1905 - J. Bricaud - La Franc-Maçonnerie lyonnaise au xviiie siècle
Revue d'histoire de Lyon
Études, documents, bibliographie
Publiée sous la direction de Sébastien Charléty,
Professeur à la Faculté des Lettres de Lyon
Tome Quatrième – Année 1905
Lyon
A. Rey et Cie, Imprimeurs-Éditeurs
4, rue Gentil
1905
Pages 198-208
1905 - J. Bricaud (1881-1934) - La Franc-Maçonnerie lyonnaise au xviiie siècle (1)
1. Bibliographie. — Ragon, Orthodoxie maçonnique. — Papus, l'Illuminisme en France. — Martinisme, Willermosisme et Franc-Maçonnerie. — Franz Von Baader, les Enseignements secrets de Martines de Pasqually. — Correspondance de Saint-Martin, publiée par Papus — Notice historique sur le Martinésisme et le Martinisme, par un Chevalier de la Rose croissante. - Documents provenant des Archives de l'Ordre Martiniste et de l’Ordre maçonnique de Misraïm. — Manuscrits maçonniques de la Bibliothèque de la Ville
Pour une biographie de Jean Bricaud : Jean Bricaud (ou Joanny Bricaud)
Voir également l'article du Matin sur le site : 1910 - Une visite au Souverain Pontife de l'Église universelle, Joanny Bricaud
La date de l'introduction de la Franc-Maçonnerie à Lyon est très incertaine, la plupart des anciens documents ayant été détruits pendant le siège de Lyon. Toutefois, un document, datant du commencement du XVIe siècle, dit positivement que deux loges maçonniques écossaises existaient en France en 1535 : l'une à Paris et l'autre à Lyon [Année maçonnique des Pays Bas, 4e vol., p. 372.]. Ces loges maçonniques n'étaient alors formées que par des ouvriers-constructeurs réunis sous le nom de Fraternité des Libres Maçons, parce que, conformément à leur but, qui était de construire dans tous les pays d'Europe où le besoin s'en ferait sentir des églises et des monastères, le pape les avait déclarés, en tous lieux, exempts d'impôts et de corvées [Diplôme de Nicolas III, de 1277, confirmé par Benoît XII, en 1334.]. Les protégés du Saint Siège se répandirent rapidement en Allemagne, en France, en Normandie, en Bretagne, dans les Flandres et en Angleterre. Bien que disséminés, ils prirent soin de se communiquer les moindres perfectionnements apportés à l'art de bâtir. Leur correspondance fut, à ce sujet, des plus assidues, et l'architecture ogivale lui doit l'uniformité de son caractère autant que ses rapides progrès.
Au commencement du xviie siècle, une modification importante dans le fonctionnement de la Fraternité des Libres Maçons, changea le caractère essentiel de cette institution. [page 199]
Sous la poussée des idées libérales, les Libres Maçons avaient été amenés à recevoir dans leur association des non-constructeurs, des non-ouvriers. Ils prirent alors le nom de Fraternité des Maçons Libres et Acceptés ; et c'est sous cette appellation qu'après la dévolution d'Angleterre, en 1688, Jacques II l'importa en France au château de Saint-Germain-en-Laye, dont il fit sa résidence.
La Société avait alors pour but principal le rétablissement des Stuarts sur le trône d'Angleterre. Grâce aux Ecossais réfugiés en France, des loges se formèrent à Dunkerque d'abord, à Paris ensuite. L'aristocratie française accepta avec empressement ce mode d’association, propre à favoriser ses projets ambitieux, et la Franc-Maçonnerie se répandit avec une rapidité extraordinaire. Néanmoins, ce n'est que vers l'année 1725 qu'elle se propagea ans nos provinces [L’historien de la Franc-Maçonnerie, Thory, fait dériver la Maçonnerie lyonnaise de la Mère-Loge de Marseille, appelée plus tard Mère-Loge Ecossaise de France. Ce n'est pourtant qu'en 1743 que fut créé un pouvoir central maçonnique pour la France, sous le nom de Grande Loge de France et que le système templier fut créé à Lyon, d'après la réforme du chevalier de Ramsay (Acta Latomorum, p. 63).]
La Franc-Maçonnerie fut accueillie à Lyon avec tant d'empressement qu'en moins de dix ans sept loges y furent créées.
