est clairement indiqué par leurs épigraphes respectifs, empruntés l'un à Louis Lucas : « Concilier la profondeur des vues théoriques de l'antiquité avec les résultats et la puissance de l'expérimentation contemporaine ; [1] » l'autre à M. Adolphe Franck « Quoi que nous puissions faire pour conquérir dans le domaine des sciences morales une indépendance sans limites, la chaîne de la tradition se montrera toujours dans nos plus hardies découvertes. [2] »

Les documents ne manquent point sur cette tradition, qui, longtemps demeurée orale, dut à un moment être fixée par l'écriture, crainte d'altération. Les commentaires de celle de l'Occident, dont les Juifs étaient dépositaires, ne comprennent pas moins de 4 000 volumes hébraïques. Quant à la tradition orientale des Hindous, elle est consignée dans les 689 ouvrages du: canon thibétain [sic] et les 5 686 volumes de la Somme chinoise, dont la traduction du sanscrit et du pali est due pour près d'un tiers au seul Hieun-Tsang. Ce laborieux lettré a été égalé par l'érudit moderne Fabre d'Olivet, qui a passé sa vie à collationner des textes anciens et à établir le rapport de l'hébreu avec les langues samaritaine, chaldaïque, syriaque, arabe, grecque et chinoise. Il ne faudrait pas croire que cette philologie fût une œuvre stérile, car c'est dans la signification hiéroglyphique des vingt-deux lettres de l'alphabet hébreu que se trouve la clef de la Kabbale. Ce vaste rébus sacré est une merveille de construction, fondée sur le rapport des noms, des idées et des nombres, synthétisés, dans chacun des caractères qui représentent les dix sephiroth, attributs mystiques de la divinité, lois actives de la nature, qui font la base de la doctrine philosophique des kabbalistes.

1892 Papus kabbaleTout cela s'apprend dans la Kabbale de Papus, exposé extrêmement lucide et bien ordonné de ces matières ardues, condensant les idées de tous ceux qui en ont traité avant lui, et ils sont nombreux, depuis les modernes Stanislas de Guaita et le marquis de Saint-Yves d'Alveydre, Isidor Loeb et Adolphe Franck, Eliphas Lévi, Hœné de Wronski, le prodigieux auteur du Messianisme, et, en remontant à travers les âges, Lenain, le Père Kircher, Buxtorf, Moses Maimonides, Van Helmont, Paracelse, Cardoso, Agrippa, Pistorius, Pic de la Mirandole, Raymond Lulle, Jérôme Cardan, Jacob Bœhme, Khunrath, Albert le Grand, Giordano Bruno, jusqu'à Simon le Magicien, Plotin, Porphyre et Jamblique, Pline et Tite-Live, Aristote et Platon, Pythagore, Moïse, Orphée, Zoroastre, les Esséniens de Palestine et les adeptes égyptiens disciples d'Hermès Trismégiste sans même oublier les manuels de Kabbale pratique tels que le Grimoire d'Honorius et les Clavicules de Salomon ou Schemamphoras, d'où sont sortis les [page 597] livres de sorcellerie qui courent dans nos campagnes sous les noms de Petit et Grand Albert, Dragon Rouge, Enchiridion.

Tous, gnostiques, mystiques, hermétistes, kabbalistes, alchimistes, illuminés, ont puisé à une source unique, qui se trouve canalisée pour ainsi dire dans les livres sacrés de la Kabbale hébraïque — qu'il est plus exact, paraît-il, et plus pittoresque à coup sûr d'écrire Quabalah, « ce qui se passe de main en main ». Cet ouvrage est en deux parties le Zohar, livre de lumière, commentaire métaphysique du Pentateuque, traitant de l'essence divine et de ses modes de manifestation, dont jusqu'à présent il n'existe que des traductions latine et anglaise, et, le Sepher Jesirah, dont Papus nous donne le texte en français, livre de la création et de ses lois mystérieuses, des 32 voies de la sagesse et des 50 portes de l'intelligence, attribué à Abraham, « transmis oralement à ses fils de génération en génération, puis, vu le mauvais état des affaires d'Israël; confié par les sages de Jérusalem à des arcanes et à des lettres du sens le plus caché. [3] »

