1848 - Correspondant (le) – T 21 

1848 correspondant t21Le Correspondant, Recueil périodique
Religion, philosophie, politique, sciences, littérature, beaux-arts.
Paris. Librairie de Sagnier et Bray, rue des Saint Pères, 64
Tome vingt et unième
1848 - Le Correspondant – T 21

Examen des doctrines du Philosophe inconnu, Louis-Claude de Saint-Martin, Louis Moreau

4e article – De la théosophie – Pages 826-863

Les théosophes sont les gnostiques des temps modernes ; l'orgueil des prétentions et la stérilité de l’œuvre témoigneraient au besoin de l'identité des doctrines. Comme la gnose ancienne, affectant une égale supériorité et sur le philosophe et sur le fidèle, la théosophie abandonne à l'un les notions préliminaires sur l'existence de Dieu, la spiritualité de l'âme, la rémunération finale ; elle lui cède ces espaces déterminés que mesure avec effort le raisonnement humain. Accueillant le fidèle sous une autre forme de mépris, elle lui permet de s'attacher à la lettre d'une révélation positive, de ranger ses œuvres aux prescriptions des livres divins et à l'autorité des interprètes légitimes ; mais cette révélation n'est qu'un témoignage dont une science plus haute sait se passer ; mais ces livres divins ne sont que les fenêtres de la vérité, ils n'en sont pas la porte ; mais cette autorité spirituelle, bonne peut-être aux faibles et aux simples, ne saurait être [149] imposée à des intelligences qui puisent la science dans le sein de Dieu même. De ces hauteurs où elle habite, inaccessibles à la raison, inconnues à la foi, la théosophie abaisse à peine sur l'une et l'autre un regard de dédaigneuse tolérance ; elle se complaît en soi-même et revendique pour toutes les rêveries d'une imagination exaltée par l'orgueil, faussée par la solitude, le caractère et l'autorité de l'inspiration divine.

« Les théosophes, dit un ami de Saint-Martin, ont accru par leurs lumières surnaturelles le nombre des vérités éparses dans les systèmes des philosophes. (Œuvres posthumes, « Recherches sur la doctrine des théosophes », p.150)

La théosophie, dit le même écrivain, a pris naissance avec l'homme, et il y a eu des théosophes dans tous les temps ; mais on peut les partager en deux classes : ceux qui sont venus avant Jésus-Christ et ceux qui ont paru depuis. Nous reconnaitrons les premiers parmi les philosophes qui ont eu le pressentiment des merveilles que le Réparateur universel est venu opérer sur la terre et dans les cieux. C'est Jésus-Christ qu'il faut reconnaître comme le père des lumières surnaturelles, le chef et le grand-prêtre des vrais théosophes comme des vrais chrétiens. C'est par lui qu'étaient inspirés Moise, David, Salomon, les prophètes, et, hors du peuple choisi, Phrérécide, Pythagore, Platon, Socrate... qui eux-mêmes avaient puisé leur doctrine chez les mages, les brahmes, les Egyptiens. L'on pourrait presque assurer que chaque peuple a eu ses théosophes et ses vrais philosophes. La vérité n'a donc jamais été bannie de dessus la terre, quoique ceux qui la promulguaient aient été si souvent tourmentés... [Ibidem, p.150-151]
Les apôtres, les premiers chrétiens, tous ceux qui ont marché sur leurs traces, et les différents théosophes qui ont paru depuis Jésus-Christ, ont encore reçu de plus grands développements des vérités-principes et des mystères divins » [Ibid., p.151-152].

La théosophie repose donc uniquement sur le dogme de l'inspiration individuelle : elle supprime entre l'homme et Dieu tout intermédiaire ; la confiance, surnaturellement éclairée, concentre et réfléchit toute lumière. Une commune négation de l'autorité rattache la théosophie au principe même du protestantisme ; comme lui elle récuse la souveraineté de l'Eglise ; mais elle se distingue de lui, elle se distingue du moins du protestantisme primitif, par le peu d'état qu'elle fait des monuments authentiques de la tradition. Elle les accepte , elle les consulte ; mais, suivant elle, « ils ne doivent pas être employés comme preuves démonstratives des vérités qui concernent la nature de l'homme et sa correspondance avec son principe ; car ces vérités subsistant par elles-mêmes, le témoignage des livres ne doit [[p.828] jamais leur servir que de confirmation » (Tableau naturel, t.II, p1). J'ai déjà répondu à cette négation erronée de la valeur du témoignage.

Le théosophe donc n'est ni catholique, car il ne relève que du bon plaisir de ses pensées qu'il prend pour des révélations ; ni protestant, car il subordonne à ses inspirations la parole de l'Ecriture (il est d'ailleurs beaucoup plus ancien que le protestantisme, qui n'était que d'hier et qui n'est déjà plus) ; ni philosophe, car il méprise les procédés ordinaires de la raison humaine. Qu'est-ce donc qu'un théosophe ? C'est un ami de Dieu, une espèce de prophète ou d'envoyé divin. La vérité n'est point représentée sur la terre par une autorité visible, permanente, infaillible, dépositaire immortelle d'un corps de doctrines invariables comme elle-même. Non ; elle n'a que des témoins passagers, fortuits, répandus çà et là dans tous les pays et dans tous les siècles. L'esprit souffle où il veut, et cet esprit, qui enseigne toute vérité, a parlé tour à tour par la bouche de Rosencranz, de Reuchlin, d'Agrippa, de Schwenkfeld, de Weigel, précurseur de Jacob Boehm, de Gichtel, de Saint-Martin. Il faut convenir que l'esprit de vérité aurait bien souvent caché la lumière sous le boisseau.

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