hdd lmV. L’Homme de désir dans le Livre mystique - 2e partie 

3. Le vocabulaire commun

a) Être intérieur – être extérieur
b) La Parole
c) La Prière

Auteur : J.-L. Boutin

3. Le vocabulaire commun

C’est P. Bertault qui, le premier, a relevé, chez Balzac, l’utilisation de certains termes communs à Saint-Martin, Swedenborg et Eckartshausen, tels « pâtiments, hiéroglyphe, parole, parole vraie, lumière, homme pur, réparateur, prière active ». On peut ajouter à cette liste les termes « magisme, sanctuaire, sublime, prière, être intérieur, être extérieur ». Toutefois, ne cherchons pas une correspondance et une équivalence de sens,

« Balzac utilise souvent ces vocables et les notions saint-martiniennes qu’ils désignent, avec désinvolture : il commet allègrement faux-sens et contre-sens » ([1]).

Il faut également remarquer avec J.-L. Tritter

« que ces mots ne sont pas l’apanage d’une philosophie. On les retrouve à peu près tous dans tous les textes mystiques ou illuministes » ([2]).

a) Être intérieur – être extérieur

  • Chez Balzac

Balzac emploie 20 fois le vocable être intérieur ou actionnel et 2 fois être extérieur ou réactionnel, notions que l’on ne rencontre que dans Louis Lambert, et qui sont sous l’influence de la pensée de Swedenborg.

Ainsi Balzac parle du triomphe de l’être intérieur sur l’être extérieur (p. 58), de l’être actionnel, intérieur ou être innommé voyant non soumis aux conditions physiques de l’être réactionnel ou extérieur (p. 79). L’être actionnel peut s’isoler de l’être réactionnel ; l’être intérieur peut percevoir ce qui échappe à nos sens selon son degré d’extase ou de perfection de vue (p. 82). C’est Swedenborg qui a donné des preuves « de la puissance de vision dont il avait doué son être intérieur » (p. 94). Les individus sont partagés en fonction de la perfection de leur être intérieur (p. 59) ; le Christ avait assez « perfectionné son être intérieur par des œuvres divines » (p. 101). Et cet être intérieur a une post-existence (p. 92). Grâce à cet être actionnel, on peut être « emporté au-delà du monde vrai (p. 79).

La pensée et les idées sont des mouvements et des actes de l’organisme intérieur comme les volitions et la volonté sont ceux de la vie extérieure (p. 75). Les yeux de l’être intérieur peuvent être ouverts et disposés pour voir dans le ciel (p. 82) et, citant Swedenborg (Sagesse angélique, n° 257) : «  L’homme peut être élevé jusque dans la lumière céleste, parce que les sens corporels étant abolis, l’influence du ciel agit sans obstacle sur l’homme intérieur » (p. 94). D’ailleurs, « l’homme peut arriver à s’unir à la lumière par son intérieur » (p. 109).

  • Chez Saint-Martin

Saint-Martin emploie rarement ces vocables. Plus que d’être intérieur, il emploie l’expression d’homme intérieur. Ainsi se demande-t-il si l’homme intérieur peut être intelligible aux sens :

« Malheureusement, dans notre état actuel, les sens peuvent aisément être intelligibles à l’homme intérieur. Ils ont une action analogue à sa sensibilité ; ils s’unissent à cette sensibilité ; et par-là ils attirent à eux jusqu’à sa pensée » (c.189).

