Le Machinisme...  Bernard, mon ami et mon frère

kunrath adepte

Ce texte, écrit par un de mes frères et ami, m'a paru si parlant dans notre monde moderne que j'ai demandé à Bernard l'autorisation de le publier, ce qu'il m'a donné avec sa gentillesse habituelle.


À sa lecture, le souvenir de Michel Henry (1922-2002), ce philosophe qui m'a si profondément marqué pendant les études de Sophrologie caycédienne avec Michel Guerry et Emmanuel Galacteros, m'est revenu, en particulier son roman "L'Amour les yeux fermés" où l'auteur explique pourquoi cette ville, Aliahova, allait mourir. Extrait:

« Comment en sommes-nous venus là ? Des phénomènes étranges se sont produits, qui échappaient à nos prises et contre lesquels nous n'avons rien pu. Ce fut comme un dégoût général à l'égard de tout ce qui, pendant des générations, avait éclairé la vie des gens, leur indiquant la voie à suivre, les obstacles à éviter, les stimulant dans la quête du bien. Ceux qui enseignaient toutes ces choses étaient toujours là, ils continuèrent à parler, mais personne ne les écoutait plus, on ne se moquait même pas de ce qu'ils disaient, tout simplement cela avait cessé d'exister. Pendant ce temps-là un nouveau langage avait surgi, — pas tellement nouveau, à vrai dire, puisqu'il se bornait, en fin de compte, à prendre le contre-pied du précédent. Affirmant que ce qui est mauvais, condamnable, ce n'est pas la pulsion brute, la violence aveugle, la sexualité nue, la volonté de faire le mal, la vengeance, le viol, la cupidité, le mensonge et le meurtre, que tout cela, au contraire, est bel et bon, constitue le fond de notre être et ce qu'il y a de meilleur en nous. Ce qui est vil, méprisable, ce qui doit être anéanti, c'est ce qu'un passé exécrable avait partout opposé à la force, ce à l'aide de quoi il prétendait la transformer de l'intérieur, la modérer et, finalement, la nier, lui substituant ainsi la réserve, l'humilité, la pudeur, la tolérance et le respect des autres, le pardon et, pour tout dire d'un mot, l'amour ».

Plus loin M. Henry explique les raisons de l'abandon de

« ... ce qui est noble et divin, et notamment de l'amour sans limites qui, ivre de lui-même et se prenant pour l'être de toute chose, ne voulant rien exclure de lui, se fit amour de tout, du faible aussi, du malade, et même de l'ennemi.
«... S'il s'agit de ce que sent et éprouve celui qui a suivi son trajet propre et veillé tard dans la nuit, de ce qu'il perçoit de la beauté du monde et comprend de ses mystères, s'il s'agit de l'amour, que peut signifier l'égalité ? [...] Parce que aucune réalité spirituelle n'affleurait plus au fond du cœur des hommes comme la raison joyeuse de leur existence, comme son essence même, son seul sens possible et sa légitimation. [...] d'un peuple qui a perdu jusqu'à l'idée de son destin spirituel. [...], trouver ailleurs ce dont ils n'ont pu reconnaître la présence en eux-mêmes... un ensemble d’œuvres ou de normes qui dans chaque domaine de la sensibilité, de l'intelligence ou du cœur, résultait chaque fois de ce qu'un individu, le meilleur, avait lui-même inventé ou produit de meilleur.
«... Une sorte de lassitude encore jamais éprouvée, une défaillance de la vie, non point passagère mais durable, définitive, et tous les phénomènes dont la venue nous alarmait, le dégoût du métier, l'horreur de l'effort, l'absence de tout exercice volontaire — physique, intellectuel ou spirituel —, cette apathie visible partout n'en était que l'expression  et le résultat... l'affirmation enfin que tout est matériel et que l'homme lui-même n'est qu'une machine...
« Voyez-vous, il y a au fond de la vie une certaine douceur, un sentiment d'insouciance et de sécurité — comment dire ? —, une certitude absolue que rien, semblait-il, ne pourrait jamais ébranler, qui court dans le corps des vivants, traverse leurs membres, suscite leurs mouvements et les rend aisés, qui, ivre d'elle-même et de sa propre joie, projette toujours quelque nouvelle entreprise, le dessin de ce qui n'a encore jamais été, une existence agrandie et plus pleine, où le bonheur d'être sera plus grand encore. Et c'est cette force qui, pour la première fois, chancelle, ici, dans cette ville... »

