Avant-propos

Quelques mots sont nécessaires pour expliquer et les motifs de cette publication et l'origine de ces documents : le Livre des Nombres et l'Éclair sur l'Association humaine.
Il y a quinze ans, nous l'avouions avec la plus franche ingénuité, de Saint-Martin et ses Œuvres nous étaient complétement inconnus.
Dans une vente, par suite de décès, nous fîmes l'acquisition. d'un grand nombre de livres et de manuscrits parmi lesquels s'en trouvait un intitulé : le Livre des Nombres.
Dans notre profonde ignorance, nous crûmes tout d'abord que c'était une traduction du Liber Numerorum de la Bible, et la seule lecture nous confirma que notre intelligence était en défaut. Mais enfin, de qui était cette Œuvre singulièrement apocalyptique ? De source en source, nous sûmes que c'était une Œuvre posthume de Saint-Martin.
Qui était, qu'avait été de Saint-Martin ? La Bibliothèque Impériale nous l'apprit.
Voici ce que nous avons lu dans la Biographie de Michaud, dont nous ne donnons ici qu'un simple extrait, laissant à une plume plus
habile le soin de publier sous peu une biographie de Saint-Martin, dont le mérite éminent sera d'être tout à la fois un acte de justice et de réhabilitation littéraire.

« Louis-Claude de Saint-Martin, dit le Philosophe inconnu, né à Amboise, d'une famille noble, le 18 janvier 1743, dut à une belle-mère les premiers éléments de cette éducation douce et pieuse qui lui fit, disait-il, aimer pendant toute sa vie Dieu et les hommes. Au collège de Pont-Levoy, où il avait été mis de bonne heure, le livre qu'il goûta le plus fut celui d'Abadie, intitulé : l'Art de se connaître soi-même. C'est à la lecture de cet ouvrage qu'il attribuait son détachement des choses de ce monde.
» Destiné par ses parents à la magistrature, il s'attacha dans son cours de droit plutôt aux bases de la justice qu'aux règles de la jurisprudence, dont l'étude lui répugnait. Aux fonctions de magistrat, auxquelles il crut devoir donner tout son temps, il préféra la profession des armes, qui, durant la paix, lui laissait des loisirs pour s'occuper de méditations. Il entra comme lieutenant, à vingt-deux ans, au régiment de Foix en garnison à Bordeaux. Initié par des formules, par des rites, des pratiques, à des opérations théurgiques, et que dirigeait Martinez Pasqualis, chef de la secte des Martinistes, il demandait souvent : Maitre, eh quoi?... faut-il donc tout cela pour connaître Dieu ? Cette voie, qui était celle des manifestations sensibles, n'avait point séduit notre philosophe. Ce fut toutefois par là qu'il entra dans la voie du spiritualisme. »

Nous laisserons de coté ses études, ses travaux, ses voyages et ses relations, pour n'ajouter que ces quelques lignes empruntées à la même biographie.

« En 1803, il disait qu'entré dans sa soixantaine, il avançait vers les grandes jouissances qui lui étaient annoncées depuis longtemps. Il fit, l'été de celle année, des voyages à Amboise, à Orléans, etc., pour revoir quelques amis. À son retour, un entretien qu'il avait désiré avoir avec un mathématicien profond sur la science des nombres, dont le sens caché l'occupait toujours, eut lieu avec M. de Rossel. Il dit, en finissant : « Je sens que je m'en vais, la Providence peut m'appeler, je suis prêt. Les germes que j'ai lâché de semer fructifieront. Je rends grâce au ciel de m'avoir accordé la dernière faveur que je lui demandais. » Le lendemain, l'un de ses disciples zélés le vit monter dans la voiture qui le transporta chez le sénateur Lenoir La Roche, au village d'Aunay. Après un léger repas, s'étant retiré dans sa chambre, il eut une attaque d'apoplexie. Quoique sa langue fût embarrassée, il put cependant se faire entendre de ses amis, accourus et réunis auprès de lui; sentant que tout secours humain devenait inutile, il exhorta ceux qui l'entouraient à mettre leur confiance dans la Providence et à vivre entre eux en frères dans les sentiments évangéliques. Ensuite il pria Dieu en silence, et il expira sans agonie, le 13 octobre 1803. »