Le sanctuaire de la doctrine intérieure ne peut être envisagé si l’homme n’y a pas auparavant pénétré (c.206). Intérieur et extérieur sont envisagés par rapport à la prière :

« Par la force et la persévérance dans ma prière, j’obtiendrai, ou la conviction extérieure, qui est le témoignage, ou la conviction intérieure, qui est la foi » (c.101)

tout comme par rapport au culte, que Saint-Martin envisage de façon ternaire :

« Oui, le culte intérieur est sensible, il l’est sûrement plus que le culte extérieur ; mais il l’est d’une autre manière. Le culte matériel est pour les sens de la forme, le culte spirituel pour les sens de l’âme ; le culte divin et intérieur est pour la vie intime de notre être » (c.123).

b) La Parole

  • La parole dans le Livre mystique

Le mot parole se trouve 71 fois dans le Livre mystique. Il est associé aux notions de parole vraie, de parole vive, de parole intérieure. La parole est d’abord un bien de tous qui meut les mondes (Séraphîta, p.156). Elle inspire les personnes, les anime et peut les changer (idem, p.191). La Parole est celle de Dieu qui est « entièrement écrite par pures Correspondances, elle couvre un sens interne et spirituel. Cette parole peut être recueillie par les prophètes » (idem, p.104). Elle est donc la Vraie Vie (p.246).

Dans Les Proscrits, ce terme est associé à la spiritualité, à l’animalité, au végétal et à la parole stérile :

« Selon lui [le docteur] la parole divine nourrissait la Parole spirituelle, la Parole spirituelle nourrissait la Parole animée, la Parole animée nourrissait la Parole animale, la Parole animale nourrissait la Parole végétale, et la Parole végétale exprimait la vie de la Parole stérile » (p.236).

Dans Séraphîta, il s’agit de la Parole vive :

« Ils étaient dans le crépuscule de l’Aurore Naissante dont les faibles lueurs les préparaient à voir la Vraie Lumière, à entendre la Parole Vive, sans en mourir. […] … quand la PAROLE VIVE dont ils n’entendirent que les sons éloignés vint à retentir et dont le sens entra dans leur âme comme la vie s’unit aux corps, un seul accent de cette Parole les aurait absorbés comme un tourbillon de feu s’empare d’une légère paille » (l’Assomption, pp. 242-243).

qui engendre le Mouvement, le Nombre et la Substance (p. 179) car

« tout ici-bas n’existe que par le mouvement et le nombre. Le mouvement est le produit d’une force engendrée par la parole et par une résistance qui est la matière » (Louis Lambert, p. 198).

« Mais il est en l’homme un phénomène primitif et dominateur qui ne souffre aucune analyse. On décomposera l’homme en entier, l’on trouvera peut-être les éléments de la Pensée et de la Volonté ; mais on rencontrera toujours, sans pouvoir le résoudre, cet X contre lequel je me suis autrefois heurté. Cet X est la Parole dont la communication brûle et dévore ceux qui ne sont pas préparés à la recevoir. Elle engendre incessamment la Substance » (p. 192-193).

Il est un Nombre doué de la parole (p. 249). Le Nombre, témoin intellectuel, n’appartient qu’à l’homme et permet à ce dernier d’arriver à la connaissance de la parole (Louis Lambert, p. 199) et de la parole vraie :

« Les hommes qui arrivent à la connaissance de ces choses, et qui disent quelques mots de la Parole vraie, ceux-là ne trouvent nulle part à reposer leur tête… » (Bruxelles, p. 230).

Le monde peut être gouverné soit par la Parole, soit par l’Action (Louis Lambert, p. 112).

La Parole proclame l’unité divine (p. 238). C’est la Parole de Dieu, qui « reprend sa force sur une terre qui garde en tous lieux les effets de l’eau terrestre et du feu céleste » (p. 113), dont il existe les vestiges du plus ancien livre de la Parole « Les guerres de Jéhovah » (p. 79). Elle n’offre aucune obscurité (p. 108) et peut réveiller en l’homme son esprit (p.106). Cette parole peut être dénaturée comme la justice peut être prostituée (p. 237). Mais cette Parole est animée par le souffle divin (p. 234).

