1893 50.LAvant garde

1er article : De l'état des Sociétés secrètes à l’époque de la Révolution

L’Avant-Garde, n°50, samedi 9 décembre 1893, p.7-8.

Sous ce titre, La nouvelle Revue internationale [1er trimestre 1893, p.622 & suiv.], dirigée par la veuve de Ratazzi, veuve aujourd'hui en troisièmes noces du député aux Cortès espagnoles. M. de Rute publie dans son numéro du 15 nov. un article dû à la plume de M. Papus, un des chefs actuels de l'Occultisme à Paris. Établi sur des documents presque totalement inédits, cet article donne des détails fort intéressants que nous reproduisons à titre de document en faisant remarquer que l'auteur n'est nullement dans nos idées.

État des sociétés secrètes en 1785

« En 1785 existaient trois grandes associations secrètes réunies en apparence sous le voile de la franc-maçonnerie, mais ayant chacune un esprit et des tendances bien particulières.

» 1. Le Grand Orient de France, constitué depuis 1772 par la fusion de plusieurs centres maçonniques dont nous verrons plus loin l'histoire.
» L'esprit du Grand Orient est nettement démocratique (mais non démagogique). Le but poursuivi est surtout la création, dans la société, du régime représentatif pratiqué dans les loges. La guerre au cléricalisme n'est pas encore poursuivie, du moins dans les loges, puisque, sur 629 loges actives que comprendra le Grand Orient en 1789, nous trouverons 33 membres du clergé, dont 27 vénérables (5 à Paris et 22 en province) et 6 députés au Grand Orient parmi les hauts dignitaires (Amiable et Colfavru. La Franc-Maçonnerie au XVIII siècle. Paris, 1889).
» Le Grand Orient est donc, quant au nombre, la puissance la plus importante.

» 2. Le Grand Chapitre général de France, formé par la fusion du « Conseil des Empereurs d'Orient et d'Occident » et des Chevaliers d'Orient.
» L'esprit du Grand Chapitre est révolutionnaire ; mais la Révolution doit être accomplie surtout au bénéfice de la haute bourgeoisie avec le peuple comme instrument.
» Le Grand Chapitre, constitué sous le régime des hauts grades, est issu du rite templier, c'est-à-dire que les membres les plus éminents sont animés du désir de venger Jacobus Burgundus Molay et ses compagnons, de l'assassinat dont ils ont été victimes de la part de deux puissances tyranniques : la Royauté et la Papauté.
» Les membres du Chapitre sont peu nombreux, mais, en général, bien plus instruits et bien plus disciplinés que les membres du Grand Orient.
» C'est en confondant les Sociétés issues du rite templier (de Ramsay) avec les suivantes, que la plupart des historiens commettent de grosses erreurs.

» 3. Les Loges Martinistes, créées par Martines de Pasquallis, et dont le centre est à ce moment à Lyon, dirigé par Willermoz.
» L'esprit du martinisme est aristocratique. Tout est subordonné à l'intelligence et les recherches poursuivies portent presque uniquement sur la haute philosophie et les sciences occultes.
» Les Martinistes sont très difficiles dans le choix de leurs membres, et les travaux préparatoires sont longs et arides. Ils s'occuperont donc fort peu de politique ; mais, par contre, auront une très grande influence dans la direction intellectuelle des travaux maçonniques.
» C'est sous l'inspiration des Martinistes que, dans l'année qui nous occupe (1785), viennent d'être tenus les deux convents ou congrès scientifiques qui eurent une grande importance par la suite : le convent des Gaules en 1778 et le convent de Wilhemsbad en 1782. Ces réunions étaient de véritables assises académiques où les plus hautes questions étaient discutées.
» Inutile de dire que plusieurs individus faisaient partie de deux de ces grandes [page 8] associations ou même, comme Willermoz, des trois.

» Tels sont les trois grands groupes dont nous allons maintenant étudier la genèse ; nous avons négligé dans cet exposé synthétique, les sectes dérivées de ces grandes sources. Nous en parlerons dans le cours de notre travail. »

LE GRAND ORIENT DE FRANCE

« Le Grand Orient de France est issu d'une insurrection de certains membres contre les constitutions et la hiérarchie traditionnelles de la franc-maçonnerie. Quelques lignes d'explications sont ici nécessaires.
» La franc-maçonnerie a été tout d'abord établie en Angleterre par des hommes appartenant déjà à l'une des puissantes fraternités secrètes d'Occident : la confrérie des Rose-Croix. Ces hommes, et surtout Ashmole, eurent l'idée de créer un centre de propagande où l'on pourrait former à leur insu des membres instruits pour la Rose-Croix. Aussi les premières loges maçonniques furent-elles mixtes et composées partie d'ouvriers réels, partie d'ouvriers de l'intelligence (libres maçons). Les premiers essais (Ashmole) datent de 1646 ; mais c'est seulement en 1717 que la Grande Loge de Londres est constituée. C'est cette loge qui donne des chartes régulières aux loges françaises de Dunkerque (1721), Paris (1725). Bordeaux (1732), etc., etc.
» Les loges de Paris se multiplièrent rapidement, nommèrent un Grand Maître pour la France, le duc d'Antin(1738-1743), sous l'influence de qui fut entreprise, la publication de la grande Encyclopédie, comme nous le verrons tout à l'heure. Voilà l'origine réelle de la révolution, accomplie d'abord sur le plan intellectuel avant de passer de puissance en acte.
» En 1743, le comte de Clermont succéda au duc d'Antin comme grand maître et prit la direction de la Grande Loge anglaise de France. Ce comte de Clermont, trop indolent pour s'occuper sérieusement de cette société, nomma substitut un maître de danse. Lacorne, individu très intrigant, mais de mœurs très déplorables. Ce Lacorne fit entrer dans les loges une foule d'individus de son espèce, ce qui amena une scission entre la loge constituée par Lacorne (Grande Loge Lacorne), et les anciens membres qui formèrent la Grande Loge de France (1756).
» Après un essai de rapprochement entre les deux factions rivales (1756), le scandale devint si grand que la police s'en mêla et ferma les loges de Paris.