1866 Findel t11866 - Histoire de la franc-maçonnerie depuis son origine jusqu'à nos jours

Traduit de l'allemand par Joseph Gabriel Findel

Paris
Librairie internationale
15, boulevard Montmartre - Au coin de la rue Vivienne
A. Lacroix, Verboeckhoven et Cie, Éditeurs
 À Bruxelles, À Livourne et À Leipzig

1866

- Tome premier :
   - Les Martinistes.
   IX - La littérature maçonnique - France

- Tome 2 - Les assemblées des philalèthes



Tome premier - Les Martinistes. Extraits, pages 280-282

Vers la fin de l'année 1778, les directoires écossais d'Auvergne et de Bourgogne firent des convocations pour une assemblée à Lyon, à l'effet d'instituer un Convent national des Gaules ; cette assemblée eut lieu en novembre et décembre. Là on changea la dénomination de chevaliers du Temple contre celle de chevaliers bienfaisants de la Cité sainte, et l'on fit au rituel de la Stricte Observance quelques modifications peu importantes, sans toutefois rompre avec cette dernière

Le centre de la suprême sagesse que ces « chevaliers bienfaisants » dispensaient dans leurs hauts grades, était la loge des Amis-Réunis, à Paris, dont nous avons eu déjà occasion de parler (page 270), et dont les membres étaient eux-mêmes éclairés par un petit nombre d'amis fidèles, qui avaient appartenu, dans le principe, au grade des Philosophes inconnus et qui, plus tard, prirent le nom de Philalètes et donnèrent à leur société celui d'Ordre divin. Les livres symboliques par lesquels cet ordre voulait découvrir au monde maçonnique la seule et véritable lumière, étaient, d'une part, le célèbre ouvrage intitulé des Erreurs et de la Vérité (traduit de [sic pour en] l'allemand par le Fr. Claudius), de l'autre, le Tableau naturel des rapports entre Dieu, l'homme et l'univers (Egalement traduit en allemand. Reval et Leipzig, 1783). Les principaux apôtres de cette lumière étaient les Fr. Villermoy, Saint-Amand, le comte de Lerney, Saint-Martin et d'autres. C'est de ce dernier que les partisans du système mystico-théosophique, dont il a été question plus haut, reçurent le nom de Martinistes.

L. C. de Saint-Martin, né à Amboise, en 1743, mort à [page 281] Paris, en 1803, officier français, parcourut, en qualité de disciple de Martin Paschalis et d'admirateur de J. Böhme, dont il avait traduit quelques écrits en français, la carrière de mystiques chimères ouverte par son maître, avec d'autant plus de succès, qu'outre les connaissances étendues qu'il possédait, il était doué d'un extérieur agréable, et réussissait à s'attirer les sympathies de ceux qui l'entouraient. Il porta ses vues sur la franc-maçonnerie, qu'il considérait comme une émanation de la divinité, et fonda un nouveau système de dix grades, partagés en deux temples. Le premier temple comprenait les grades : 1° d'élève, 2° de compagnon, 3° de maître, 4° de maître ancien, 5° élu, 6° de grand-architecte, 7° de maçon du secret. Le second temple embrassait ceux : 8° de prince de Jérusalem, 9° de chevalier de Palestine, 10° de kadosch ou saint. Lors du Convent de Lyon (1778), ce système se réunit avec la branche française de la Stricte Observance.

Tous les chapitres et loges dont il a été fait mention précédemment (voir page 270) étaient indépendants du Grand-Orient, et non seulement ils se refusèrent à aucun rapprochement, mais encore ils éludèrent toutes les tentatives de celui-ci pour les réunir tous ou en partie sous sa haute direction.

Toutes ces résistances le firent enfin renoncer à ses premières prétentions, ou du moins, provoquèrent une modification dans sa politique. Il déclara aux divers directoires maçonniques qu'il n'était pas en son pouvoir, et que jamais, sa volonté n'avait été de représenter exclusivement l'autorité supérieure de toutes les associations maçonniques de France qu'il reconnaissait à chacun la liberté de chercher partout ailleurs les lumières que le Grand-Orient ne pourrait lui donner. Il ajoutait que sa juridiction ne s'étendait [page 282] qu'aux loges du rite français, et que son pouvoir se fondait seulement sur la libre volonté de ceux qui voulaient lui appartenir, etc. Cependant par ces déclarations et d'autres semblables, le Grand-Orient ne cherchait qu'à endormir la vigilance des directoires d'autres systèmes et, en secret, il n'en poursuivait pas avec moins d'activité son ancien plan.