Les traces de la Parole peuvent être recherchées dans le silence, où l’on devient humble et charitable (p. 228). Mais attention, la communication de la Parole peut brûler et dévorer ceux qui ne sont pas préparés à la recevoir (Louis Lambert, p. 193). D’ailleurs, les premiers chrétiens demeuraient dans la tradition de la parole du Christ parce qu’ils demeuraient dans l’état de contemplation mystique (Séraphîta, p. 120). Si les hommes se refusent au Seigneur, si sa parole est méconnue, un ange exterminateur est envoyé par Dieu pour changer la masse du monde réfractaire (idem, pp. 112-113). Des messagers proclament cette Parole tout comme ils ont souffert pour elle (p. 232). Comme pour la lumière, l’homme peut avoir soif de la Parole (p. 225) et peut connaître les correspondances de la Parole avec les cieux (p. 104). Ceux qui arrivent à la connaissance des choses, ceux-là disent quelques mots de la Parole vraie (p. 230).

Puisqu’il existe trois mondes, naturel, spirituel et divin,

« il existe nécessairement un culte matériel, un culte spirituel, un culte divin ; trois formes qui s’expriment par l’action, par la parole, par la prière : le fait, l’entendement et l’amour » (p. 196).

  • La parole chez Saint-Martin

Dans l’Homme de désir, nous trouvons 215 occurrences concernant ce terme.

La parole du Seigneur fait briller la lumière vivante et sacrée (c.1, v.8) ; elle a produit le monde, elle a séparé le pur de l’impur, la lumière des ténèbres : elle est vive et puissante (c.43) ; elle est une épée double, une épée vivante (c.300) alors que la parole humaine à travers ses langues, n’est qu’un agrégat au lieu d’être l’expression et le fruit de la vie même (c.7, v22).

« Qui donnera à l’homme l’intelligence pour comprendre la marche de la parole ? » (c.9, v.1).

La parole de l’homme est faite pour célébrer les louanges de l’universelle miséricorde (c.15, c.18) comme elle peut anéantir l’espace et se lier avec les paroles et les pensées de tous les sages (c.62) ; mais elle est trop abondante :

« La faiblesse de l’homme est dans la multiplicité de ses paroles » (c.100, v.3),

ce qui rend l’homme plus près de son ennemi (c.102, v.7) :

« Les hommes se lapident mutuellement tous les jours avec des paroles »

alors que

« C’est par leurs paroles qu’ils devraient se soutenir et se sanctifier les uns les autres » (c.58).

L’homme doit être confiant dans le succès de sa parole comme dans le pouvoir de la parole (c.294).

La parole exerce plusieurs œuvres et son action existe (c.108, v.5-6). Elle est éternelle parce qu’elle est la vie ; elle est un mobile de nécessité absolue et elle entretient tout et a tout créé (c.27). La vie, le nom et la parole sont liés, car

« Le nom est sorti de la vie et il a enfanté la parole »,

comme

« Le nom est commandé par la vie, la parole est commandée par le nom, l’âme de l’homme est commandée par la parole » (c.44, v.1 et 8).

Les prophètes sont les ministres de la parole (c.32).

L’homme a reçu la parole et a été choisi pour être le chantre de Dieu (c.84) car c’est par la parole que tout se crée et s’anime : comme la parole vivante et créatrice de Dieu donne l’être à l’universalité,

« La faible parole de l’homme donne l’existence à l’universalité de ses productions » (c.88).

La parole nous apprend que nous sommes les temples de l’esprit saint car tout est parole (c.148). Elle est le fruit et l’organe de la vie comme elle est en rapport avec l’harmonie et le son :

« Chantons la vie, chantons la parole, chantons la gloire de la parole de l’homme. Elle a été digne que la parole divine vînt la remplacer. Qui connaîtra jamais le nombre sacré de cette parole divine ? » (c.193).

Saint-Martin emploie la parole vive dans le chant 142 :

« Que manquait-il à cette parole vive ? Le nom judaïque était la lettre, le nouveau nom était l’esprit. Quelle parole trouveriez-vous, qui fut comparable à cette parole ? (v.3).

et la parole vraie dans le chant 300 :

« Homme de désir, efforce-toi d’arriver sur la montagne de bénédiction, fais renaître en toi la parole vraie » (v.10).

