1911.express.du.midi.titre
1911 - L'Express du Midi

1911.Tournier.le.mesmrismeL'abbé Clément Tournier, vicaire à la cathédrale de Toulouse, publie en 1911 un ouvrage Le Mesmérisme à Toulouse, suivi de Lettres inédites sur le XVIIIe siècle d'après les archives de l'Hôtel du Bourg. publié à Toulouse,  par l'imprimerie Saint Cyprien, comportant 178 pages.

L'Express du Midi, organe quotidien de Défense sociale et religieuse, publie trois articles avec comme titre principal Études mesmériennes

- le vendredi 30 juin, Le rôle de Mesmer.
- le lundi 3 juillet 1911, L'Illuminisme
- le mercredi 5 juillet 1911, Mesmer à Toulouse.

Ces trois articles correspondent aux trois premiers chapitres du livre. À la fin du 3e chapitre de Le Mesmérisme à Toulouse, page 26, l'auteur ajoute que ces trois chapitres sont des « Extraits de l'Express du Midi des 30 juin, 3 et 5 juillet 1911 ».

L'ouvrage de Clément Tournier publie de nombreuses correspondances dont certaines ont disparu des bibliothèques.

Les archives de la famille Du Bourg (ou Dubourg) qui ont été déposées par les descendants, se trouvent  :

- Archives municipales de Toulouse (AMT) dans la sous-série 5 S, pour la partie la plus importante.
- Archives départementales de Haute-Garonne (ADHG) dans la sous-série 63 J, pour d'autres documents.
- Bibliothèque municipale de Toulouse (BMT) pour quelques petits éléments.

Un autre ouvrage, dû à Antoine Du Bourg (1838-1918), a été publié à Paris, chez Perrin, en 1907 : La vie religieuse en France sous la Révolution, l'Empire et la Restauration, Mgr Du Bourg, évêque de Limoges, (1751-1822).


1911.06.11.titre.L.Express du Midi
Études mesmériennes - Le rôle de Mesmer

Naguère, une des chroniques charmantes, dues à la fine plume de M. Roger de Vivie, paraissait dans les colonnes de l’Express, sous le titre de « Cagliostro à Toulouse ».

Non moins étrange que le mystérieux Italien, vécut à la même époque un autre charlatan d’égale envergure. Venu des brumes de l’Allemagne, il joignait à l’esprit pratique d’un homme du Nord, l’imagination d’un Méridional. Il s’appelait Frédéric-Antoine Mesmer [Franz Anton (1733-1815)]. Et si Joseph Balsamo, magnifiquement dénommé comte de Cagliostro [1743-1795], fit à Toulouse, d’après le spirituel chroniqueur, l’honneur de la visiter au siècle précédent, sous la figure énigmatique d’un autre Balsamo, marchand d’orviétan comme lui (1), le médecin allemand devait, en personne, résider à Toulouse durant plusieurs semaines : ce qui, croyons-nous, est ignoré ou peu connu.

À qui désire voir clair dans la seconde moitié du dix-huitième siècle, une observation s’impose. On ne saurait saisir le jeu de certains événements politiques ni le mouvement des idées et des mœurs si l’on méconnaissait le rôle effectif des loges et le besoin inouï de merveilleux qui exaltait la superstition en place de la foi chrétienne décroissante.1911.06a.11.role.mesmer.LExpress du Midi

Ce besoin, dont se sentait travaillée la France frivole de ce temps-là, les deux personnages en question l’exploitèrent au profit des sectes. Séduisant propagateur de la cabale et de l’alchimie, Cagliostro fonda le rite égyptien et collabora étroitement à l’œuvre internationale des Frères.∙. haut gradés (2). Pareillement, Mesmer fut l’un des chefs de la puissance occulte qui prépara la Révolution. À son endroit, le Dictionnaire Larousse commet une double inexactitude. Il prétend que, vers 1785, d’après le contexte de l'article, les sociétés de l’harmonie, établies en France en pleine apogée du mesmérisme, « et qui formaient une sorte de franc-maçonnerie, avaient disparu depuis longtemps » (3).

