1895 l initiation1895 – L’Initiation Stanislas de Guaita

n° 9 - Juin 1895

Partie initiatique

Stanislas de Guaita

À propos de Martines de Pasqually,
(pages 195-204)

- Lettre à Papus (Gérard Encausse)

- Extrait du chapitre intitulé : Saint-Martin


Lettre à Papus (Gérard Encausse)

1895 l initiation p195MON VIEUX PAPUS, (1)

J'ai passé la nuit à dévorer ton livre qui m'a produit une très vive impression.

Connais-tu les Souvenirs de Ch.-Henri Baron de Gleichen (avec notice de Paul Grimblot, Paris, L. Techener, 1868, pet. in-8°) ? Si tu n'as pas lu cet ouvrage posthume d'un contemporain de Saint-Martin et de son maître, tu prendras un véritable plaisir à constater combien son témoignage vient corroborer et confirmer l'authenticité des choses non seulement nouvelles, mais contraires à l'opinion reçue, qui abondent dans ton beau livre.

Qui était ce baron de Gleichen ?
Peu de chose, moralement. [page 196]

Un curieux qui se faufilait partout, un grand seigneur exotique, mi-partie dilettante pour son propre compte, mi-partie espion (ou agent secret) pour le compte des autres ; comme furent plusieurs personnages plus ou moins étranges de cet étrange XVIIe siècle.

Toute sa vie, entêté des mystères de la magie, il a couru d'un maître à l'autre ; il a connu personnellement Saint-Martin, Cagliostro (dont il reste finalement le disciple), Lavater, le comte de Saint-Germain, Cazotte, Duchanteau, Mme de Lacroix, Mme de Bourbon et tant d'autres, qu'il cite volontiers au cours de ses mémoires (publiés cent ans après lui).

Quoi qu'il en soit de ce baron de Gleichen, Saint-Martin ne l'estimait guère :

« Je connais beaucoup la personne dont vous me parlez (écrit-il à son disciple Liebistorff) ; c'est un homme qui a beaucoup d'esprit, surtout de l'esprit de cour et de l'esprit du monde ; il a frappé à toutes les portes, il a entendu parler de tout, il a tout lu... Avec cela, je ne pourrois pas vous dire encore ce en quoi il est entré. Je le crois encore trop dans l'historique de la chose (sic), pour qu'il vous soit grandement utile; et j'ignore s'il ira jamais plus loin dans ce bas monde...

« Enfin, c'est un homme, s'il faut vous le dire, tellement habitué à voir du faux et de l'erreur qu'il ne recherche que cela dans les meilleures nourritures : ce qui me faisoit dire dans les temps que c'étoit un homme qui donnerait trente vérités pour un mensonge. Peut-être a-t-il changé depuis; je le [page 197] souhaite... (Corresp., Lettre LI, datée d'Amboise, 5 messidor [23 juin] an II [1794], passim.) »

Saint-Martin insiste ensuite pour que Liebistorff, s'il voit Gleichen, ne lui ouvre pas la bouche à son sujet à lui, le Phil.. Inc..

Mais les mémoires de Gleichen, qui contiennent 72 pages spécialement sur l'occulte, sont infiniment précieux à consulter ; car l'auteur raconte ce qu'il a vu ses renseignements sont presque toujours de première main. Ainsi, mille choses qu'il dit de Saint-Martin et surtout de son maître Martinez me semblaient des rêveries, tellement elles sont en contradiction avec les livres de Matter, Franck, Caro, Moreau, etc... Hé bien ! voilà que tout ce qu'il avance se trouve être très exact, et confirmé par la correspondance authentique de Martinez !

Je vais transcrire pour toi quelques passages.

Stanis.

bouton jaune À propos de Martines de Pasqually

Extrait du chapitre intitulé : Saint-Martin

1847 - Souvenirs de Gleichen : Chapitre XIV - Saint-Martin

gleichen_livre1« Martinez Pasqualis a été le fondateur de l'ordre mystique des Martinistes, nommés ainsi à cause de la considération que Saint-Martin (l'un des sept maîtres que le chef avait désignés pour propager sa doctrine), avait obtenue au-dessus de ses collègues par son mérite personnel et par son livre fameux des Erreurs et de la Vérité.

« Pasqualis était originairement Espagnol, peut-être de race juive, puisque ses disciples ont hérité de lui un grand nombre de manuscrits judaïques (?) Sa [page 198] science était beaucoup moins théorique que celle de ses apôtres, il pratiquait tout franchement la magie, tandis qu'eux s'en cachaient et la défendaient soigneusement.'

