1867.Essais critiques sur la littérature Barthélemy1867 - Essais critiques sur la littérature contemporaine

par Édouard de Barthélemy (1830-1888).

les livres nouveaux.
Série 3-4 séries

Paris

Librairie académique Didier
Libraires-Éditeurs
35, quai des Augustins

1867

Extrait de l’Avant-Propos :

« Nous rassemblons, pour la troisième fois en volume, des articles publiés dans la Gazette du Midi ; ce Recueil embrasse les principales publications depuis le commencement de l'année 1862, et nous ne pouvons demander pour lui que la continuation du bon accueil fait à ses devanciers. »

VIII. 31 Janvier 1863. Pages 60-68

1862 Matter[Nous avons ajouté entre crochets les références des citations qui proviennent du livre de J. Matter, Saint-Martin, le philosophe inconnu, sa vie et ses écrits, son maître Martinez et leurs groupes, d'après les documents inédits, ou de celui de Louis-Claude de Saint-Martin, Mon portrait historique et philosophique (1789-1803), publié dans Œuvres posthumes, Tours, Letourmy, 1807, pp.1-139 ou par Robert Amadou, Julliard, 1961.]

Article publié précédemment dans la Gazette du Midi.

Saint-Martin, le philosophe inconnu, sa vie et ses écrits, son maître Martinez et leurs groupes, d'après les documents inédits, par M. Matter, conseiller honoraire de l'Université, 1 vol. in-8° Didier. 1862.

1852 CaroOn connaissait peu, avant la curieuse étude, publiée il y a une dizaine d'années par M. Caro, l'existence de ce mystique philosophe, dont le nom presque seul avait percé, ou plutôt le surnom ; car c'est surtout du « philosophe inconnu » que l'on s'occupait, sans cependant avoir jamais pu comprendre ni même déchiffrer tous ses mystérieux ouvrages. M. Matter a été frappé par cette ligure intéressante et originale, par cette vie si pure et si sereine, au milieu de tant d'orages, si détachée en face de tous les attachements les plus vifs et les plus impérieux. Quand, autour de lui tout est passion ou violence, persécution ou peur, Saint-Martin est sûr, calme, aimant. désintéressé le sage en personne.

« Et il l'est, non pas de par sa nature, mais par sa volonté et sa raison. » [Matter, p.VIII]

1862 MatterUn tel caractère est bien fait pour attirer l'attention et donner envie d'étudier de près l'homme au milieu du monde et de ses relations. M. Matter a été plus heureux encore ; car il a eu la fortune de rencontrer d'assez nombreux documents inédits sur Saint-Martin, notamment une correspondance considérable avec diverses personnes justement estimées, comme le comte de Divonne, Maubach, Mme de Bœcklin, le baron de Giebisdorff [sic pour Liebistorf] et d'autres dont nous lirons les noms dans la rapide esquisse que je vais essayer, à mon tour, de tracer de la vie du « philosophe inconnu.

Louis-Claude de Saint-Martin, naquit le 18 janvier 1743, à Amboise, au sein d'une pieuse famille ; il perdit sa mère peu de temps après sa naissance, mais il eut le bonheur de trouver dans sa belle-mère [page 61] une femme bonne et aimante qui l'éleva comme son propre enfant et lui imprima la meilleure direction religieuse et morale. Sa jeunesse se passa comme celle de tous les enfants de son âge, quoique dans les espèces de Mémoires qu'il nous a laissés sous le nom de Mon Portrait, il nous apprenne gravement qu’il changea sept fois de peau pendant le temps qu’il demeura chez sa nourrice. Du collège il passa à l'école de droit, mais s'y occupa beaucoup plus de philosophie que de législation, puisqu'à l'âge de dix-huit ans il pouvait assurer avoir lu tous les philosophes à la mode.

Saint-Martin acheva cependant ses études et, pour obéir à son père, accepta la charge d'avocat du roi au présidial de Tours : il nous raconte seulement que sa réception y fut peu brillante, puisqu'il « y versa des larmes plein son chapeau. » La façon dont il remplit ses fonctions répondit malheureusement au début.

