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Dans la série Les précurseurs du spiritisme : Saint-Martin - 3e article

La Vérité - Journal du Spiritisme, paraissant tous les dimanches - Bureaux à Lyon, rue de la Charité, 48 - Troisième année – n° 13 – Dimanche, 21 mai 1865 Pages 50-51 (3e article. - Voir le dernier numéro.)

Pour ce qui est de la véritable théurgie, non seulement il professa sa foi à des agents en 1792, nous venons de l'entendre, mais il distingue des classes d'agents et trace des règles de prudence pour le commerce de l'âme avec elles. « Nous devons recueillir avec soin, dit-il au baron de Liebisdorf, au sujet de ces agents, nous devons recueillir tout ce qui se dit en nous. Vous croyez que c'est principalement sur nos corps qu'ils agissent. — Le baron, pour s'expliquer par une comparaison, avait parlé un peu en chimiste de l'union de deux corps antipathiques au moyen d'un troisième (1) — : il y en a pour cette partie extérieure de nous-mêmes. Mais leur œuvre s'arrête là, et doit se borner à la préservation et au maintien de la forme en son bon état, chose à laquelle nous les aidons beaucoup par notre régime de sagesse physique et morale. »

La mission de ces agents, selon Saint-Martin, est donc à ce point importante et principale, que c'est essentiellement à eux qu'il appartient de préserver notre organisme, et que, dans cette œuvre, nous ne sommes que leurs aides. Nous pouvons les aider beaucoup.

Cela étant, notre rôle serait assez facile, n'était une circonstance grave. J'entends l'existence d'une autre classe d'agents, voisins des premiers, mais moins dignes qu'eux de notre confiance, plus empressés d'en jouir et cela sans doute pour en abuser. C'est là ce qui rend notre tache difficile, car il nous faut veiller en nous-mêmes à ce que font les premiers et ne pas trop nous en remettre à leur sollicitude pour nous. « Gardons-nous, dit Saint-Martin à son ami, de nous reposer trop sur eux. Ils ont des visions qui agissent aussi sur cette même région, et qui ne demandent pas mieux que de s'emparer de notre confiance, chose que nous sommes assez disposés à leur accorder, en raison des secours extérieurs qu'ils nous prouvent, ou que, plus souvent encore, ils se contentent de nous promettre. » On le voit, la foi de Saint-Martin dans la théorie des agents et dans celle des visions dangereuses reste entière, encore après son séjour à Lyon, à Paris et à Strasbourg.

Saint-Martin nous fait connaître lui-même où il en était à Bordeaux en 1766, et où il en est vingt-cinq ans plus tard.

« Je ne regrette [au lieu de "regarde"], dit-il en 1792, tout ce qui tient à ces voies extérieures (il entend les opérations théurgiques pour s'assurer l'assistance des agents en ce qui concerne le corps) que comme les [au lieu de "des"] préludes de notre œuvre. Car notre être étant central — dans la théorie de Martinez tous les êtres sont émanés du centre, ou, pour prendre son style, le centre de tout a émané tous les êtres de son sein, — notre être étant central, doit trouver dans le centre d'où il est né tous les secours nécessaires à son existence. » Voilà 1792.

« Je ne vous cache pas que j'ai marché autrefois dans [au lieu de "par"] cette voie seconde [au lieu de "féconde"] et extérieure, qui est celle par où l'on m'a ouvert la porte de la carrière. » Voilà 1766.

Saint-Martin n'ose plus dire qu'il faut nécessairement passer par cette porte, par les agents. Mais comme ils sont très puissants, et comme la sagesse divine se sert d'eux pour faire entendre le verbe dans notre intérieur, il est de toute prudence, même dans le système de 1792, de passer par cette porte. Ecoutons-le.

« Celui qui m'y introduisait [au lieu de "conduisit"] (Martinez) avait des vertus très actives. »

Ici Saint-Martin évite le mot agents, mais il ajoute un fait qui ne laisse pas de doute sur le sens. « La plupart de ceux qui le suivaient avec moi en ont retiré des confirmations qui pouvaient être utiles à notre instruction et à notre développement. Malgré cela, je me suis senti de tout temps un si grand penchant pour la voie intérieure [au lieu de "intime"] et secrète, que cette voie extérieure (l'emploi d'agents) ne m'a pas autrement séduit, même dans ma très [au lieu de "plus"] grande jeunesse, car c'est à l’âge de vingt-trois ans qu'on [au lieu de "que l'on"] m'avait tout ouvert (révélé) sur cela. »

En effet, c'est parce qu'il prenait si peu de goût à ces choses si attrayantes pour d'autres — car Saint-Martin ne dit pas qu'il ait reçu des confirmations lui aussi, — qu'au milieu des moyens, des formules et des préparatifs de tous genres auxquels « on nous livrait, » il s'impatienta et jeta au maitre ces mots de censure et d'opposition : « Faut-il donc tant de choses pour prier Dieu ? [au lieu de "il faut tout cela pour le bon Dieu ?"]»

Cependant tout en se détournant ainsi des opérations théurgiques, avec une sorte d'antipathie, Saint-Martin n'avait fait qu'obéir à d'anciens instincts de spiritualité et si grands qu'on conçoit à peine que, malgré les pas qu'il a faits de l766 à 1792, sa théorie soit restée la même.

On va s'en convaincre : « Sans vouloir déprécier, écrit-il à son disciple Liebisdorf, les secours que tout ce qui nous environne peut nous procurer, chacun en [au lieu de "dans"] son genre, je vous exhorte seulement à classer les puissances et les vertus. Elles ont toutes leur département. Il n'y a que la vertu centrale qui règne [au lieu de "s'étend"] dans tout l'empire. »

Il prend sur lui de mettre son ami dans de bonnes voies ; il l'engage à bien savoir à qui il s'adresse. Mais il ne le détourne pas des bons agents, de ceux qui nous font entendre le Verbe dans l'intérieur.

Nous n'avons plus sur Saint-Martin, suivant l'école de Bordeaux, que cette lettre à Liebisdorf, si peu explicite pour le fond et à laquelle nous venons d'arracher quelques inductions plus ou moins sûres. Le traité de dom Martinez lui-même n'éclaire ce document qu'en ce qui concerne sa doctrine. Il ne s'explique pas sur les opérations favorites de son auteur. Aucun des autres officiers du régiment de Foix, qui suivirent avec l'ancien magistrat du présidial de Tours les assemblées si pleines d'attraits pour plusieurs d'entre eux, n'en a parlé. Aucun d'eux n'a voulu donner des détails sur lesquels le plus célèbre d'entre eux s'est imposé sinon le silence, du moins la plus grande discrétion. [51]

Toutefois il est permis d'expliquer d'une manière satisfaisante la prudence de Saint-Martin, et les réserves extrêmes qu'il s'était imposées au sujet des manifestations sensibles ; c'est ce que nous allons tenter.

A. P.

(La suite au prochain numéro.)