1865  - Recherche des principes du savoir et de l'action

1865 LandurPar N. Landur

Paris
À la librairie d'Amyot
8, rue de la Paix
À la librairie philosophique de Ladrange
41, rue Saint-André-des-Arts

1865

Des relations sociales, extrait pages 75-76

Celui qui comprend la valeur infinie des êtres raisonnables veut que les autres hommes soient libres et conscients, il se réjouit de leur développement spontané, s'applique à ne les contraindre ou les amoindrir en rien et ne tolère avec eux que des relations d'égalité.

Aujourd'hui, au contraire, tout comme par le passé, les hommes aiment à dominer et à gouverner. Ils se prosternent d'ailleurs assez volontiers. Ils s'entre-méprisent et se gênent constamment, sont hostiles à tout ce qui est libre et spontané, et vont jusqu'à instituer des églises et des académies pour empêcher les manifestations originales de la pensée.

Presque tout est à réformer dans les relations.

Le philosophe saint Martin, qui était un excellent homme et qui avait des tendances très élevées, se demandait comment il se fait que la morale humaine soit si parfaite et la moralité si imparfaite.

Saint Martin était dupe en cela d’une illusion qu'ont partagée bien des gens : non seulement la morale humaine est très imparfaite, mais elle n'a pas mème de fondements, et à vrai dire, elle n'existe pas.

bouton jaune  Des relations sociales, extrait pages 75-76

Des grands philosophes. 1er extrait, pages 105-106

Dans ce chapitre je ne parlerai pas des philosophes célèbres, même de ceux qui le sont à juste titre, mais seulement de deux hommes exceptionnels et fort peu connus : Hoëné Wronski et Jacob Boehme.

Wronski est mort à Paris en 1853. J'ai rencontré ses ouvrages peu de temps après cette époque et dans des circonstances que je suis porté à croire providentielles. Leur étude me fut d'un immense secours et me préserva sans doute de bien des tâtonnements. Ce n'est pas que l'influence de Wronski ait été sans inconvénients pour moi ; ce qu'il y a de vrai et de grandiose chez lui m'a d'abord caché ses défauts, je me suis laissé aller [page 106] à le croire un peu trop sur parole et à répéter d'après lui des choses dont je n'étais pas parfaitement convaincu.

Et cependant ses défauts sont grands : vanité et orgueil immenses, habitudes pompeuses et charlatanesques, préjugés aristocratiques, dureté de cœur, platitude à l'égard des grands de la terre. Tout cela l'égare et l'aveugle souvent, et pourtant il est de tous les philosophes que je connais le moins défectueux, j'ajouterais même le plus riche en vérités et le plus remarquable par ses tendances, si je n'étais obligé de faire une réserve pour Jacob Boehme.

Ce que les autres philosophes que j'ai étudiés après Wronski m'ont appris est peu de chose, et cela ne tient pas tant à la grande originalité de Wronski qu'à l'art avec lequel il a su s'approprier ce qu'il y a de meilleur dans des auteurs qu'il ne cite pas, ou auxquels il ne rend pas suffisamment justice, particulièrement Spinoza , Svedenborg [sic], Kant, Schelling, Hegel et surtout Jacob Boehme ainsi que son traducteur saint Martin. En définitive, je ne saurais dire quelle idée originale lui appartient essentiellement, car j'ai retrouvé plusieurs de celles que je lui croyais les plus personnelles dans des auteurs dont il parle avec un certain dédain ; mais nul ne va aussi droit au but que lui, nul ne sait [page 107] aussi bien distinguer les choses essentielles des choses accessoires, nul n'a autant de clarté et de précision (quand il ne cache pas volontairement sa pensée).

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Des grands philosophes. 2e extrait, page 123

Jacob Boehme est mort en 1624. Je ne connais ses ouvrages que depuis quelques mois, je ne les ai pas encore tous lus et je ne puis certes pas dire que j'en comprenne toutes les profondeurs.

Ce qui m'a porté à les rechercher (1), c'est, en grande partie, l'estime que Hegel a pour eux. Ce grand philosophe, qui compte pour rien ou peu de chose tous ses devanciers depuis Aristote, fait une exception en faveur de Boehme.

Je les eus à peine entr'ouverts que j'y reconnus, à ma très-grande surprise, les plus sublimes beautés que j'avais admirées ailleurs. Je fus en même temps indigné de la déloyauté des philosophes qui ont copié Boehme ou qui se sont inspirés de lui et qui ne l'ont pas cité. Hegel, même, ne lui rend pas justice, car il ne dit pas combien il lui emprunte. Il lui doit ce qu'il a de meilleur, et une partie de ses non-sens et absurdités ne sont que du Boehme mal compris.

Je reconnus bientôt dans ces livres le plus profond de la doctrine exotérique et ésotérique de Wronski ainsi que le fonds commun de Svedenborg, de Schelling, de Hegel, de Schopenhauer, etc.

(1) On en a plusieurs éditions allemandes dont aucune ne se trouve dans les grandes bibliothèques de Paris. Saint Martin en a donné une traduction inachevée et émaillée de contre sens.

bouton jaune  Des grands philosophes. 2e extrait, page 123