Messager des sciences historiques, des arts et de la bibliographie de BelgiqueUne œuvre inédite de Martinetz Pasqualis

Messager des sciences historiques,
des arts et de la bibliographie de Belgique

1851

Une œuvre inédite de Martinetz [sic] Pasqualis

Dans le Messager des sciences historiques, des arts et de la bibliographie de Belgique, de 1851, pages 466-472, se trouve une lettre d'un certain "D" qui fait part de la découverte d'un manuscrit inédit de Martines Pasqually.

Cet écrit, dont je suis le découvreur, a fait l'objet d'un article sur le site du Philosophe inconnu par Dominique Clairembault sous le titre : Une référence au Traité sur la Réintégration en 1851.

Une précision semble nécessaire :

L'auteur qui signe "D." pourrait être un des collaborateurs de la Revue. En effet, à Liste des collaborateurs, publiée dans le Messager des sciences, nous trouvons :

D. De Haerne, membre de la Chambre des Représ., à Courtrai  

Il n'est pas impossible que "De Haerne" soit l'auteur de la lettre, car les explications qu'il donne montrent qu'il est parfaitement au courant de la typographie de la Revue :

Le Traité sur la réintégration des êtres est un cahier in-4°, de 149 pages, d'une écriture serrée, régulière et très lisible, pouvant former, d'après mes calculs approximatifs, la matière d'environ 250 à 275 pages du Messager des Sciences

Messager des sciences historiques, des arts et de la bibliographie de BelgiqueMessager des sciences historiques, des arts et de la bibliographie de Belgique

Recueil publié par

  • MM. J. de Saint-Genois, professeur bibliothécaire à l’Université ;
  • C. P. Serrure, professeur d’histoire à l’Université ;
  • A. Van Lokeren, avocat, échevin et archiviste honoraire de la ville ;
  • P. C. Van der Meersch, avocat et archiviste de la Flandre orientale;
  • Et Ph. Kervyn de Volkaersbeke, bibliothécaire de la Société royale des Beaux-arts et de littérature

A Gand ; Imprimerie et Lithographie de L. Hebbelynck, rue des Peignes, 6. - 1851

Messager des sciences historiques, des arts et de la bibliographie de Belgique

Recueil publié par

  • MM. J. de Saint-Genois, professeur bibliothécaire à l’Université ;
  • C. P. Serrure, professeur d’histoire à l’Université ;
  • A. Van Lokeren, avocat, échevin et archiviste honoraire de la ville ;
  • P. C. Van der Meersch, avocat et archiviste de la Flandre orientale;
  • Et Ph. Kervyn de Volkaersbeke, bibliothécaire de la Société royale des Beaux-arts et de littérature

A Gand ; Imprimerie et Lithographie de L. Hebbelynck, rue des Peignes, 6. - 1851

Ce document peut être visualisé sur Google livre  -  Pages 466-472

Nous publions ici l'intégralité de la lettre parue dans le Messager des sciences historiques en 1851. 


Lettre A M. DE SAINT-GENOIS, Rédacteur du Messager des Sciences.

Monsieur,

 Le hasard, auquel on doit tant d'heureuses trouvailles, me fit dernièrement tomber sous la main, parmi d'anciens cahiers de cours universitaires auxquels on n'accorde guère d'attention s'ils ne se recommandent par aucun nom célèbre, un manuscrit aux apparences modestes, mais dont le titre suffisait pour exciter vivement ma curiosité. Je le transcris ici, avec les erreurs d'accents qui s'y trouvent :

Traité

sur la réintégration des Etres, dans leur première propriété,

vertu et puissance spirituelle divine.

Par Dom Martinetz Pasqualis.

Venant de Mr de St-Martin.

Puis, à la première page, à côté du titre reproduit avec cette faute : traitté pour traité, se lisait :

Commencé la copie le 19 juillet et fini le 14 août 1818.

F. Gandard colonel, à Vevey en Suisse.

Ce nom de Martinetz Pasqualis qui offrait à ma curiosité l'intérêt de l'inconnu, celui de Saint-Martin qui me rappelait les pensées pleines de délicatesse et de sentiment que [468] j'avais lues dans un livre ouvert sur toutes les tables (1), enfin le nom de ce coin de la Suisse qui fait penser aux pages éloquentes d'un autre philosophe, c'était plus qu'il ne fallait pour attirer mon attention sur le livre et son auteur, sur le mérite de l'ouvrage, et puis sur cette question qu'on se pose toujours en pareilles circonstance : Cette œuvre n'a-t-elle jamais vu le jour ? J'obtins d'emporter le manuscrit pour examiner la question à loisir, et je vous communique les résultats de mes recherches, résultats qui peuvent présenter quelque intérêt pour ceux qui, comme moi, s'intéressent aux moindres détails de l'histoire des lettres.