Sachons que Mesmer compte parmi les principaux délégués convoqués, pour le 15 février 1785, au célèbre couvent général de Paris (4) et que les sociétés de l’harmonie étaient plus qu’une « sorte » de franc-maçonnerie. Véritables loges, elles existaient encore en 1785. En voici la preuve :

Le 4 février 1786, Tiéman, l’un des émissaires des Illuminés Martinistes, qui avaient leur siège central à Lyon, écrivait à l’un de ses correspondants de Toulouse :

« J’arrive dans ce moment à Bordeaux et trouve une lettre de mon bon ami Willermoz. Elle m’annonce qu’on a rompu, à Lyon, entièrement avec Mesmer et qu’on a pris la résolution de ne point admettre à la société de la Concorde aucun Français ni étranger qui adhère à l’Harmonie de Mesmer ».

Les Illuminés de Lyon professaient des doctrines assez exclusives pour rejeter, comme insuffisamment spiritualistes, les principes de Mesmer. Mais les divergences de systèmes et les rivalités de personnes, tenues secrètes par les sectes divisées, échappaient à l’attention du public qui, dans l’espèce, restait émerveillé au spectacle des opérations mesmériennes.

* * *

Selon le docteur allemand, le fluide magnétique, ou magnétisme animal, à l’influence duquel les êtres sont soumis, peut se transmettre et guérir tous les maux de l’humanité. Aussi usait-il d’attouchements et de passes. Mais l’impossibilité de satisfaire individuellement une énorme clientèle, attirée par le retentissement de plusieurs cures apparentes ou réelles, lui fit imaginer son fameux baquet.

Autour d’une cuve remplie d’eau, de limaille, de verre pilé et de bouteilles, et d’où sortaient des tiges de fer à travers les trous du couvercle, une douzaine de personnes se touchant les unes les autres et reliées par une corde, attendaient que le fluide mystérieux circulât, la pointe des tiges appliquée sur la partie souffrante du corps. Peu à peu, sous le charme des mélodies et des parfums dont la salle s’imprégnait et dociles aux passes du magnétiseur, les patients, surtout les patientes, éprouvaient des spasmes, des langueurs nerveuses, suivies parfois de convulsions. Alors une chambre, toute matelassée, s’ouvrait à ces épileptiques qui se débattaient, éperdus, jusqu’à ce que l’opérateur, en brillant costume, dissipât les crises, avant-courrières de la guérison, au contact de sa main ou de sa baguette magique.

Le baquet fit fureur et Mesmer fit fortune.

Sa fortune même lui suscita des rivaux. Un disciple acquit, par son habileté, assez de vogue pour piquer la jalousie du Maître. C’était Deslon, régent de la Faculté de médecine. Aussi l’année 1784, qui vit les expériences aérostatiques des Montgolfier, des Blanchard, des Pilatre de Rozier, fut-elle témoin des vives compétitions des deux magnétiseurs.

De la capitale, l’écho de la lutte parvenait en province. À Paris, la marquise de Livry, née de Maniban, notait les événements, grands ou menus, de la cour et de la ville, dans la correspondance hebdomadaire qu'elle entretenait avec son amie de Toulouse, la présidente du Bourg. Femme de bon sens pratique, ironiste et sceptique à ses heures, la marquise nous apparaît, cependant, inférieure en regard de la présidente.

Celle-ci, dont plusieurs écrivains ont tracé un beau et fidèle portrait, était une personnalité toulousaine. On vénérait l’auréole de sa maternité dans la couronne de ses vingt enfants » on redoutait le mordant de son esprit ; on louait les élégances de son style épistolaire et l’étendue de son savoir ; on admirait surtout l’excellence de sa généreuse nature. Veuve et sexagénaire, elle gardait, aussi ardentes qu’en sa jeunesse, la bonté secourable de son cœur de chrétienne et ses aspirations d’intellectuelle curieuse. Il faut en induire que son attrait pour les nouveautés devait réclamer d’explicites et pressantes réponses sur la question du magnétisme ; et, de fait, la marquise s’essayait, avec un succès inégal, à les lui fournir.

