1911.07.05.titre.L.Express du Midi
Études mesmériennes - Mesmer à Toulouse

Un beau jour, Mesmer disparaît de Paris pour une destination inconnue et, fin décembre 1785, d’Hauterive annonce au conseiller du Bourg : « Mesmer est venu à Londres, où il a resté six semaines incognito. Il a ici un petit correspondant, petit abbé fort ignorant, avec lequel j’ai soupé et qui me fit voir cinq guinées qu'il prétendait avoir gagnées en magnétisant. Cet air de charlatan du petit mesmérien, joint à ce que j’en ai ouï dire, m’assure que le magnétisme ne prendra point racine. »

À tort, les biographes racontent que d’Angleterre, Mesmer se retira en Allemagne. Il passa par Bordeaux pour atteindre Toulouse au début de mars 1786.1911.07.05a.Mesmer.L.Express du Midi

Mme du Bourg lui aurait offert l’hospitalité, place Saintes-Scarbes, si elle n’eût voulu sacrifier sa propre satisfaction au bien de sa famille. L’une de ses filles, Elisabeth, celle que Claude de Saint-Martin appelait « la grande fleur », à l'époque où il ne se crut pas digne de l'épouser, était, depuis mariée à Guillaume d’Omézon, trésorier de France. Or, M. et Mme d'Omézon, souffrants l’un et l’autre, usaient du baquet sans résultat sensible. La présence de Mesmer ne leur serait-elle pas avantageuse ? Et, c’est dans leur hôtel, rue de l’Inquisition, qu'il réside. Là, il opère, il professe, un mois durant.

La présidente triomphe : elle écoute, examine, interroge ; elle apprend que, selon les désirs du Maître, son système, devrait se nommer Mesmérisme et non Magnétisme.

« Je ne sais s’il y parviendra, répond Mme de Livry, attendu que dans ses traitements il n’a jamais pu donner la somnambulité qui est l’état où les malades sont le plus savants. »

Que Mesmer tentât de conquérir à sa société secrète un parlementaire de la réputation de M. du Bourg, c’était fort naturel. Il échoua. Cet échec réjouit du Roy d’Hauterive : « Je suis charmé que vous ayez refusé de faire corps avec l’harmonie. Ne nous mêlons pas avec cette confrérie, où certainement il n'y a rien de bon à gagner. »

Dans leurs entretiens, le magnétiseur et le conseiller ne considèrent que le fond sérieux du système, et, pressentant pour ainsi dire les phénomènes de suggestion et d’hypnotisme que le dix-neuvième siècle éclairera d’explications scientifiques, ils s’accordent à reconnaître à l’agent mystérieux, avec la vertu de guérir, une puissance insoupçonnée.

L’opinion de Mathias du Bourg, qui croit discerner en cette puissance un instrument providentiel d’apostolat, Vialètes d’Aignan la partage, en lui écrivant : « Je vous félicite d’avoir Mesmer à Toulouse. Je m’en étais fait à peu près une idée conforme à celle que vous m’en donnez. Je ne doute pas que la révolution qu’il a occasionnée ne soit, absolument nécessaire. Si le mal fait des progrès rapides, il faut que le bien puisse le balancer, sans quoi nous serions perdus ; et cela ne serait point, si notre Divin Maître ne fournissait de nouveaux moyens aux hommes vertueux pour se faire entendre à leurs semblables… »

Mais, de conceptions spiritualistes et de goûts d’apôtre, notre Allemand n’avait cure. Plus pratique, il s’enrichissait. Et lorsque, au départ de Toulouse, il reprit la route d’Allemagne, il pouvait, le sourire aux lèvres, saluer notre pays de son bonnet d’alchimiste où la crédulité française avait généreusement versé 30.000 livres de rente.

