In memoriam Christian Boutin (1933–2015)

Christian Boutin, notre collègue, notre ami, notre maître, nous a quittés il y a maintenant 6 mois des suites d’une longue maladie qu’il a affrontée avec dignité, courage, pudeur à l’image de sa personne. Cette période de silence était sans doute nécessaire pour contourner la peine et contenir le chagrin. C’est en écrivant ces quelques mots que je me rends compte que je n’avais pour ainsi dire jamais prononcé son prénom. Il était pour moi « Monsieur » avec tout ce que ce mot représente de respect et dans ce cas d’indéfectible affection. Quelques jours avant son départ, au téléphone, il s’enquérait des choses de la vie dont il était gourmand et surtout des personnes tout en masquant, avec élégance et un humour constant, fatigue et lassitude afin de ne pas alarmer. Une fois encore il se préoccupait de son interlocuteur qu’il sentait inquiet en rassurant, conseillant comme il l’avait toujours fait dans sa vie professionnelle mais également bien au-delà parfois dans des moments difficiles, toujours tourné vers l’autre, vers les autres.

gr5Il est d’usage en de pareilles circonstances de dresser le panégyrique de la personne et de surcroît lorsqu’il s’agit d’un grand patron de médecine. Cela paraît presque futile s’agissant de Christian Boutin tant le médecin, l’enseignant, l’homme rayonnaient et étaient connus de tous et à sa juste valeur. Il est presque en effet de sens commun de rappeler ce que le médecin, le chercheur, a apporté à notre communauté dans le domaine des maladies de la plèvre et de la thoracoscopie bien évidemment mais également en général dans le cheminement de la réflexion scientifique [1, 2, 3, 4]. À l’heure où la recherche n’était pas encore sous le diktat du « petit p significatif », la démarche scientifique clinique à ses yeux était portée par un simple trépied regroupant « Observation », « Hypothèse » et « Démonstration ». Ce raisonnement, dont il ne s’est jamais départi, a permis l’évolution au fil du temps des outils d’exploration de la cavité pleurale avec le développement et l’amélioration des optiques et autre matériel dont témoigne la chronologie de ses écrits dans ce domaine et qui ont fait de la thoracoscopie une « fenêtre ouverte sur la cavité pleurale » [5] (Figure 1). Cette technique permettait une exploration fine de la plèvre et d’observer au plus près, par exemple chez les malades présentant un mésothéliome pleural malin, que l’atteinte de la plèvre viscérale par le processus néoplasique grevait lourdement le pronostic, évaluation déterminante dans la démarche thérapeutique ainsi que pour l’information aux patients et aux aidants [6]. C’est par l’observation de l’apparition de nodules pariétaux sous-cutanés développés au niveau des portes d’entrée du thoracoscope, plus rarement des sites de ponction pleurale, que l’intérêt d’une radiothérapie cutanée prophylactique a été préconisée afin d’éviter ce type de complications douloureuses et réfractaires aux traitements, concept de radiothérapie prophylactique qui, quoique remis en question, fait partie intégrante des recommandations actuelles dans la prise en charge du mésothéliome pleural malin [7, 8].

Ses travaux sur le mésothéliome pleural malin allaient de pair avec l’étude des maladies environnementales et professionnelles dues à l’amiante auxquelles il consacra de nombreux travaux et qui généra de nombreuses collaborations dès le début des années 1980 et qui sera un des fils rouges de son activité médicale [9, 10, 11]. C’est par l’observation des « tâches noires », dépôts d’anthracose sur la plèvre pariétale (black spots des anglo-saxons), que l’hypothèse de la présence de fibres d’amiante présentant les critères des fibres oncogènes décrites par Stanton, a été démontrée en réalisant des biopsies à ce niveau et sur le poumon en regard avec analyse minéralogique faisant suspecter l’origine du mésothéliome au niveau de la plèvre pariétale [12]. Cela a été à l’origine du concept de traitement intra-pleural du mésothéliome pleural malin par l’utilisation de cytokines, telles que l’interleukine-2 et l’interféron-γ qui dans le cas de lésions débutantes (évaluées par thoracoscopie) donnaient des réponses objectives spectaculaires [13, 14].

Christian Boutin a été un ardent défenseur du talc administré en pulvérisation par voie pleurale comme agent symphysant dans le cas des pleurésies néoplasiques ou des pneumothorax récidivants malgré une forte opposition, essentiellement anglo-saxonne, qui mettait en avant la dangerosité du talc et notamment des complications respiratoires à type de syndrome de détresse respiratoires aiguë. Visionnaire et fort d’une expérience clinique quotidienne, il a montré que les préparations de talc contenant des particules calibrées pouvaient être utilisées en toute innocuité avec une efficacité faisant de cette technique une prise en charge de référence dans ces situations [3, 15, 16]. Des publications ultérieures multicentriques par des équipes internationales sur de grands nombres de patients ont corroboré depuis ces résultats et la discussion concernant la dangerosité du talc est actuellement close.

