Michaux expose 20 gouaches pour la première fois du 3 au 23 juin 1937 à la Galerie Paul Magné Ancienne Pléiade, 73, boulevard Saint-Michel à Paris. Puis du 4 au 14 novembre 1938 à la Galerie Pierre, 2, rue des Beaux-Arts à Paris, Michaux expose ses gouaches. Le carton d’invitation précise :

« Peintures nouvelles de Henri Michaux - UN POÈTE SE CHANGE EN PEINTRE. »

C’est en 1939, chez GLM, que paraît Peintures. Ce livre est préfacé par Louis Chéronnet. Michaux joint un texte sous forme de « mini-bibliographie » « Qui il est ». On trouve 16 illustrations de l’auteur, reproduites en noir (des gouaches sur fond noir), don’t 7 sont accompagnées d’un poème. Ce sont : ; Tête, Clown, Paysages, Prince de la nuit, Dragon, Combats, Couché.

En 1946, paraît Peintures et dessins aux Éditions du Point du jour comportant quarante trois illustrations en noir et en couleur, avec un avant-propos En pensant au phénomène de la peinture, et des légendes empruntées aux textes poétiques de l’auteur, 128 pages. Ce livre est accompagné d’une exposition organisée par Bertrand Gheerbrant à la librairie La Hune (26 novembre - 15 décembre 1946).
Sont ainsi présentées les œuvres suivantes :
La paresse, Les émanglons, Tête, Combats, Couché, Au pays de la magie, Clown, Prince de la nuit, Dragon, Crier, Toujours son moi, Sphynx, Une tête sort du mur, Entre centre et absence, Dans la nuit, Ecuador, Mes propriétés, Mes propriétés (suite), La face à la bouche perdue, Je vous écrit d’un pays lointain, Repos dans le malheur, Au lit, La vie double, La crodillera de los andes, Eux, Éducation, Les masques du vide, Un palan, Emportez-moi, La ralentie, Les signes extérieurs, Arbre des tropiques, Alphabets, Alphabets (suite), La paix des sabres, Les hommes en fil, Ceux qui sont venus à moi, Ceux qui sont venus à moi (suite), Trahison du corps, La nuit remue, L’insigne rendez-vous, La statue et moi, Plume. Et Un tout petit cheval.

Extraits - BAATSCH Henri-Alexis, Henri Michaux, Peinture et poésie, Hazan 1993.


"... [Henri Michaux] commence sa première série, dite les Fonds noirs, qui s’épanouit en 1937-1938. « Le noir est ma boule de cristal. Du noir seul, je vois la vie sortir », dit-il alors. En 1938 il expose pour la première fois à Paris, et en 1939 paraît Peintures, recueil de seize Fonds noirs accompagnés de sept poèmes ».p. 122.
« A cette époque, quand une image picturale, une image à deux dimensions lui paraît réussie, il lui donne ou lui laisse donner un titre, qui paraît venir en écho à ce qu’elle représente au premier abord (sans pour autant avoir voulu représenter), un titre qui ne la tire pas vers l’irréalité qu’elle porte en elle, mais qui souligne plutôt l’identité entre la vision intérieure et l’image sensible : le Prince de la Nuit, L’Arène, Combats, Dans la nuit... Ce sont là des titres qui évoquent une scène qu’elles retracent, avec des personnages et des lieux, un théâtre de formes fugitives venues d’un flux constant de conscience, projetées dans l’espace, et dans un laps de temps rapide, fixées sur le papier par l’acte de peindre, par le simple mouvement rituel du pinceau, qui note alors des impressions et des effets comme la plume écrit des lettres, des caractères et finalement compose des mots signifiants ». p. 124

« ... et rares seront les peintures, comme celles dites sur « fond noir » des années 1937-1938, qui accepteront les mises en place classiques de la « représentation », proposant nommément un spectacle.
Une telle série, pourtant, a existé ; c’est à elle que nous devons les spectres colorés du Prince de la nuit, du Clown, de la Cordillera de Los Andes, autour des années 1937-1939, ou la troublante colonne et volute brune d’Atlante qui semble se nourrir de la consumation d’espace. Visions imaginaires que l’on pourrait dire surréalisantes parce qu’elles représentent malgré tout quelque chose, ne quittent pas tout à fait le terrain d’une réalité désarticulée mise en peinture, avec l’évident contraste du rêve où l’âme s’est tout absorbée et du dérisoire de l’esquisse. Elles s’éloignent pourtant de cet esprit parce qu’elles ne cherchent pas à imposer une image forte, qu’elles se contentent d’être celle-ci. Leur auteur, par ses titres - rares ou suggérés par ses amis - qui paraissent lui être soufflés par la nécessité où il est d’apprivoiser ces nouveaux objets, comme par ses « sans titre », cherche à dire leur point de départ et non celui de leur visée ». p. 17.