La première en date est la Parfaite Amitié, fondée le 24 juin 1753, jour de la fête de saint Jean-Baptiste, et qui siégea sans interception, bien qu'elle ne fût reconnue régulièrement constituée que le 21 novembre 1756 [Voir l'encadré ci-dessous]. Son Maître de loge ou Vénérable se [page 200] nommait Willermoz : la loge ne comptait alors que neuf membres. Deux ans plus tard, une nouvelle loge, la Sagesse, était constituée avec le Dr Jacques Willermoz, frère aîné du précédent, pour Vénérable. La troisième : l'Amitié, fut fondée en 1758, avec le Frère Grandon pour Vénérable, et pour Officiers, les Frères Gueidan, premier surveillant ; Meillan, second surveillant ; Bonnichon, orateur ; Legry, trésorier ; Barral, secrétaire et Warnet, maître des cérémonies ; mais sa constitution régulière date de 1775.
Encadré Voici l'acte qui mentionne la constitution de la Parfaite-Amitié. C'est à notre connaissance, le plus ancien document maçonnique de notre ville : « A la gloire du Grand Architecte de l'Univers et sous le bon plaisir de S. A. S. Mgr le comte de Clermont, prince de sang, très illustre et très respectable Grand Maître des Loges régulières de France et autres. Suivent les signatures des Maîtres de Loges. |
Le 20 mars 1760, les Maîtres réguliers des loges la Parfaite Amitié et l’Amitié décidèrent de créer une nouvelle loge : les Vrais Amis, qui eut pour Vénérable le frère Paganucci. Mais, des conflits s'élevèrent bientôt entre les loges. C'est pour les empêcher que les Maîtres des loges de Lyon décidèrent, le 20 avril 1760, de constituer une Grande Loge supérieure aux autres, capable de juger les différends et maintenir le bon ordre. Un projet de règlement fut rédigé et soumis à l'approbation de chacune des loges particulières. Elles le ratifièrent et nommèrent chacune un député afin de constituer la Grande Loge des Maîtres réguliers de Lyon.
Le Grand Maître de la Grande Loge de France, le comte de Clermont, l'autorisa, et, le 4 mai 1760, Irénée Grandon fut nommé Grand Maître de toutes les loges régulières de Lyon et de celles [page 201] qui demanderaient leur affiliation [Constitutions, délibérations, statuts et élections des officiers de la Grande Loge des Maîtres Réguliers de Lyon, établie en 1760 [Manuscrit grand in-folio, 142 ff. Catalogue Coste, n° 3570. Bbl. de la Ville.)]. Le brevet de constitution fut délivré le 18 juillet 1761.
Enfin, le 5 décembre 1762, sur l'initiative du frère Lenoir, horloger, la loge la Parfaite Amitié, qui existe encore aujourd'hui, fut Constituée et placée sous le contrôle de la Grande Loge des Maîtres réguliers.
Bientôt, ce fut un engouement général dans les hautes classes ; tout le monde voulut faire partie de la Maçonnerie. On y était attiré par la curiosité, les pratiques mystérieuses, le cérémonial étrange et l'attrait du plaisir, car certaines loges donnaient des fêtes splendides, des banquets où se rencontraient des gens de la haute société.
Malgré les brefs de Clément XII, condamnant et défendant les « sociétés, assemblées, réunions, associations et conventicules appelés Francs-Maçons », et de Benoît XIV, interdisant aux fidèles toute espèce de rapports avec la Franc-Maçonnerie, sous peine d’excommunication, le clergé régulier et séculier fournissait également un appoint très appréciable. La Maçonnerie avait même des représentants jusqu'aux pieds du trône, puisque le chef des Maçons français, le souverain grand maître de la Grande Loge de France, le comte de Clermont, était un prince du sang.
*
* *
Vers 1760, un protestant converti au catholicisme par Fénelon, le chevalier de Ramsav avait introduit en France un nouveau rite Maçonnique qui s'appelait, malgré les protestations de la Grande Loge d'Écosse : le Rite Ecossais, ou Rite Templier, parce qu'il se prétendait dépositaire de secrets remontant aux chevaliers du Temple. Le grand nombre des grades et des titres pompeux : « Maître illustre », « Chevalier de l'Aurore », « Grand Inquisiteur », etc., favorisèrent beaucoup le développement de ce rite, dont un chapitre fut établi à Lyon, en 1765. Il prit le nom de Chapitre des Chevaliers de l’Aigle Noir. Ses membres étaient [202] recrutés parmi les frères pourvus des hauts grades du rite français (Grande Loge de France) et il était au-dessus de la Grande loge des Maîtres réguliers. Ce fut le Dr Jacques Villermoz qui eut la direction.
