1921 03 11 LAvenir1921 - L’Avenir, 11 mars 1921 

Toutes les informations en toute indépendance

Vendredi 11 mars 1921, n° 1094, page 1

1, rue des Italiens
Paris

Petites chapelles - Ordre martiniste et synarchique

Dans le dernier fascicule d’une petite revue spiritualiste aux « Avis et Communications », je lis ceci :

L'Ordre Martiniste et Synarchique a repris officiellement ses travaux… Sa première tenue a été consacrée à l’inauguration solennelle et rituélique du Suprême Collège de Synarchie initiatique d'0ccident... Toute formation martiniste, non reliée au Directoire Suprême, sera considérée comme irrégulière, est., etc...

Et c’est signé :
Pour le Directoire Suprême,
Victor Blanchard,
Souverain Grand Maître de l’Ordre Martiniste et Synarchique.

On aime les majuscules chez les zélateurs de Martinis [sic] de Pasqually, illuminé qui vécut aux alentours de 1770, et dont le disciple le plus illustre fut Claude de Saint-Martin, auteur, vers 1780-1790, de livres mystiques, parus d'abord sous la signature du « Philosophe inconnu ». Ainsi, cette petite note, abondante en grandes lettres, nous informe que le Suprême Collège de Synarchie a repris ses travaux, ces jours-ci...
- Et alors ?...

Je pense irrésistiblement à un dessin de Gavarni [pseudonyme de Sulpice-Guillaume Chevallier (1804-1866)] représentant un pauvre hère en train de lire son journal, assis sur un banc de jardin public... « Lord Drymonth a rouvert ses salons de Kenigstone  Square. Toute la « gentry » se pressait à cette brillante soirée. Reconnus lord Trafalgar, lady Stecenson, le barronnet Balmoral… Ici le bougre s’interrompt et dit : Mais… qu’est-ce que ça peut me fiche ?... »

Pareillement, semble-t-il que la reprise des travaux du Directoire Suprême de l’Ordre Martiniste n'ait point une universelle importance. Il est vrai. Cependant, n’est-on pas un peu interloqué à penser que dans ce présent où n’est bruit et fracas, dans le monde, que de stocks, prévarications, baisse de prix sur le blanchissage, inflations, menaces de mobilisation et krachs de grandes banques, un monsieur s’affuble du titre de Souverain Grand Maître, et qu’un groupe d’hommes se réunisse sous la souveraine grande maîtrise pour philosopher synarchiquement ?...

Or, de ces groupements mystérieux, confidentiels, dont quelques initiés savent seuls l’existence, de ces groupements bizarres, à noms ronflants, pompeux, grandioses, à tendances mystiques, ésotériques, spiritualistes, et, le plus souvent ordonnatrices ou régénératrices du genre humain… il en est des foules !... Je n’ai point prétention ici de tenter une dissertation aiguë sur les rapports qui se pourraient établir entre le pullulement de tels groupes et les affaires générales de notre temps. Dieu garde ! comme disent les paysans corses. Je veux seulement indiquer qu’en marge des mœurs courantes, maintes sectes fleurissent et quelques-unes non sans un spacieux épanouissement.

Il me fut donné de découvrir l'autre semaine, dans une petite rue du XVe arrondissement une église consacrée au culte du Suédois Swedenborg. Dans le même arrondissement habite le très distingué M. Oswald Wirth, ex-secrétaire et ami de de Stanislas de Guaita, et qui fut l'un des plus féaux chevaliers de l'Ordre de la Rose-Croix, dont de Guaita était le restaurateur et le Grand-Maître. Or M. Oswald Wirth dirige une revue : le Symbolisme, qui ne s’atteste rien moins que l’Organe du mouvement universel de régénération initiatique de la Franc-Maçonnerie. C’est donc, ou M. Oswald Wirth exagère, qu’il y a, là aussi, un « mouvement universel » … Mais, sans aller bien loin de là, à Auteuil, vous trouverez sous la direction de M. Albert Jounet, lequel aux beaux temps du symbolisme, fut mage sous le nom d’Alber Jhonney, la Synthèse, « société d’Harmonie universelle »… Ah ! nous verrons souvent l’Univers pris à partie par ces sociétés. Et comment en pourrait-il aller d’autre sorte ? Leurs doctrines fondamentales, à toutes, ne sauraient leur faire lever le petit doigt sans mettre en jeu le cosmos, Dieu, le sens secret des Trônes, des Dominations, et leurs effets sur nos lois, nos entreprises et nos destins ! Non loin du carrefour Buci se trouve le siège des Amitiés Spirituelles, centre des « Conférences Sédir » … Sédir est un mystique, peut-être le plus pur mystique de ce temps, et qui va par le monde, prêchant le Salut du monde par l'amour en Jésus, le Christ véritable, non point tout à fait celui du catéchisme, encore que ce soit le même, mais le Christ compris par-delà le sens donné aux foules, par-delà les symboles... Par ailleurs, il y a l'Université du Sphynx, dont le siège est à Nice, et que dirige l'alchimiste-philosophe Jollivet-Castelot. Il y a la Société Théosophique, dont le temple, monument imposant et grandiose, est situé avenue Rapp. Mais ici, nous approchons des Sociétés importantes, authentiquement « universelles » ! Celle-là a des affiliés à travers toute la terre, et qui se chiffrent par plusieurs centaines de milliers… […]

Je reste éperdu, pantelant, éberlué, du nombre des Dieux qu’on adore en 1921, de Swedenborg en qui, dans le XVe, on adore le Second Avènement de Jésus, au Père Antoine du XIIIe, de Martinis de Pasqually, dont le culte se pratique rue de Suffren, dans le VIIe, du Christ hétérodoxe de Sédir, dans le VIe, au Christ bouddhique de la Société de l’avenue Rapp !

André Arnyvelde (1881-1942) [anagramme de André Lévy.]

 bouton jaune Source Rétronews : 1921 - L'Avenir, de Paris - Petites chapelles