1933.La Liberté

1933.la.liberte1933 - Les sept têtes du Dragon-Vert. La Liberté du 2 mai 1933

Sommaire
    - Présentation
    - Précision
    - Le dessous des cartes

Présentation

À partir du 28 avril 1933, La Liberté publie, en feuilleton, l'ouvrage de Teddy Legrand, Les sept têtes du Dragon-vert, publilé la même année aux éditions Berger-Levrault. La Liberté le présente ainsi :

 « Lorsque, voici sept ans, parut en librairie le premier ouvrage de LUCIETO : EN MISSIONS SPÉCIALES, ce fut un tel succès que les Éditions Berger-Levrault décidèrent immédiatement de créer une collection spéciale, LA GUERRE DES CERVEAUX, consacrée aux seuls ouvrages de cet auteur.
Débutée avec son premier livre, elle se serait terminée avec son dernier ouvrage si le destin n'en avait décidé autrement. En effet, quelques semaines avant sa mort, que rien ne faisait alors présager. Charles Lucieto disait soudain à son éditeur d'un ton grave contrastant avec sa belle humeur habituelle :
Si je disparaissais prématurément, ce qui est toujours possible, car trop de gens ont intérêt à ce que je ne continue pas ma tâche, il y a un homme qui pourrait la poursuivre mieux que quiconque.
Cet homme, c'est TEDDY LEGRAND, actuellement, je crois, en mission spéciale à la frontière du Hedjaz, le seul qui ait réussi à damer le pion à la fameuse FRAULEIN DOKTOR, à l'ESPIONNE DU KAISER. S'il se décidait jamais à parler, que de dessous mystérieux de l'histoire contemporaine il pourrait éclairer ! ... C'est la primeur du premier ouvrage de TEDDY LEGRAND.


 Précision

Lors de sa réédition aux éditions Energeia, le descriptif précisait :

« Ce livre est à la fois un roman policier, d’espionnage, un “thriller” comme on dit maintenant – un livre à suspens., – où un certain humour n’est parfois pas absent, apportant un peu d’air frais au milieu d’un climat angoissant de mystère et de menace, et d’une mise en perspective de faits réels, de révélations véritables, du “dessous des cartes” de l’Histoire. Et, surtout, au-delà du roman, Les sept têtes du Dragon Vert furent une œuvre des services de renseignements français de l’entre-deux-guerres – du “2e bureau”. ‘’En 1933 le service de renseignement français avait facilité la publication d’un roman d’ésotérisme et d’espionnage, Les sept têtes du Dragon Vert, signé du pseudonyme de Teddy Legrand (.) – Intelligence on Line, 23 octobre 2008“.
Derrière Les sept têtes du Dragon Vert, et le pseudonyme de l’auteur, Teddy Legrand – nous le révélons aujourd’hui – se cachait ici un journaliste, écrivain et officier au 2ème bureau français, qui devait, deux ans plus tard, donner sa vie “pour la France, en service secret“, ayant accepté malgré la menace pesant sur lui de poursuivre une mission qu’il jugeait un devoir : enquêter, alerter la France – et le monde – des dangers qu’ils couraient, tenter de les prévenir – ces dangers, et, comme agent – les combattre. Son nom ? Xavier de Hautecloque. »


 NOS ENQUÈTES - Les sept têtes du Dragon-Vert - Le dessous des cartes - I (Suite)

La gloire d'or, l'espèce d'auréole qui entourait, jusqu'à présent le visage ascétique du saint anachorète de Sarof avait disparu, laissant voir une large surface d'argent noirci, sur laquelle luisaient quelques mots, gravés au moyen d'une pointe.

Jolie leçon d’humilité !

Depuis quatorze ans, cette icone se trouvait en ma possession sans que j'eusse jamais songé qu’elle pouvait avoir un secret et Nobody, en quelques touches...
[Il s’agit de l’icone orthodoxe de saint Séraphin que possède James. Cette icone lui fut donné par Médvieff, quand il était le pope Tikhine. Cf. Le dessous des cartes, la photo et l’icone, La Liberté. 1er mai 1933, p.5]. 

À l'école, Teddy, mon ami !

Sous la lumière de la lampe, l'inscription, quoique égratignant à peine la surface du métal, était aisément déchiffrable.
Les inscriptions, en fait, plutôt !
La première, tracée sûrement par une main de femme nerveuse, comportait quatre initiales suivies d'un signe, puis de sept mots écrits en anglais correct :

S.I.M.P. * The green Dragon You were absolutely right.

La deuxième, masculine celle-là consistait en deux mots seulement, avec une faute d'orthographe : To late, ce qui veut dire : trop tard !

Il fut un temps où ce qui touche à l'ésotérisme constituait, en quelque sorte, mon violon d'Ingres.
Aussi me fut-il fort aisé de reconquérir mon prestige aux yeux de mon vieux camarade, visiblement embarrassé par le début énigmatique de la plus longue des inscriptions.

