1850 Moreau SM1850 – Moreau - Le philosophe inconnu

Réflexions sur les idées de Louis-Claude de Saint-Martin,
suivies de fragments d’une correspondance inédite entre Saint-Martin et Kirchberger

Par Louis Ignace Moreau (1807-1881)

Paris.
Jacques Lecoffre et Cie, libraires,
rue du Vieux Colombier, 29,
ci-devant rue du Pot de Fer Saint Sulpice, 8 - 329 pages

1850

Louis-Ignace Moreau (1807-1881) est un littérateur français, né et décédé à Paris. Conservateur de la bibliothèque Mazarine (1845-1879), traducteur des Confessions (1840) et de La Cité de Dieu (1843-1845) de saint Augustin. Il a également traduit L’Imitation de Jésus-Christ (1850).

Louis Moreau a publié :

- Du Matérialisme phrénologique, de l’Animisme et de l’Influence (2e édition 1846)
- Considérations sur la vraie Doctrine (1844).
- La destinée de l'homme, ou du Mal, de l'Épreuve et de la Stabilité future (1857)
- Jean-Jacques Rousseau et le siècle philosophe (1870)
- Joseph de Maistre (1879) 

Avant de publier son ouvrage, Louis Moreau a présenter dans le recueil périodique Le Correspondant, 4 articles correspondant chacun à un chapitre de son livre. Il s'agit de : 

1er article - Sur la vie et les écrits de Saint-Martin
2e article – Discussion avec Garat
3e article – Exposition de la théorie sociale
4e article – De la théosophie

Sommaire

Chapitre I. Sur la vie et les écrits de Saint-Martin.
Chapitre II. Débats à l’Ecole normale entre Saint-Martin et Garat
Chapitre III. Essai sur les Signes et sur les Idées.
Chapitre IV. Exposition de la théorie sociale de Saint-Martin.
Chapitre V.
Chapitre VI. De la Théosophie.
Chapitre VII. Exposition du système métaphysique de Saint-Martin.
Chapitre VIII. Vue de la Nature ; esprit des Choses.
Chapitre IX. L'Homme de Désir. - Le Nouvel homme. - Le Ministère de l'Homme-Esprit. - Œuvres posthumes.
Chapitre X. Un mot sur Jacob Boehm, nommé le Teutonique.
Appendice. Extraits de la Correspondance inédite de Saint-Martin et Kirchberger.- Pensée sur la Mort.- Voltaire jugé par Saint-Martin.

En publiant ce livre, je me suis proposé un double but, savoir de rendre témoignage à des vérités impérissables que le théosophe Saint-Martin a su venger des longues dénégations de la philosophie incrédule ; en second lieu, de signaler aux lecteurs trop favorablement prévenus quelques-unes des erreurs où LE PIIILOSOPIIE INCONNU lui-même est tombé. Il y a un plus grand nombre d'esprits que l'on ne pense qui se laissent éloigner des simples et fortes croyances par l'attrait qu'exercent toujours les spiritualités déréglées et les illusions d'un mysticisme indépendant. Je m'attends et me résigne d'avance au reproche de n'avoir pas creusé jusques au fond des idées que je combats. Je [page II] me suis en effet borné à relever les contradictions, les lacunes qu'elles présentent, et les dangers du principe même dont elles émanent. Je sais qu'il y aurait encore des sceaux à briser et d'épaisses ténèbres à sonder, mais je suis certain que, de ce chaos patiemment débrouillé, il sortirait peu de jour. Je ne crois pas aux lumières humaines qui se cachent, et je tiens pour suspectes les doctrines qui affectent la profondeur et le secret. Le peu d'énigmes que la correspondance inédite des deux théosophes m’a permis d'interpréter, ne me laissent pas une grande estime pour celles que le sphinx tient encore sous le voile.
Louis Moreau

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1846 - Le Correspondant – T 14

1846 correspondant t14Le Correspondant, Recueil périodique
Religion, philosophie, politique, sciences, littérature, beaux-arts.
Tome quatorzième
Paris. Librairie de Sagnier et Bray, rue des Saint Pères, 64
1846 - Examen des doctrines du Philosophe inconnu