Le Traité sur la réintégration des êtres est un cahier in-4°, de 149 pages, d'une écriture serrée, régulière et très lisible, pouvant former, d'après mes calculs approximatifs, la matière d'environ 250 à 275 pages du Messager des Sciences. La copie est correcte et parait très fidèle, jusque dans certaines fautes qui se reproduisant trop fréquemment pour qu'on puisse les attribuer à l'inattention du copiste, semblent plutôt résulter d'une prononciation vicieuse de l'écrivain.

Faisons maintenant connaissance avec l'auteur.

Martinetz Pasqualis, que les biographes désignent comme le fondateur de la secte des Martinistes, est appelé par Saint-Martin « son premier éducateur » et semble, si l'on peut juger du maître par le disciple, avoir appartenu à cette série de mystiques parmi lesquels se rangent Bœhm que Saint-Martin a traduit, et Swedenborg. On ne cite du reste de Pasqualis aucune œuvre imprimée, mais M. Gence nous apprend, dans la biographie qu'il nous a donnée de lui (2), « qu'un traité de réintégration contenant ce que [468] Martinez Pasqualis (3) avait écrit de sa doctrine et qu'il lisait ou dictait à ses disciples, est resté inédit, » paroles qui ne peuvent s'appliquer qu'à l'œuvre dont nous avons une copie sous les yeux.

Le Traité sur la réintégration n'est donc pas complètement inconnu, quoique les auteurs n'aient point donné de détails précis sur les doctrines qu'y enseignait Pasqualis. Ils se sont contentés de dire que le philosophe inconnu (c'est le nom que Saint-Martin se donnait en signant ses ouvrages) (4), a puisé une bonne partie de sa doctrine dans les écrits de son maître (5). J'aurais voulu juger de la vérité de cette assertion par la comparaison de l'écrit de Martinetz avec celui des ouvrages du disciple, qui par la nature du sujet, doit s'en rapprocher le plus, et qui a pour titre : De l’esprit des choses, ou coup d'œil philosophique sur la nature des êtres et sur l'objet de leur existence, ouvrage dans lequel l'homme est considéré comme étant le mot de toutes les énigmes. Je n'ai pu trouver cet ouvrage. Cependant, par ce que j'ai lu des autres productions du philosophe inconnu, j'ai pu voir qu'il y avait au fond des écrits du disciple et du maître ce même spiritualisme mystique enveloppé d'une terminologie étrange, de formules et de chiffres qui le rendent presque insaisissable à une première lecture, à cette différence près entre les deux auteurs, que Saint-Martin est moins obscur dans les détails, que sa pensée est moins vague que celle de son maître et son style plus correct, tandis que la pensée de Pasqualis est quelquefois une énigme [469] et que son style décèle fréquemment l'auteur qui est encore peu familiarisé avec la langue qu'il emploie.

Au reste, je ne puis mieux faire connaitre sa manière d'écrire qu'en transcrivant ici deux passages, qui donneront en même temps une idée des bases de sa doctrine. Le Traité sur la réintégration des êtres n'est qu'une explication métaphysique de tous les grands faits de la Bible : la création, la première faute, Caïn, le sacrifice d'Abraham, le déluge, Moïse, etc. Partout l'auteur trouve des révélations, des formules, des types, des symboles, des prophéties. Il croit saisir la loi des êtres dans les grandes scènes bibliques et voit dans l'Ancien Testament une première révélation de la nature de l'homme, de son sort ici-bas et de sa destinée au-delà de cette vie. C'est ainsi que les paroles suivantes, qu'il place dans la bouche de Noé au sortir de l'arche, sont l'expression de sa pensée sur le Déluge, et nous pouvons ajouter sur la Création de tous les êtres :

<plign="justify">« Qu'il te souviene (6) terre et vous animaux raisonables et irraisonables, que le terrible fléau dont vous êtes les témoins, a servi de punition aux criminels envers le Créateur, et en même temps qu'il vous souviene de la miséricorde et de la bonté divine qui vous a délivré de cet horrible châtiment ; les eaux qui se sont élevées jusqu'aux portes du firmament, et qui ont dérobé toute la nature à vos yeux, vous représentent le néant où était la nature universelle avant que le Créateur eut conçu dans son imagination d'opérer la création tant spirituelle que temporelle ; il vous fait voir clairement que tout être temporel vient immédiatement par l'ordre de sa pensée et de sa volonté, et que tout être spirituel divin vient directement de son émanation éternelle ; gardez-vous de confondre la création avec l'émanation ; la création n'appartient qu'à la matière apparente, qui n'étant provenue de rien si ce n'est de l'imagination divine, doit rentrer dans le néant, mais l'émanation appartient aux êtres spirituels qui sont réels et impérissables;  tous les esprits existeront éternellement dans une personalité distincte dans le cercle de la divinité. L'éternel est appelé Créateur, non seulement pour avoir créé l'uni- [470] vers, mais aussi parce qu'il ne cesse et ne cessera jamais de créer des vertus et des puissances d’actions spirituelles en faveur des êtres qui émanent de lui. »

La pensée de l'auteur est souvent moins claire, ce qui arrive surtout lorsqu'il cherche la signification des faits dans les propriétés des nombres, comme dans le passage suivant :

Que peut représenter la dispersion des tribus d'Israël sous Roboam qui en perdit sept entièrement, et laissa tomber les autres en esclavage, sans que jamais le lieu de retraite des premières a été connu ni de Roboam ni des hommes des cinq tribus tombées en esclavage ! Que représente un pareil événement sinon la véritable allusion du mal et du bien provenus de deux sortes d'esprits bons et mauvais ? Voyez si ce que je vous ai dit à ce sujet n'est point clair, puisque le nombre deux est celui de confusion ; voyez aussi dans la séparation des tribus d'Israël en deux parties, si le nombre septénaire de ces tribus que les hommes de la terre ont perdues de vue, n'est pas le véritable type des heureux que l'Éternel retire d'entre les profanes et les impurs....