« Je n'ai jamais pu savoir, avoue-t-il lui-même, pendant six mois, qui, dans une cause jugée, avait gagné ou perdu son procès, et cela après plaidoiries, délibérations et prononcé du président entendus. » [Portrait, §207]

Le jeune magistrat demanda donc la faveur d'une démission et échangea la robe contre l'épaulette, non parce qu'il aimait la carrière militaire

« il détestait au contraire la guerre au nom de tous ses principes et de toutes ses affections. » [Matter, p.5 qui fait allusion à Mon Portrait, §952 : « J'abhorre la guerre, j'adore la mort. »

choiseulMais cette vie lui plaisait cependant et il crut pouvoir y continuer plus facilement ses études favorites, celles de la religion et de la philosophie. Très protégé par le duc de Choiseul qui aimait sa famille, il obtint facilement un brevet d'officier au régiment de Foix et rejoignit ce corps à Bordeaux où il tenait alors garnison : il y rencontra dès les premiers jours un homme qui devait exercer une influence décisive sur sa vie , « le grand hiérophante d'initiations secrètes », Martinez de Pasqualis, qui avait formé une école importante et comptait des adeptes dans toutes les grandes villes.

On n'a jamais connu précisément la doctrine de cet israélite devenu chrétien : on a dit qu'elle consistait en un mélange de gnosticisme et de judaïsme christianisé, nourris tous deux dans la kabbale. M. Matter ne le nie pas et déclare que Martinez fut à la fois [page 62] contemplatif, extatique et théurgiste, mais assurément très peu chrétien ; quant à sa doctrine proprement dite, elle est beaucoup trop compliquée et obscure pour que j'ose même essayer d'en donner ici la moindre idée : on s'y perd et parfois on se demande si on a affaire à des gens jouissant de tout leur bon sens. Saint-Martin, après quelque hésitation, tombe complètement sous le charme et devient l'un des disciples le plus ardent du célèbre illuminé : quand le changement de garnison l'envoya d'abord à Lorient, puis à Longwy, il n'en demeura pas moins dévoué, et enfin en 1771 il quitta le service. M. Matter fait remarquer que cette détermination coïncida avec le renvoi du parlement par le ministère Maupeou, et qu’à partir de ce moment Saint-Martin abandonna ses convictions dynastiques, assez pures, pour embrasser ce qu'on appelait les idées nationales. On ignore où il se fixa d'abord, mais on sait que sa démission nouvelle n'amena aucun refroidissement entre lui et ses parents et qu'il avait de nombreuses relations alors à Lyon et à Paris où il était lié avec quelques Martinésistes éminents comme le comte d'Hauterive, l'abbé Fournié, Cazotte et la marquise de la Croix. Tous les quatre étaient mystiques au plus haut degré : on en aura une idée suffisante, je pense, en apprenant qu'on croyait sérieusement dans cette société que le comte d'Hauterive avait la faculté de se dépouiller de son corps et de le laisser sur terre pendant son ascension mystérieuse.

Saint-Martin avait parfaitement réussi dans les salons de Paris : une figure expressive, de bonnes manières de gentilhomme, une grande distinction, une réserve pleine de bon goût le produisaient avec avantage ; il aimait, de plus, le monde et y était à sa place. Une page de son Portrait résume ses relations, au moment où Martinez s'éloigna de France et où Saint-Martin devint réellement le chef de son école.

« Notre société à Paris était moitié spirituelle, moitié humaine : les Modène, les Lauran, les Turpin, les Montulé, les Suffren, les Choiseul, les Ruffé, la respectable vieille mère de Lusignan, morte en trois heures sans jamais avoir été malade ; les Puymaudan, le Nieul, les Dulau, dont le nom de la fille fait époque dans mon esprit ; les Bélabre, l'abbé de [page 63] Dampierre, le jeune Clermont, le vieux bonhomme La Rivières, MM. de Worms et de Marjolai, M. Duvivier d'Argenton, l'abbé Daubez, M. de Thiange, cordon-rouge et grand maître de la garde-robe de Mgr le comte d'Artois ; les Crisson, le chimiste Sage, le généalogiste Chérin, fort sur l'histoire ; les Culan, les La Côte, les des Ecottais, la maréchale de Noailles, les Flavigny, les Tezan, les Montaigu, enfin la très fameuse famille Rico de Dombez. » [Portrait, §267]

