2009.L Auta2009 - La « Présidente » du Bourg

L'Auta : que bufo un cop cado més

Organe de la société les Toulousains de Toulouse et amis du vieux Toulouse

Gérant P. Mesplé

1 janvier 2009

Extraits, pages 19-24

Précisions : Source de cet article : Gallica BnF - Société des Toulousains de Toulouse

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La « Présidente » du Bourg, Une femme éclectique au XVIIIe siècle

Sous la direction de Madame Christine Dousse, professeur à l’université de Toulouse-Le-Mirail, deux étudiantes, Amandine Touzid (1) et Anne Mariotto (2), ont soutenu récemment leur mémoire de Master I d’Histoire sur la famille Dubourg (ou du Bourg) ayant vécu au XVIIIe siècle, à Toulouse.

S’agissant de ma famille, elles m’ont fait part de leurs recherches, souhaité connaître les lieux où elle avait vécu et éventuellement retrouver des portraits ou des souvenirs. Ces archives, longtemps conservées chez les du Bourg, sont maintenant aux Archives Municipales de Toulouse. Elles contiennent une très importante correspondance émanant d’Elizabeth du Bourg, personnage hors du commun, à multiples facettes dont voici le portrait...

Une femme charmante, mère de vingt enfants...

Elizabeth d’Aliès (ou d’Aliez) naquit à Mondonville, au château d’Aliès (3), en 1721, dans une famille aristocratique. Elle épousa, le 11 juillet 1745, Valentin du Bourg, lui aussi issu d’une famille noble d’origine auvergnate, installée à Toulouse depuis le XVIe siècle, famille de parlementaires de père en fils. Leur union fut bénie par Monseigneur de La Croix de Castries, coadjuteur de l’archevêque d’Albi et oncle de la mariée.

« C’était une femme charmante : de beaux yeux, grands et expressifs, un joli front, un ovale de figure fin et distingué, si tant est que le nez fut un peu fort et la bouche pas très élégamment dessinée, elle pouvait passer pour une créature agréable » écrivait l’historien Louis Batiffol.

Pourquoi « la Présidente » ? Son mari, d’abord conseiller à la grand-chambre du Parlement de Toulouse, fut nommé en avril 1764 président à mortier à la troisième chambre des Enquêtes. Sachant que cette femme eut vingt enfants, on pourrait penser que ses occupations familiales et son statut social d’épouse de parlementaire auraient suffi à la combler. Il n’en fut rien. Batiffol continue sa description : « mais surtout elle avait un esprit ouvert, curieux, attentif aux idées, elle causait d’une façon délicieuse et néanmoins [page 20] elle était une maîtresse de maison accomplie ». Comme beaucoup de parlementaires, cette famille partageait son temps entre sa demeure toulousaine, un hôtel particulier place Saintes-Scarbes, et sa résidence d’été à la campagne, le château de Rochemontès à Seilh.

Mathias, leur premier enfant naquit en avril 1746 et ainsi se succédèrent une vingtaine d’enfants dont un certain nombre moururent en période néo-natale alors que d’autres n’atteignirent pas l’âge adulte. Les survivants eurent des destins différents. Mathias, l’aîné, futur conseiller au parlement resta très proche de sa famille. Les trois autres garçons, Henri, Joseph et Bruno furent chevaliers de l’Ordre de Malte ; Philippe devint prêtre et chanoine de la cathédrale Saint-Etienne, réfractaire sous la Révolution il fut ensuite évêque de Limoges en 1802. Deux filles entrèrent dans les ordres.

Une correspondance prolifique

Cette suite de maternités avec tous leurs aléas, déjà inhabituelle dans ce milieu, n’empêcha pas la « Présidente » de s’impliquer dans de multiples activités et de s’intéresser à toutes les idées nouvelles qui circulaient à cette époque. La principale source de témoignages de sa vie publique et privée réside dans la prolifique correspondance qu’elle eut avec son amie d’enfance, la fille de l’ancien premier président du Parlement de Toulouse, M. de Maniban, devenue par son mariage marquise de Livry. Elle vivait à Paris, son mari était maître d’hôtel du Roi et colonel du régiment du Perche. Pendant une trentaine d’années ces deux amies se sont écrit presque tous les 15 jours. L’originalité de ces lettres réside dans le fait que ces dames ne parlent pas uniquement « chiffon », mais révèlent aussi des connaissances scientifiques et littéraires sérieuses et même leur engagement dans les idées toutes nouvelles du Siècle des Lumières. Les œuvres de Voltaire et de Rousseau n’avaient aucun secret pour elles, la « Présidente » avait même surnommé Bruno, son dernier fils : « Emile » et envisageait son éducation selon les préceptes de son auteur, s’inspirant aussi du « Traité sur l’Education » du philosophe anglais Locke. En premier lieu elle préconisait l’allaitement maternel qu’elle pratiquait malgré les préjugés défavorables existant dans cette société. La suppression du « joug du maillot », lui paraissait être un facteur de liberté du nouveau-né, ainsi que le bannissement du châtiment corporel, en vogue à cette époque.