Ce verset et les suivant sont repris par Balzac dans Séraphîta.

c) La Prière

  • La prière dans le Livre mystique

« Séraphita ! Là sera le grand coup, là je recevrai les froides plaisanteries du Parisien, mais là j’aurai frappé au cœur de tous les êtres privilégiés. Il y a un traité de la prière, intitulé : le Chemin pour aller à Dieu, où sont les dernières paroles de l’ange ; qui donne envie de vivre par l’âme. Ces idées mystiques m’ont envahi. […] On ne fait Séraphita qu’une fois dans sa vie » ([3]).

Dans le Livre mystique, essentiellement dans Séraphîta, nous rencontrons 27 fois le mot prière. C’est dans le paragraphe VI, Le chemin pour aller à Dieu, que nous trouvons un exposé qui doit être considéré comme le véritable Traité de la prière ([4]). Il se compose de plusieurs parties : La vie de la prière et ses forces ; les moyens pour aller dans la voie de la prière : silence et méditation ; elle est le dernier culte ; véritable aspiration de l’âme, la prière participe au pouvoir de Dieu : harmonie, lumière, mélodie ; la prière est action, action vive ; mais la prière est aussi résignation.

La prière est la vie (p. 120) ; elle est à la fois parole, pensée, action ; elle enferme tout, contient tout, achève la nature et découvre l’esprit et la marche. Elle donne la clef des cieux car elle est la consommation de toutes les vérités, de toutes les puissances, de tous les sentiments de la nature (p. 233). La prière donne la conviction intérieure :

« Elle s’allume en nous, elle est une faculté qui s’exerce d’elle-même, elle a conquis ce caractère d’activité qui la porte au-dessus des formes ; alors elle relie l’âme à Dieu » (p. 234).

« La dernière vie, celle en qui se résument les autres, […] est la vie de la Prière. Qui vous fera comprendre la grandeur, les majestés, les forces de la Prière ? (p. 231). Le silence et la méditation sont les moyens pour aller dans cette voie [dans la Prière] ; Dieu se réveille toujours à l’homme solitaire et recueilli » (p. 232).

La foi ne va pas sans la prière (p. 101) car la prière transporte l’âme religieuse (p. 61) :

« Quoique ces choses s’opèrent dans le calme et le silence, sans agitation, sans mouvement extérieur, néanmoins tout est en action dans la Prière, mais action vive, dépouillée de toute substantialité et réduite à être comme le mouvement des Mondes une force invisible et pure » (p. 235-236).

  • La prière chez Saint-Martin

« Par la prière, acte de théurgie suprême, l’homme s’élève aux sphères supérieures dont les sphères visibles ne sont que les simulacres et dont le mouvement dirigé selon des lois et des rapports inaltérables enfante l’harmonie et transmet les accords divins à l’universalité des êtres. Par la prière, l’homme tire Dieu de sa propre contemplation, il le réveille. Par la prière, l’homme communique avec Dieu : la phrase ressassée prend un poids énorme » ([5]).

Le Philosophe inconnu aborde la prière dans au moins trois de ses livres : L’Homme de désir qui est véritablement un livre de prière ; dans les deux tomes des Œuvres posthumes où l’on trouve un traité de la prière accompagné de dix prières ; et dans le Ministère de l’homme-esprit.