Examen des doctrines du Philosophe inconnu, Louis-Claude de Saint-Martin, Louis Moreau

1er article - [Sur la vie et les écrits de Saint-Martin]

Pages 495-512

À l'avènement du Christianisme, la seule religion qui survécût à toutes les autres dans le monde romain, c'était la religion du plaisir ou la foi à la débauche. La famille et le foyer domestique n'avaient plus leur culte; les grands dieux, relégués au loin dans leur béatitude et leur indifférence, laissaient à leur place régner Epicure, c'est-à-dire l'homme lui-même avec ses passions. De nobles âmes protestaient vainement contre la doctrine facile qui place dans la jouissance le souverain bien ou la vertu, et les derniers sages du paganisme s'élevèrent d'un effort désespéré contre cette incrédulité grossière et cynique. Mais entre les débris de ces croyances inanimées et les clartés nouvelles voilées à leurs yeux, les philosophes du Portique eurent beau glorifier la liberté morale ; ils exaltèrent l'homme quand il fallait l'humilier ; ils négligèrent la raison du devoir et méconnurent l'instinct de l'espérance. Les néo-platoniciens eurent une notion plus profonde et plus vraie des besoins de l'âme, mais ils livrèrent la philosophie à toutes les puériles superstitions du mysticisme et de la thaumaturgie. Une immoralité effrénée avait envahi la conscience humaine.

Quelque chose de semblable se passe en France dans le cours du XVIIIe siècle. Les hautes classes de la société professent l'épicuréisme pratique de la philosophie voltairienne, et, à leur exemple, le peuple et la bourgeoisie poursuivent ce divorce avec la vérité, qui doit avoir dans la révolution française sa consommation dernière et son expiation. [p.496] On renaît de toutes parts au paganisme, à ses mœurs, à sa sagesse. En présence de ces orgies et de ces molles opinions, quelques-uns reprennent le pallium stoïque; l'Eloge de Marc-Aurèle obtient un succès presque populaire. Sous le nom de tolérance, le scepticisme (mais un scepticisme avide de ruines) détruit la foi dans les âmes, où règne l'égoïsme sous le nom d'amour de l'humanité.1846 correspondant t14 sm

La philanthropie est la charité du déisme. Le dogme de l'indifférence de Dieu pour les hommes implique en morale l'indifférence de l'homme pour ses frères : c'est le moi qui s'affranchit également de Dieu et des hommes. Cependant l'homme ne saurait demeurer dans cette fausse indépendance ; il ne tient pas dans cet égoïsme étroit et sauvage. L'une répugne à son intelligence, qui a besoin de croire ; l'autre à son cœur, qui a besoin d'aimer. Son intelligence est trop vraie pour ne croire qu'en soi-même, et son cœur est trop grand pour n'aimer que soi-même. Si une heureuse inspiration ne le ramène aux pieds de la vérité, il ira plutôt demander aux conceptions les plus monstrueuses, ou aux fantaisies les plus vaines, de quoi remplir ce vide que Dieu laisse en lui par son absence. Aussi voyons-nous à la fin de ce siècle beaucoup d'esprits, fatigués du doute ou blasés, incapables par eux-mêmes de revenir aux croyances saines et durables, chercher un réveil funeste dans les pratiques de rites abominables ou honteux. Mesmer et Cagliostro exploitent la crédulité d'une époque incrédule. Les uns poursuivent la satisfaction d'une infatigable curiosité dans la recherche du grand œuvre ; d'autres se flattent de pénétrer au plus intime de notre nature pour y surprendre le mystère de l'âme et dominer la volonté : ils empruntent à un sommeil néfaste des révélations étrangères à la science. D'autres enfin, combinant le néo-platonisme alexandrin avec les spéculations de la kabbale et de la gnose, et accommodant le Christianisme à cet informe mélange de doctrines, prétendent s'élever à Dieu, non plus par la foi, mais par la connaissance ; non plus par l'abaissement volontaire de l'esprit et du cœur, mais par l'intuition particulière ou la notion vive ; non plus par l'humble acceptation des mystères, mais par le raffinement d'une science ténébreuse, par les rites occultes de la magie et de la théurgie renfermés dans l'enceinte des loges maçonniques.

