Tome II (1843) - Extraits, pages 12-13 ; 26-28 ; 35 ; 81-82 ; 90-91 ; 101-102 ; 110 ; 133 ; 176

1843.Nolhac t2Extrait, pages 12-13

Que ne consacrait-il du moins toute cette soirée à ses élans spirituels, et aux reproches qu'il adresse à notre siècle à qui, dit-il, il faut « une astronomie mécanique, une chimie mécanique, une pesanteur mécanique, une morale mécanique, une parole mécanique, des remèdes mécaniques, pour guérir des maladies mécaniques (1) ?

(1) Page 256. — Je prie mon lecteur de se rappeler les traits que j'ai transcrits ci-dessus dans l'Appendice du chapitre VIII, et qui appartiennent à l'Homme de désir de Saint-Martin.

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Extrait, pages 26-28

Un auteur, parlant du mysticisme de Mme Guyon, et de certaines propositions que l'on rencontre dans quelques-uns de ses ouvrages (1), ne craint pas de dire que ce mysticisme semble être de la même famille que celui des piétistes d'Allemagne, des godwinistes en Angleterre...; il le lie aux folies de Swedenborg, au déisme des martinistes, aux rêveries des béguards du quatorzième siècle ; il le regarde enfin comme une dépendance ou une dérivation des erreurs des gnostiques des premiers âges de l'Eglise; et nous avons vu qu'il aurait pu [page 27] lui assigner une origine plus ancienne, d'où seraient sorties tant d'extravagances qui, depuis la naissance du christianisme, sont venues se mêler à la vérité pour en affaiblir l’éclat (2).

Il est à remarquer que M. de Maistre , qui loue beaucoup Mme Guyon, professe en même temps une grande admiration pour l'illuminé Saint-Martin (2) ; et il est certain aussi que les premiers hérétiques qui prirent le nom de gnostiques (du mot γνωσις, connaissance, intuition mentale), parce qu'ils se vantaient d'avoir des connaissances et des lumières extraordinaires, étaient, pour la plupart, pythagoriciens (3). Or, cette philosophie [page 28] revit dans les Soirées de St-Pétersbourg dont le dixième et le onzième Entretien surtout semblent n'avoir d'autre but que celui de reproduire les doctrines mystiques de l'Orient ; c'est elle qui a fourni à M. de Maistre l'idée de représenter les astres mus, comme le corps humain, par des intelligences qui leur seraient unies ; c'est elle qui lui a inspiré le mépris qu'il affecte pour les méthodes, et ces théories sur les nombres, qui, par leur vague et leur obscurité, échapperont à notre analyse.

(1) Voir l'Histoire générale de l’Église pendant le dix huitième siècle , par M. l'abbé Guillon , liv. I, p. 58.

(2) Remarquons que Saint-Martin était parent de Madame Guyon. Après être sortie de la Bastille (on aurait mieux fait de la mettre dans une maison de santé), cette dame se retira dans la Touraine « que Saint-Martin , un rêveur de sa famille, devait habiter plus tard, puis à Blois, où elle vécut pieuse, isolée, guérie de son goût pour l'apostolat, et sans paroles amères contre ses ennemis ; elle y mourut en 1717. » (Revue de Paris, du 23 février 184..; art. sur Madame Guyon , par M. Auguste Desplaces.)

(3) Voir, dans le Dictionnaire des hérésies, ou Mémoires pour servir à l'histoire des égarements de l'esprit humain les articles : Gnostiques , Valentin , Basilide, Béguards ; et dans le tome I du même ouvrage, Discours préliminaire, pages 135 et suiv., le chap. VI qui traite des hérésies et des sectes qui s'élevèrent pendant la durée du deuxième siècle du christianisme.

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Extrait, page 35

Toutes les propositions condamnées dans le livre des Maximes des Saints , par le pape Innocent XII, tendent, dit-il, à faire prévaloir le sentiment religieux sur les motifs intéressés. « Cette préférence porte nécessairement un grand préjudice à l'autorité sacerdotale : elle met l'homme en communication directe avec la Divinité, et lui rend superflue l'intervention des intermédiaires. Elle doit nuire, par là même, à l'influence de ceux qui sont les organes des demandes qu'il adresse au Ciel pour obtenir des faveurs ou pour échapper à des peines (1)

(1) Voilà pourquoi les disciples de Saint-Martin, qui suivaient les conséquences de leurs principes , n'usaient pas du ministère des prêtres.