« Je ne suis pas en état, écrivait-elle le 10 avril, de satisfaire votre curiosité sur les effets du magnétisme de M. Mesmer. J’ai vu peu de personnes cette semaine et n’ai point entendu parler de lui. S’il avait fait quelques guérisons miraculeuses, ses partisans en auraient étourdi les oreilles de tout le monde. Je souhaite que M. le marquis de Panat se trouve bien des remèdes de M. Deslon ; j’ai vu ma nièce, Mme de Morand, qui a pensé mourir entre ses mains ; il a fallu huit mois pour réparer tout le mal qu'il lui avait fait ».

Après les bruits de la ville, elle relate les bruits de la cour. Un illustre marin, victorieux des Anglais, arrive des Indes. Louis XVI le comble d’honneurs. « Vous aurez appris, par la Gazette, ce que le roi a fait en faveur de M. de Suffren. La reine y a ajouté toutes les grâces qu’elle sait mettre à tout ce qu’elle dit » (5).

Mais elle revient, pour lui décocher cette pointe, au sujet dont s’engoue sa correspondante : « Ce que je trouve de dangereux dans le magnétisme, c’est que les ignorants comme les savants, peuvent s’en servir et, par conséquent, l’administrer très mal à propos ».»

Du même avis va se déclarer la commission royale, qui assiste aux expériences de Deslon » tandis que Mesmer, ambitieux d’accroître rapidement sa fortune, annonce qu’il enseignera son secret à cent personnes qui s’engageront à verser 100 louis par tête : il s’'en présenta plus de 130 ! Grands seigneurs et grandes dames, ces élèves, bientôt désillusionnés, n’apprirent rien qui ne fût déjà imprimé dans les ouvrages du Maître. Des pamphlets parurent « pour servir à l’histoire de la jonglerie ».

Notre Parisienne, railleuse, se complaît à refroidir l’enthousiasme de Mme du Bourg. La marquise de Fleury, à qui Mesmer promettait chaque jour la guérison, n’est-elle pas morte aveugle et paralytique ?

Le prince de Beaufremont, dont il soigne la surdité n’est-il pas « plus sourd qu’à l’ordinaire ? » « Je suis comme vous : mon oreille droite est presque nulle. Je n’ai pas encore assez de confiance au magnétisme pour la livrer à Mesmer ou à Deslon, quoique M. de Jussieu nous ait assuré qu’il y ait, dans le magnétisme, un agent que nous ignorons ».

Mais la conviction de la présidente est déjà solidement assise : rien ne l’ébranle. Du scepticisme de la marquise, Mme du Bourg sourit à son tour : car elle s’est pénétrée de la théorie à la lecture de tous les livres qui traitent la question ; et, informée d’ailleurs des cures qu’père à Bordeaux un ex-jésuite, le P. Herbier, elle se décide à tenter personnellement l’expérimentation. Pratique, au début laborieuse, en laquelle il lui plairait de progresser, sous les yeux d’un professionnel. Pourquoi, de Paris, un disciple ne viendrait-il pas à défaut du maître qu’elle n'ose encore appeler à Toulouse ? Et nous apprenons de Mme de Livry, l’insuccès de la démarche : « Il y a plusieurs jours, j’ai soupé dans la même maison que M. de Saint-Martin ; il m’a dit que vous lui aviez écrit pour le prier de tâcher d’obtenir de M. Mesmer qu’il envoyât en Languedoc un de ses élèves : ce que M. Mesmer a refusé ».

Peut-être, d’aucuns s'étonnent que cette présidente d’une haute portée intellectuelle et d’une valeur morale hors de conteste, se soit éprise d’un pareil empirisme. Mieux éclairés sur les mobiles de ses actes et sur le rôle du personnage qui transmit sa demande à Mesmer, ils se refuseront, respectueux et conquis, au blâme de sa conduite.

C’est ce que nous expliquerons dans un prochain article.


1911.07.03.titre.L.Express du Midi
Études mesmériennes - L'Illuminisme

Des multiples systèmes dont s’accrut la confusion des idées, au dix-huitième siècle, l’Illuminisme ne fut pas le moins curieux. Il se diversifia selon les pays.

L’illuminisme allemand de Weishaupt, génial conspirateur, qui fonda des sectes redoutables, tendait finalement à ramener l’homme à la liberté et à l’égalité primitives par la destruction de tout ordre social.