Âgé de 19 ans, Mathias entreprend un voyage en Italie, en 1769, pendant dix mois, afin de parfaire son éducation et d’affiner sa culture. L’échange de courrier avec sa mère est très révélateur des connaissances de sa mère sur un pays où elle ne s’était jamais rendue et des relations qu’elle pouvait avoir. Véritable guide touristique à distance, elle lui organisa son itinéraire et lui fit rencontrer beaucoup de personnages importants, dont le Pape ! [page 21]2009.LAuta. portrait de la Présidente

Un salon très éclectique : philosophie et sciences

Étant en prise directe avec les salons parisiens, la « Présidente » ouvrit le sien, place Saintes-Scarbes, pour diffuser les pensées d’actualité concernant la politique, la philosophie, les sciences, la médecine, le tout souvent teinté d’ésotérisme, mais sans oublier les arts tels que la peinture ou la musique. La réputation de ce salon provincial où soufflait l’esprit fut telle que des [page 22] personnages « célèbres » de l’époque y apparurent. Ainsi Mesmer y prôna le magnétisme comme doctrine médicale avec son fameux baquet, cuve remplie d’eau, de limaille, de verre pilé, d’où sortaient des tiges de fer. De nombreuses expériences de traitement se déroulèrent dans l’hôtel Dubourg, dans le salon dit « au grand parquet ». Il s’agissait d’imposition de mains, de manipulations diverses, dégénérant souvent en hystérie collective, tout ceci, autour du baquet, dont il fallait toucher les tiges de fer. La « Présidente » fut ainsi à l’origine du mesmérisme à Toulouse, mais ne manqua pas de détracteurs, dont sa fidèle amie, la marquise de Livry qui ironisait sur sa crédulité. Cela ne la découragea pas, car elle estimait agir par charité chrétienne, cette pratique étant le moyen de venir en aide aux pauvres.

Son attirance vers la médecine s’est manifestée d’une autre façon. Elle introduisit la vaccination jennérienne dans la ville en 1764, en l’appliquant sur ses propres enfants, notamment sur son fils Bruno chez qui elle décrit les différents stades de la maladie atténuée dans une lettre à son fils Mathias. Cette prévention de la variole ne fut généralisée à Toulouse qu’en 1772.

Un autre grand personnage, très influent auprès de la Présidente, fut Louis-Claude de Saint-Martin, dit le « Philosophe Inconnu ». Arrivé démuni à Toulouse, il fut reçu par relation au château de Rochemontès où il séjourna. Disciple du portugais Martines de Pasqually, il endoctrina ses hôtes par ses théories sur l’Illuminisme. La « Présidente », déjà réceptive aux idées nouvelles, franchit le pas allègrement et s’initia à la Loge Maçonnique du Temple Cohen, où elle entraîna au moins deux de ses enfants. Toulouse était à cette époque une des villes phares de France où la Franc-maçonnerie s’installait avec prédilection. Elle ne présentait encore aucun caractère anticlérical, basée sur l’amitié, la bienfaisance et la solidarité, et ne dérogeait pas à la morale chrétienne, à laquelle la « Présidente » était toujours très attachée. Néanmoins, son fils Philippe, le prêtre, sentant une légère dérive de sa famille émit quelques réserves vis-à-vis de cet engouement.