- Dans L’Homme de désir

Dans l’Homme de désir, le mot prière se retrouve 81 fois. Pour notre auteur, il y a plusieurs formes de prière : la prière muette, qui donne au « cœur le temps et le moyen de se réchauffer et de se remplir » ; la prière verbale qui est l’expression de l’esprit (chant 8). Aussi la vie est un cantique continuel si elle est remplie par la prière (c.12). Celle-ci doit être impétueuse, ardente, persévérante et animée par l’amour (c.19). On ne peut prier Dieu que si l’homme se purifie et établi toutes les vertus en soi (c.28) : elle doit être action, attirer l’action et s’unir à l’action, sinon elle est la prière du lâche (c.38). Aussi l’homme doit-il veiller aux désirs de son âme et à sa prière pour ne pas augmenter son infortune et ne pas faire de la prière une offense (c.57), car « la vraie prière est fille de l’amour » (c. 42). La prière éloigne de nous les souillures et nous procure de doux fruits (c.57) et de la joie, mais il ne faut pas s’y arrêter (c.61). Elle doit être « comme un fanatisme et une passion » (c.93) et persévérante. Elle produit des effets, purifie et sanctifie tous les actes de l’être ; elle permet d’atteindre les sphères supérieures, d’obtenir la conviction extérieure qui est le témoignage et la conviction intérieure qui est la foi.

« Où prendrai-je une idée juste de la prière et des effets qu’elle peut produire ? Elle est une seule ressource, mon seul devoir, ma seule œuvre, dans cette région ténébreuse et sur ce misérable théâtre d’expiation. Elle peut purifier et sanctifier mes vêtements, mes aliments, mes possessions, les matières de mes sacrifices, tous les actes et toutes les sujétions de mon être. Je peux par ma prière atteindre jusqu’à ces sphères supérieures, dont les sphères visibles ne sont que d’imparfaites images. Bien plus, s’il paraît devant moi un homme dont les discours ou les défauts m’affligent, je peux, par la prière, recouvrer de l’intérêt pour lui, au lieu de l’éloignement qu’il m’aurait causé. Je peux faire par ma prière que l’impie devienne religieux, que l’homme colère devienne doux, que l’homme insensible se remplisse de charité. Je peux, par ma prière, ressusciter partout la vertu. Je peux, par ma prière, descendre jusque dans les lieux de ténèbres et de douleur, et y porter quelques soulagements. N’est-ce pas la prière qui autrefois a redressé le boiteux, fait voir l’aveugle et entendre le sourd ? N’est-ce pas elle qui a ressuscité des morts ? Je dois tout attendre de Dieu, sans doute ; mais attendre tout de Dieu, ce n’est pas rester dans l’apathie et la quiétude. C’est l’implorer par mon activité et par les douleurs secrètes de mon âme, jusqu’à ce que ma langue étant déliée, je puisse l’implorer par des sons harmonieux et par des cantiques. Par la force et la persévérance dans ma prière, j’obtiendrai, ou la conviction extérieure, qui est le témoignage, ou la conviction intérieure, qui est la foi. C’est pourquoi les sages ont dit que la prière était une récompense. Le secret de l’avancement de l’homme consiste dans sa prière, le secret de sa prière dans la préparation, le secret de la préparation dans une conduite pure ; le secret d’une conduite pure, dans la crainte de Dieu, le secret de la crainte de Dieu dans son amour, parce que l’amour est le principe et le foyer de tous les secrets, de toutes les prières et de toutes les vertus » (c.101).

La prière est action de grâces, comme elle peut être repentir et gémissement ; elle doit « embrasser l’univers » (c.223). Le moment le plus avantageux pour la prière et pour s’unir à la vérité est le lever du jour

« où les hommes livrés au sommeil y semblent ensevelis comme dans le tombeau pour y ressusciter leur pensée » (c.196).

La prière doit être confiante et hardie jusqu’à la témérité car Dieu veut qu’on le prenne par violence (c.240). Si la prière est si importante c’est qu’elle

« a pris naissance dans le foyer éternel de la vie ! Elle commerce avec la sagesse et la vérité » (c.243).