L’illuminisme suédois de Swedenborg, visionnaire doué du pouvoir, prétendait-il, de correspondre avec les esprits et les anges, initiait à la méthode fondamentale de la science spirite.1911.07.03a.Illuminisme.L.Express du Midi

L’illuminisme français de Saint-Martin vulgarisa les théories du Portugais Martinez Pasqualis. Singulière figure que ce Claude de Saint-Martin, qui s’intitulait « le philosophe inconnu ». Délaissant les armes pour la métaphysique, doux et bienfaisant, il devint le docteur et le propagateur du martinisme par la publication d’un livre retentissant : Des Erreurs et de la Vérité. D’une forme élégante et pure, il voilait des idées inintelligibles au commun.

Les plus grands personnages se disputèrent l’honneur de connaître l'écrivain ; et le crédit dont sa popularité le dota faillit, au début de la Révolution, lui conférer la charge de précepteur du dauphin. Dans son Tableau de Paris, Mercier estime, d’après la lecture de l’ouvrage, « que les martinistes sont diamétralement opposés aux matérialistes, qu’ils sont religieux dans toute la force du terme, et qu’ils tendent à élever l’homme autant que d’autres se sont plu à le rabaisser... Ils parlent de l’Etre suprême avec une vénération et un amour qui saisissent l’âme ; et tout ce qu’enseigne le christianisme ne trouve en eux aucune contradiction formelle. Enfin, ils n’entament aucune question politique... Leur secte n’ambitionne ni pouvoir, ni richesse, ni renommée ; elle rêve, elle cherche la perfection, elle est douce et vertueuse. » (1)

Impartial jugement. Au sein d’une société corrompue, vivent, en effet, des âmes d’élite qu’étouffe l’atmosphère ambiante. Elles essaient de réagir contre le matérialisme et les impiétés de l’Encyclopédie ; et quand elles entendent la doctrine de « spiritualisme pur » que professe Saint-Martin, elles respirent d’aise.

Comme il n'est pas de Toulousains plus altérés d’idéal que la présidente du Bourg et le conseiller Mathias du Bourg, on devine la jouissance profonde de la mère et du fils à suivre une route qui monte si haut. Deux fois, Claude de Saint-Martin fait le voyage de Paris à Toulouse pour être leur hôte au château de Rochemonteix ; par la séduction de son commerce et l’attrait de ses mystiques conceptions, il les captive. Que le système, en certains endroits, aboutisse aux erreurs de la gnose, ils étaient trop novices en théologie pour le découvrir.

Que les chefs du martinisme, de concert avec les illuminés de Weishaupt et les directeurs du Grand-Orient de France, concentrent secrètement leurs efforts pour activer le mouvement révolutionnaire, ils n’seraient les suspecter d’intentions aussi perverses.

De bonne foi, et sans bruit, ils progressent dans cette voie de dépouillement moral. Et le conseiller du Bourg, qui a déjà renoncé aux honneurs de la Cour de Versailles, refuse encore un fauteuil de mainteneur aux Jeux Floraux.

* * *

Sa mentalité — et celle de son école — ressortira aisément de la nature de sa correspondance avec deux martinistes.

Du Roy d’Hauterive vient habiter Londres en 1783 : « Nous allons tous les dimanches, écrit-il au conseiller, entendre la grand’messe à la chapelle de l’ambassadeur de Sardaigne, où nous avons une excellente musique de voix accompagnées de l’orgue : le service s’y fait avec beaucoup de régularité et tous les catholiques d’ici sont d’un maintien édifiant. »

Il n’en va pas de même des francs-maçons : « La Maçonnerie est plus bas ici qu’en France. Les assemblées sont terminées par des orgies bachiques, où l’on mange jusqu’au vomissement, où l’on boit à extinction de toute raison, et où l’on se bat à coups de poing pour faire la digestion... Voilà les dignes correspondants du Grand-Orient de Paris. »

L’illuminisme suédois n’y brille pas davantage : « Les Swedenborgistes commencent à baisser : leurs réunions se passent en disputes et touchent à une prochaine dissolution. » Il consacre, d’ailleurs, tout un traité à la critique des erreurs de Swedenborg : « Il a dit une impiété, écrit-il, au sujet de la Sainte Vierge, en prétendant qu’elle était une femme tout comme une autre. Certainement, elle a été une femme semblable aux autres quant à son corps et à son esprit, mais avec la différence incommensurable qu’elle n’a point connu le péché et demeure vierge éternellement, et par cette qualité a pris la première place auprès de son Divin Fils. »