Les sciences fondamentales faisaient partie de ses centres d’intérêt avec la présence place Saintes-Scarbes d’un cabinet d’Histoire Naturelle. L’astronomie attirait la « Présidente » qui se désolait de ne pas avoir vu la comète. Férue de mathématiques elle demandait dans une lettre à son fils Joseph : « expliquez-moi la figure d’algèbre qui est dans votre lettre dont voici la copie ». Maniant le compas et la boussole, elle s’intéressait aussi à la géographie : « c’est avec votre atlas que j’ai toujours sous les yeux que je voyage avec vous » écrivait-elle à son fils Mathias. Pour revenir de Paris à Rochemontès, elle déclarait à Philippe : « je vais vérifier sur le manuel du voyageur et calculer si la route par le Rouergue et l’Auvergne n’est pas plus courte que par le Limousin » et plus tard concluait : « j’ai vérifié, la route est plus courte par le Limousin ». [page 23]2009.LAuta.château de Rochemontes

Fêtes et politique : un exil de quatre ans

Malgré cette intense activité intellectuelle, Elizabeth du Bourg n’était pas insensible aux distractions, elle recevait dans son hôtel toulousain qu’elle sut décorer du meilleur goût, elle donnait des fêtes champêtres très prisées à Rochemontès. Dans le domaine des loisirs, les arts figuraient en bonne place : la littérature avec une bibliothèque de plus de 4 000 volumes, le dessin et la peinture. Les du Bourg exerçaient leur mécénat auprès de Pierre-Henri de Valenciennes qui fit plusieurs séjours à Rochemontès. La musique était aussi très prisée, chaque enfant avait un violon et leur mère exigeait qu’ils l’emportent avec eux quand ils partaient en voyage.

En dehors de son salon, la « Présidente » manifesta aussi une influence politique. Elle prit en effet une part importante dans la défense des parlementaires toulousains, en 1771, lors de la réforme Maupeou qui leur supprimait certaines prérogatives. Ceux qui n’obtempéraient pas furent condamnés à l’exil. La famille se retira donc pendant quatre ans dans son château de Rochemontès, d’où la Présidente s’attaqua haut et fort aux nouveaux magistrats par ses pamphlets et ses diatribes, mais aussi bruyamment, au sens [page 24] propre du terme, à l’encontre du nouveau Premier Président, M. de Niquet, en passant sous ses fenêtres « dans un immense carrosse dont le fracas faisait trembler ses vitres ». Cet « exil » ne fut pas toujours doré, car financièrement, cette période fut difficile, nécessitant un regroupement familial, les études et les pensions des enfants étant trop onéreuses.

Délaissant temporairement son activité intellectuelle, la « Présidente » se consacra davantage à sa famille et initia ses filles, revenues au foyer, aux travaux ménagers et à la couture. Sa forte pratique religieuse la rapprocha de la paroisse de Seilh et consciente de l’impiété des paysans, elle traduisit en occitan des contes religieux et des passages de la Bible. Favorable à la morale janséniste, la Présidente se distingua aussi dans la cabale contre les Jésuites qui durent s’éloigner de Toulouse.

L’avènement de Louis XVI mit un terme aux décrets Maupeou et le 16 novembre 1774, une lettre du Roi autorisa Valentin à réintégrer ses fonctions au Parlement.

Après les Lumières, la Religion puis le dénuement

Valentin du Bourg mourut en 1779, Elizabeth en éprouva un grand chagrin, sa vie mondaine et intellectuelle s’en ressentit, elle se tourna vers la religion et prit conscience que les idées des Lumières ne lui apportaient pas la consolation escomptée. Elle conserva néanmoins ses relations et son rayonnement perdura. Mais elle réalisa trop tard que les idées nouvelles auxquelles elle avait adhéré et qu’elle avait propagées, faisaient aussi le lit d’un grand bouleversement social et politique : la Révolution française. Sa famille et elle-même furent touchées de plein fouet. Deux de ses enfants émigrèrent en Espagne. Mathias le Parlementaire, arrêté à plusieurs reprises, fut finalement incarcéré et amené à Paris en charrette avec une vingtaine de ses confrères pour y être sommairement jugé, condamné, guillotiné et jeté dans la fosse commune de Picpus. Le jour de son arrestation, Melchior, un de ses frères, mourut subitement. Philippe, le prêtre, entra dans la clandestinité à Toulouse, continuant d’exercer son ministère. Quant à la « Présidente », chassée avec le reste de sa famille de Rochemontès qui fut pillé, ainsi que de son hôtel de la place Saintes-Scarbes qui subit le même sort, elle fut relogée dans les combles. Elle ne survécut pas longtemps à toutes ces épreuves et s’éteignit quatre mois après son fils, le 4 novembre 1794 dans le plus profond dénuement.

Henry de Roaldes.

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