En 1767, le rite Martiniste, fondé par l'oculiste Martinès de Pasqually, fut introduit à Lyon sous le nom de Rite des Elus-Coëns [Coën, mot hébreu qui signifie : prêtre.]. Ses membres ne se recrutaient que parmi les maçons possédant les plus hauts grades. Le Grand Maître de ce rite était Jean-Baptiste Villermoz [sic], frère du Dr Jacques Villermoz.
Peu après, le Chapitre des Chevaliers de l'Aigle Noir fusionnait avec la Grande Loge des Maîtres Réguliers.
Mais, à la même époque, en même temps qu'une scission au sein de la Grande Loge de France avait donné naissance au Grand Orient de France, un nouveau rite était importé d'Allemagne.
Ce rite, désigné sous le nom de Stricte Observance templière, avait pour fondateur le baron de Hund, qui avait imaginé, de concert avec un frère Marschall, ancien Grand-Maître provincial de la Grande Loge de Londres pour la Haute-Saxe, de rétablir l'ancien Ordre des Templiers, en s'appuyant sur la Franc-Maçonnerie, et de chercher à recouvrer les biens de cet Ordre. Le Grand Maître de la Stricte Observance templière, le duc Ferdinand de Brunswick (Ferdinandus a Victoria) venait d'envoyer en France plusieurs émissaires qui s'efforçaient de répandre ce rite.
Un frère de Weiler (Eques a Spica Aurea), muni des rituels, avait reçu l'ordre d'établir en France trois provinces. En moins de quatre mois, il en établit non pas trois, mais quatre, ayant pris sur lui d'en fonder une quatrième sous le nom de Septimanie.
Ces quatre provinces avaient chacune leur grand maître, placé sous la grande-maîtrise du duc Ferdinand de Brunswick.
Ce fut Jean-Baptiste Willermoz qui signa l'acte d'obédience en recevant la grande-maîtrise pour la province d'Auvergne, la seconde de l'ordre templier.
Son siège directorial était à Lyon, dans la loge la Bienfaisance, où le célèbre philosophe mystique Claude de Saint Martin fit une série de cours en 1774. Celui-ci tenta de dissuader Willermoz de s'inféoder à la Stricte Observance templière, mais sans succès, Willermoz constatant que Martinès de Pasqually, éloigné et malade, n'envoyait plus à ses Elus-Coëns de Lyon que de rares instructions, [page 203] et que les initiations magiques [Le Rite des Elus Coëns était un rite essentiellement occultiste et magique. Voir à ce sujet les travaux du Dr Papus : l'Illuminisme en France et Louis-Claude de Saint-Martin.] de Martinès ne donnaient aucun résultat, était alors découragé ; il avait cru bien faire en entrant sans plus tarder en relations avec cet Ordre de la Stricte Observance templière que l'on disait déjà si puissant et dont on racontait des merveilles.
L’affaire lui était, d'ailleurs, avantageuse : il recevait la grande-maîtrise provinciale d'Auvergne, dont la Bienfaisance devenait le centre directorial, et, en retour, cette loge prêtait son appui à l’Ordre templier pour faciliter à ce dernier une action sur la Maçonnerie française et particulièrement sur le Grand-Orient de France, qui venait de se fonder.
L’occasion semblait favorable. Plusieurs officiers du Grand-Orient étaient déjà gagnés à la Stricte Observance, particulièrement Bacon de la Chevalerie et l'abbé Rozier, qui occupaient des postes très importants pour la bonne conduite de l'entreprise ; le premier étant grand orateur et le second président de la Chambre des Provinces du Grand-Orient.
Martinès de Pasqually, inquiet de l'attitude prise par Willermoz et quelques autres dans le Grand-Orient de France, écrivit de Port-au-Prince, où il se trouvait, à Willermoz, pour lui demander des explications ; mais, quand arriva la lettre, au commencement de Novembre 1774, Martinès était mort (20 septembre), l’inféodation des Élus Coëns de Lyon à la Stricte Observance régulière était un fait accompli depuis le mois de mars de la même année [Lettres et documents classés dans les Archives du rite maçonnique de Misraïm (anciennes Archives Villaréal, D. XVII).]