Et plus loin : « Quoique notre auteur ait parlé, en plusieurs endroits, de la Sainte-Trinité d’une manière satisfaisante, ainsi que de la divinité de Jésus-Christ, il est cependant tombé dans l’impiété abominable de nier la rédemption par la croix. »

D’origine protestante, l’autre correspondant jouit lui- même d’une âme supérieure ; les lettres de Vialètes d’Aignan, qui réside à Montauban, ont presque toutes pour objet des problèmes religieux.

Il disserte sur la déchéance de l’humanité et l’expiation du Christ en ajoutant : « Voyez si mes opinions à cet égard sont justes. »

C'est M. du Bourg qu’il consulte encore sur le dogme de la transsubstantiation. Il recherche ardemment la vérité : « C’est Jésus seul, avoue-t-il, qui donne la science aux hommes... Mon parti est pris : je n’ambitionne plus les connaissances, je renonce aux hommes qui sont fragiles, menteurs, inconstants pour ne me fier qu’à notre puissant Rédempteur. »

La sincérité de ses aspirations et les éclaircissements qui lui viennent du conseiller vont le conduire jusqu’au catholicisme : « Je vous supplie de prier pour que je ne sois pas arrêté dans ce qui me reste à faire pour pouvoir être réuni et de corps et d’âme et d’esprit dans la communion romaine. J’ai beaucoup d’obstacles à surmonter, soit à cause de mes parents, soit à cause de mes enfants. Je m’abandonne à la Providence et je ne doute pas que si je le fais bien entièrement, avec le secours de mon guide, je n’arrive au but tant désiré. »

Ces citations ne justifient-elles pas l’exclamation de l’auteur précité du Tableau de Paris : « Qui l’eût dit, qu’après les Encyclopédistes viendraient les Martinistes ? » (2).

* * *

Méditatives, ces natures cèdent au besoin d'’être bienfaisantes ; et le magnétisme leur apparaît justement comme un moyen pratique de le devenir. Tout n’est pas charlatanesque dans les théories de Mesmer, et à l’agent ignoré dont parle de Jussieu conviendrait peut-être le rôle de guérisseur. Le remède que notre présidente espère y trouver sera plus efficace à ses yeux que les plantes et les drogues d’apothicaire : aussi bien, les rêves humanitaires dont se bercent nombre de ses contemporains se précisent-ils, chez elle, dans le désir intense de soulager les souffrants.

En son hôtel de la place Saintes-Scarbes, elle a installé un baquet : les malades affluent. Et à son tour, secondée par ses fils, elle va recourir au somnambulisme. C’est un progrès dû à l’expérience de deux fameux magnétiseurs, le marquis et le comte de Puységur qui, à l’aide de passes, produisent le sommeil magnétique.

Très intriguée. Mme de Livry assiste à une séance de somnambulisme chez le marquis de Puységur qui commande à une patiente nommée Madeleine. « Sa vertu, annonce-t-elle à Mme du Bourg, il la communique aux personnes de l’assemblée en leur frottant les bras et les mains avec les siennes. Ainsi, j’ai fait marcher Madeleine toujours les yeux fermés : je l’ai menée prendre un verre d’eau sur le baquet, je lui ai fait signe d’en boire, et elle en a bu. Elle a obéi à beaucoup d’autres personnes présentes dans la chambre, entre autres à M. le bailli de Suffren... »

Le comte Maxime de Puységur doit rejoindre à Montauban son régiment de Languedoc. « Je ne doute pas, écrit de Saint-Martin, à Mathias du Bourg, du plaisir qu’il aura à faire votre connaissance et celle de toute votre famille. Vous vous recorderez ensemble sur le magnétisme, et vous verrez à confronter vos lumières mutuelles pour le plus grand bien de vos malades. »

Mme de Livry, qui, elle, ne se sent point « le goût de faire le métier de Sœur de la charité », gronde la présidente de l’excès de fatigue qu’entraîne son dévouement. Elle respire d’apprendre que trois malades seulement la suivent à Rochemonteix, et ajoute avec quelque malice : « Vous êtes occupée à guérir un sourd et muet : si vous réussissez à le faire entendre et parler, vous rendrez service au magnétisme. »

C’est à Rochemonteix que Mme du Bourg accueille le comte Maxime et profite de ses conseils. Elle obtient ainsi gain de cause. Un maître expérimenté remplace, auprès d’elle, l’élève que Mesmer lui refusa.