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moreau

MOREAU Louis

Le philosophe inconnu. Réflexions sur les idées de Louis-Claude de Saint-martin, le théosophe. Suivies de fragments d’une correspondance inédite entre Saint Martin et Kirchberger.
Paris. Jacques LECOFFRE et Cie, Libraires, rue du Vieux-Colombier, 29, Ci-devant rue du Pot-de-Fer-Saint-Sulpice, 8.
1850

Chapitre II. Débats à l’École normale entre Saint-Martin et Garat (pages 38-72)

Issue de Bacon par Hobbes, Gassendi et Locke, la philosophie du dernier siècle avait conclu au sensualisme en psychologie ; à la doctrine de l'intérêt en morale ; au déisme ou à l'athéisme en religion ; à la souveraineté du peuple en politique ; au matérialisme, dans toutes les parties de la science de la nature. Subversive du principe même de la morale, la théorie de la sensation anéantit la spiritualité de l'âme, et par conséquent les rapports de l'homme à Dieu, l'essence et la Providence divine. La négation de la spiritualité de l'âme équivaut à la négation de l'âme elle-même : l'homme n'est plus que corps. Un corps sans âme implique logiquement un monde sans Dieu et une vie sans règle : c'est ainsi que toutes les erreurs sont solidaires, parce que la vérité est une. Cependant, comme il n'est pas plus possible à l'homme de s'affranchir de l'idée de loi que de se débarrasser du principe de cause, dès qu'il cesse de placer en Dieu la source de son être et la [page 39] raison de ses devoirs, c'est dans la matière ou dans lui-même qu'il cherche sa loi. Il se substitue â Dieu ; ou bien, à la cause souverainement intelligente et libre, il substitue la force aveugle, l'énergie de la nature en un mot la créature au Créateur. La philosophie du XVIIIe siècle en était venue là. Elle avait exclu Dieu et de la nature et de la science ; elle l'avait banni de l'esprit et du cœur de l'homme. Appliqué par Condillac à l'idéologie, par Helvétius à la morale, par d'Holbach au système de l'univers, le sensualisme, dans les écrits de Rousseau, de Voltaire et de Boullanger, avait faussé la science politique et sociale, l'étude de l’histoire de l'antiquité.

C'est la gloire de Saint-Martin d'avoir voulu rasseoir toutes les institutions humaines sur les bases religieuses que cette téméraire philosophie avait renversées. Il s'indigne de lire dans Boullanger que les religions de l'antiquité n'ont eu d'autre origine que la frayeur causée par les catastrophes de la nature, et il écrit son premier ouvrage Des erreurs et de la Vérité. Il y rappelle les hommes au principe universel de la science, à la source unique de l'autorité, de la justice, de l'ordre civil, des sciences, des langues et des arts. Ce livre est un véritable manifeste publié contre les doctrines générales de l'époque. Plus tard, dans sa Lettre à un ami sur la Révolution française, dans l'Éclair sur l'Association 'humaine, dans les Réflexions d'un observateur, il combat en particulier les théories sociales d'Helvétius et de Rousseau. Enfin la réponse au professeur Garat et l'Essai sur les 'signes et les idées sont une réfutation originale et animée du système de Condillac.

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1847 - Le Correspondant  – T 19 

1847 correspondant t19Le Correspondant, Recueil périodique
Religion, philosophie, politique, sciences, littérature, beaux-arts.
Tome dix-neuvième
Paris. Librairie de Sagnier et Bray, rue des Saint Pères, 64
1847 - Le Correspondant  – T 19

Examen des doctrines du Philosophe inconnu, Louis-Claude de Saint-Martin, Louis Moreau

3e article – Exposition de la théorie sociale – Pages 74-95

Cet article comprend également les chapitres VII, Exposition du système métaphysique de Saint-Martin, et VIII, Vue de la nature. Esprit des choses, du livre de Moreau1846 le correspondant t19 sm