bouton jaune T. 1 - Les Martinistes



1866 Findel t1

IX - La littérature maçonnique - France, extraits pages 457-460

Des ouvrages français qui parurent ensuite, nous ne citerons que le plus fameux, celui qui, en son temps, fit une grande sensation des Erreurs et de la Vérité ou les Hommes rappelés au principe universel de la science, par un Ph. inc. (de Saint-Martin), 2e édit. 1781. Il ne fut pas seulement révéré en France comme un évangile par des frères isolés, mais, en Allemagne, on le considéra comme une mine de vraie science maçonnique, et on le recommanda particulièrement aux frères chevaliers initiés d'Asie. Le Fr. Claudius, le messager de Wandsbeck, le traduisit en allemand, bien que de son propre aveu, il n'y comprît rien. Le Fr. Kreil, dans le Journal de Vienne pour les francs-maçons (1re année, 4. p. 55 et suiv.), a discuté très sérieusement cet ouvrage du Philosophe inconnu. Il en fait d'abord un résumé, dans lequel il relève les principaux points, et poursuit leur histoire jusqu'aux temps les plus reculés,

« afin que l'on puisse voir quels systèmes les idées de l'auteur ont parcourus, quel rôle elles ont joué et quelles modifications elles ont subies avant d'être devenues siennes. » [page 458]

Puis il en fait valoir le mérite, de même qu'il désigne celles qui lui semblent n'en point avoir et enfin il signale ce qu'il y a d'erroné ou de partial dans ce qu'avance l'auteur. Quant au contenu du livre en lui-même, l'auteur (Saint-Martin) ne veut point, à la vérité, inaugurer un système, mais il prétend indiquer la fin de toutes les allégories et de toutes les fables mystiques des peuples antiques, montrer la source des institutions politiques et religieuses, et le modèle des lois, d'après lesquelles l'univers en général, aussi bien que les êtres en particulier sont dirigés et sans lesquelles il n'existe aucune science véritable. Il fait précéder le tout de quelques considérations sur le bien et le mal, puis il indique la cause de la profonde ignorance des hommes ; plus loin il traite de la double loi de ce qui se passa dans le temps et de la nécessité d'une troisième, dont les autres ne sont que la conséquence, de l'incertitude, de l'indécision qui règne dans toutes les œuvres de l'homme, dans toutes ses institutions politiques et religieuses, de la vraie origine de la souveraineté, des mathématiques, etc., etc.

Il admet, par exemple, qu'il est un langage primitif qui a été donné à l'homme en même temps que l'existence, mais qu'il a perdu par le péché, et qu'il peut et doit retrouver. Si les hommes n'avaient point laissé dégénérer ce langage, ils se comprendraient parfaitement entre eux ; quiconque connaît cette langue, connaît aussi la vraie législation, l'art de livrer des batailles, la clef de tous les calculs, toutes les sciences, l'organisme des êtres, les mystères de la création, etc., etc.

Voici les termes dont se sert le Fr. Kreil pour exprimer son jugement général :

« Lorsque les amis de Socrate lui demandèrent son avis sur le livre très obscur d'Héraclite, il répondit : « Là où je comprends ce livre, je le trouve excellent; je crois donc qu'il l'est effectivement aux endroits que je ne comprends pas, et où quiconque ne possède point [page 459] la faculté divinatoire d'Apollon ne verra qu'une énigme. » Pour ce fameux livre des Erreurs et de la Vérité, je me trouve dans une position précisément contraire. Là où son auteur n'enveloppe pas à dessein sa pensée du voile de l'allégorie, je trouve qu'elle est basée sur des données fausses, sur des considérations personnelles et exprimée en termes et avec un ton emphatiques qui ne peuvent éblouir que ceux qui ignorent la force et l'étendue de l'esprit humain, et qui n'ont point étudié les limites et les propriétés essentielles de la science.

« Jamais un auteur n'a exploité au même degré que celui-ci la puissance de l'imagination, depuis longtemps découverte par Malebranche, sur les esprits faibles, les circonstances exceptionnelles, les accidents, les hypothèses ; aucun n'a donné avec la même audace le caractère de la vérité à la folie métaphysique, état qu'il attribue insolemment à tous ses lecteurs. Il découvre, à la vérité, des contradictions dans les divers systèmes des hommes ; mais qui donc ne les découvre point ? Il s'ensuit que nous nous trompons fort souvent mais l'auteur a si peu résolu le problème de distinguer le vrai du faux, qu'à chaque pas, au contraire, il marie insensiblement le fait réel et l'hypothèse ; il les revêt d'un clair-obscur et croit avoir avancé, non une supposition, mais une vérité importante, incontestable une vérité telle enfin, que nous serions coupables de l'ignorer.