C'est chez Madame de Lusignan que Saint-Martin avait fait ces connaissances, et c'est dans ce centre qu'il professait et qu'il était écouté avec une singulière faveur. Cette faveur encore et on voit avec quel soin il s'efforçait, tout en demeurant parfaitement homme du monde, de devenir surtout un utile et persuasif missionnaire : il se fit ainsi écouter de la marquise de Clermont-Tonnerre, de Mmes de Bezon et d'Apenoi, et arriva même aux sceptiques par excellence ; le duc d'Orléans, Souffler et Richelieu. En 1775, Saint-Martin se rendit eu Italie, mais il y demeura peu : il séjourna ensuite à Toulouse où il fut même deux fois question de mariage ;

« mais, dit-il, tous ces projets se sont évanouis, comme tous ceux qui n'ont tenu qu'aux choses de ce bas monde. » [Portrait, §282]

Duchesse de Bourbon wikipédiaEn 1775 il vint alors à Versailles où Richelieu le protégeait plus sérieusement que ne le comportait la frivolité de ses habitudes légères ; il voulait l'aboucher avec Voltaire ; la mort dispensa ce dernier de la vérité de l'illuminé qu'il goûtait peu, mais qu'il se résignait à recevoir par gracieuseté pour le maréchal. En revanche, Saint-Martin devint alors l'ami intime, « le directeur spirituel de la duchesse de Bourbon, » et trouvait également un puissant concours dans l'amitié de la Marquise de Chabannais.

Le métier de missionnaire devait forcer naturellement Saint-Martin à voyager ; il alla d'abord deux fois à Lyon, en Angleterre et s'y créa, par l'entremise du prince Repnin, de hautes relations en Russie ; en Allemagne, à Harbourg, où il séjourna et se trouva en plein centre savant et mystique, avec un cercle de quelques femmes de grande intelligence, Mmes de Bœcklin, d'Oberkirch, de Fronck, de Rosemberg, la comtesse Potocka : l'auditoire féminin lui était indispensable . La première de ces dames avait une [page 64] puissance absolue sur lui et développait à la centième puissance ses tendances mystiques, aussi, disait-il très franchement

« Il y a trois villes en France dont l'une est mon Paradis, et c'est Strasbourg, l'autre est mon enfer (Amboise), et l'autre est mon purgatoire (Paris). » [Portrait, §282]

Mais il ne faudrait pas se tromper sur les liens qui unissaient Madame de Bœcklin à Saint-Martin :

« Le grand moyen employé par le magicienne, dit M. Matter, ce fut absolument le même qu'en chrétienne convaincue et sévèrement conduite par les épreuves, elle emploie aussi dans sa correspondance avec son amie, la baronne de Razenried : la parole des textes sacrés gravés dans sa mémoire par l'éducation de sa jeunesse, parole qu'elle ne cessait de lire et quelle cite, devenue mystique et catholique, comme aurait pu le faire la huguenote la plus biblique de XVIe. » [Matter, p.168]

« Au milieu de l'année 1792, le père de l'heureux philosophe, effrayé par la marche des évènements, le rappela à Amboise et les lettres de la « chérissime amie 13 » purent seules adoucir son exil. Moins d'un an après, il perdit son père et il eut ensuite à subir quelques ennuis de la police républicaine, qui trouvait ses relations et sa correspondance extrêmement suspectes, quoiqu'il s'observât soigneusement et qu'il eût même offert quelques dons patriotiques sur l'autel de la très besogneuse nation. Il se consola en redoublant d'ardeur pour le travail et multipliant sa publication que M. Matter reconnaît souvent assez difficile à comprendre. Il revint un moment à Paris, en 1794, pour entrer à l'école Normale mais l'année suivante le revoyait à Amboise d'où il s’éloignait souvent pour aller aux environs à Petit-Bourg, chez la duchesse de Bourbon, à Champlâtreux [résidence de Mme de Clermont-Tonnerre], à Sombreuil, chez sa cousine, et à Montargis » [Matter, p.201].