Au reste, Mesmer lui-même ne tardera pas à prendre rang parmi les célébrités qui visitèrent notre présidente.


1911.07.05.titre.L.Express du Midi
Études mesmériennes - Mesmer à Toulouse

Un beau jour, Mesmer disparaît de Paris pour une destination inconnue et, fin décembre 1785, d’Hauterive annonce au conseiller du Bourg : « Mesmer est venu à Londres, où il a resté six semaines incognito. Il a ici un petit correspondant, petit abbé fort ignorant, avec lequel j’ai soupé et qui me fit voir cinq guinées qu'il prétendait avoir gagnées en magnétisant. Cet air de charlatan du petit mesmérien, joint à ce que j’en ai ouï dire, m’assure que le magnétisme ne prendra point racine. »

À tort, les biographes racontent que d’Angleterre, Mesmer se retira en Allemagne. Il passa par Bordeaux pour atteindre Toulouse au début de mars 1786.1911.07.05a.Mesmer.L.Express du Midi

Mme du Bourg lui aurait offert l’hospitalité, place Saintes-Scarbes, si elle n’eût voulu sacrifier sa propre satisfaction au bien de sa famille. L’une de ses filles, Elisabeth, celle que Claude de Saint-Martin appelait « la grande fleur », à l'époque où il ne se crut pas digne de l'épouser, était, depuis mariée à Guillaume d’Omézon, trésorier de France. Or, M. et Mme d'Omézon, souffrants l’un et l’autre, usaient du baquet sans résultat sensible. La présence de Mesmer ne leur serait-elle pas avantageuse ? Et, c’est dans leur hôtel, rue de l’Inquisition, qu'il réside. Là, il opère, il professe, un mois durant.

La présidente triomphe : elle écoute, examine, interroge ; elle apprend que, selon les désirs du Maître, son système, devrait se nommer Mesmérisme et non Magnétisme.

« Je ne sais s’il y parviendra, répond Mme de Livry, attendu que dans ses traitements il n’a jamais pu donner la somnambulité qui est l’état où les malades sont le plus savants. »

Que Mesmer tentât de conquérir à sa société secrète un parlementaire de la réputation de M. du Bourg, c’était fort naturel. Il échoua. Cet échec réjouit du Roy d’Hauterive : « Je suis charmé que vous ayez refusé de faire corps avec l’harmonie. Ne nous mêlons pas avec cette confrérie, où certainement il n'y a rien de bon à gagner. »

Dans leurs entretiens, le magnétiseur et le conseiller ne considèrent que le fond sérieux du système, et, pressentant pour ainsi dire les phénomènes de suggestion et d’hypnotisme que le dix-neuvième siècle éclairera d’explications scientifiques, ils s’accordent à reconnaître à l’agent mystérieux, avec la vertu de guérir, une puissance insoupçonnée.

L’opinion de Mathias du Bourg, qui croit discerner en cette puissance un instrument providentiel d’apostolat, Vialètes d’Aignan la partage, en lui écrivant : « Je vous félicite d’avoir Mesmer à Toulouse. Je m’en étais fait à peu près une idée conforme à celle que vous m’en donnez. Je ne doute pas que la révolution qu’il a occasionnée ne soit, absolument nécessaire. Si le mal fait des progrès rapides, il faut que le bien puisse le balancer, sans quoi nous serions perdus ; et cela ne serait point, si notre Divin Maître ne fournissait de nouveaux moyens aux hommes vertueux pour se faire entendre à leurs semblables… »

Mais, de conceptions spiritualistes et de goûts d’apôtre, notre Allemand n’avait cure. Plus pratique, il s’enrichissait. Et lorsque, au départ de Toulouse, il reprit la route d’Allemagne, il pouvait, le sourire aux lèvres, saluer notre pays de son bonnet d’alchimiste où la crédulité française avait généreusement versé 30.000 livres de rente.