Afin d'agir plus sûrement sur le Grand-Orient, les nouveaux affiliés à la Stricte Observance résolurent de rentrer dans la Grande Loge des Maîtres Réguliers.
Mais, afin de ne pas porter atteinte à l'autorité du Grand-Orient, il fut arrêté que cette association avec le rite templier allemand resterait dans la Grande Loge des maîtres réguliers comme un grade supérieur auquel on admettait seulement les frères qui en seraient jugés dignes, et les plus avancés en grade ; le Grand-Orient changea le nom de cette loge en celui de Grande Loge provinciale du Lyonnais. [page 204]
Le 4 février 1775, un traité d'union était passé entre la Stricte Observance templière et le Grand-Orient. Ce fut l'abbé Rozier qui réussit à faire accepter l'examen des propositions d'union présentées par les directoires templiers. Une Commission, composée des frères de Méry d'Arcy, d'Arcambal et Guillotin, avait été nommée le 4 février 1775 pour examiner ces propositions qui furent rédigées le 24 avril. On y disait « qu'il était de la justice du Grand-Orient d'adopter ce traité parce que les droits de suprématie du Grand-Orient lui étaient conservés, l'alliance étant proposée par les Directoires, lesquels se rendaient tributaires du Grand-Orient ». Mais on insérait au traité que les « Directoires conserveraient l'administration de leur rite et de leur régime, tout en ayant le droit de se faire représenter par des députés qui jouiraient de tous les droits et prérogatives des autres loges ». Ce traité fut scellé en 1767 lors du voyage du duc de Chartres, grand maître du Grand-Orient.
Cependant les protestations ne se firent pas attendre. Comme les loges du Grand-Orient n'avaient pas été consultées, un grand nombre d'entre elles déclarèrent formellement que le Grand-Orient de Paris n'était en aucune façon autorisé à conclure ce traité. Elles alléguaient des faits graves contre la plupart des membres des Directoires, montrant que ces membres n'étaient que des ambitieux, des transfuges qui avaient déserté le rite français, ou qui avaient essuyé les refus constants des loges du rite français. Elles prétextaient surtout qu'il ressortait du traité que les Directoires templiers deviendraient juges du Grand-Orient dont les loges ne pourraient jamais juger la Stricte Ordonnancé. La grande Loge provinciale de Lyon, notamment, excita un violent orage au sein du Grand-Orient.
Son député, l'abbé Jardin, y donna lecture d'un mémoire extrêmement violent contre les Directoires templiers et dirigé contre le Grand-Orateur Bacon de la Chevalerie, qu'il dénonçait comme favorisant la politique de la Stricte Observance au détriment du Grand-Orient.
Mais, il avait affaire à plus fort que lui. Bacon de la Chevalerie para le coup en faisant déférer le jugement au Grand-Maître lui-même, le duc de Chartres, qui signa, le 1er avril 1778, un décret, par lequel il déclarait la Grande Loge de Lyon rayée de la correspondance du Grand-Orient, si elle ne se rétractait pas dans un [page 205] délai de quatre-vingt-un jours, suspendait l'abbé Jardin de toute fonction maçonnique pendant quatre-vingt-un mois, et ordonnait la destruction par le feu de tous les documents et pièces concernant cette affaire [
Ces documents échappèrent, à la destruction, grâce aux maçons du Rite des Philalèthes, dans les Archives desquels ils furent conservés. Le Rite de Misraïm possède actuellement ces Archives.]
À ces violences arbitraires, la Grande Loge de Lyon répondit d’ abord qu'elle s'était décidée à agir par elle-même, parce que plusieurs de ses lettres étaient restées sans réponse, puis, peu après, se soumit.
Néanmoins, cette affaire fut le point de départ d'une nouvelle campagne contre les Directoires templiers, qui fut menée très secrètement par un parti de maçons fort au courant des menées templières : Les Philalèthes.