En 1794, Saint-Martin demeura assez longtemps à Paris et s'y créa de nouvelles relations ; parmi ces nouvelles connaissances, il faut citer Gilbert, Maubach, Gombaut, le comte de Divonne, de Géromols [sic pour Gérando] ; il publia alors son poème satyrique du Crocodile , avec deux derniers travaux mystiques : l'Esprit des choses et le Ministère de l' homme fort [sic pour Le Ministère de l’homme-esprit]. Deux grandes figures apparaissent à la fin de sa vie la comtesse d'Albany et la baronne de Krudener ; il vit aussi [page 65] une fois Chateaubriand ; il mourut enfin à Aunay, chez le comte Lenoir de la Roche, le 13 octobre 1803, à l'âge de 60 ans à peine.

« Ce fut un coup d'apoplexie qui mit une douce fin à cette belle existence, laissant au pieux philosophe quelques moments pour prier et pour adresser de touchantes paroles à ses amis accourus. Il les pressa de vivre dans l'union fraternelle et dans la confiance en Dieu. C'est en prononçant ces paroles, religieusement recueillies par M. Gence, et empreintes d'un certain cachet de fraternité mystique, que s'endormit l'homme éminent que M. de Maistre appelle le plus instruit, le plus sage et le plus élégant des théosophes. Sa carrière pouvait se clore. Il avait vu les plus grandes choses qu'on puisse voir en aucun temps ; il avait passé, âme forte et sereine, par de rudes épreuves, et avait accompli de notables travaux. Ni la gloire du monde, ni la fortune n'avait salué sa vie, et à ses yeux elles ne l'eussent pas même embellie ; mais il avait goûté les plus douces et les plus profondes de toutes les puissances ; aimé de Dieu et des hommes, il avait beaucoup aimé lui-même et beaucoup plus espéré de l'avenir que du présent.» [Matter, p.341]

Telle fut la vie du philosophe inconnu. Je voudrais maintenant parler avec quelques détails sur sa doctrine. M. de Saint-Martin a laissé d'assez nombreux ouvrages qui n'ont pas été beaucoup lus ; sa personne, en revanche, a été vivement appréciée et recherchée, et il a exercé en réalité une incontestable influence dans la société du dernier tiers du XVIIIe siècle.1855 Causeries du lundi T10

« En face du monde encyclopédique, comme l'a dit M. Sainte-Beuve, il s'est lui-même défini le défenseur officieux de la Providence. Il est jusqu'à un certain point le précurseur de de Maistre, mais dans un esprit et avec un souffle assez différent. » [Sainte-Beuve, « Saint-Martin, le Philosophe inconnu », dans Les Causeries du Lundi, T. X, 1854, p.235

Saint-Martin était profondément pieux et ardent à s'avancer dans la voie de la perfection : il aspirait franchement à la sainteté et conserva cette pensée dominante jusqu'à sa dernière heure ; sa vie en a pris un cachet d'idéalité vraie qui tient assurément, avant tout, au mysticisme, à la théosophie et à la théurgie elle-même ; mais qui ne fait pas moins de Saint-Martin un des types les plus saillants du dernier siècle, le type de la moralité la plus ambitieuse qui se [page 66] rencontre dans l'histoire. Pour bien apprécier ce singulier mélange d'éléments mystérieux, il faut apprécier le rôle joué par ces trois puissances dans la vie du philosophe inconnu, autant cependant que le permet l'incessante variabilité de l'homme. Les trois dénominations se rapprochent singulièrement : le mystique se confond aisément avec le théosophe, le théosophe quelquefois avec le théurgiste, et tous les trois fraternisent volontiers avec l'inspiré, avec le prophète, avec le clairvoyant et avec le thaumaturge. En théorie, au point de vue scientifique, ces classes diverses se distinguent, mais dans l'usage elles se mêlent et se ramènent toutes à quelques principes qui se résument dans la révélation mystique, l'extase, la communication surnaturelle et de prétendus dons miraculeux.

