1911.06.11.titre.L.Express du Midi
Études mesmériennes - Le rôle de Mesmer

Naguère, une des chroniques charmantes, dues à la fine plume de M. Roger de Vivie, paraissait dans les colonnes de l’Express, sous le titre de « Cagliostro à Toulouse ».

Non moins étrange que le mystérieux Italien, vécut à la même époque un autre charlatan d’égale envergure. Venu des brumes de l’Allemagne, il joignait à l’esprit pratique d’un homme du Nord, l’imagination d’un Méridional. Il s’appelait Frédéric-Antoine Mesmer [Franz Anton (1733-1815)]. Et si Joseph Balsamo, magnifiquement dénommé comte de Cagliostro [1743-1795], fit à Toulouse, d’après le spirituel chroniqueur, l’honneur de la visiter au siècle précédent, sous la figure énigmatique d’un autre Balsamo, marchand d’orviétan comme lui (1), le médecin allemand devait, en personne, résider à Toulouse durant plusieurs semaines : ce qui, croyons-nous, est ignoré ou peu connu.

À qui désire voir clair dans la seconde moitié du dix-huitième siècle, une observation s’impose. On ne saurait saisir le jeu de certains événements politiques ni le mouvement des idées et des mœurs si l’on méconnaissait le rôle effectif des loges et le besoin inouï de merveilleux qui exaltait la superstition en place de la foi chrétienne décroissante.1911.06a.11.role.mesmer.LExpress du Midi

Ce besoin, dont se sentait travaillée la France frivole de ce temps-là, les deux personnages en question l’exploitèrent au profit des sectes. Séduisant propagateur de la cabale et de l’alchimie, Cagliostro fonda le rite égyptien et collabora étroitement à l’œuvre internationale des Frères.∙. haut gradés (2). Pareillement, Mesmer fut l’un des chefs de la puissance occulte qui prépara la Révolution. À son endroit, le Dictionnaire Larousse commet une double inexactitude. Il prétend que, vers 1785, d’après le contexte de l'article, les sociétés de l’harmonie, établies en France en pleine apogée du mesmérisme, « et qui formaient une sorte de franc-maçonnerie, avaient disparu depuis longtemps » (3).

Sachons que Mesmer compte parmi les principaux délégués convoqués, pour le 15 février 1785, au célèbre couvent général de Paris (4) et que les sociétés de l’harmonie étaient plus qu’une « sorte » de franc-maçonnerie. Véritables loges, elles existaient encore en 1785. En voici la preuve :

Le 4 février 1786, Tiéman, l’un des émissaires des Illuminés Martinistes, qui avaient leur siège central à Lyon, écrivait à l’un de ses correspondants de Toulouse :

« J’arrive dans ce moment à Bordeaux et trouve une lettre de mon bon ami Willermoz. Elle m’annonce qu’on a rompu, à Lyon, entièrement avec Mesmer et qu’on a pris la résolution de ne point admettre à la société de la Concorde aucun Français ni étranger qui adhère à l’Harmonie de Mesmer ».

Les Illuminés de Lyon professaient des doctrines assez exclusives pour rejeter, comme insuffisamment spiritualistes, les principes de Mesmer. Mais les divergences de systèmes et les rivalités de personnes, tenues secrètes par les sectes divisées, échappaient à l’attention du public qui, dans l’espèce, restait émerveillé au spectacle des opérations mesmériennes.

* * *

Selon le docteur allemand, le fluide magnétique, ou magnétisme animal, à l’influence duquel les êtres sont soumis, peut se transmettre et guérir tous les maux de l’humanité. Aussi usait-il d’attouchements et de passes. Mais l’impossibilité de satisfaire individuellement une énorme clientèle, attirée par le retentissement de plusieurs cures apparentes ou réelles, lui fit imaginer son fameux baquet.

Autour d’une cuve remplie d’eau, de limaille, de verre pilé et de bouteilles, et d’où sortaient des tiges de fer à travers les trous du couvercle, une douzaine de personnes se touchant les unes les autres et reliées par une corde, attendaient que le fluide mystérieux circulât, la pointe des tiges appliquée sur la partie souffrante du corps. Peu à peu, sous le charme des mélodies et des parfums dont la salle s’imprégnait et dociles aux passes du magnétiseur, les patients, surtout les patientes, éprouvaient des spasmes, des langueurs nerveuses, suivies parfois de convulsions. Alors une chambre, toute matelassée, s’ouvrait à ces épileptiques qui se débattaient, éperdus, jusqu’à ce que l’opérateur, en brillant costume, dissipât les crises, avant-courrières de la guérison, au contact de sa main ou de sa baguette magique.

Le baquet fit fureur et Mesmer fit fortune.

Sa fortune même lui suscita des rivaux. Un disciple acquit, par son habileté, assez de vogue pour piquer la jalousie du Maître. C’était Deslon, régent de la Faculté de médecine. Aussi l’année 1784, qui vit les expériences aérostatiques des Montgolfier, des Blanchard, des Pilatre de Rozier, fut-elle témoin des vives compétitions des deux magnétiseurs.