Ces maçons, dont la plupart avaient été fondateurs du Grand-Orient de France, inquiets des menées de la Stricte Observance dans le Grand Orient, établirent en 1773 un régime qu'ils opposèrent au régime templier. Ce fut la [sic] rite des Philalèthes ou des Amis de la vérité. Ce rite comptait presque tous les maçons instruits du Grand-Orient, non affiliés à la Stricte Observance. Ils s'efforcèrent de neutraliser l'influence des membres du Grand-Orient, affiliés au régime templier. En 1778, les loges de la Stricte Observance templière et la Grande Loge de Brunswick tenaient à Lyon leur premier et dernier Convent, désigné sous le nom de Convent des Gaules. Ce sont les manœuvres des Philalèthes auprès des membres de certains Directoires templiers, au sein desquels ils avaient de nombreux affiliés, qui le firent échouer. Ils obtinrent même le remplacement du rite templier par le Rite rectifié de saint Martin ; mais, on croit que ce reniement du système templier fut plus apparent que réel, car, comme par le passé, les Directoires rectifiés continuèrent à recevoir leurs instructions et leurs ordres de la Grande Maîtrise de Brunswick.
Les loges de la Stricte Observance n'étaient pas révolutionnaires. Leurs membres étaient partisans du despotisme éclairé. Ils estimaient que les temps d'une Révolution n'étaient pas encore venus. [page 206]
Encadré Rappelons que le Convent des Gaules, réuni à Lyon du 25 novembre au 10 décembre 1778, est l’œuvre de Jean-Baptiste Willermoz qui créa le Régime Écossais Rectifié dont le but est de : « rétablir l’unité de la Maçonnerie française sur un fondement initiatique véritable, basé sur le caractère perfectible de l’homme, le conduisant de son état imparfait inné vers la perfection de son être. Cette source, puisée dans le Christianisme Primitif, J-B Willermoz la développe sous l’influence de la Stricte Observance, mouvement templier allemand, mais aussi et surtout au contact du célèbre théosophe et thaumaturge Don Martinez De Pasqually ». Voir : - Le colloque organisé par la Bibliothèque municipale de Lyon : Les 240 ans du Convent de Lyon (1778-2018). |
*
* *
Vers 1781, le célèbre Cagliostro était venu à Lyon. Il y revint en 1784 et chercha à y répandre son Rite Maçonnique Egyptien qu'il venait de fonder, et à faire des prosélytes.
N'ayant obtenu aucun succès auprès de la loge du Parfait-Silence, il s'adressa à la loge la Sagesse où il recruta une douzaine d'adeptes. Avec le concours de ces disciples, il fonda, avec un pompeux cérémonial, une superbe loge qu'il appela la Sagesse Triomphante. Cette loge, qui devait avoir la primauté sur toutes les autres loges de ce rite, ajoutait à son titre celui de Mère-loge de la Haute-Maçonnerie Egyptienne. La cérémonie d'inauguration fut d'une magnificence extraordinaire et dura deux jours. Vingt-sept frères y assistaient. Le vénérable était Saint-Costart.
Lors du Convent des Philalèthes, en 1785, l'élu-coën Dessalles, s'étant rendu à Lyon auprès de Saint-Costart, en rapporta la promesse que Cagliostro viendrait au Convent s'il y était convoqué. Mais, en dépit des promesses de Saint-Costart, Cagliostro refusa d'assister au convent. Il se contenta d'envoyer une lettre dans laquelle il déclarait qu'il ne prendrait part aux travaux des Philalèthes qu'autant que ceux-ci se feraient au préalable initier au Rite Egyptien de Lyon et détruiraient leurs archives ! Cette lettre fut suivie d'une autre, écrite par la loge de Cagliostro, la Sagesse triomphante, insistant pour que le Convent se pliât aux exigences de Cagliostro. Mais les Philalèthes n'avaient nullement l'intention de brûler leurs archives ; ils refusèrent et invitèrent seulement les membres du rite Egyptien à assister au Convent. Ceux-ci répondirent : « Qu'ils étaient obligés de se conformer aux règles prescrites par le chef inconnu de la Maçonnerie véritable », et ils s'abstinrent.
La même année, le 27 juillet 1785, la mère Loge du Rite Ecossais philosophique de France, sous le nom de Saint Alexandre d’Ecosse et Contrat Social réunis, décréta qu'elle ne reconnaissait pas le Rite Egyptien de Lyon et qu'il serait adressé une circulaire aux loges et aux chapitres du régime philosophique pour les inviter à se garantir des novateurs en maçonnerie, « lesquels sont d'autant plus [page 207] dangereux qu'ils éloignent les véritables maçons du but auquel ils doivent tendre ».