* * *

Après cette visite, les du Bourg magnétisent avec plus d’entrain, et leur somnambule Priscille, fait merveille. Le conseiller Mathias se trouve aidé par ses frères, l’abbé Philippe, futur évêque de Limoges et le chevalier Joseph. Celui-ci a essayé de convaincre son cousin et chef dans l’ordre de Malte, le brillant bailli de Rességuier, dont le quatrain satirique à l’adresse de Mme de Pompadour avait, autrefois, causé l’incarcération à la Bastille. De Cauterets, il reçoit cette réponse : « Je vous félicite de votre succès à Rochemonteix. Voilà le bon moyen de repousser les fades plaisanteries que l’ignorance et la mauvaise foi ne craignent pas de se permettre contre une pratique dont les effets servent si avantageusement l’humanité. Je ne m’y suis pas soumis parce que mes maux invétérés exigeaient un autre régime : je n’ai pas le malheur d’être au nombre des mécréants, ni celui de fermer les yeux à l’évidence des preuves. »

De nouvelles instances ont été faites, et, pendant le séjour de Mesmer à Toulouse, le bailli, qui a consenti à se livrer aux mains du plus vigoureux magnétiseur de la Bresse, écrit au chevalier : « Le magnétisme agit très favorablement ; si le fruit que je recueille se soutient, me voilà devenu l’un des plus ardents apôtres de cette pratique, à laquelle j'avais d'abord peu de foi, je l’avoue. Mais les violentes douleurs qui me tourmentent périodiquement tous les jours très adoucies, et la disparition totale de mes nausées, sont un grand moyen de conversion. »

Un seul se montre rebelle. Le lieutenant de frégate Bruno du Bourg, qui a vaillamment servi, aux Indes, sous les ordres du bailli de Suffren et de l'amiral de Saint-Félix, est de retour dans sa famille. Plus exclusif que le bailli de Suffren chez le marquis de Puységur, il n’aspire, durant son congé, qu’à goûter le repos et l’affection des siens. D’où surprise de la présidente. Mme de Livry, au contraire, l’en félicite : « Le refus que vous a fait votre cher Bruno d’être initié dans le magnétisme doit vous faire plaisir. Çà vous prouve son goût pour l’état qu’il a embrassé : il ne veut s’occuper que de ce qui est relatif à la marine, afin de devenir célèbre dans ce corps. » (1)

* * *

Dans ces citations diverses, dont nous ne voudrions pas avoir abusé, mieux qu’en de simples affirmations se révèle l’état des esprits. Elles nous permettent, au surplus, d’exprimer en cette formule le caractère du mesmérisme toulousain que représente la famille du Bourg et qui se distingue, par ses mobiles, du système du fondateur : une tentative, heureuse parfois, toujours noblement désintéressée, pour opérer, à l’aide du magnétisme, le bien des souffrants.

Mais toute mode est éphémère et, si généreux soient-ils, les efforts finissent par lasser quand ils ne produisent point les effets attendus et que de nouveaux buts, non moins louables, les sollicitent. D’une part, la tournure des affaires publiques s’aggrave avec l’assemblée des notables ; et de l'autre, les soucis de famille grossissent : un sixième enfant, Joséphine, vient de naître au conseiller Mathias. Les du Bourg délaissent le magnétisme.

Encore quelques années, et leur rêve humanitaire aboutit au tragique épilogue de la Terreur. Le chevalier Joseph et le marin Bruno errent, en exil ; la tête de l’héroïque et saint abbé Philippe est mise à prix, à Toulouse ; le conseiller Mathias meurt, en martyr, sur l’échafaud de Paris : la présidente succombe de douleur.

Il reste, cependant, quelque chose du rêve ; la jeune Joséphine le recueille. En elle, le désir du bien s’épanouira en charité, plus divinement ardente. « La charité de Jésus-Christ me presse » sera sa devise. Fondatrice de la Congrégation du Sauveur, à la Souterraine, elle mourra en odeur de sainteté.

Le procès de sa cause de béatification a été ouvert à Rome en 1906.

Clément Tournier