Saint-Martin n'a pas admis ces caractères divers et qui prêtent au mysticisme un aspect souvent fortement empreint de charlatanisme ; il appartient à la classe des mystiques qui repousse ces secours dits surnaturels, ces phénomènes extraordinaires et qui ne visent qu'à une seule chose, le perfectionnement moral ; il ne semble pas faire le moindre cas de tous ces phénomènes et de ces pompes mystagogiques, et cependant en même temps il obéit à toutes les exigences de la théosophie traditionnelle, aux plus fortes aspirations du mysticisme. C'est un mystique qui se combat lui-même et lutte pareillement contre la théosophie et théurgie ; il veut arrêter la mysticité à une juste limite et pousser la théosophie jusques à la plus extrême exaltation de la grandeur divine.

« Si donc, remarque M. Matter, tout examen fait de ses nobles aveux et de ses aspirations énergiques, constantes et souvent parfaitement éclairées, nous n'arrivons pas à une solution du problème que présente la prétention générale des mystiques et des théosophes à des états privilégiés au moyen de l'opinion précise que nourrit Saint-Martin sur ces états, la solution du problème sera, sinon impossible, du moins fort difficile. » [Matter, p.349]

Or, c'est à cette dernière conclusion qu'il faut arriver, car Saint-Martin ne voyait pas beaucoup plus clair en lui-même que nous dans ses ouvrages et ses confidences; il ne s'attribue aucune révélation extraordinaire, trop religieux pour [page67] cela, quoique cependant nul n'eut été, ce me semble, plus digne que lui parmi les théosophes de cette possession surnaturelle ; il était trop sérieux philosophe pour s'assimiler à ceux qui écrivent, en quelque sorte, sous la dictée du ciel. Mais s'il ne faisait nullement montre de la persistance pour ainsi dite publique de ces choses, il les sentait en dedans de lui et n'en jouissait pas moins ; il s'est cru incontestablement le favori de Dieu.

On a dit que

« sa théologie reposait sur une révélation personnelle et qu'il n'y avait pas un dogme de religion révélée ou naturelle que cet esprit hardi n'ait touché à sa manière. » [Matter, p.352]

La seconde de cette assertion est fondée. En cela Saint-Martin n'exerçait qu'un droit commun, droit sinon de foi, du moins de raison. Quant à la première de ces assertions qui a plus de portée, je n'en trouve pas de preuves. Saint-Martin s'assimile aux prophètes et aux apôtres, cela est vrai, et c'est trop sans doute, mais c'est pour les œuvres seulement qu'il se lance dans ce parallèle ; ce n'est pas pour la théopneustie. Il s'attribue des lumières spéciales sur chaque dogme, cela est encore vrai ; mais c'est de ses maîtres ou de la bénédiction divine qu'il tient ces lumières, nous dit-il. Jamais il n'affecte des prétentions à une théopneustie miraculeuse, qui aurait pour but de développer ou de modifier d'anciens dogmes, et encore moins d'en établir de nouveaux. En résumé, Saint-Martin était un illuminé, un mystique qui touchait, par l'exagération de ses sentiments intérieurs, à la folie ; car il était convaincu que le Verbe dirigeait chacune de ses actions, sûr de se maintenir dans le monde de façon à y être un des heureux les plus heureux, quoi qu'il nous ait dit le plus philosophique chant au sujet des prospérités de la terre :

1807 SM Portrait« Ce n'est point à l'audience, dit-il encore, que les défenseurs officieux reçoivent le salaire des causes qu'ils plaident, c'est hors de l'audience et après qu'elle est finie. Telle est mon histoire et telle est aussi ma résignation de n'être pas payé dans ce bas-monde. » [Mon Portrait, §1099]

C'est une erreur : tout sourit à Saint-Martin ; on le recherchait dans tous les salons ; hôte de la duchesse de Bourbon, ami du prince de Montbarey, il passait de douces années et pouvait ainsi changer ces belles paroles qu'il s'appliquait :

« à [page 68] quiconque abandonne pour moi père ou mère, maison, et, il lui sera donné dix fois autant, » [référence à  Matthieu, 19 ;29]en celle-ci, « en place des maisons quittées pour le service de Dieu, il lui avait été donné d'habiter des palais. » [Matter, p.448]

Il me reste à peine la place d'adresser de sincères éloges à l'auteur de cette biographie. M. Matter l'a rendue curieuse, intéressante, lucide et en a composé un récit qui éclaire très utilement un côté très peu connu de l'histoire du siècle dernier.

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