Ce convent des Philalèthes est le dernier qui ait offert quelque intérêt.
Celui qu'ils tinrent en mars 1787 dans l'hôtel de Savalette de Langes, rue Saint-Honoré, ne réunit que très peu de maçons. Son président, le frère Savalette, fut forcé d'interrompre les séances, de déclarer le convent définitivement clos. La lettre, un peu triste, qu'il adressa aux assistants parlait du manque de zèle des membres convoqués ; c'était par politesse ou par amitié, non par un véritable intérêt, qu'on venait rarement d'ailleurs, pour peu de temps, aux assemblées du convent ; il comprenait à son grand regret qu'il était non seulement prudent, mais même nécessaire d'y renoncer.
Il semble qu'il y ait en effet, à cette époque, un certain ralentissement dans les travaux maçonniques. L'approche de la Révolution pèse sur les esprits, et le président de la Chambre des Provinces du Grand-Orient de Paris, l'abbé Rozier, effrayé par les bruits révolutionnaires, se retire à Lyon [Où il devait être tué lors du bombardement de la ville en 1793.]
De son côté, le philalèthe, Savalette de Langes, après le manifeste du duc Ferdinand de Brunswick (25 juillet 1792), s'étant présenté à la municipalité, à la tête d'une troupe de volontaires armés et équipés par lui, en demandant que l'on décrétât la levée en masse, donna une somme de 1650 livres pour l'équipement des trois cent mille volontaires de la République.
La Révolution força la plupart des loges maçonniques à se dissoudre. Le Grand Orient de France vit ses archives dispersées et la majeure partie de ses officiers victimes des excès révolutionnaires. Une seule de ces loges, la loge du Centre des Amis, continuait, à Paris, ses réunions. Les Philosophes Ecossais, les Philalèthes, et les Élus-Coëns étaient obligés de suspendre leurs assemblées et de détruire toute correspondance qui eût pu sembler suspecte au Comité de sûreté générale. Parmi les Philalèthes, les uns, comme Savalette de Langes, étaient aux armées ; d'autres, comme de Gleichen, de Bray avaient quitté la France ; d'autres enfin, comme Roëttiers de Montaleau, qui avait remplacé l'abbé Rozier au Grand Orient, ou de Saint-Léonard, étaient emprisonnés comme [page 208] suspects. Et si quelques Élus-Coëns, dont d'Eprémenil, Amar et Prunelle de Lierre, qui avaient voté le bannissement de Louis XVI, siégeaient encore aux Assemblées, tous les autres, comme Salzac, de Calvimont, l'abbé Fournié, d'Ossun, de Bonnefoy, avaient disparu, ou émigré.
À Lyon, les quatorze ou quinze loges en activité ne pouvaient plus réunir leurs membres disséminés par la Terreur [Voici le nom des loges en activité à cette époque : les Amis de la Vérité ; la Sagesse ; le Parfait. Silence ; la Sincère Union ; les Vrais Amis ; Saint-Jean de Jérusalem ; la Parfaite Harmonie ; la Sincère Amitié ; Saint-Jean du patriotisme (loge militaire) ; la Régularité ; la Paix ; la Grande-Loge Provinciale ; la Candeur ; la Bienfaisance (Directoire templier)].
Les Directoires de la Stricte Observance, du duc de Brunswick, n'étaient pas plus heureux. Celui d'Auvergne voyait sa loge-mère, la seule qui fût encore en activité, la Bienfaisance de Lyon, fort maltraitée par le siège. Les bombes pulvérisaient les archives provinciales que Willermoz n'avait pas eu le temps d'emporter de la loge, située hors des murs ; elles détruisaient la plupart de celles déposées dans la ville et tuaient l'abbé Rozier.
La ville vaincue, Willermoz fût arrêté et emprisonné ; son frère, Jacques, exécuté, ainsi que l'avocat du roi, Willanès, le comte de Virieu, et quelques autres maçons qui avaient servi dans l'armée lyonnaise. En même temps, le Grand Orient de France était déclaré dissous et sa Grande Maîtrise vacante, en raison de l'abdication de son titulaire, le duc d'Orléans.
JOANNY BRICAUD.
Source gallica.bnf.fr / BnF : 1905 - J. Bricaud - La Franc-Maçonnerie lyonnaise au xviiie siècle