1787 - Rencontre entre Saint-Martin et J. de Maistre
Louis-Claude de Saint-Martin et Joseph de Maistre se sont rencontrés en 1787, lors de son deuxième voyage que le Philosophe inconnu fit en Italie.
Voici ce qu'en dit Joseph de Maistre :
« Voici une anecdote qui tombe de ma plume. Il m'arriva jadis de passer une journée entière avec le fameux Saint-Martin, qui passait en Savoie pour se rendre en Italie. Quelqu'un lui ayant demandé depuis ce qu'il pensait de moi, il répondit : C'est une excellente terre, mais qui n'a pas reçu le premier coup de bêche. Je ne sache pas que dès lors, personne m'ait labouré ; mais je ne suis pas moins enchanté de savoir comment ces Messieurs labourent. Au reste, Monsieur le Comte, quoique je ne sois qu'une friche, cependant le bon Saint-Martin a eu la bonté de se souvenir de moi et de m'envoyer des compliments de loin. »
Lettre 462. A M. le comte de Vallaise, Saint-Pétersbourg, 25 avril (7 mai) 1816, Œuvres complètes, Volume 13, 1886, p. 331-332.
Georges Goyau (1869-1939), dans son ouvrage La pensée religieuse de Joseph de Maistre parle de cette rencontre :
« [De Maistre] vit [Saint-Martin] en personne, au moment où celui-ci traversait la Savoie pour se rendre en Italie : ils passèrent ensemble une journée. Il le trouva « de mœurs fort douces et infiniment [page 53] aimable », sans « rien d'extraordinaire dans ses manières et dans sa conversation. (1) ». Quant à Saint-Martin, il disait de son interlocuteur : « C'est une excellente terre, mais qui n'a pas reçu le premier coup de bêche ». Maistre, qui connut ce propos, le racontera en 1816 à l'un de ses correspondants, et ajoutera : « Le bon Saint-Martin a eu la pensée de se souvenir de moi et de m'envoyer des compliments de loin (2). »
« Que voulait dire Saint-Martin, lorsqu'il parlait de ce chevalier profès comme d'une friche mal bêchée ? J'imaginerais volontiers que dans cette « excellente terre » il avait senti les fortes racines catholiques et regretté qu'un coup de bêche ne les eût pas dispersées. »
1. Mémoire inédit à Vignet des Étoles. — Cette rencontre doit se placer sans doute en 1787, date du second séjour de Saint-Martin en Italie. (Matter, Saint-Martin, le philosophe inconnu, p. 139. Paris, 1864). [Voici la citation de Matter : « Or Saint-Martin nous dit lui-même, dans une note datée de 1787, qu’il fut en Italie dès cette année-là. Il nous apprend une chose plus étrange : c’est que, dès 1787, il vit à Chambéry une nombreuse société venue là de France par suite de la révolution française. »].
2. Œuvres, XIII, p. 331-332. [Voir ci-dessus]
Et François Descostes :
« De Maistre se plaisait lui-même à rappeler le jugement qu'avait porté sur lui Saint-Martin, qui passa un jour à Chambéry, se rendant en Italie :
« C'est une excellente terre ; mais qui n'a pas reçu le premier coup de bêche. »
Et Joseph ajoutait : « Je ne sache pas que dès lors personne m'ait labouré. » Le philosophe savoyard n'avait pourtant pas attendu le passage du Philosophe inconnu pour être en plein rapport ; mais son esprit avait su conserver cette indépendance, ce naturel, cette horreur du convenu, cette allure primesautière qui donnent tant de verdeur à ses saillies et de puissance à ses coups de boutoir. Et à Saint-Martin, qui paraissait lui reprocher l'absence de souplesse et de culture, de Maistre eût pu répondre à son tour : Le génie prosterné ne prospère pas mieux que le blé couché par le vent : tous deux doivent mûrir debout. »
François Descostes (1846-1908), Joseph de Maistre avant la Révolution : souvenirs de la société d'autrefois, 1753-1793. Vol. 2, p.180. A. Picard et fils (Paris) 1893