La Kabbale, que longtemps une critique insuffisamment éclairée a cru inventée au XIIIe siècle par le rabbin espagnol Moïse de Léon, opinion victorieusement réfutée par M. Franck, que d'autres commentateurs faisaient remonter seulement aux gnostiques de l'école d'Alexandrie, paraît être l'exposé d'une doctrine traditionnelle aussi vieille que le genre humain, à laquelle, faute de savoir d'où elle vient, on attribue une origine divine. Ce serait la véritable révélation primitive des lois du divin, 1e fonds commun de la spiritualité universelle, la religion unique dont émane l'ésotérisme de tous les cultes.

Cet ésotérisme.se trouve pour les chrétiens dans l'Apocalypse, essence de la doctrine secrète révélée au disciple bien-aimé par le Christ, qui, en conformité avec le principe occulte, n'a jamais dit aux masses la parole de Dieu que par paraboles. Mais derrière la vision de saint Jean apparaît celle de Daniel, identique dans son essence. Il n'en faudrait pas conclure que l'ésotérisme soit issu des Juifs, car Moïse était un prêtre d'Osiris, et au-dessus des quatre animaux hébraïques se dresse le monstrueux sphinx égyptien, initiateur aussi de la philosophie grecque. Ce n'est pas encore fini de s'enfoncer dans les ténèbres du passé, et, par-delà le lion à face humaine, surgissent les mythes hindous, qui nous montrent la tête d'ange équilibrant la lutte entre la Bête féroce et le Taureau paisible, bien avant la naissance des mystères sacrés de l'Égypte, dont pourtant Platon, Hérodote, Diodore, affirment que l'antiquité, remonte à quelque chose comme dix-huit mille ans antérieurement à Ménès, premier roi de Memphis, vers le XXVe siècle avant notre ère. De ces chiffres formidables il y a sans doute quelque chose à déduire, mais si l'on considère que les mêmes symboles voilant la même doctrine se retrouvent chez la race rouge, qui passe pour avoir créé les [page 598] premières civilisations de l'humanité, on doit les proclamer profondément vénérables.

Si l'on aborde l'énorme in-octavo de plus de mille pages, monument élevé par Papus à la science occulte considérée dans toutes ses branches, on verra l'horizon s'élargir encore. Je ne dis pas s'éclaircir, car ce sont choses ardues, touffues, et terriblement rébarbatives, en dépit des efforts de l'auteur pour nous débrouiller ce chaos. Toutefois un ingénieux procédé de composition permet au profane de s'initier progressivement sans trop de peine. Il n'a qu'à lire d'abord les chapitres imprimés en gros texte, qui sont une histoire et un exposé méthodiques de la doctrine, pour revenir ensuite à ceux en petit texte, traitant de questions techniques ou plus abstraites, analyse ou reproduction d'ouvrages spéciaux devenus fort rares, ainsi ceux de Lenain et du jésuite Kircher sur la Kabbale, les Trois Sens de la Genèse par Fabre d'Olivet, le Traité d'alchimie de Cyliani, les travaux de Wronski sur le sens mystique des nombres. Un glossaire de la science occulte, une table alphabétique des matières, un index des documents utilisés, en facilitent encore la lecture, et permettent d'en faire usage comme d'un livre de référence, en sorte qu'on a entre les mains à la fois une encyclopédie occultiste et un traité de philosophie.

1892 Papus kircherL'élément personnel y a sa part, en particulier dans l'application des doctrines ésotériques aux sciences expérimentales, à l'embryologie et à la physiologie, et dans les considérations sur les rapports de l'hypnotisme avec le spiritisme.