Extraits : PACQUEMENT Alfred, Henri Michaux - Peintures - Gallimard 1993 - p. 26-27.

« Le bizarre Michaux » , ainsi qu’il est encore qualifié dans le texte d’accompagnement, [1] aborde cette fois la couleur et, dans cette première série d’œuvres qu’il juge suffisamment abouties pour les montrer publiquement, va faire surgir de fonds noirs, des paysages féeriques, un bestiaire fabuleux à la beauté magique, don’t « l’impression de jamais vu » , notée par René Bertelé, tient sans doute autant au pouvoir hallucinatoire qu’à sa particularité dans le contexte artistique de l’époque.

« Certes Paul Klee s’est justement servi fréquemment de la couleur noire en guise de fond dans les années 20 (à l’exemple de « Um den Fisch », 1927, du Museum of Modern art de New York), mais nul ne saurait dire si Michaux s’est inspiré d’une méthode relativement fréquente dans l’art surréaliste pour mieux traduire une vision onirique ; s’il s’est souvenu des arts décoratifs extrême-orientaux ; ou si plus simplement le hasard a joué son rôle comme le laisse supposer un passage d’Émergences-Résurgences (« Pourquoi, dit quelqu’un, ne pas peindre plutôt sur fond noir ? »). Peu importe, car ce ne sont pas les méthodes plastiques qui comptent, mais cette faculté d’apparition des figures ou des paysages surgis de la nuit. Du « jamais vu » en effet, car les images, pourtant réalistes, semblent évanescentes, tirées d’un néant où elles pourraient bien retomber aussi vite. La figure humaine, réduite à quelques traits colorés, voit souvent le visage se dédoubler comme celui d’un fantôme intérieur. Les allusions à ce thème privilégié abondent dans les écrits de l’époque. Impossible de ne pas évoquer ici le passage du texte essentiel de Michaux sur la peinture où est précisément décrit ce dédoublement du visage : « Derrière le visage aux traits immobiles, déserté, devenu simple masque, un autre visage supérieurement mobile bouillonne, se contracte, mijote dans un insupportable paroxysme » [2]. Voici l’acte de peindre transformé en opération alchimique, le noir, « boule de cristal » de l’artiste, tandis que la dimension poétique de ces petites compositions se trouve renforcée par les jumelages qu’en propose Michaux dans son opuscule Peintures en 1939. Ainsi baptisés, cette figure énigmatique assise sur une sorte de trône devient « Prince de la nuit » , ce bouquet enflammé un « dragon », cette forme enchevêtrée quelque peu chinoise, l’image de « Combats » venus d’ailleurs. Les rêves de La nuit remue ont trouvé leur prolongement rétinien en une ronde de nuit d’où le peintre « voit la vie sortir » .

« Cette émergence de l’image, venue du noir comme pour en symboliser les commencements, va accompagner tout l’œuvre peint d’Henri Michaux en une alternative à l’élaboration de signes inconnus, annoncée par les premiers « alphabets ». Au contraire de ces derniers, tendant vers l’abstraction, les fonds noirs évoquent une réalité, certes impalpable, mais que les mots peuvent clairement décrire, grâce aux titres donnés par Michaux, ou à la simple reconnaissance des figures.
« [...] Le noir restera, à travers l’emploi privilégié de l’encre de Chine, la couleur par excellence don’t Michaux fera bientôt surgir ses figures en mouvement et ses foules agitées. »

NOTES

1. - M. A. Pacquement fait allusion au texte de présentation de l’exposition parisienne de H. Michaux dans la Galerie Pierre du 4 au 14 novembre 1938 « Un poète se change en peintre » que l’on peut lire dans le premier extrait de la Chronologie par Raymond Bellour et Ysé Tran et don’t le carton d’invitation est reproduit dans l’ouvrage de A. Pacquement, p. 26. [Note du Rédacteur].
2. - Henri Michaux - En pensant au phénomène de la peinture in Passages - Paris, Gallimard 1950, 1963.