1858 - De l'influence de l'esprit philosophique
M. Forgame - De l'influence de l'esprit philosophique et de celle des sociétés secrètes sur le XVIIIe et le XIXe siècle.
Paris. Chez Dentu, libraire éditeur, Palais Royal, 13, galerie d’Orléans
1858
Chapitre XIV – Congrès à Wilhelmsbad. Illuminés théosophes. Swedenborg - Extrait, pages 140-141
Chapitre XV. Les Martinistes - Pages 143-146
Le système religieux de M. de Saint-Martin se composait d'un être premier, unique, universel, sa cause à lui-même, et source de tout principe; il produisait un nouvel être de la même substance que lui-même : bon d'abord mais qui devenait méchant et ne voulait que le mal. Le principe bon, malgré sa toute-puissance, ne pouvait former ni le monde, ni aucun être corporel sans la participation du mauvais principe ; l'un agissait, l'autre réagissait; ces combats perpétuels formèrent la terre et les corps. Dans ces temps antiques l'homme existait sans enveloppe matérielle ; cet [144] état était bien préférable à celui où il se trouve maintenant ; mais il abusa de la liberté, il s'écarta du centre où le bon principe l'avait placé ; alors il eut un corps, et ce moment fut celui de sa chute : cependant comme il avait conservé quelque dignité dans son état d'abaissement, saint Martin enseignait qu'il redeviendrait un jour ce qu'il était avant les germes et les temps, qu'il s'était égaré en allant de quatre à neuf, qu'il se retrouverait en retournant de neuf à quatre.
Ce langage énigmatique s'éclaircissait à mesure que le martiniste avançait dans les mystères. On lui apprenait que le nombre 4 est la ligne droite, le nombre 9 la circonférence ou la ligne courbe, que le soleil est le nombre quartenaire; le nombre neuf la lune et par conséquent la terre dont elle est le satellite. L'adepte en concluait que l'homme, avant les temps, était dans le soleil ou dans le centre de la lumière, qu'il s'en était échappé par le rayon, et qu'arrivé jusqu'à la terre, en passant par la lune, il retournera un jour à son centre pour se réunir plus tard au Dieu bon.
Ce rapide aperçu de la doctrine religieuse des martinistes suffit pour démontrer l'esprit d'impiété qui les régissait ; mais ce n'était pas assez pour cette secte de renouveler, de propager ces délires d'une philosophie insensée contre le christia [145] nisme, il fallait encore que la haine des lois vint se mêler à ces mystères ; l'adepte martiniste ne reconnaissait d'autorité légitime ; que celle qui s'exerçait par le père de famille avant le déluge.
Les martinistes avaient fondé à Avignon des écoles secrètes, destinées à donner l'explication de leur code mystérieux ; elles disposaient à l'initiation, on y apprenait l'art de paraître évoquer les morts, de faire parler des hommes absents, de voir ce qu'ils faisaient à une distance de mille lieues, celui de faire tourner et parler les tables, toutes les ressources que les charlatans, de tous les âges, emploient pour faire illusion au peuple et vivre aux dépens de sa crédulité superstitieuse ; les martinistes l'étudiaient pour renverser le trône et les autels.
De toutes les assemblées générales tenues pendant l'espace de trente années par les francs-maçons à Brunswick, à Wisbaden et dans les autres villes de l'Allemagne ; aucune n'avait été aussi imposante que celle de Wilhelmsbad par le nombre des élus, par la variété des sectes dont elle se composait ; c'était en quelque sorte tous les éléments du chaos maçonnique réunis dans le même antre. Pendant six mois ils délibérèrent dans leur immense et ténébreuse loge ; sans que les souverains ou les magistrats parussent s'inquiéter de ce qui [146] se tramait contre eux ou leur peuple. La politique s'en reposa, sans doute, sur les princes que les maçons comptaient parmi leurs frères, elle ne savait pas qu'il n'est pour les adeptes de ce rang que des demi-confidences, elle ignorait que pour les comités secrets les grands noms ne furent jamais qu'une protection, à l'abri de laquelle on sait se mettre alors même que l'on médite la ruine du prince protecteur.
A dater du congrès de Wilhelmsbad, les progrès de la secte bavaroise deviennent rapides ; leur chef-lieu est désormais à Francfort, auprès du baron Knigge; bientôt les loges se multiplient, la Franconie, la Souabe, les cercles du Haut et du Bas-Rhin, la Westphalie ont leurs époptes et presque dans chaque ville des écoles minervales. Celles de Vienne et de Berlin annoncent presque immédiatement que l'illuminisme se répand dans le Tyrol et la Styrie, il pénètre dans l'Italie ; d'autres adeptes le propagent dans les loges de Bruxelles, de la Hollande et de la Livonie. Il n'y avait pas encore une année que le congrès de Wilhelmsbad était terminé que déjà l'on trouve dans les archives de la secte des rapports officiels et des comptes rendus par les époptes sur l'état général de leurs provinces, sur les progrès de leurs novices, de leurs initiés et de leurs émissaires.
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