Le plan de l'ouvrage est simple et logique. Comme prolégomènes, les fondements de la science occulte, comprenant un résumé intéressant des travaux de Dutens, historiographe des rois d'Angleterre au siècle dernier, sur les découvertes scientifiques prétendues modernes qui étaient connues des anciens, notamment le mouvement de la terre autour d'un feu central, enseigné par les pythagoriciens la pluralité des mondes, dont parlent Héraclite et Démocrite, Aristote, Anaximène et Alcinoüs le Platonicien ; l'attraction universelle, les lois de Newton sur la pesanteur et le carré des distances, expliquées par Pythagore, Plutarque, Pline et Macrobe ; la cause des marées, la périodicité des éclipses, établies par les prêtres égyptiens et les mages de Chaldée ; la réfraction de la lumière et l'isochronisme des vibrations du pendule, dont la théorie a été retrouvée dans des manuscrits arabes, d'après Ptolémée ; le télescope, le microscope et divers instruments de mathématiques mentionnés par Strabon et Plutarque ; Aulu-Gelle et Sénèque, sans parler des connaissances en chimie médicinale et industrielle dont nous voyons les traces en Égypte, ne fût-ce qu'à considérer la merveilleuse conservation des momies, et de l'électricité, dont il est permis de supposer que les [page 599] antiques corporations sacerdotales possédaient certains secrets, car c'est la seule explication possible des miracles et des prodiges légendaires, faits d'ordre naturel assurément, dont les lois étaient ignorées de la foule.

Il y est fait mention aussi de ce procédé mystérieux de communication psychique particulier aux Orientaux, et dont les effets extraordinaires ont été souvent signalés au cours de la révolte des cipayes, par les rapports militaires ou administratifs d'officiers et de résidents anglais, constatant que les nouvelles parvenaient à certains brahmines ou musulmans hindous plusieurs heures avant que le télégraphe les eût apportées. Inutile de rappeler que la boussole et l'imprimerie sont des inventions chinoises de la plus haute antiquité, mais il n'est pas sans intérêt de constater qu'outre le fameux feu grégeois point encore retrouvé, qu'employaient déjà les Iraniens et les Chaldéens, un manuscrit de Marius Græcus donne la formule exacte de la poudre à canon, dont Porphyre, Valerianus, Hérodote, Justin, Pausanias et d'autres décrivent les effets, soit en fusées, soit en coups de mine, soit avec l'emploi de tubes de bronze, qui abolissent l'idée d'anachronisme attachée à la légende de sainte Barbe de Nicomédie, patronne des artilleurs.

Ces prémisses posées, l'auteur du Traité de science occulte en expose la méthode, presque exclusivement fondée sur l'analogie et le principe ternaire. Puis il passe à la doctrine cosmogonique, androgonique et psychurgique, avec d'ingénieux développements sur le transformisme, la vague de vie et son évolution dans l'homme jusqu'à l'état hypernaturel de sainteté, inaccessible dans son existence terrestre, et au nirvâna hindou, dont on sait généralement aujourd'hui que ce n'est point le néant, mais l'apogée de la spiritualité, amenant la fusion de la monade humaine dans la monade divine. Le chapitre consacré à l'androgonie contient aussi un bien ingénieux symbole des trois principes de l'homme le corps représenté par une voiture dont le cocher est l'âme et le cheval la vie ou volonté, aussi appelée corps astral ou périsprit, médiateur plastique entre les deux éléments matériel et spirituel. Papus fait remarquer que cette analogie répond exactement aux grandes divisions des systèmes philosophiques le matérialisme, qui fait générer le cheval par la voiture et le cocher par le cheval ; le panthéisme, qui met le cheval dans la voiture, et fait traîner le tout par le cocher ; le catholicisme enfin et le spiritualisme pur, qui mettent un cocher sur le siège de la voiture, mais sans lui fournir de cheval.

