I - La famille Willermoz au XVIIIe siècle.bulletin lyon1906

Jean-Baptiste Willermoz descendait d’une famille francomtoise. Je dois les renseignements que je vais donner à M. Rocheix, le sympathique et savant archiviste de la ville de Lyon, qui a bien voulu fouiller pour moi les anciens registres de l’Etat civil avec un soin dont je le remercie.

A la fin du XVIIe et au commencement du XVIIIe siècles, un modeste ménage vivait à Saint-Claude. Le mari, Claude-Pierre Vuillermoz, exerçait la profession de maître sculpteur, c’est-à-dire qu’il travaillait le bois pour fabriquer les menus objets dont ce pays faisait déjà un commerce important. La femme se nommait Marie-Pierrette Chappelle. [129]

Le nom primitif s’écrivait Vuillermoz par un v et un u. Pendant le cours du XVIIIe siècle le Vu a été remplacé par un W. On écrit aujourd'hui Willermoz : orthographe que nous emploierons toujours (2).

A deux ou trois kilomètres de Saint-Claude à vol d’oiseau, à six ou sept kilomètres par les lacets d'un chemin montagneux, se trouvait la paroisse de Septmoncel (3), fort industrielle déjà, où les noms de Vuillermoz, et de Rolandez étaient fréquents. La population, d’après la tradition, y descendait en grande partie de colons espagnols. Et de fait elle y parle une langue plus sonore, qui diffère du patois des villages environnants. Les femmes y sont réputées pour leurs vives réparties ; les hommes pour leur esprit d’aventure et leur instinct de domination (4). Il se peut que Claude Pierre Vuillermoz vint de là. En tous cas la désinance de son nom, comme celle de celui des Dalloz, ses compatriotes (5), rappelle l’Espagne où les noms de ville sonnent comme des appels de clairon : Burgos, Badajos, Palos, Iznallos, Vinaroz, Palamos, Grédos, Ségueros, etc.

Si l’hypothèse est exacte, un lointain atavisme expliquerait certaines qualités de l’homme remarquable que nous allons étudier.

Deux fils de Claude-Pierre Willermoz vinrent se fixer à Lyon aux environs de 1720. — Le maître sculpteur [130] de Saint-Claude avait dû prospérer, car ses descendants s’établirent, dès leurs débuts, presque comme des gens qui ont pignon sur rue. Claude-Catherin Willermoz fut marchand mercier et son frère Claude-Henri, marchand « tablettier » (6).

Claude-Catherin épousa le 6 juillet 1728 Marguerite Valentin, fille de Jean Valentin, marchand à Crapone en Velay. L'époux avait 27 ans, la jeune femme 23 ans. Le contrat de mariage avait été reçu le 30 juin par M. Brissac, notaire à Lyon. La bénédiction nuptiale fut donnée dans la paroisse Saint-Pierre et Saint-Saturnin (7), probablement à Saint-Saturnin. Les deux églises étaient contiguës et ne formaient qu’une unité ecclésiastique. Parlant de Saint-Pierre, Le Febvre écrit en 1627 : « Tout touchant est l'église Sainct-Saturnin, dicte vulgairement Sainct-Sorlin, annexe et dépendance de Sainct-Pierre ; aussi est-ce là dedans qu’on administre les saincts Sacrements de Baptesme, de Mariage, etc., et qu’on faict les autres fonctions de Paroisse » (8). Son emplacement doit être cherché à l’angle des rues du Plâtre et Paul-Chenavard.

Trois fils naquirent de cette union, tous trois baptisés à la paroisse de Saint-Nizier : 1° Jean-Baptiste, le 11 juillet 1730 ; — 2° Pierre-Jacques, le 23 mai 1735; — 3° Antoine, le 17 octobre 1741 (il était né le [131] 15) (9). Il y eut aussi une fille, Claudine Chérye (10) qui jouera un cerain [sic] rôle dans l’histoire du Martinisme (11).

Le mariage fut célébré à Saint-Pierre; les baptêmes eurent lieu à Saint-Nizier. Dans l’intervalle, Claude Catherin a-t-il changé de domicile ? Il se peut que Marguerite Valentin, la jeune femme, se soit mariée à son domicile d’élection, chez son frère, dans le quartier des Terreaux.

Le commerce de mercerie fut situé d’abord rue Quatre-Chapeaux (12). Claude-Catherin Willermoz dut vivre là jusqu’à sa mort, survenue le 16 mai 1770 (13), avec ses fils devenus ses associés (14), à l’exception de Pierre Jacques qui alla faire ses études de médecine à Montpellier. Ce que nous savons permet de supposer que la famille, tendrement unie, vécut patriarcalement jusqu’au siège de Lyon dans une touchante communauté de travail et de croyances. Il est probable aussi que sa situation était devenue opulente, — car en 1752 le fils aîné entra dans la vie publique comme un bourgeois de qualité.

A cette époque, Jean-Baptiste Willermoz avait au [132] plus vingt-deux ans. —Déjà il paraissait avoir conscience de ses hautes destinées. Sa correspondance avec Martines de Pasqually et les phases diverses de son existence permettent de deviner son intéressante nature. En lui se trouvaient réunies les qualités presque contradictoires de deux races. D’abord l’aptitude pour les affaires. A peine échappé à la guillotine en 1793, il saura édifier, au milieu de la détresse générale, les assises d’une fortune nouvelle. L’homme pratique est aussi un idéaliste mystique, un chrétien très peu catholique qui voudrait renouveler le mythe de Prométhée et, sinon dérober le feu du ciel, du moins entrer en relations personnelles avec le Christ. Serait-ce l’effet de quelques gouttes de sang espagnol dans ses veines ? Il appartiendrait à la lignée des Thérèze d’Agréda et des Ignace de Loyola, sans quelques gouttes d’un sang populaire, sceptique et répondeur, comme celui de Panurge, qui a détruit en lui la foi du charbonnier. En son dernier état, il rappelle plutôt les anciens missionnaires anglicans qui excerçaient [sic] leur sacerdoce un coupon de marchandise dans une main, une Bible dans l’autre.