Aussi l’homme doit-il être « confiant dans le succès de la prière » (c.245) :

« Je m’unirai à Dieu par la prière comme la racine des arbres s’unit à la terre. J’anastomoserai mes veines aux veines de cette terre vivante, et je vivrai désormais de la même vie qu’elle. Nage continuellement dans la prière comme dans un vaste océan, dont tu ne trouves ni le fond, ni les bords, et où l’immensité des eaux te procure à chaque instant une marche libre et sans inquiétudes. Bientôt le seigneur s’emparera de l’âme humaine. Il y entrera comme un maître puissant dans ses possessions. Bientôt elle sortira de ce pays d’esclavage et de cette maison de servitude, où elle n’est pas une heure sans violer les lois du seigneur ; de cette terre de servitude, où elle n’entend parler que des langues étrangères, et où elle oublie sa langue maternelle ; de cette terre, où les venins même lui deviennent quelquefois nécessaires pour l’arracher à ses douleurs ; de cette terre, où elle vit tellement avec le désordre, qu’il n’y a plus que le désordre où elle puisse trouver son rapport et son analogue » (c.251).

« N’oublie jamais que c’est un dieu jaloux, et qui aime qu’on le prie ; parce qu’il sait que la prière ouvre les canaux de sa vie divine. Prie, âme humaine, prie, mon âme : tu ne peux prier, sans que ton dieu même ne prie avec toi » (c.271).

- Dans les Œuvres posthumes

Dans le tome I des Œuvres posthumes, nous trouvons 19 fois le mot prière et 26 fois dans le tome II. Ce dernier ouvrage comporte une partie intitulée la Prière (pp. 403-443) et dix Prières tirées d’un manuscrit de M. Saint-Martin.

La Prière renferme toutes les vérités (p. 403). Mais Saint-Martin nous met en garde contre le goût du merveilleux qui « absorbe et cache les merveilles que nous pourrions rencontrer dans la Prière » (p. 406). Celle-ci, comme Dieu « se prient eux-mêmes en nous » (p. 431). La Prière est une rencontre avec Dieu, dont il « peut se payer et être content » (p. 427). Il existe un obstacle à la Prière : c’est tout ce qui nous environne, nous approche et tout ce qui nous constitue aujourd’hui. Aussi doit-on faire attention de ne pas proférer la parole du Centenier : Dites seulement une parole, etc. Pour celui dont la Prière a pris possession, il la rencontre partout et en tout lieu parce qu’il n’y a ni espace ni temps pour l’esprit (p. 409). Il existe une merveille pour l’homme : « c’est qu’il prie toujours, lors même qu’il n’en sait rien ». Et cependant,

« si à cette Prière secrète et inconnue, il ne joint pas ses Prières actives et volontaires, cette Prière secrète ne lui sert de rien, et sa propre paix ou la paix qu’elle engendre, revient sur elle » (p. 443).

Il y a plusieurs formes de prière : la prière de pénitence (p. 416), la prière de supplication, la prière d’action de grâces (p. 423) qui est une action de grâces continuelle (p. 420), un point de sublimité qui apporte joie et consolation (p. 421). Pour cela, nos Prières doivent prier elles-mêmes en nous et pour nous (p.404) : nous devrions prier toujours, ou absorber le temps dans notre Prière (p. 442), jusqu’à se sentir perpétuellement tourmenté par la poursuite et l’importunité de la prière et de la parole (p. 410). Peu d’hommes s’élèvent jusqu’à la hauteur de cette ineffable religion de la Prière (p. 405). Le modèle de la Prière qui n’obtient rien, qui la porte au-dessus du temps et la rend comme le canal naturel des merveilles de l’éternité, ce modèle, c’est le Pater, que ton nom soit sanctifié… (p. 407), car la Prière relie notre esprit et notre cœur à Dieu (p. 420).

Mais qu’est-ce la prière ?

« La Prière est une végétation ; car elle n’est que le développement laborieux, progressif et continuel de toutes les puissances et de toutes les propriétés divines spirituelles et naturelles, temporelles, corporelles, glorieuses de l’homme, qui ont toutes été réservées et ensevelies par le péché (p. 415).