Les œuvres de Saint-Martin ont excité en nous une douce et vive curiosité. Nous nous sommes souvent demandé comment cet homme, d'un si rare mérite, doué de toutes les qualités du cœur et de l'esprit, et de mœurs si exemplaires, avait pu, dans un si court espace de temps, être si oublié.
L'idée nous est venue alors de rechercher toutes ses productions littéraires, et nos efforts ont été couronnés d'un plein succès. Ces travaux, d'un mysticisme épuré par une foi ardente, peuvent, selon nous, occuper d'une manière utile et pieuse la pensée humaine.
Dans ce but, nous publierons successivement tous les ouvrages de Saint-Martin, dont nous possédons les éditions les plus rares, toutes revues el corrigées par le trop modeste Philosophe inconnu.
Ce sera une collection des plus curieuses, car ces livres sont profonds en connaissances de tout genre, et peuvent répandre dans les consciences un baume fortifiant et consolateur. Toutes les idées qui respectent la croyance chrétienne et qui ont Dieu pour objet sont dignes d’être méditées, n'y trouvât-on que dix lignes capables de nous faire mieux aimer le Créateur de l'univers.
Que si on nous demande quels sont nos droits à publier ces Œuvres, nous répondrons par ces lignes de Saint-Martin, véritable testament littéraire, que nous extrayons d'une de ses lettres adressée à M. le baron de Kirchberger, puisée dans la correspondance inédite entre ces deux hommes si remarquables, du 22 mai 1792 jusqu'au 7 novembre 1797, et dont nous possédons aussi le manuscrit.

Paris, le 8 juin 1792

[...]

« Vous désirez savoir, monsieur, quels sont les ouvrages qui sortent de la même plume que celui des Erreurs et de la Vérité; ce sont jusqu'à présent : le Tableau naturel, imprimé en 1782, et l'Homme de désir, imprimé il y a deux ans; l'édition était en très-petit nombre, et il n'en existe plus; mais j'ai appris qu’up libraire nommé Grabit, rue Mercière, à Lyon, venait d'en faire une réimpression pour son compte. En outre, il y a actuellement sous presse deux ouvrages de la même plume, l'un intitulé Ecce Homo, et ayant pour but de prévenir contre les merveilles et les prophéties du jour, un petit volume in-12; l'autre, intitulé le Nouvel Homme, beaucoup plus considérable, et ayant pour objet de peindre ce que nous devrions attendre de notre régénération, un volume in-8°. Ce dernier a précisément de grands rapports avec l'objet qui vous intéresse, et sur lequel je vous ai exposé ci-dessus mes idées en abrégé. Les deux ouvrages s'impriment à Paris, à l'imprimerie du Cercle social, rue du Théâtre-Français, n° 4. Je ne suis absolument pour rien dans les frais pécuniaires de cette entreprise, et ne veux être absolument pour rien dans les profits, s'il y en a. Je les laisse tous à celui qui, par ses avances, en est légitime propriétaire. »

[...]
L'expérience que, depuis quinze ans, nous avons faite de l'effet moral produit par l'étude des Œuvres du philosophe inconnu, nous a inspiré le désir de commencer une réimpression des œuvres de cet homme admirable, qui recherchait le bien et non le bruit et la réputation, et dont la renommée est si au-dessous de celle à laquelle il atteindra un jour parmi les intelligences d'élite.
Ceux qui nous auront suivi dans cette étude, y trouveront, nous croyons pouvoir d'avance l'affirmer, des trésors de consolation et d'apaisement de l'âme, choses toujours si désirables, et particulièrement dans nos jours d'agitation et de troubles, pendant lesquels il n'y a quelquefois d'autre refuge que la solitude, ou tout au moins le silence Aussi, que de fois Saint-Martin n'a-t-il pas dit à ses amis, qui, presque toujours, finissaient par devenir ses disciples : « Pendant les jours d'orage, le meilleur conseil à donner à celui qu'on aime, est compris dans ces trois mots qui furent si souvent la règle de ma vie : Fuge, Late, Tace. »

L. SCHAUER

Paris, le 20 octobre 1861

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