Grainville - Circulaire (page 369-372)

L’État du G∴ O∴ est destiné à consacrer la mémoire, parmi les Maçons, des anecdotes, de quelque nature qu’elles soient, qui peuvent concourir à faire ressortir le caractère de nos Frères.

Dans ce nombre, sans doute, ce qui flatte davantage le G∴ O∴, est d’avoir à transmettre les faits qui honorent l’Ordre par l’exercice des vertus morales qui ont distingué ses Membres : telle est l’anecdote, dont nous avons connaissance concernant le R∴ F∴, de Grainville.

Parmi les différents rites dont se sont occupés, de temps immémorial, les Maçons les plus studieux, les plus pénétrés de la persuasion intime que la persévérance dans nos travaux doit accroître la somme de leurs connaissances, et les faire parvenir aux hautes sciences, le rit des Élus-Coën est celui qui a conquis le plus d’élèves, et conservé avec le plus de soin le secret de ses mystérieux travaux.

Dès le milieu du dernier siècle, il fut successivement professé à l’O∴ Marseille, à l’0∴ de Toulouse, à l’O∴ de Bordeaux, par Dom Martinès de Pasqualli ; mais, tourmenté par tout, il l’apporta [page 370] définitivement, en 5768 [1768], à l’O∴ de cette Capitale ; il y fit une assez grande quantité de prosélytes, et leur nombre croissant rapidement, fixa l’attention des autres Maçons, qui donnèrent à ceux du rit professé par ce nouveau Maître, le sobriquet de Martinistes.

Dom Martinès, après très peu d’années de séjour à Paris, retourna à Bordeaux, et s’embarqua pour Saint-Domingue où il termina sa carrière, ayant partout, et sans cesse, professé le rit des Élus Coën.

Ceux qui connurent cet homme extraordinaire ne peuvent lui refuser une science des plus étendues : on en peut juger au métaphysique par les œuvres précitées du R∴ F∴ de Saint-Martin, et au moral par l’anecdote suivante, où l’un de ses élèves a manifesté toute la franchise et la fermeté qui caractérisent l’homme irréprochable, le vrai Maçon. [page 371]

ANECDOTE

Le F∴ de Grainville, créole de l’île de Bourbon, ancien chef de bataillon au régiment de Boulonnais, jouissait de sa retraite à Lyon, entièrement livré à la pratique de notre Art, environné de plusieurs Maçons du même rit.
Il fut provoqué à commander les Lyonnais, pour repousser une attaque vive, dans laquelle ils étaient sur le point de succomber ; il ne crut pas pouvoir s’y refuser, et conserva le poste : c’est l’unique fois qu’il ait été employé.
Après la prise de cette ville infortunée, ce brave et vieux militaire, le F∴ de Grainville, fut cité à la Commission extraordinaire ; il y parut avec le calme de la vertu. Son extérieur vénérable, son ton modeste, et les renseignements avantageux que ses juges avaient pris sur ses mœurs, les disposaient sans doute favorablement, car, loin de lui présenter des demandes insidieuses ou [page 372] captieuses, ils ne cessèrent de lui dire affirmativement qu’il n’avait, sûrement, pas concouru à la défense de la ville ; qu’ils en étaient convaincus ; que cet interrogatoire n’était que de forme ; qu’ils allaient, vraisemblablement, prononcer sa liberté. Le F∴ de Grainville répondit avec tranquillité : si les défenseurs de Lyon méritent le supplice, j’ai commandé le jour de l’attaque des Bastions : qu’on m’envoie à la mort, et il mourut.