The green Dragon, etc., je comprends bien, parbleu, le sens littéral du texte ! grommelait-il, tandis que sa figure rougeaude se plissait sous l'effort mental.
« Cela signifie : Dragon vert ou Hydre verte, à votre choix, et : Vous aviez pleinement raison.
« Mais que viennent faire là ces six points, comme un double insigne maçonnique ? Et quelle formule représentent cet S, cet M, cet I, ce P ? Je me suis déjà copieusement cassé la tête là-dessus, depuis ma petite visite d'avant-hier.

— Il s'agit d'une société autrement secrète, répondis-je, que celle des Enfants de la Veuve.
Ces six points schématisent, mon vieux, le fameux Sceau de Salomon, une figure cabalistique — deux triangles équilatéraux entrelacés — qui constitue la « signature » du Martinisme.

Nobody me considéra avec un intérêt réel.

— Je croyais, fit-il, que cette secte qui, si je ne m'abuse point, joua, dans l'ombre, un rôle capital, vers 1789, dans la Révolution française, dont elle fut, selon Thackeray, l'initiatrice véritable, avait disparu totalement en 1795, une fois sa besogne achevée !
— Pour ma part, je suis convaincu, répondis-je, que son influence se manifesta de nouveau en 1830 chez nous, puis en 1848. Il y a toujours eu des disciples de Martinez de Pasqualy et de Louis-Claude de Saint-Martin parmi les promoteurs occultes des bouleversements de régime.
« L'historien qui s'attacherait à étudier leurs élargissements éclairerait d'un singulier jour les dessous des événements d'où résulta la République...
« ...Quoi qu'il en soit, Me Philippe, dont il s'agit là — je frappai l'icône violée du bout des ongles — fut bien, incontestablement, et pendant plus de cinq ans, le vrai maître de toutes les Russies ! »

— Me Philippe, le thaumaturge, cet ancien tripier qui tirait les ficelles de Nicolas II et que Raspoutine supplanta ! C'est lui S. I. M. P. (S. I. M. P. Supérieur Inconnu, Maître Philippe) ... six points ?
— Oui, ce sont sous ces initiales que le désignent ceux qui savent ; Georges Louis (Ambassadeur de France d'avant 1914), tenez, notamment, qui ne sut point l'utiliser et Paléologue (3) qui comprit — mais trop tard — l'immense parti qu'en aurait pu tirer la France...

… Étrange figure, en vérité, que ce Nizier-Anthelme-Philippe, petit charcutier savoyard, venu tenter fortune à Lyon, qui — présenté par Manouilov, agent secret de l’Ohkrana, sous les auspices du mage Papus (Le docteur Encausse qui, en 1890, « recréa » l'ordre Martiniste, dans le même temps que le Sar Péladan ressuscitait les Rose-Croix, et ce n'est point-là, qu'on m'en croie, une simple coïncidence.), au couple impérial à Compiègne (Le 20 septembre 1901.) — devait devenir, peu après, l'arbitre secret des destinées d'un empire de cent millions d'hommes.
… Imposteur et indicateur de la police diplomatique, hypnotiseur et charlatan, selon les ennemis acharnés que lui valut, à Saint-Pétersbourg, son autorité exclusive, prédominante, sur les hôtes crédules de Tsarskoie-Sélo ?
… Envoyé de Dieu, détenteur d’une puissance supra-normale, voire incarnation du Christ pour ceux-là qu'il fanatisait ?

Il n'est point douteux, en tout cas, qu’il disposât d'une influence inimaginable, absolue, sur le ménage, assez spécial, de « Nicky » et d'Alexandra, — qui se désolait à l’époque, de ne pouvoir avoir de fils, — du jour où son intercession valut un héritier au trône.

Mon opinion, à moi, est faite sur l'être d'exception qui repose au cimetière de Logasse, à Lyon, et dont une illustre famille — dont il ressuscite l'enfant (Cf. Sédir : « Quelques amis de Dieu » (Legrand, éditeur à Rouen), selon des témoins authentiques — continue à entretenir plus que magnifiquement la tombe.

Nobody fit pensivement sauter dans sa paume étalée l'auréole d'émail doré tombée sur le siège du fauteuil.

— Existe-t-il quelque rapport entre la gloire de saint Séraphin, le sceau secret de Salomon et le swastika maquillé de la maison Ipatiev ?
« Sommes-nous en présence de deux clefs qui peuvent ouvrir la même porte ?
« Qu'est-ce que c'est que ce Dragon vert ?
« Qui donc avait tellement raison ?
« Et pourquoi était-il trop tard ? »

Ces six questions, je venais, moi, de me les poser, mentalement, dans des termes à peu près semblables.
Aussi, lorsque après un silence James s'enquit d'un air détaché : « Je suppose que l'ethnographie va vous laisser quelques loisirs ? » répondis-je sans hésitation :

— Assez, si vous voulez de moi, pour que je retienne nos deux places, pour ce soir, dans l'Orient-Express.

« Le Phanar (Résidence à Constantinople du patriarche œcuménique ; le Vatican des Orthodoxes.) m'attire, moi aussi ! »
(À suivre.)

Teddy LEGRAND.
(Copyright by Teddy Legrand. Tous droits de traduction et de reproduction réservés.)