1866 Findel t1

IX - La littérature maçonnique - France, extraits pages 457-460

Des ouvrages français qui parurent ensuite, nous ne citerons que le plus fameux, celui qui, en son temps, fit une grande sensation des Erreurs et de la Vérité ou les Hommes rappelés au principe universel de la science, par un Ph. inc. (de Saint-Martin), 2e édit. 1781. Il ne fut pas seulement révéré en France comme un évangile par des frères isolés, mais, en Allemagne, on le considéra comme une mine de vraie science maçonnique, et on le recommanda particulièrement aux frères chevaliers initiés d'Asie. Le Fr. Claudius, le messager de Wandsbeck, le traduisit en allemand, bien que de son propre aveu, il n'y comprît rien. Le Fr. Kreil, dans le Journal de Vienne pour les francs-maçons (1re année, 4. p. 55 et suiv.), a discuté très sérieusement cet ouvrage du Philosophe inconnu. Il en fait d'abord un résumé, dans lequel il relève les principaux points, et poursuit leur histoire jusqu'aux temps les plus reculés,

« afin que l'on puisse voir quels systèmes les idées de l'auteur ont parcourus, quel rôle elles ont joué et quelles modifications elles ont subies avant d'être devenues siennes. » [page 458]

Puis il en fait valoir le mérite, de même qu'il désigne celles qui lui semblent n'en point avoir et enfin il signale ce qu'il y a d'erroné ou de partial dans ce qu'avance l'auteur. Quant au contenu du livre en lui-même, l'auteur (Saint-Martin) ne veut point, à la vérité, inaugurer un système, mais il prétend indiquer la fin de toutes les allégories et de toutes les fables mystiques des peuples antiques, montrer la source des institutions politiques et religieuses, et le modèle des lois, d'après lesquelles l'univers en général, aussi bien que les êtres en particulier sont dirigés et sans lesquelles il n'existe aucune science véritable. Il fait précéder le tout de quelques considérations sur le bien et le mal, puis il indique la cause de la profonde ignorance des hommes ; plus loin il traite de la double loi de ce qui se passa dans le temps et de la nécessité d'une troisième, dont les autres ne sont que la conséquence, de l'incertitude, de l'indécision qui règne dans toutes les œuvres de l'homme, dans toutes ses institutions politiques et religieuses, de la vraie origine de la souveraineté, des mathématiques, etc., etc.

Il admet, par exemple, qu'il est un langage primitif qui a été donné à l'homme en même temps que l'existence, mais qu'il a perdu par le péché, et qu'il peut et doit retrouver. Si les hommes n'avaient point laissé dégénérer ce langage, ils se comprendraient parfaitement entre eux ; quiconque connaît cette langue, connaît aussi la vraie législation, l'art de livrer des batailles, la clef de tous les calculs, toutes les sciences, l'organisme des êtres, les mystères de la création, etc., etc.

Voici les termes dont se sert le Fr. Kreil pour exprimer son jugement général :

« Lorsque les amis de Socrate lui demandèrent son avis sur le livre très obscur d'Héraclite, il répondit : « Là où je comprends ce livre, je le trouve excellent; je crois donc qu'il l'est effectivement aux endroits que je ne comprends pas, et où quiconque ne possède point [page 459] la faculté divinatoire d'Apollon ne verra qu'une énigme. » Pour ce fameux livre des Erreurs et de la Vérité, je me trouve dans une position précisément contraire. Là où son auteur n'enveloppe pas à dessein sa pensée du voile de l'allégorie, je trouve qu'elle est basée sur des données fausses, sur des considérations personnelles et exprimée en termes et avec un ton emphatiques qui ne peuvent éblouir que ceux qui ignorent la force et l'étendue de l'esprit humain, et qui n'ont point étudié les limites et les propriétés essentielles de la science.

« Jamais un auteur n'a exploité au même degré que celui-ci la puissance de l'imagination, depuis longtemps découverte par Malebranche, sur les esprits faibles, les circonstances exceptionnelles, les accidents, les hypothèses ; aucun n'a donné avec la même audace le caractère de la vérité à la folie métaphysique, état qu'il attribue insolemment à tous ses lecteurs. Il découvre, à la vérité, des contradictions dans les divers systèmes des hommes ; mais qui donc ne les découvre point ? Il s'ensuit que nous nous trompons fort souvent mais l'auteur a si peu résolu le problème de distinguer le vrai du faux, qu'à chaque pas, au contraire, il marie insensiblement le fait réel et l'hypothèse ; il les revêt d'un clair-obscur et croit avoir avancé, non une supposition, mais une vérité importante, incontestable une vérité telle enfin, que nous serions coupables de l'ignorer.

« Le résultat funeste et trompeur de la lecture de cet ouvrage sera pour la grande majorité celui-ci : on croira que celui qui sait renverser ou du moins ébranler tous les systèmes, doit être en mesure d'en présenter un autre qui soit meilleur. Tout ce qui a existé jusqu'à présent n'est point solide, c'est donc le nouveau qui sera bon, qui sera vrai. Prévenu d'avance en faveur de la profondeur des vues, de la sagacité de l'auteur, on s'occupera moins sérieusement [page 460] d'étudier ses conclusions, principalement si l'obscurité dont il les enveloppe non seulement rend cette étude plus difficile, mais encore donne toute latitude à l'imagination, et lui laisse l'entière liberté de prêter à ses rêveries la couleur de la réalité.

« Un autre artifice à l'aide duquel notre auteur a réussi, mieux que tout autre, à faire sensation, c'est qu'il présente toujours ses idées d'une manière conforme à la Bible; et qu'il prend le ton d'un homme qui serait en possession de la véritable clef des mystères que le peuple considère comme sacrés. »

Quant à moi, je ne vois dans ce livre, ni plus ni moins qu'un jeu de l'imagination, un essai non réussi, où une grande finesse de diction est employée à déterminer un point de vue d'après lequel les diverses contradictions qui émaillent les connaissances humaines pouvaient être aplanies. Nicolaï porte sur ce livre un jugement plus sévère encore. Comme Bode, qui avant lui avait exprimé cette opinion, et avec Gedike et Biester, il le soupçonna de jésuitisme.

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