Je vous recommande donc ce livre : L’Amour les yeux fermés de Michel Henry, Édition Gallimard, Folio n°1401 (1982). Les extraits sont issus des pages 277-306.
Sur Michel Henry on pourra consulter : Articles sur Michel Henry et contributions aux articles existants écrits par Philippe Audinos (format pdf)

Jean-Louis


Le Machinisme

A mes yeux le caractère, le plus apparent de notre époque, que ce soit dans la science, dans les arts,dans l’État, mais aussi dans les mœurs, c'est le machinisme envahissant, ce machinisme qui détruit partout la Liberté et veut nous priver de notre conscience en mutilant nos connaissances...

Les événements, les doctrines, les dogmes, vantent à l'encan, la domination du fait sur le principe, la domination des procédés sur l'inspiration, la domination des besoins sur les devoirs, la domination du nombre et de la force brutale (j'allais dire animale) sur la Justice et la Vérité,  la domination de phrases alambiquées vides de toute substance sur les classes cultivées,la domination de l'administration sur les citoyens,  en un mot le triomphe de la matière sur l'Esprit, et trois fois hélas, de la fatalité sur la Liberté Morale.

Laissons les enfants rirent dans les musées Tinguely, mais refaisons en notre âme une deuxième visite, et regardons également derrière ces sourires l'écrasante domination de ces automates.

Tout ce qui est automate se développe, s'insinue dans notre existence , avec une patience et une obstination sans égal, grignote çà et là notre univers ; tout ce qui est de l'Homme se rétrécit.

Le plus étrange dans cette révolution, pour moi si évidente, c'est la douceur, l’hypocrisie talentueuse de ce merveilleux mensonge  des apparences, qui, tel un agile politicien, la dissimule au peuple enivré d'une pensée commune.

Nous le savons bien, à aucune époque, sous aucun règne, sous aucun temps, le monde n'a été aussi exempt de tout ce que l'on appelle préjugé ou retenue, plus dégagé de tout respect vis-à-vis des traditions, plus réfractaire des vieilles règles, des vieilles convenances, il n'a jamais été plus impatient de toute autorité, ni plus septique devant tous les enseignements de l'histoire, insensible à la Nature, et je ne parlerai point d'une faculté aujourd'hui disparue que l'on nommait le bon sens.

L'invention de ces automates, de ces machines, leur substitution à la main et à la volonté de l'homme est le grand fait économique de notre temps.

Ces inventions sont devenues comme un fait religieux pour notre société idolâtre de la matière, pour notre société idolâtre de la machine, pour notre société idolâtre d'une consommation au raisonnement trompeur.

Les étiquettes électroniques, les puces, les ordinateurs, les téléphones, toute cette mécanique, mais également, toutes les machines administratives, toutes les réglementations stupides, sont des dieux nouveaux que l'être humain se crée jour après jour.

Dans toute religion la loi du fidèle, son idéal, c'est l'imitation du dieu. Chaque individu religieux ou athée agnostique ou fervent pratiquant s’efforce d'avancer sur le chemin de son Orient.

Malheureusement l'individu et la société, de nos jours, œuvrent, par tous les chemins possibles, par tous les moyens imaginables, à se faire semblables à ces monstres, à ces engins, à ces procédés vides, qui ont remplacé sur l'autel l'image du Dieu.

Ce despotisme de la machine, cette tyrannie électronique ,ces classements stupides et inutiles, se font sentir partout, se cachent sous mille et un mensonges,et, telle les eaux usées, recouvrent avec perfidie notre verte Liberté. On s'y heurte à chaque pas, on y est confronté à chaque instant dans l’État, dans les Arts, dans la Justice, dans la Religion, dans la Cité, mais ce qui est plus grave encore dans la Vie privée. C'est la forme habituelle, que prend aujourd'hui le matérialisme. Cette forme qui, malheureusement, n'a plus besoin d'avancer déguisée, est la plus sûre, la plus fondée, la plus certaine, la plus imposante, parce qu'elle est la plus décevante !

La machine, l'automate, la puce, le plus parfait, le plus abouti, le plus réfléchi,possède en réalité moins de vie qu'une statue de marbre. Aux yeux de la foule, des vulgaires, il est animé....