« Le résultat funeste et trompeur de la lecture de cet ouvrage sera pour la grande majorité celui-ci : on croira que celui qui sait renverser ou du moins ébranler tous les systèmes, doit être en mesure d'en présenter un autre qui soit meilleur. Tout ce qui a existé jusqu'à présent n'est point solide, c'est donc le nouveau qui sera bon, qui sera vrai. Prévenu d'avance en faveur de la profondeur des vues, de la sagacité de l'auteur, on s'occupera moins sérieusement [page 460] d'étudier ses conclusions, principalement si l'obscurité dont il les enveloppe non seulement rend cette étude plus difficile, mais encore donne toute latitude à l'imagination, et lui laisse l'entière liberté de prêter à ses rêveries la couleur de la réalité.

« Un autre artifice à l'aide duquel notre auteur a réussi, mieux que tout autre, à faire sensation, c'est qu'il présente toujours ses idées d'une manière conforme à la Bible; et qu'il prend le ton d'un homme qui serait en possession de la véritable clef des mystères que le peuple considère comme sacrés. »

Quant à moi, je ne vois dans ce livre, ni plus ni moins qu'un jeu de l'imagination, un essai non réussi, où une grande finesse de diction est employée à déterminer un point de vue d'après lequel les diverses contradictions qui émaillent les connaissances humaines pouvaient être aplanies. Nicolaï porte sur ce livre un jugement plus sévère encore. Comme Bode, qui avant lui avait exprimé cette opinion, et avec Gedike et Biester, il le soupçonna de jésuitisme.

bouton jaune   T. 1 - IX - La littérature maçonnique - France 



1866 findel t2Tome 2 - Les assemblées des philalèthes, p.55-57.

Reprenons, après cette digression, le cours de notre récit, et en remontant de quelques années en arrière, nous verrons que, de même que les chapitres souverains des loges [page 56] particulières se déclarèrent également autonomes et indépendantes du Grand-Orient, parce que celui-ci tardait à instruire les frères du but, de la destination et des développements de la franc-maçonnerie. C'est ce que fit tout d'abord la loge des Philalèthes (Amis de la vérité), les Amis réunis de Paris, laquelle avait jusque-là toujours travaillé à l'ombre et sans bruit. Elle convoqua deux assemblées (1) à Paris,

« afin de s'entendre sur le système d'enseignement maçonnique, et de procurer à toutes les manières de voir, à toutes les opinions l'occasion de se produire, de s'éclairer sur les points les plus importants, sur les principes, les points de doctrine, les avantages et le véritable but de la franc-maçonnerie, considérée simplement comme science. »

Le système des Philalèthes, d'après lequel travaillait la loge susdite avait été fondé en 1773, par les Fr. Savalette de Langes, de Tavannes, Court de Gebelin et autres ; il comprenait douze classes ou grades 3 grades de Saint-Jean, 4° Élus ; 5° Chevalier écossais ; 6° Chevalier d'Orient; 7° Rose-Croix ; 8° Chevalier du temple ; 9° Philosophe inconnu ; 10° Sublime philosophe ; 11° Initié ; 12° Philalèthe ou maçon de tous les grades. Beaucoup de frères allemands, suisses et d'autres nations se rendirent à cette invitation : il en fut qui, comme le duc Ferdinand de Brunswick, Saint-Martin et Mesmer, déclinèrent toute participation à ces conférences. Aucune de ces assemblées ne produisit de résultat notable ; on en resta à des discussions sur les questions les plus diverses, discussions où se produisirent les opinions les moins susceptibles d'application on fit les yeux doux à la théosophie, à la cabale, à la magie, à toutes ces sortes de choses secrètes et même à Cagliostro, le météore trompeur [page 57] de ce temps-là, et les projets qui dans le principe avaient été nettement conçus, noblement médités, et qui avaient déjà reçu un commencement d'exécution furent définitivement abandonnés faute de valeur réelle. La première assemblée dura depuis le 15 février jusqu'au 26 mai 1785, et le second du 8 mars au 26 mai 1787. La seconde plus encore que la première témoigna de l'inclination pour les sciences occultes et secrètes. Il est bien naturel que des frères disposés de la sorte restassent sourds aux avertissements que l'Allemand J. Ch. Bode leur adressait le 3 avril, dans un écrit intitulé : Essai sur l'origine de la franc-maçonnerie, écrit qui était destiné à les mettre en garde contre ses sciences occultes qu'il accusait d'être un piège tendu par les jésuites.

(1) Voir la circulaire d'invitation dans le Journal de Vienne pour les francs-maçons, 2° année, I, pag. 195, II, pag. 224.

bouton jaune  Tome 2 - Les assemblées des philalèthes