Calendrier perpetuel 18401836 - Biographie universelle - Duchesse de Bourbon

Louise-Marie-Thérèse-Bathilde d’Orléans, duchesse de Condé

1836 Biographie universelle, ancienne et moderne

Biographie universelle, ancienne et moderne ou,
Histoire, par ordre alphabétique, de la vie publique et privée de tous les hommes qui se sont fait remarquer par leurs écrits, leurs actions, leurs talents, leurs vertus ou leurs crimes
Rédigé par une société de gens de lettres et de savants
Supplément - Tome soixante-unième – CHI-CZ
A Paris, chez L.-G. Licg=haudn Libraire-éditeur, rue Richelieu, n°67

La Biographie universelle Michaud publiera en 1843 cette biographie (tome cinquième, pages 282-284) sous le titre Louise-Marie-Thérèse-Bathilde d’Orléans, duchesse de Bourbon  

1836- Louise-Marie-Thérèse-Bathilde d’Orléans, duchesse de Condé

Louise-Marie-Thérèse-Bathilde d’Orléans, duchesse de Bourbon

Pages 266-269

BOURBON (Louise-Marie-Thérèse-Bathilde d’Orléans, duchesse De), née à St-Cloud, le 9 juillet 1750, était fille de Louis-Philippe, duc d'Orléans, petit-fils du régent, et de Louise-Henriette de Bourbon-Conti. A vingt ans, elle inspira la plus vive passion au duc de Bourbon, qui en avait à peine quinze. Leur mariage se conclut en 1770, et en 1772 la duchesse mit au monde le duc d'Enghien, après avoir souffert pendant quarante-quatre heures les douleurs les plus atroces. L'enfant était tout noir et ne donnait aucun signe de vie. On l'enveloppa de linges trempés dans de l'esprit-de-vin, mais ce remède faillit lui être funeste : une étincelle ayant volé sur les langes inflammables, le feu y prit. La duchesse de Bourbon, dont les transes maternelles furent alors si vives, ne prévoyait pas que, pour son fils, réservé à une fin si tragique dans la force de l'âge, il eût été heureux de périr ainsi à l'entrée de la vie. Bientôt une indifférence mutuelle succéda aux transports qui avaient marqué les commencements du mariage du duc et de la duchesse de Bourbon. (Voy. l'art, précédent). Malgré tous les efforts du duc d'Orléans, père de la princesse, une séparation s'effectua à la fin de 1780. La maison de Condé rendit la dot de 200,000 livres de rente. La duchesse eut d'ailleurs une pension de 50,000 livres sur le trésor royal, comme princesse du sang ; et le roi Louis XVI exigea que le prince de Condé, qui ne voulait rien donner à sa bru, lui fit une pension de 25.000 livres ; qu'on lui fournit en outre de l'argenterie, des meubles et des équipages pour monter sa maison selon son rang. La duchesse de Bourbon aurait pu, en suivant une autre direction, faire l'ornement de la cour : elle possédait toutes les qualités aimables qui font briller dans le monde ; elle était très instruite, très forte musicienne ; elle peignait même avec quelque talent ; mais elle se livra exclusivement à des idées de mysticisme très exaltées, et ce ne fut pas un spectacle peu curieux que de voir, à la fin d'un siècle d'incrédulité, une princesse de la maison de Bourbon professer sur l'amour de Dieu des idées tout à fait semblables à celles qui, sous le règne dévot de Louis XIV, avaient acquis à madame Guyon une fâcheuse célébrité, et troublé la vie du sensible Fénelon. On s'étonnera peu d'après cela que la duchesse de Bourbon ait été d'abord favorable aux principes de la révolution de 1789; elle avait d'ailleurs toujours professé ces idées un peu démocratiques qui étaient héréditaires dans la maison d'Orléans. Entraînée par des charlatans qui spéculaient sur son rang et sur son exaltation religieuse, elle eut des relations mystiques avec Catherine Théo, qui s'intitulait la mère de Dieu, avec le chartreux D. Gerle, qui, par excès de simplicité, jouait alors un rôle si peu digne de la gravité sacerdotale. C'était dans l'hôtel de la duchesse de Bourbon qu'il se livrait à des prédications insensées, en croyant remplir sa mission. La princesse poussa la duperie jusqu'à loger chez elle la prétendue prophétesse Suzanne la Brousse ; elle fit même imprimer à ses frais le recueil des prophéties de cette visionnaire. Les concessions que, dans ses écrits politico-mystiques, elle avait faites aux idées révolutionnaires, la protection qu'elle accordait aux évêques constitutionnels, étaient, de la part de la duchesse, des gages trop innocents donnés au régime de la terreur, pour qu'elle pût toujours espérer d'être soustraite à la persécution. Au mois de mai 1793, elle fut enfermée au fort St-Jean, à Marseille, avec toute