1822 - Dictionnaire historique, critique et bibliographique
contenant les vies des hommes illustres, célèbres ou fameux, de tous les pays et de tous les siècles,
suivi d'un dictionnaire abrégé des mythologies, et d'un tableau chronologique des événements les plus remarquables qui ont eu lieu depuis le commencement du monde jusqu'à nos jours.
Par une société des gens de lettres
Tome vingt-quatrième
A Paris
chez Ménard et Desenne, Libraires,
rue du Git-le-Coeur, n°8
1822
Article Saint-Martin (p.100-101)
SAINT-MARTIN (Louis-Claude), né à Amboise, le 18 janvier 1743, d'une famille distinguée par ses services militaires, obtint une lieutenance dans le régiment de Foix. Son caractère tranquille, son amour pour la solitude, son recueillement presque continuel ne pouvaient s'accorder avec l'activité des camps et le tumulte des armes ; aussi, après cinq ou six ans de service, il demanda et obtint sa retraite. A cette époque, il réunissait à la connaissance des langues anciennes celle des principaux idiomes de l'Europe, et il en profita pour voyager en Allemagne, en Suisse [Saint-Martin ne voyagea jamais ni en Allemagne, ni en Suisse], en Angleterre et en Italie. Livré tout entier aux idées métaphysiques, il resta trois ans à Lyon, où il vécut solitaire, presqu'inconnu, gardant le silence, et ne le rompant qu'avec un très petit nombre d'amis. Il se retira ensuite à Paris, où sa vie paisible et obscure le mit à l'abri des fureurs de la révolution. Elle le trouva impassible ; sans crainte, comme sans enthousiasme, n'approuvant ni ne blâmant rien avec excès ; son âme, repliée sur elle-même, ne parut jamais oublier un moment les idées philosophiques qui lui étaient chères. Une grande douceur, l'exercice de la bienfaisance, une simplicité de mœurs extraordinaire, des connaissances variées, le goût de la musique et des autres arts, le don d'intéresser sans paraître y prétendre, lui acquirent des amis et même des admirateurs. Il est mort à Aunai [sic pour Aulnay], dans la maison du sénateur Le Noir-la-Roche, à l'âge de près de 60 ans.
Saint-Martin doit sa réputation au livre intitulé des Erreurs et de la vérité, ou les hommes rappelés au principe universel de la science. Quelle est cette science ? Elle est inconnue, incompréhensible pour des lecteurs vulgaires ; mais ses disciples appelés Martinistes, du nom de leur maître, l'entendent sans doute, puisqu'ils la révèrent. Tout au moins, l'auteur pourra passer pour le Lycophron de la métaphysique. Les profanes ont cherché à donner diverses explications de ce livre, qui parut en 1775, in-8° ; et il en est même qui ont prétendu qu'il traitait de la constitution et de l'extinction des jésuites, et que, par le mot cause universelle, il fallait entendra leur père général. On a imprimé, à Londres, en anglais, un ouvrage en 2 vol. comme une suite de celui de Saint-Martin mais ce dernier n'y a eu aucune part, et cette prétendue suite, dit-on, n'a aucun rapport avec la base du système et les opinions de l'auteur. Saint-Martin a encore publié : I. Un volume in-8°, sous le titre de Tableau de l'ordre naturel. Comme il était un peu moins obscur que le précédent, il a obtenu moins de succès ; car les énigmes sont toujours recherchées par un grand nombre de lecteurs. II. De l'esprit des choses. III. Ministère de l'Homme-Esprit. IV. Eclair sur l'association humaine ; dans cet écrit, [p.101] l'auteur, se plaçant hors de la nature, cherche les fondements du pacte social dans le régime théocratique, et les communications entre Dieu et l'homme. V. Le livre rouge. VI. Ecce Homo. VII L'homme de désir. VIII. Le Cimetière d'Amboise. IX. Le Crocodile, ou la Guerre du bien et du mal arrivée sous le règne de Louis XV, poème épico-magique en 102 chants, dans lequel il y a de longs voyages sans accidents qui soient mortels ; un peu d'amour sans aucune de ses fureurs ; des grandes batailles sans une goutte de sang répandu ; quelques instructions sur le bonnet de docteur, par un amateur de choses cachées, 1799, in-8°. Cet ouvrage est le chef-d’œuvre de l'obscurité ; vainement en connaît-on la clef, et sait-on que madame Jof est la Foi, Sedir le Désir, Ourdeck le Feu : il ne reste pas moins inintelligible. X. L'auteur a encore traduit de l'allemand en français les Principes ; l'Aurore naissante, et autres ouvrages de Boehm. M. Tourlet a interprété les idées générales de Saint-Martin. Il ne voit point tout en Dieu comme Malebranche ; au contraire, Dieu voit tout en l'homme qui est son image, et l'homme actuel ne connaît Dieu qu'en réformant sa propre image dégradée. Saint-Martin se plaisait à lire Rabelais pour son amusement, et Burlamaqui pour son instruction. Il dit qu'il avait puisé dans cet auteur, dès sa jeunesse, le goût de la méditation, qu'il conserva toujours. La meilleure de ses maximes, ou du moins la plus claire, était celle-ci : « Il est bon de jeter continuellement les yeux sur la science, pour ne pas se persuader qu'on sait quelque chose ; sur la justice, pour ne pas se croire irréprochable ; sur toutes les vertus, pour ne pas penser qu'on les possède ».
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