« J'ai été fort lié avec un certain La Chevallerie qui avait été son aide de camp favori ; lequel m'a montré quelques tapis de leurs opérations magiques et raconté plusieurs faits merveilleux s'ils étaient vrais. Je n'en citerai qu'un. Les travaux magiques de ces messieurs ont pour objet surtout de combattre les Démons et leurs Satellites, sans cesse occupés à répandre des maux physiques et spirituels sur toute la nature, par leur magie noire. Les combats se font particulièrement aux solstices et aux équinoxes, de part et d'autre. Ils travaillent sur des tapis crayonnés (1) sur lesquels ils établissent leurs citadelles, qui consistent en un grand cercle au milieu pour le grand-maître et deux ou trois plus petits pour les assistants. Le chef, quoique absent, voit toutes les opérations de ses disciples (quand ils travaillent seuls) et les soutient.

« Un jour, me dit La Chevallerie, que je n'étais pas parfaitement pur, je combattais tout seul dans mon petit cercle (2) et je sentais que la force supérieure de mes adversaires m'accablait et que j'allais être terrassé !... Un froid glacial qui montait de mes pieds vers mon cœur m'étouffait ; et, prêt à être anéanti, je [page 199] m'élançai dans le grand cercle, poussé par une détermination obscure et irrésistible. Il me sembla, en y entrant, que je me plongeais dans un bain chaud délicieux qui remit mes esprits et répara mes forces dans l'instant. J'en sortis victorieux et, par une lettre de Pasqualis, j'appris qu'il avait vu ma défaillance et que c'était lui qui m'avait inspiré la pensée de me jeter dans le grand cercle de la puissance suprême.

« Voilà ce que La Chevallerie m'a raconté, pénétré de la conviction la plus intime : il se trompait peut-être, mais son intention n'était certainement pas de me tromper. Loin de vouloir faire de moi un prosélyte, il faisait son possible pour me détourner de cette doctrine, qui, disait-il, l'avait rendu très malheureux. On l'avait excommunié à tout jamais (3), pour un péché sans rémission, et il ne cessait de médire de Pasqualis et de ses successeurs. Il dépeignait le premier comme un homme plein de vices et de vertus, qui se permettait tout, malgré sa sévérité pour les autres, qui prenait de l'argent de ses disciples, les escroquait au jeu et donnait ensuite leur argent au premier venu, quelquefois à un passant qu'il ne connaissait pas ; il disait à ceux qui lui en témoignaient leur étonnement : j'agis comme la Providence, ne m'en demandez pas davantage... » (Gleichen, Souvenirs, p. 131 et suivantes.)

Viennent ensuite mille détails tout aussi renversants sur Saint-Martin et plusieurs autres. [page 200]

Passons au héros du présent article, à M. de Saint-Martin. Jeune, aimable, d'une belle figure, doux, modeste, simple, complaisant, se mettant au niveau de tout le monde, et ne parlant jamais des sciences, encore moins de la sienne, il ne ressemblait nullement à un philosophe, plutôt à un petit saint ; car sa dévotion, son extrême réserve et la pureté de ses mœurs paraissait quelquefois extraordinaire dans un homme de son âge. Il était fort instruit, quoique, dans son livre, il ait parlé de plusieurs sciences d'une manière fort baroque. Il s'énonçait avec beaucoup de clarté et d'éloquence, et sa conversation était fort agréable, excepté quand il parlait de son affaire ; alors il devenait pédant, mystérieux, bavard ou taciturne; crainte d'en avoir trop dit, il niait le lendemain ce dont il était convenu la veille.

1775 SM erreursIl avait des réticences insupportables, s'arrêtant tout court au moment où on espérait tirer de lui un de ses secrets ; car il croyait à une voix intérieure qui lui défendait ou lui permettait de parler. Son grand principe était que, dans la route spirituelle, on ne devait point troubler la marche de l'homme, qu'il suffisait de le préparer à deviner les secrets qu'il était destiné à savoir. Aussi, se donnait-il plus de peine pour éloigner ses disciples de sa science que pour les y appeler, se croyant responsable des abus qu'ils pourraient en faire. Son père, qui était maire d'Amboise, l'avait mis dans le service militaire, où, par sa bonne conduite ou par le crédit de M. de Choiseul, seigneur d'Amboise, il s'était avancé, en très peu de temps, au grade de capitaine; mais, entraîné par la doctrine de [page 201] Pasqualis et une vocation qui lui semblait irrésistible, il quitta brusquement le service, malgré les exhortations de ses parents, de ses amis et de son protecteur, se brouilla avec son père et se voua aux œuvres de sa science mystique et à la pauvreté. Il s'était proposé de ne rien demander à son père, et, réduit au pain et à l'eau, c'est en se chauffant au feu d'une cuisine de gargote qu'il a composé son traité des Erreurs et de la Vérité.

Le débit de ce livre, le premier et le meilleur qu'il a écrit (4), l'a aidé à subsister jusqu'à ce que Mme de la Croix, qui courait une carrière approchante de la sienne, l'ait recueilli chez elle. Mais bientôt ils se brouillèrent, voulant s'endoctriner l'un l'autre, et Saint-Martin, ayant hérité d'une tante cinquante louis de rente, se trouva fort riche et publia quelques nouveaux ouvrages qui augmentèrent son aisance : c'est alors qu'il ouvrit une petite école et je devins son disciple.