Toutes ces choses sans âme, toute cette machinerie, tout ce rouleau compresseur qui avance régulièrement inexorablement indistinctement, cette nuée de formulaires, de législations, de papiers aux questionnements abscons, cette multitude de notes discordantes, ces océans de couleurs stressantes, cette armée d'électeurs et de fonctionnaires mus par des fils invisibles, ces plumes innombrables, trempées dans une encre mensongère, tout ce bruit, tous ces mouvements, toutes ces incantations, ressemblent à la vie à s'y méprendre pour celui, ou celle, qui cherche la vie autre part qu'à sa vraie source.Dans cette dernière coule la spontanéité de l'Âme, la conscience Morale, en un mot la Liberté.

Doué de la faculté douloureuse de sentir vivement cette oppression que le simulacre des choses fait peser sur la Vérité, pourvu de la faculté de percevoir ce matérialisme à travers tous les subterfuges théâtraux, armé du scalpel de l'analyse afin d'extraire la Vérité dans un fatras nommé information, nous avons besoin dans les questions les plus diverses de nous tenir en le lieu fortifié de notre conscience, afin d'y puiser les ressources nécessaires pour mieux combattre la mécanique perfectionnée de l’écrasement en faveur de la Vie et de l'Initiative personnelle.

Si jamais la multitude est amené à la Liberté, à L'intelligence, au sentiment du Beau, ce sera par des Hommes qui refuseront de complaire à ses goûts, Ils refuseront tout déguisement pour n'endosser que la blanche toge de la Vérité.

Pour élever l'Âme des autres , il faut d'abord ne pas abaisser la sienne. C'est un abaissement,un écrasement, pour l'Homme que d'obtenir le succès aux dépens de son idéal. Il ne s'agit pas d'impressionner, d'être vénéré, d'être applaudi, il s'agit d'être honnête et vrai. La fidélité à son propre jugement, à sa propre pensée, voilà le suprême devoir de l'Homme. Les renonciations n'entraînent que la rétrogradation au rang d'individu, de vulgaire. Quand cette fidélité froisse les instincts de la foule, l'Homme n'hésite pas ! C'est dans sa conscience qu'il cherche d'abord son succès, s'il a des doutes, son recours contre lui-même est dans le jugements de ses pairs, dans les enseignements de la Nature ,et, dans l'Amour de la Sagesse.

Une Unité de Vie doit être dans ce cri, dans cette indignation,dans cette protestation, parfois implicites, mais permanents, de l'initiative morale contre l’excitation organique, de l'inspiration contre l'habileté, de l'enthousiasme contre l'ironie, de la liberté contre le machinisme, de la Spiritualité en un mot contre tout ce qui comprime et dégrade l'Âme.

Les droits de l'Âme, de l'Amour, de la Justice, du Courage, de la Tempérance,en un mot de la Liberté voilà ce que je défends . Ces droits sont inaliénables, immuables, imprescriptibles, nul n'a le droit, fut-il tyran, gouverneur, monarque, président , ou simple chef , nul n'a le droit dis-je d'en limiter l'existence, l'action,la jouissance ne fusse que d'une monade.  A ces droits, j'ajoute l'initiative personnelle, et la grâce inspiratrice ; cet ensemble je le professe au travers de toutes questions de vie, de méthode, de division, de hiérarchie entre les hommes.

L’Âme, comme l'arbre à ses fruits,se juge dans ses œuvres. Les œuvres doivent être jugées et classées d'après la grandeur de l'Âme qu'elles manifestent. Tout autre jugement ne serait qu'erreur. Quel automate judiciaire serait capable  simplement d'entendre l’œuvre dans sa création?

L'Homme ne peut plus cacher son opinion. L'Homme à sa foi. L'Homme a ses doutes. L'homme a son idéal. Sur tout cela l'Homme sera jugé plus encore que sur son talent que sur sa technique, et que certainement sur la possession de machine fussent-elles perfectionnées .

Il n'y a pas de vénération, de courbette, d'applaudissement, de succès, qui vaille le bonheur de vivre libre en harmonie avec son Âme.
Bon je sais le premier Janvier je suis complètement fou.... Mais bon ce n'est certes pas une découverte non ?
Je vous aime quand même.... et je vous serre sur mon cœur.

Bernard
Patriarche de Perruchon


Source de l'image :

L'Adepte dans son studio : illustration de H. Kunrath "Amphitheatrum sapientiae aeternae", Hanoviae, G. Antoine, 1609 / Hans Vredeman de Vries ; [gravé par] Paullus van der Doort
BNF : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84185150