Voyez encore si cette séparation n'offrait pas le véritable tableau de la mort naturelle temporelle par la séparation de l'âme avec le corps ; les 12 tribus par leur intime liaison ne formoient qu'un seul corps, mais lorsque toute unité a été divisée en deux parties distinctes, l'une étant en privation, l'autre est tombée dans le néant spirituel, et dans l'ignorance, de même que lorsque l'âme est unie au corps, elle forme temporellement une unité parfaite avec lui, mais lorsqu'elle se sépare de son corps, elle forme alors deux divisions distinctes, dont l'une en répétition du nombre majeur septénaire des tribus, demeure, si elle est juste, sous la protection divine et sous les ailes de la Gloire de l'Éternel, et l'autre, en répétition du nombre quinaire des tribus errantes, reste sur la terre en privation de toute action spirituelle jusqu'à sa parfaite réintégration. C'est par cette observation que vous pouvez concevoir l'avènement de la révolution qui surviendra à l'univers entier, lorsque celui qui le vivifie se séparera de lui, car c'est l'image des corps particuliers ; cette matière restera errante ou dans l'inaction jusqu'à ce qu'elle soit entièrement dissipée ; telle est la loi qui donnera fin à toutes choses temporelles.

 Les deux passages que nous venons de transcrire, montrent les théories de Pasqualis sur l'origine et sur la fin de [471] toutes choses. Si l'on y dépouille sa pensée des formes bizarres dont il l'a revêtue, on y trouve un spiritualisme qui parait moins étrange, faisant partie d'un ensemble complet de doctrine philosophique que nous laisserons à d'autres le soin de juger, mais qui à nos yeux ne manque ni d'originalité, ni de profondeur.

Le Traité sur la réintégration des êtres finit au règne de Saül ; la note suivante écrite de la même main que le corps du manuscrit nous apprend que l'œuvre de Pasqualis est restée incomplète :

<palign="justify">L'auteur n'a pas été plus loin dans ce traité qui devait être beaucoup plus long;  c’est surtout à la venue du Christ qu'il devait être le plus important, selon ce qu'il a dit lui-même à ses amis.

 Cette note doit être de Saint-Martin lui-même, qui, comme nous l'avons vu, a eu en sa possession le manuscrit primitif de traité de la réintégration. Le disciple, en nous conservant l'écrit du maître, nous apprend ce que l'œuvre eût embrassé s'il avait été donné à l'auteur de la pouvoir continuer. Lui-même, marchant sur les traces de Pasqualis et poussant ses études dans la direction que « son premier éducateur » leur avait imprimée, développa ses idées et compléta son système, au point que nous pouvons dire que sans les écrits de Saint-Martin les doctrines de Pasqualis et jusqu'à son nom seraient aujourd'hui complètement ignorés. Singulière ressemblance entre le nom le plus obscur de la philosophie et l'un des noms les plus glorieux : Socrate aussi ne nous est connu que par ce que ses disciples nous ont transmis de lui, et l'on parvient à peine à distinguer dans leurs écrits ce qui n'appartient qu'aux disciples, de ce qui est la pensée du maître. Dans le domaine de la philosophie les brevets de perfectionnement ne feraient pas naître moins de difficultés qu'en industrie. Il semble [472] que ce soit une loi de notre nature qu'à ceux qui s'engagent dans des voies que nul n'a parcourues avant eux, il ne suffise pas de l'activité et de la vie d'un homme pour parvenir à ces résultats qui font le succès ou la condamnation de leur tentative…

Agréez, Monsieur, l'assurance de ma considération très distinguée.

Gand, le 25 septembre 1851.

D.


Notes

1. Le Magasin Pittoresque, treizième année (1845), p. 350 et 357.

2. Biographie universelle de Michaud, art. Martinez Pasqualis.

3. M. Gence et tous les recueils biographiques écrivent Martinez, tandis que le manuscrit porte Martinetz.

4. Des Erreurs et de la Vérité. — Le Tableau Naturel. — L'Homme du désir, etc.

5. Voyez l'art. Saint-Martin de M. Gence dans la Biographie universelle de Michaud. — Quant à la notice biographique que le même auteur a publiée séparément en 1824, je n'ai pu la trouver.

6. J'ai conservé l'ortographe [sic] et les fautes de l'original.