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Extrait, pages 81-82

Une autre disposition de l'esprit, qui tient à celle dont je viens de parler, que M. Joseph de Maistre a contribué à développer parmi nous, qu'il avait puisée dans les écrits de Saint-Martin et que nous retrouvons dans les productions de plusieurs écrivains de nos jours, est une profonde antipathie pour les méthodes qui conduisent au savoir. Des hommes exaltés ont rêvé qu'il existait une méthode simple et générale à l'aide de laquelle toutes les difficultés qui rendent pénible l'accès des connaissances qu'il nous est donné d'acquérir , et qui rendent si petit le nombre de ceux qui y [page 82] parviennent, devaient disparaître. Nous avons vu, dans le chapitre huitième, l'espèce d'imprécation que Saint-Martin lançait contre les studieux observateurs de la nature : « Que faites-vous, doctes ignorants ? leur disait-il ...... Laissez là tous les moyens mécaniques que les hommes plus curieux que sages ont ramassés parmi les débris de la science. Le Seigneur seul enseigne à ses élus les moyens qui sont nécessaires à son œuvre. » [Homme de désir, chant 33]

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Extrait, pages 90-91

On donne ce même nom au disciple vertueux de St-Martin qui ne professe pas seulement le christianisme, mais qui ne travaille [page 91] qu'à s'élever aux plus sublimes hauteurs de cette loi divine. Vous m'avouerez, Messieurs, qu'il n'est jamais arrivé aux hommes de tomber dans une plus grande confusion d'idées. Je vous confesse même que je ne puis entendre de sang-froid, dans le monde, des étourdis de l'un et de l'autre sexe crier à l'illuminisme, au moindre mot qui passe leur intelligence.

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Extrait, pages 101-102

Le comte, qui est M. de Maistre, reprend la parole, et donne quelques renseignements sur les illuminés :

« Ces hommes, dit-il, parmi lesquels j'ai eu des amis, m'ont souvent édifié; souvent ils m'ont amusé, et souvent aussi... Mais je ne veux point me rappeler certaines choses ; je cherche au contraire à ne voir que les côtés favorables (1). Je vous ai dit plus d'une fois que cette [page 102] secte peut être utile dans les pays séparés de l’Église, parce qu'elle maintient le sentiment religieux, accoutume l'esprit au dogme, le soustrait à l'action délétère de la réforme qui n'a plus de bornes, et le prépare pour la réunion... Je n'ai trouvé chez eux que bonté, douceur et piété même, j'entends à leur manière. (pages 337 et 338 des Considérations...)

(1). Ne chercher à voir jamais que les côtés favorables , est sans doute une inspiration de la charité. Mais ne chercher à voir que ces côtés quand il s'agit de certains hommes, et ne voir que les côtés défavorables lorsqu'il est question d'autres hommes, c'est se montrer homme de parti.-Ainsi, quand M. Joseph de Maistre disait des solitaires de Port-Royal : « De la part de ces docteurs rebelles, tout me dé« plait, et même ce qu'ils ont écrit de bon , » il ne cherchait sans doute pas à ne voir que les côtés favorables. C'est tout autre chose lorsqu'il s'agit des disciples de Saint-Martin, de ces hommes qui , sans être de ces fougueux sectaires qui ne rêvent que des ruines , n'ont pas moins été appelés des fanatiques du déisme. Pour nous , nous nous bornerons à dire , en nous servant des propres expressions de M. Joseph de Maistre : « Tout est vrai et tout est faux au gré de « l'esprit de parti; il prouve ce qu'il veut , et il se moque « de tout...... » (De l’Église gallicane , liv.1, chap. ix.)

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Extrait, page 110

Mais si nous n'avons pas oublié les plaintes que, par l'intermédiaire du sénateur, il a formées contre l'autorité qui a placé des barrières sur la route des découvertes, et qui impose des entraves à la pensée ; si nous nous rappelons les éloges qu'il a donnés lui-même aux vertueux disciples de Saint-Martin dont le christianisme n'était sans doute point celui qu'on nous présente sous le nom de catholicisme, puisqu'ils ne reconnaissaient pas le ministère des prêtres, nous serons forcés de conclure que la pensée de M. de Lamennais est le complément de celle de M. de Maistre, et que les rêveries de l'un et de l'autre sortent de la même source que celles des illuminés.

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Extrait, page 133

Pour savoir, il ne sera plus besoin d'apprendre, car alors « toute la science changera de face : l'esprit, longtemps détrôné et oublié, reprendra sa place... Déjà même la force des choses a contraint quelques savants de l'école matérielle à faire des concessions qui les rapprochent de l'esprit... ; tandis que, de tous côtés, une foule d’élus s'écrient de concert : Venez, Seigneur , venez (1) ! »

(1) Pages 318, 319, 320 du tome II [Soirées de St-Pétersbourg]. On peut comparer ce trait d'une âme passionnée avec plusieurs pages du livre qui a pour titre : l'Homme de désir, par Saint-Martin.

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Extrait, pages 176

Il faut cependant avouer, après avoir assuré l'orthodoxie, que l'histoire nous montre l'homme persuadé dans tous les temps de cette effrayante vérité : qu'il vivait sous la main d'une puissance irritée, et que cette puissance ne pouvait être apaisée que par des sacrifices (1).

(1) Tome II, pages 371 et 372. M. de Maistre est ici en opposition avec un auteur de sa prédilection, qui a écrit ces belles paroles :
« Je craindrai Dieu avec mesure, mais je l'aimerai sans mesure : je puis trop craindre, et je ne puis pas trop aimer. » (Saint-Martin , dans l'Homme de désir, p. 194.) O crainte divine ! tu es sans doute un précieux trésor : et tu n'es cependant que le commencement de la sagesse.

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