* * *

Après cette visite, les du Bourg magnétisent avec plus d’entrain, et leur somnambule Priscille, fait merveille. Le conseiller Mathias se trouve aidé par ses frères, l’abbé Philippe, futur évêque de Limoges et le chevalier Joseph. Celui-ci a essayé de convaincre son cousin et chef dans l’ordre de Malte, le brillant bailli de Rességuier, dont le quatrain satirique à l’adresse de Mme de Pompadour avait, autrefois, causé l’incarcération à la Bastille. De Cauterets, il reçoit cette réponse : « Je vous félicite de votre succès à Rochemonteix. Voilà le bon moyen de repousser les fades plaisanteries que l’ignorance et la mauvaise foi ne craignent pas de se permettre contre une pratique dont les effets servent si avantageusement l’humanité. Je ne m’y suis pas soumis parce que mes maux invétérés exigeaient un autre régime : je n’ai pas le malheur d’être au nombre des mécréants, ni celui de fermer les yeux à l’évidence des preuves. »

De nouvelles instances ont été faites, et, pendant le séjour de Mesmer à Toulouse, le bailli, qui a consenti à se livrer aux mains du plus vigoureux magnétiseur de la Bresse, écrit au chevalier : « Le magnétisme agit très favorablement ; si le fruit que je recueille se soutient, me voilà devenu l’un des plus ardents apôtres de cette pratique, à laquelle j'avais d'abord peu de foi, je l’avoue. Mais les violentes douleurs qui me tourmentent périodiquement tous les jours très adoucies, et la disparition totale de mes nausées, sont un grand moyen de conversion. »

Un seul se montre rebelle. Le lieutenant de frégate Bruno du Bourg, qui a vaillamment servi, aux Indes, sous les ordres du bailli de Suffren et de l'amiral de Saint-Félix, est de retour dans sa famille. Plus exclusif que le bailli de Suffren chez le marquis de Puységur, il n’aspire, durant son congé, qu’à goûter le repos et l’affection des siens. D’où surprise de la présidente. Mme de Livry, au contraire, l’en félicite : « Le refus que vous a fait votre cher Bruno d’être initié dans le magnétisme doit vous faire plaisir. Çà vous prouve son goût pour l’état qu’il a embrassé : il ne veut s’occuper que de ce qui est relatif à la marine, afin de devenir célèbre dans ce corps. » (1)

* * *

Dans ces citations diverses, dont nous ne voudrions pas avoir abusé, mieux qu’en de simples affirmations se révèle l’état des esprits. Elles nous permettent, au surplus, d’exprimer en cette formule le caractère du mesmérisme toulousain que représente la famille du Bourg et qui se distingue, par ses mobiles, du système du fondateur : une tentative, heureuse parfois, toujours noblement désintéressée, pour opérer, à l’aide du magnétisme, le bien des souffrants.

Mais toute mode est éphémère et, si généreux soient-ils, les efforts finissent par lasser quand ils ne produisent point les effets attendus et que de nouveaux buts, non moins louables, les sollicitent. D’une part, la tournure des affaires publiques s’aggrave avec l’assemblée des notables ; et de l'autre, les soucis de famille grossissent : un sixième enfant, Joséphine, vient de naître au conseiller Mathias. Les du Bourg délaissent le magnétisme.

Encore quelques années, et leur rêve humanitaire aboutit au tragique épilogue de la Terreur. Le chevalier Joseph et le marin Bruno errent, en exil ; la tête de l’héroïque et saint abbé Philippe est mise à prix, à Toulouse ; le conseiller Mathias meurt, en martyr, sur l’échafaud de Paris : la présidente succombe de douleur.

Il reste, cependant, quelque chose du rêve ; la jeune Joséphine le recueille. En elle, le désir du bien s’épanouira en charité, plus divinement ardente. « La charité de Jésus-Christ me presse » sera sa devise. Fondatrice de la Congrégation du Sauveur, à la Souterraine, elle mourra en odeur de sainteté.

Le procès de sa cause de béatification a été ouvert à Rome en 1906.

Clément Tournier