sa famille. Elle gémissait depuis six mois dans la captivité, lorsqu'elle fit écrire à la convention (18 novembre) qu'elle léguait à la nation tous ses biens montant à 11 millions. Pour prix de ce sacrifice, elle ne demandait que sa liberté, avec la liquidation de ses dettes et des indemnités pour ses serviteurs. La convention répondit par un froid ordre du jour : ses réclamations ne furent écoutées qu'après la chute du système terroriste. Le 29 avril 1795, un décret fit tomber ses fers, et lui alloua une somme de 180,000 francs sur ses biens séquestrés. Elle ne jouit pas longtemps de la liberté ; après le 18 fructidor an 5, on cessa de suspendre pour elle seule l'exécution du décret qui proscrivait tous les Bourbons, et elle fut expulsée du territoire de la république, avec une pension de 50,000 livres, qui lui fut mal payée. Elle se rendit en Espagne avec sa belle-sœur, la duchesse douairière d'Orléans : le voyage fut très pénible. Après avoir souffert pendant quelques mois toutes les gênes de l'indigence, elle put enfin jouir de quelque [p.283] aisance. Retirée dans une maison de campagne à Soria, près de Barcelone, elle se livra plus que jamais à ses idées mystiques, sans oublier les devoirs de la charité chrétienne. « Entièrement confiante en la toute-puissance qui lui a ordonné de guérir des malades, est-il dit dans un écrit contemporain (1), madame de Bourbon n'est, pour ainsi dire, plus qu'une sœur grise, qui reçoit dans sa maison de campagne jusqu'à deux cents malades par jour, qu'elle panse et soulage lorsqu'ils sont dans le besoin (2). » La princesse ne quitta point sa résidence lorsque les armées françaises envahirent l'Espagne ; elle fui traitée par les généraux de Napoléon avec les égards qu'elle avait droit d'attendre. Avant la catastrophe qui lui ravit le duc d'Enghien, elle avait manifesté un grand enthousiasme pour Napoléon. Après ce fatal événement, la surnaturelle mansuétude de son caractère l'empêcha de parler avec amertume du meurtrier de son fils. Elle saisit même toutes les occasions de lui demander son rappel, et témoigna le plus vif regret de ne pouvoir l'obtenir. Sa correspondance imprimée dépose à chaque page de ses désirs et de ses regrets à cet égard : « Il vaudrait beaucoup mieux ne jamais quitter cette bonne France, écrivait-elle au mois de juillet 1807, et que la paix m'y ramenât, comme l'a promis celui à qui rien ne résiste. » Plus tard, lors des premiers mouvements militaires des Français dans la péninsule, en 1808, elle disait dans une lettre adressée à un de ses amis (M. Ruffin) : « De tout ce qui se passe, s'il allait résulter pour moi la possibilité de retourner en France, avec quelle satisfaction je recevrais encore vos embrassements, mon bon ange ! Mais quelle douleur s'il fallait au contraire m'éloigner du continent !» A la même époque, elle écrivait encore : « Mon exil me semble bien inutile au salut de l’empire et au bonheur de l'empereur. Comment se fait-il que je ne puisse en obtenir la fin, surtout après l'avoir demandée avec tant d'instance et de constance ? » L'empereur fut inflexible ; et, faut-il le dire ? teint qu'il était du sang du duc d'Enghien, il y avait une sorte de dignité et de convenance dans ses refus, et la mère de ce prince infortuné se dégradait par ses prières. Enfin 1814 arriva, et la duchesse de Bourbon s’élança sur le sol français, ainsi qu'elle le disait elle-même. Toujours séparée de son époux, elle se livra plus que jamais aux pratiques de la religion et à l'exercice de la charité. Elle établit dans son hôtel rue de Varenne un hospice, dit hospice d'Enghien, pour y recevoir de pauvres malades. Elle-même pansait leurs plaies et leur administrait des secours. C'est au milieu de ces offices de piété que, revenue de ses erreurs ascétiques, la duchesse de Bourbon passa les sept dernières années d'une vie jusqu'alors si agitée. Sa mort fut digne d'une chrétienne : le 10 janvier 1822, assistant dans l'église de Ste-Geneviève à une cérémonie religieuse, elle fut saisie d'une attaque d'apoplexie foudroyante, reçut l’absolution d'un missionnaire, et, transportée à l’École de droit, expira quelques instants après. Ses restes mortels furent transférés à Dreux, dans le tombeau de la famille d'Orléans. La duchesse de Bourbon laissa une succession considérable, qui a été recueillie par son neveu, le duc d'Orléans (aujourd'hui roi). Depuis son retour en France, elle ne s'était point rapprochée de son époux, et vivait dans une étroite intimité avec sa propre famille. — Sans avoir la prétention de se faire auteur, cette princesse a publié quelques écrits mystiques : 1° Opuscules, ou Pensées d'une âme de foi sur la religion chrétienne pratiquée en esprit et en vérité, 1812, 2 vol. in-4°. Ces Opuscules sont anonymes ; mais, dès les premières pages du livre, l'auteur se désigne trop clairement pour ne pas être reconnue. 