Une même épigraphe pourrait convenir à l'ensemble des divers travaux que le dernier siècle vit éclore ; cette épigraphe serait le mot célèbre de Bacon : Ars instauranda ab imis. Ce mot désespérant, s'il n'était profondément insensé, usurpe alors la puissance d'un axiome. Philosophes, savants et publicistes, tous partent de ce principe, que l'œuvre des devanciers est à peu près nulle et que l'édifice des connaissances humaines est à reprendre par la base. La tradition est proscrite, comme complice des superstitions. Témoin suspect, on récuse les faits qu'elle seule peut fournir, et qui seuls peuvent servir de fondement à la science, surtout à la science de l'homme. Par une contradiction remarquable, bien que peut-être elle ne soit qu'apparente, c'est de l'avènement de l'empirisme que date l'ère des romans les plus libres que puisse inventer l'imagination appliquée aux origines du monde, de l'homme et des sociétés. On refait donc la science, on refait l'esprit humain, on refait la société en théorie, et pour refaire tout cela, on répudie le passé et on le refait. Il faut voir avec quelle hardiesse ce préjugé étroit et injurieux à l'humanité substitue partout les plus étranges hypothèses à la voix de l'antiquité et aux premiers monuments de l'histoire. L'idéologie nous le montre à [p.75] l'œuvre dans l'analyse de l'entendement humain; et aucune de ses spéculations dans l'ordre physique ou dans l'ordre moral ne le trouverait inférieur à lui-même. L'expérience est acquise de tout ce qu'un siècle peut porter de paradoxes, et de quelles fictions l'homme est capable de se satisfaire afin d'échapper à des faits dont il décline le conséquences.

Pour trouver en quelques pages un modèle accompli de la méthode historique que les penseurs du XVIIIe siècle accommodent généralement aux divagations métaphysiques d'Helvétius et de Rousseau, il faut jeter les yeux sur les premières lignes de l'Esquisse d’un tableau des progrès de l'esprit humain, ce long et dernier blasphème que Condorcet proscrit exhale contre la religion et contre toute religion. C'est là que l'on peut admirer avec quelle audace et quel sang-froid, avec quel cynisme d'affirmation quand les faits manquent ou contredisent, un philosophe sait restituer le passé au gré de ses opinions. Ces hommes, contrôleurs si difficiles des titres du Christianisme, prennent une voie plus courte pour substituer leurs préjugés à ses dogmes et à ses preuves : ils érigent leurs opinions en dogmes dispensés de preuve.

Ainsi, veut-on connaître l'état primitif des associations humaines : rien n'est plus simple. Condorcet répond avec assurance : « Le premier état de civilisation où l'on ait observé l'espèce humaine est celui d'une société peu nombreuse subsistant de la chasse et de la pêche, etc. » Donc le premier état social n'est pas différent de l'état de civilisation que l'on observe aujourd'hui chez les sauvages. Mais le mot observer, qu'en dites-vous ? Ce fait que l'on peut observer dans certaines parties du monde, qui donc l'a observé à l'origine du monde ? Quelle est la date de cette précieuse observation ? Quel est le nom du premier observateur ? Condorcet et Rousseau ont-ils préexisté au temps pour observer par eux-mêmes ce phénomène originel ? Mais Condorcet prétend donner à l'hypothèse qui veut que l'homme débute par l'état sauvage, l'autorité d'un fait ; et voici à peu près à quoi se réduit son raisonnement. Le fait de l'état sauvage est observé dans plusieurs contrées du globe : donc il a été observé dès le principe. Ce fait se produit aujourd'hui, rare et avec tous les caractères d'une monstrueuse exception : donc il a dû se produire, et il s'est produit, aux plus anciens jours, comme un fait normal et nécessaire. Condorcet conclut donc du particulier au général, et place [p.76] arbitrairement dans le lointain des temps un fait qui se rencontre dans le lointain des lieux.

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1848 - Correspondant (le) – T 21 

1848 correspondant t21Le Correspondant, Recueil périodique
Religion, philosophie, politique, sciences, littérature, beaux-arts.
Paris. Librairie de Sagnier et Bray, rue des Saint Pères, 64
Tome vingt et unième
1848 - Le Correspondant – T 21

Examen des doctrines du Philosophe inconnu, Louis-Claude de Saint-Martin, Louis Moreau