La Prière est la principale religion de l’homme, parce que c’est elle qui relie notre cœur à notre esprit ; et ce n’est que parce que notre cœur et notre esprit ne sont pas liés, que nous commettons tant d’imprudences, et que nous vivons au milieu de tant de ténèbres et de tant d’illusions. Quand au contraire notre esprit et notre cœur sont liés, Dieu s’unit naturellement à nous, puisqu’il nous a dit quand nous serions deux assemblés en son nom, il serait au milieu de nous et alors nous pouvons dire, comme le réparateur : mon Dieu, je sais que vous m’exaucez toujours » (pp. 418-419).

Car la principale Prière que nous devrions faire, et la principale œuvre à laquelle nous devrions travailler, serait de demander à Dieu la passion exclusive de le chercher, de le trouver, d’être uni à lui, et de ne pas nous permettre un mouvement qui ne dérivât de cette passion-là, puisque cette voie nous amènerait à être véritablement l’image et la ressemblance de Dieu » (p. 411).

On voit ainsi quelle est la grandeur de la Prière mais aussi quelle est la grandeur du travail qu’elle impose (p. 417) « car la prière est la respiration de notre âme » (Œuvres posthumes, t. I, p.213) ; elle est « une échelle avec laquelle on peut s’élever jusque dans le ciel des cieux » (idem, p. 208).

- Dans  Le Ministère de l’homme-esprit

Nous trouvons 22 fois le mot prière.

Le ministère de la prière est la loi de la grâce (p. 168).

L’état de l’homme sur la terre tout comme les « essences corrompues de cet univers » sont un obstacle à la prière. Ces obstacles nous dérobent la vue du « temple de la prière » (p. 461). Il nous faut donc prendre le sentier qui nous mènera à la demeure de la prière, car c’est la prière qui doit nous investir de tous nos pouvoirs (p. 462) pour nous amener à « recouvrer un libre cours » (p. 74) :

« Et toi, prière, tu seras la compagne de mon travail, ou plutôt tu en seras le maître, l’agent et le principe, et tu m’apprendras à devenir comme toi le maître, l’agent et le principe de mon œuvre, parce que tu m’apprendras à devenir prière comme toi » (p. 340).

A ce moment-là :

« Je ne quitterai jamais la prière [parce que] j’aurai senti que Dieu même prie avec moi et ma vie entière ne sera plus qu’une prière non interrompue, puisque ce ne sera plus moi qui chercherai Dieu […], mais ce sera Dieu qui me cherchera par la continuité de son intarissable action » (pp. 336-337).

Alors le repos de l’homme devient même une prière (p. 451) puisqu’elle est une alliance spirituelle continuelle avec Dieu. Elle ne mérite le nom de prière que si Dieu prie en nous (p. 189). La prière journalière de l’homme, son bréviaire naturel, c’est le ministère de l’homme-esprit (p. 446) :

« Alors, homme de désir, attends en paix le fruit de ta prière, tu ne tarderas pas à sentir le cœur de ton Dieu pénétrer dans toutes tes essences, et les remplir de ses douleurs ; et quand tu te sentiras crucifié par les propres angoisses de ce cœur divin, tu reviendras dans le temps, pour y remplir selon ta mesure et selon ta mission, le véritable ministère de l’Homme-Esprit » (p.472).


Notes

[1] R. Amadou, art. cit., p. 38 qui reprend ici les éléments dévoilés par P. Bertault dans l’introduction au Traité de la prière. Dans cette section, sauf indication contraire, les références au Livre mystique sont celles de l’édition de Bruxelles de 1835.

[2] J.-L. Tritter, Le langage philosophique dans les œuvres de Balzac, Paris, Nizet, 1976, p. 54.

[3] H. de Balzac, Lettres à l’étrangère, (1833-1842) op. cit., p. 238.

[4] Ce traité commence avec la phrase : « La dernière vie, celle en qui se résume les autres » et se termine à la fin du chapitre. LM, t. II, Séraphita, pp. 319-331 – Bruxelles, pp. 231-239 - PL, pp. 846-850.

[5] R. Amadou, préface de L’Homme de désir, Éditions du Rocher, 1979, p. 11.