2° Correspondance entre madame de B (Bourbon) et M. R (Ruffin), sur leurs opinions religieuses, t. 1er (Barcelone), 1812, in-8°. 3° Suite de la Correspondance entre madame de B...... et M. R[Ruffin]…, et divers petits contes moraux de madame de B., t. 2, 1813, in-8°. Ces deux volumes sont très rares et très peu connus en France. M. Ruffin, à qui la duchesse de Bourbon confiait ses idées politiques et religieuses, est l'officier français qui fut chargé de l'accompagner jusqu'à la frontière d'Espagne après le 18 fructidor. Ses bons procédés envers la princesse déportée lui méritèrent l'amitié intime de madame la duchesse de Bourbon, ainsi qu'elle le raconte elle-même dans l’avant-propos historique qu'elle a placé en tête de sa correspondance. Ce commerce épistolaire dura depuis le mois d'octobre 1799 jusqu'au 29 janvier 1812. Dans les lettres de la princesse, M. Ruffin est désigné sous la dénomination de Son bon ange Michel. Si l'on peut signaler dans ces lettres des erreurs d'esprit, on y reconnaît aussi l'âme la plus douce, la plus charitable, la plus expansive. L'abbé Lambert, dans ses Mémoires de famille, publiés en 1822, dit qu'en 1793 la duchesse de Bourbon, qui vint à Bissy pour consoler la duchesse d'Orléans, sa belle-sœur, de la mort du vénérable duc de Penthièvre, lui fit présent de deux ouvrages qu'elle avait fait imprimer à ses frais. Ces deux ouvrages, de la composition de la princesse, contenant des erreurs d'un genre nouveau, l'abbé Lambert fit « le relevé de tout ce qui s'y trouve de contraire à la foi. C'est sur ce relevé qu'était intervenue une censure des deux ouvrages, très bien «faite, parfaitement en mesure avec les circonstances au milieu desquelles nous nous trouvions, et dans laquelle la Sorbonne s'était surpassée (3). » Elle fut liée d'une tendre amitié avec l'Illuminé St-Martin, qui, n'approuvant pas l'illuminisme ascétique de la princesse, composa à son intention, en 1796, un écrit intitulé Ecce homo, dans lequel il s'élevait contre le goût du merveilleux et la croyance aux prophéties qui possédaient la duchesse de Bourbon. [p.284] (Voy. Saint-Martin.) —La Correspondance et les Opuscules de madame de Bourbon ont été mis à l'index à Rome. Les principes d'égalité politique qu'elle professa toujours s'y trouvent surtout développés dans sa onzième lettre, écrite au mois d'août 1800. Elle y demande « qu'il n'y ait de distinctions parmi les hommes que celles que doivent établir la vertu, l'esprit, les talents et l'instruction. » Elle veut que « les lois répriment les fortunes considérables ; qu'il soit honteux d'être trop riche, etc. » Elle se prononce contre la peine de mort, et demande que la convenance des cœurs décide seule des mariages, que tous les citoyens soient soldats, que tous les gouvernants soient choisis par le peuple, etc. Quant à la révolution, voici comme elle s'exprimait à la même époque : « Quelles qu'aient été les suites de la révolution, je ne blâmerai jamais le but qu'on s'était proposé, mais les moyens qu'on a employés (lettre 10). » On conviendra que de tels principes, professés pendant l'émigration, n'étaient pas de nature à réconcilier la duchesse de Bourbon avec le loyal et digne chevalier qu'elle avait pour époux (4). D—R—R. [Durozoir]

(1) Explication de l'énigme du roman intitulé : Histoire de la conjuration de Louis-Philippe d’Orléans, à Veredistadt (1800), 5 parties en 4 vol.
(2) 3e partie, t. 4, p. 264.
(3) Voy. les Mémoires de famille, historiques et littéraires, par M. l'abbé Lambert, dernier confesseur de S. A. R. monseigneur la duc de Penthièvre, 1821, in-8°, p. 59.
(4) Elle avait laissé des Mémoires tirés à un très petit nombre d'exemplaires, qui ont été soigneusement supprimés après son décès. — On peut consulter sur cette princesse, outre les ouvrages déjà cités, les Mémoires de Besenval, ceux de Senart, les Martyrs de la foi pendant la révolution française par l'abbé Aime Guillon, t. 1er, p. 240 et suiv., l'Ami de la religion et du roi, 1822, t. 30. p. 85, et surtout l'Annuaire de M. Mahul, année 1822.