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Christian Boutin était un maître au sens strict du terme, personne qui dominait son art et qui l’enseignait. Le congrès international de Marseille en 1980, dédié à la thoracoscopie et qui a réuni plusieurs centaines de spécialistes de tous les horizons, a représenté le congrès véritablement fondateur des bases de cette technique et le catalyseur pour les pneumologues et les médecins en général de l’intérêt pour les maladies de la plèvre. Marseille a été, dès lors et au fil des ans sous son égide, le lieu de l’enseignement de la thoracoscopie et un véritable « terrain de stage » pour des pneumologues (parfois chirurgiens) du monde entier. Des centaines de médecins ont pu participer aux « cours de thoracoscopie » et un véritable réseau s’est créé qui perdure encore actuellement dans le même esprit. Il est vrai que peu de noms sont liés de façon aussi étroite à une technique médicale.

Maître auprès de tous et maître à la faculté de médecine de Marseille où il a été pendant de nombreuses années assesseur du doyen et a eu une importante activité dans le domaine pédagogique auprès des étudiants qu’il affectionnait par-dessus tout et pour lesquels il était toujours à l’écoute et avait le conseil juste. Chef de service à la fois craint et apprécié, à l’écoute de tous les membres de son équipe, sans concession cependant mais à l’esprit ouvert, sans préjugés et capable même d’accepter à ses côtés un collaborateur aux cheveux longs et à la présentation un peu iconoclaste en ces temps.

Cette ouverture d’esprit n’était autre que le reflet d’un humanisme extrême, d’une intelligence supérieure servie par une culture sans défaut. Difficile de retranscrire la portée de ses remarques toujours passionnantes car érudites et souvent malicieuses au cours d’une balade sur le lac Balaton ou au plus près des chutes du Niagara, voire au musée égyptien de Berlin devant le portrait de Néfertiti (dont une photo exceptionnelle qu’il avait réalisée ornait son bureau), ou encore avec son service au cours d’une randonnée sur le Mont Bégo commentant les peintures rupestres dont il connaissait parfaitement l’histoire et la signification. L’image, toujours l’image !…

Son amour de la médecine n’avait d’égal que celui de sa famille nombreuse qu’il chérissait et de ses autres passions la montagne et la photographie. Certains, qui l’ont moins connu, seraient sans doute surpris d’apprendre qu’il fût pendant plusieurs années Instructeur d’Escalade au Club Alpin Français, les alpes où il se réfugiait de manière obligatoire dès l’approche de l’été. Photographe, beaucoup plus qu’amateur, il a plusieurs fois exposé ses travaux et j’ai un souvenir particulier d’une exposition à Marseille intitulée « des Calanques aux Écrins » où ses photos avaient fait l’admiration des visiteurs et sa passion était palpable jusqu’à tard au petit matin (Figure 2 a et b).

livreSon amour de l’image conjuguée à son investissement dans le domaine de l’histoire de la médecine à travers l’Association des amis du patrimoine médical de Marseille (AAPMM – Président : Pr J.-L. Blanc) dont il fût un des co-fondateurs a donné lieu à un livre sublime intitulé La Santé au fil du temps , véritable « Mémoires instrumentales de la médecine » selon les propos de l’ancien président de cette association le Pr. Yves Baille, son ami depuis l’internat (Figure 3) [17] ( cliquez ici ).

Il est, vous en conviendrez, toujours délicat, inconfortable, voire douloureux de parler publiquement d’un être cher lorsque l’on sort du domaine professionnel et on ne sait jamais où mettre le curseur de la séparation. Le meilleur moyen pour cet homme et médecin créatif, qui était somme toute un « passeur » d’expérience tant humaine que professionnelle et de le laisser s’exprimer par cette image de son fait et qui je trouve le résume bien et que tout le monde gardera à l’esprit (Figure 4) et ses propos qui caractérisaient ce médecin au plus juste.

« L’éthique moderne s’interroge sur la représentation du corps malade, recherche les causes de la dévastation de l’organisme, rejette toute contradiction et se tourne délibérément vers un avenir dénué d’incertitude scientifique et de risque thérapeutique. Le passé était plein d’erreurs on n’y veut plus penser… Chercher du sens au sens est donc notre objectif : enclencher une réflexion à plusieurs niveaux, expliquer pourquoi il ne faut pas avoir peur du passé : il faut conserver les collections anciennes et chercher à les comprendre. L’Éthique, qui a remplacé la morale de nos anciens, doit faire effort pour passer le message qu’on n’est pas plus intelligent maintenant que jadis et que l’objectif de la médecine est toujours de faire progresser les connaissances et de soulager le malade.. »
La santé au fil du temps

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