4e article – De la théosophie – Pages 826-863

Les théosophes sont les gnostiques des temps modernes ; l'orgueil des prétentions et la stérilité de l’œuvre témoigneraient au besoin de l'identité des doctrines. Comme la gnose ancienne, affectant une égale supériorité et sur le philosophe et sur le fidèle, la théosophie abandonne à l'un les notions préliminaires sur l'existence de Dieu, la spiritualité de l'âme, la rémunération finale ; elle lui cède ces espaces déterminés que mesure avec effort le raisonnement humain. Accueillant le fidèle sous une autre forme de mépris, elle lui permet de s'attacher à la lettre d'une révélation positive, de ranger ses œuvres aux prescriptions des livres divins et à l'autorité des interprètes légitimes ; mais cette révélation n'est qu'un témoignage dont une science plus haute sait se passer ; mais ces livres divins ne sont que les fenêtres de la vérité, ils n'en sont pas la porte ; mais cette autorité spirituelle, bonne peut-être aux faibles et aux simples, ne saurait être [149] imposée à des intelligences qui puisent la science dans le sein de Dieu même. De ces hauteurs où elle habite, inaccessibles à la raison, inconnues à la foi, la théosophie abaisse à peine sur l'une et l'autre un regard de dédaigneuse tolérance ; elle se complaît en soi-même et revendique pour toutes les rêveries d'une imagination exaltée par l'orgueil, faussée par la solitude, le caractère et l'autorité de l'inspiration divine.

« Les théosophes, dit un ami de Saint-Martin, ont accru par leurs lumières surnaturelles le nombre des vérités éparses dans les systèmes des philosophes. (Œuvres posthumes, « Recherches sur la doctrine des théosophes », p.150)

La théosophie, dit le même écrivain, a pris naissance avec l'homme, et il y a eu des théosophes dans tous les temps ; mais on peut les partager en deux classes : ceux qui sont venus avant Jésus-Christ et ceux qui ont paru depuis. Nous reconnaitrons les premiers parmi les philosophes qui ont eu le pressentiment des merveilles que le Réparateur universel est venu opérer sur la terre et dans les cieux. C'est Jésus-Christ qu'il faut reconnaître comme le père des lumières surnaturelles, le chef et le grand-prêtre des vrais théosophes comme des vrais chrétiens. C'est par lui qu'étaient inspirés Moise, David, Salomon, les prophètes, et, hors du peuple choisi, Phrérécide, Pythagore, Platon, Socrate... qui eux-mêmes avaient puisé leur doctrine chez les mages, les brahmes, les Egyptiens. L'on pourrait presque assurer que chaque peuple a eu ses théosophes et ses vrais philosophes. La vérité n'a donc jamais été bannie de dessus la terre, quoique ceux qui la promulguaient aient été si souvent tourmentés... [Ibidem, p.150-151]
Les apôtres, les premiers chrétiens, tous ceux qui ont marché sur leurs traces, et les différents théosophes qui ont paru depuis Jésus-Christ, ont encore reçu de plus grands développements des vérités-principes et des mystères divins » [Ibid., p.151-152].

La théosophie repose donc uniquement sur le dogme de l'inspiration individuelle : elle supprime entre l'homme et Dieu tout intermédiaire ; la confiance, surnaturellement éclairée, concentre et réfléchit toute lumière. Une commune négation de l'autorité rattache la théosophie au principe même du protestantisme ; comme lui elle récuse la souveraineté de l'Eglise ; mais elle se distingue de lui, elle se distingue du moins du protestantisme primitif, par le peu d'état qu'elle fait des monuments authentiques de la tradition. Elle les accepte , elle les consulte ; mais, suivant elle, « ils ne doivent pas être employés comme preuves démonstratives des vérités qui concernent la nature de l'homme et sa correspondance avec son principe ; car ces vérités subsistant par elles-mêmes, le témoignage des livres ne doit [[p.828] jamais leur servir que de confirmation » (Tableau naturel, t.II, p1). J'ai déjà répondu à cette négation erronée de la valeur du témoignage.