1892 papus homme cocher

La seconde partie du traité suit la tradition ésotérique depuis les mystères sacrés de l'Égypte et la Genèse de Moïse jusqu'à la gnose chrétienne, l'alchimie du moyen âge, la franc-maçonnerie et la rose-croix modernes, avec un résumé de la tradition bouddhique et son [page 600] importation en Europe par les Bohémiens, dont le Tarot divinatoire est fondé sur les mêmes combinaisons que la Kabbale hébraïque, et sur l'obscure origine de qui Papus expose des données curieuses, d'après M. Vaillant, professeur à l'Université de Bucharest [sic].

La troisième partie traite du monde des invisibles et des sciences de divination, avec les procédés de construction des figures magiques, pantarcles synthétiques qui constituent l'hiéroglyphisme symbolique. Enfin il conclut par un exposé de l'état de l'occultisme contemporain et de son attitude vis-à-vis de la science moderne.

Dans tout cela aucune littérature, et pourtant, peut-être même à cause de cela, quand on a surmonté les premières difficultés, la lecture de ces matières abstraites devient passionnante. C'est que ce n'est pas une chose indifférente que la connaissance des rapports de Dieu, de l'homme et de l'univers. Arriver à rendre « Dieu sensible au cœur », selon la parole de Pascal, cela est-il humainement possible ? Et cependant, dit M. Franck dans la lettre à Papus qui sert de préface au Traité de science occulte, « si Dieu ne nous touche pas, ne pénètre pas en nous, n'est-pas le moteur secret de nos pensées et de nos actions, il n'est pas ce que la Bible appelle si bien le Dieu vivant. Il se réduit à une formule algébrique ou logique, telle que l'Inconnaissable de Herbert Spencer, l'Inconscient de Hartmann, ou même les Postulats de la raison pure inventés par Kant ». Et, répudiant absolument le dogme positiviste, qu'il appelle « une des prétentions les plus obstinées de l'esprit moderne », l'éminent membre de l'Institut continue en ces termes :

« On ne connaît pas Dieu, on ne le possède pas et l'on n'est pas possédé par lui tant qu'on ne va pas au fond des choses, dont il est non seulement l'auteur et le législateur, mais la suprême réalité, la dernière essence, dans lesquelles il réside, et qu'il enveloppe en nous enveloppant nous-mêmes. C'est dans ces profondeurs que vous et vos collaborateurs de l'Initiation, appelant à votre aide toutes les formes du mysticisme, celles de l'Orient comme celles de l'Occident, vous aimez à vous abîmer. Ces profondeurs ont leurs ténèbres et leurs dangers je ne serais pas sincère si je vous disais que vous réussissez toujours à les éviter. Mais je préfère de beaucoup ces audacieuses spéculations à la myopie du positivisme, au néant de la science athée, au désespoir plus ou moins hypocrite du pessimisme. Elles sont à mes yeux comme un appel énergique au sérieux de la vie, au réveil du sens du divin. Elles me représentent, un salutaire révulsif pour l'âme humaine, engourdie, menacée de s'éteindre. » [Papus (Gérard Encausse), Traité méthodique de science occulte. Paris Dorbon-Ainé, 1891, Lettre d'Ad. Franck, pages IX-X]

Les utilitaires demandent à quoi sert tout cela, puisque après tout ce labeur des âges, nous ne savons, pas plus qu'aux époques lointaines, d'où nous venons, où nous allons, ni de quoi nous sommes faits. Peut-être bien même en savons-nous moins, et de cela il y aurait [page 601] à tirer une salutaire leçon d'humilité de notre condition présente et de respect pour ce passé qui nous a engendrés, inexactement qualifié de primitif par notre orgueil et notre ignorance. Et si l'on objecte que leur prétendue connaissance des lois de la vie n'a pas empêché ces grandes civilisations de mourir comme mourra la nôtre, c'est que sans doute une humanité condamnée à rouler sans trêve ni merci un rocher de Sisyphe ne doit vraiment pas être le dernier terme de notre évolution.

Marie-Anne de BOVET.

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