Tout ce qu'il m'a appris est si peu important, et je l'ai si parfaitement oublié, que je ne crains pas d'être indiscret, en parlant de sa doctrine. Le peu que j'en dirai m'appartient ; je le dois à l'application avec laquelle je n'ai cessé de relire son livre, à l'attention avec laquelle j'ai saisi chaque mot échappé à mon Harpocrate (5) et peut-être à mon talent pour la [page 202] devination (sic) de tous les livres qui traitent de sciences occultes.

Celui des Erreurs et de la Vérité est le seul dont le style soit agréable...

Bien des gens ont cru que cet ouvrage n'avait été composé que pour ramener le monde à des idées religieuses par l'appât du merveilleux. Il est certain qu'il a produit cet effet sur plusieurs personnes de ma connaissance et sur moi-même ; mais j'ai lieu d'assurer que c'est une introduction très savante et très détaillée à la science de la Magie, et qu'il renferme beaucoup de choses, dont l'auteur s'abstenait de parler dans les leçons.

La science des nombres, qu'il a représentée sous l'emblème d'un livre à dix feuilles, était de toutes ses connaissances celle à laquelle il attachait le plus haut prix. Il disait l'avoir volée à son maître, et qu'il ne la communiquerait jamais à personne. C'est grand dommage, car c'est sous ce voile mystérieux qu'il a enveloppé les plus rares secrets de son ouvrage.

Tout ce qu'il avouait était que les nombres donnaient la clé de l'essence de toutes les choses matérielles pourvu qu'on en connût les véritables noms dans la langue primitive ; que, par les nombres on éprouvait les esprits, de même que par les paroles de puissance, pour s'assurer si les uns ou les autres étaient bons ou mauvais ; et que tout s'obtenait par l'analyse cabalistique de ces noms et de ces paroles, dont les lettres hébraïques produisaient les dix nombres, qui manifestaient des vérités si importantes.

Il ajoutait que l'alphabet hébreu n'était juste que [page 203] jusqu'à la dixième lettre inclusivement; que le reste avait été brouillé, mais qu'il en connaissait l'ordre véritable (6). Voilà déjà une confession assez claire que ces Messieurs s'occupaient de Magie.

Un autre aveu que je lui ai arraché est la description des figures hiéroglyphiques écrites en traits de feu qui lui apparaissaient dans ses travaux, ce dont il lui était ordonné de conserver les dessins, qu'il m'a montrés. Ces figures ne sont autre chose que ce qu'on appelle les sceaux des esprits, qu'on voit sur les talismans, sur les pentacles et autour des cercles magiques.

Mais ce n'est qu'en tremblant que Saint-Martin parlait de toutes ces choses-là. Il assurait que la Magie avait occasionné la chute des esprits et celle de l'homme ; que la seule pensée analogue à ces crimes pouvait nous perdre pour toujours ; que sa conscience était chargée de l'âme de ses disciples, et que, par toutes ces raisons, il se trouvait obligé à toutes ces précautions que prescrivaient ses doctrines pour les mener au bien à petits pas, et pour éloigner de cette route ceux que la providence n'a point destinés au grand œuvre des élus, choisis par elle pour combattre le mal sur la terre.

1734 beausobreAu reste, je conseille à ceux qui veulent étudier le livre des Erreurs et de la Vérité de lire préalablement l'Histoire du Manichéisme de Beausobre, qui leur ouvrira l'intelligence sur les matières fondamentales du livre de Saint-Martin et où ils trouveront de grands rapports avec sa doctrine. [page 204]

J'ai connu deux collègues de M. de Saint-Martin, moins difficiles que lui, mais qui ne le valaient pas : l'un se nommait Hauterive, qui tenait boutique de la science à tous venants, ce dont mon maître était fort mécontent ; l'autre Villermoze [sic pour Willermoz] : il avait fondé son cercle à Lyon ; il avait moins de savoir que Saint-Martin, mais beaucoup plus d'onction, d'aménité et de franchise, au moins apparentes.

Il parlait au cœur beaucoup plus qu'à l'esprit ; et était estimé de tout le monde pour ses qualités, et adoré de ses disciples, à cause de ses manières cordiales, amicales et séduisantes. Il a joué un rôle distingué dans la Maçonnerie, et a fini par s'adonner entièrement au magnétisme spirituel. Il a péri dans les massacres de Lyon (7), et Saint-Martin est mort tranquillement pendant la Révolution, qui avait un peu dérangé la fréquentation de son école.

Pour se faire une idée complète de la doctrine de Saint-Martin, qui, de toutes les doctrines mystiques est la plus merveilleuse, et la plus intéressante et la plus attachante, il faut lire les passages suivants :

Gleichen donne la liste complète des ouvrages de Saint-Martin et quelques extraits du livre bien connu des Erreurs et de la Vérité. Il nous a paru inutile de les transcrire.

Stanislas de GUAITA.

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