De la capitale, l’écho de la lutte parvenait en province. À Paris, la marquise de Livry, née de Maniban, notait les événements, grands ou menus, de la cour et de la ville, dans la correspondance hebdomadaire qu'elle entretenait avec son amie de Toulouse, la présidente du Bourg. Femme de bon sens pratique, ironiste et sceptique à ses heures, la marquise nous apparaît, cependant, inférieure en regard de la présidente.

Celle-ci, dont plusieurs écrivains ont tracé un beau et fidèle portrait, était une personnalité toulousaine. On vénérait l’auréole de sa maternité dans la couronne de ses vingt enfants » on redoutait le mordant de son esprit ; on louait les élégances de son style épistolaire et l’étendue de son savoir ; on admirait surtout l’excellence de sa généreuse nature. Veuve et sexagénaire, elle gardait, aussi ardentes qu’en sa jeunesse, la bonté secourable de son cœur de chrétienne et ses aspirations d’intellectuelle curieuse. Il faut en induire que son attrait pour les nouveautés devait réclamer d’explicites et pressantes réponses sur la question du magnétisme ; et, de fait, la marquise s’essayait, avec un succès inégal, à les lui fournir.

« Je ne suis pas en état, écrivait-elle le 10 avril, de satisfaire votre curiosité sur les effets du magnétisme de M. Mesmer. J’ai vu peu de personnes cette semaine et n’ai point entendu parler de lui. S’il avait fait quelques guérisons miraculeuses, ses partisans en auraient étourdi les oreilles de tout le monde. Je souhaite que M. le marquis de Panat se trouve bien des remèdes de M. Deslon ; j’ai vu ma nièce, Mme de Morand, qui a pensé mourir entre ses mains ; il a fallu huit mois pour réparer tout le mal qu'il lui avait fait ».

Après les bruits de la ville, elle relate les bruits de la cour. Un illustre marin, victorieux des Anglais, arrive des Indes. Louis XVI le comble d’honneurs. « Vous aurez appris, par la Gazette, ce que le roi a fait en faveur de M. de Suffren. La reine y a ajouté toutes les grâces qu’elle sait mettre à tout ce qu’elle dit » (5).

Mais elle revient, pour lui décocher cette pointe, au sujet dont s’engoue sa correspondante : « Ce que je trouve de dangereux dans le magnétisme, c’est que les ignorants comme les savants, peuvent s’en servir et, par conséquent, l’administrer très mal à propos ».»

Du même avis va se déclarer la commission royale, qui assiste aux expériences de Deslon » tandis que Mesmer, ambitieux d’accroître rapidement sa fortune, annonce qu’il enseignera son secret à cent personnes qui s’engageront à verser 100 louis par tête : il s’'en présenta plus de 130 ! Grands seigneurs et grandes dames, ces élèves, bientôt désillusionnés, n’apprirent rien qui ne fût déjà imprimé dans les ouvrages du Maître. Des pamphlets parurent « pour servir à l’histoire de la jonglerie ».

Notre Parisienne, railleuse, se complaît à refroidir l’enthousiasme de Mme du Bourg. La marquise de Fleury, à qui Mesmer promettait chaque jour la guérison, n’est-elle pas morte aveugle et paralytique ?

Le prince de Beaufremont, dont il soigne la surdité n’est-il pas « plus sourd qu’à l’ordinaire ? » « Je suis comme vous : mon oreille droite est presque nulle. Je n’ai pas encore assez de confiance au magnétisme pour la livrer à Mesmer ou à Deslon, quoique M. de Jussieu nous ait assuré qu’il y ait, dans le magnétisme, un agent que nous ignorons ».

Mais la conviction de la présidente est déjà solidement assise : rien ne l’ébranle. Du scepticisme de la marquise, Mme du Bourg sourit à son tour : car elle s’est pénétrée de la théorie à la lecture de tous les livres qui traitent la question ; et, informée d’ailleurs des cures qu’père à Bordeaux un ex-jésuite, le P. Herbier, elle se décide à tenter personnellement l’expérimentation. Pratique, au début laborieuse, en laquelle il lui plairait de progresser, sous les yeux d’un professionnel. Pourquoi, de Paris, un disciple ne viendrait-il pas à défaut du maître qu’elle n'ose encore appeler à Toulouse ? Et nous apprenons de Mme de Livry, l’insuccès de la démarche : « Il y a plusieurs jours, j’ai soupé dans la même maison que M. de Saint-Martin ; il m’a dit que vous lui aviez écrit pour le prier de tâcher d’obtenir de M. Mesmer qu’il envoyât en Languedoc un de ses élèves : ce que M. Mesmer a refusé ».

Peut-être, d’aucuns s'étonnent que cette présidente d’une haute portée intellectuelle et d’une valeur morale hors de conteste, se soit éprise d’un pareil empirisme. Mieux éclairés sur les mobiles de ses actes et sur le rôle du personnage qui transmit sa demande à Mesmer, ils se refuseront, respectueux et conquis, au blâme de sa conduite.

C’est ce que nous expliquerons dans un prochain article.