Le théosophe donc n'est ni catholique, car il ne relève que du bon plaisir de ses pensées qu'il prend pour des révélations ; ni protestant, car il subordonne à ses inspirations la parole de l'Ecriture (il est d'ailleurs beaucoup plus ancien que le protestantisme, qui n'était que d'hier et qui n'est déjà plus) ; ni philosophe, car il méprise les procédés ordinaires de la raison humaine. Qu'est-ce donc qu'un théosophe ? C'est un ami de Dieu, une espèce de prophète ou d'envoyé divin. La vérité n'est point représentée sur la terre par une autorité visible, permanente, infaillible, dépositaire immortelle d'un corps de doctrines invariables comme elle-même. Non ; elle n'a que des témoins passagers, fortuits, répandus çà et là dans tous les pays et dans tous les siècles. L'esprit souffle où il veut, et cet esprit, qui enseigne toute vérité, a parlé tour à tour par la bouche de Rosencranz, de Reuchlin, d'Agrippa, de Schwenkfeld, de Weigel, précurseur de Jacob Boehm, de Gichtel, de Saint-Martin. Il faut convenir que l'esprit de vérité aurait bien souvent caché la lumière sous le boisseau.

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1852 - L'Université catholique

1852 univesite catholiqueL’Université catholique, recueil religieux, philosophique et littéraire, paraissant sous la protection spéciale de Mgr de Salinis, évêque d’Amiens et sous la direction de M. l’abbé Gerdet, vicaire général d’Amiens. – de M. le comte de Montalembert, l’un des quarante de l’Académie française. – de M. Bonnetti, de l’Académie de la Religion catholique de Rome et de la société asiatique de Paris.
Liste alphabétique des auteurs dont les travaux sont entrés dans le présent volume 
Tome XXXIV de la collection - 2e série. – Tome XIV.
Paris, au bureau de l’Université catholique, rue de Babylone, n° 10 (Faub. S. G.) - 1852

Bibliographie. Compte-rendu du livre de Louis Moreau, pages 193-196.

Le philosophe inconnu : Réflexions sur les idées de Louis Claude de Saint-Martin le Théosophe ; suivies de fragments d’une correspondance inédite entre Saint-martin et Kirchberger, par Louis Moreau. Paris chez Lecoffre rue du vieux colombier n°89.

Saint-Martin fut un de ces esprits qui ressentirent le plus profondément l’incohérence et le vide de l’enseignement philosophique et rationnel, tel que l’avaient fait les philosophes Cartésiens et Malebranchistes des siècles derniers. Les efforts qu’il fit pour sortir de cette voie et rentrer dans la voie traditionnelle des vérités primitives, sont dignes de l’étude de tous les penseurs. C'est donc un service que M. Moreau, le traducteur des[page 194] Confessions et de la Cité de Dieu, de saint Augustin, a rendu aux hommes qui veulent étudier la marche de la polémique religieuse vers la fin du siècle dernier. M. Moreau ne se borne pas à reproduire et à faire connaître le théosophe ; il l’explique et au besoin le corrige. Voici un passage qui est tout à fait de circonstance puisqu’il traite la grande question de savoir si l’homme seul est susceptible d’acquérir la connaissance philosophique, comme le prétendent les professeurs de philosophie même catholiques.

« Je n’exige pas d’un libre penseur qu’il attelle son indépendance au joug de l’Écriture; mais j’ai le droit d’exiger qu’il substitue autre chose que des rêves métaphysiques aux dépositions de ce témoin antique de toutes les origines. Il est loisible à Voltaire de se moquer de la Bible, mais il n’est pas permis à Condorcet de la passer sous silence. »

» Quoi de plus téméraire, en effet, que ces essais de restitution des temps anté-historiques, fondés sur le bon plaisir de l’esprit particulier ? Condorcet nous dit encore avec le même sang-froid : « L'invention de l’arc avait été l’ouvrage d’un homme de génie ; la formation d’une langue fut celui de la société entière...(Note 1: [Esquisse d’une table historique des progrès de l’esprit humain. In- 18, p. 20] » Il disait un peu plus haut : « Des hommes de génie, des bienfaiteurs éternels de l’humanité, dont le nom, dont la patrie même, sont pour jamais ensevelis dans l’oubli, observèrent que tous les mots d’une langue n’étaient que les combinaisons d’une quantité très limitée d’articulations premières. Ils imaginèrent de désigner par des signes visibles non les idées ou les mots qui y répondent, mais ces éléments simples dont les mois sont composés. »

« A merveille. Mais d’abord comment peut-il rendre un compte si précis des procédés logiques employés par ces hommes de génie dont il ne sait ni le nom, ni la patrie, ni le siècle où ils ont vécu ? Et puis, s’il fait honneur de l’invention du langage à la société entière, où est la raison de ne pas accorder aussi à la société entière l’invention de l’écriture ? Ou bien, pourquoi ne pas attribuer la découverte de l’écriture à tous, et celle du langage à quelques-uns ? L'une de ces suppositions n’est ni plus ni moins aventureuse que l’autre. Mais ce que je ne puis assez admirer, c’est qu’en posant toujours comme point de départ l’état sauvage, l’on rattache aux temps voisins de ce triste berceau de l’humanité d’incomparables inventions et telles que les civilisations les plus florissantes n’en ont jamais su produire de semblable : l’invention de l’écriture, celle du langage et l’institution de la société civile. Car, selon la philosophie du dernier siècle, la société elle-même repose de temps immémorial sur une convention qui [195] impliquerait dans les hommes grossiers, jouets de leurs passions et de leurs appétits, une singulière prévoyance et une métaphysique politique fort déliée, puisque, aux termes de l’hypothèse, cette convention aurait stipulé l’aliénation d’une certaine portion de la force et de l’indépendance personnelle au profit d’un pouvoir public et d’une liberté générale. La contradiction est évidente (Note 2 : [Helvétius trouvait le principe de l’ordre social dans les besoins et la prévoyance naturels à l’homme : hypothèse parfaitement réfutée par l’état constant d’imprévoyance et de misère des véritables sauvages.]). Et toutefois les meilleurs esprits y sont tombés, le penseur comme le déclamateur, Montesquieu comme Rousseau. Car Montesquieu lui-même va chercher aussi dans les forêts l’homme naturel, l’homme antérieur à rétablissement des sociétés. C’est qu’en définitive il s'agissait moins de donner au problème des origines une solution véritable que d’en exclure les solutions admises ; il s’agissait moins d’établir solidement l’éducation progressive de l’homme par lui-même que d’interdire à Dieu le souci des choses humaines. »

« La fièvre antireligieuse peut seule expliquer cette manie de refaire a priori l’histoire primitive de l’homme. Comment, en effet, concevoir que, obstinément engagés dans une voie de spéculations vaines, des esprits supérieurs s’amusent à tracer du commencement du monde ces étranges tableaux qui ne présentent ni une preuve, ni une date, ni un nom ? Comment concevoir que, négligeant Dieu dès le principe comme un terme inutile, et dédaignant le milieu social et traditionnel dont on ne saurait se dégager sans sortir des conditions qui sont faites à l’intelligence pour atteindre le vrai, l’observateur prenne l’homme comme une abstraction, le retire de la sphère vivante des actes humains, pour ériger en faits les développements hypothétiques qu’il lui prête ; à peu près comme on étudierait les chimériques évolutions d’un germe inconnu, en commençant par le soustraire à l’action des éléments sans lesquels il ne se peut qu’il devienne ce qu’il doit être ? Il fallait donc, je le répète, qu’il y eût à cette intempérance de rêveries manifestes un motif et un dédommagement : de puissants esprits ne sont jamais assez dupes de l’erreur pour affronter naïvement 1’absurde et l’impossible.

« En abordant l’examen contradictoire de ces questions redoutables, Saint-Martin prend pour point de départ l’homme même, et c’est par l’observation intérieure qu’il prétend arriver à l’explication de l’homme et des choses. « On a voulu, dit-il, expliquer l’homme par les choses et non les choses par l’homme, » et cependant l’homme est la clef des choses. L’âme de l’homme est le miroir universel ; miroir terni et brisé, mais que [page 196] par ses brisures mêmes et ses ténèbres, témoigne de toutes les lumières qu’il devrait concentrer et réfléchir. « Les vérités fondamentales, dit encore Saint-Martin, cesseraient de nous paraître inaccessibles si nous savions saisir le fil qui nous est sans cesse présenté ; parce que ce fil, correspondant de la lumière à nous, remplirait alors le principal objet qu’elle se propose, qui est sans doute de nous rapprocher d’elle et de réunir les deux extrémités. »

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