1887 – Nourrisson - Philosophes de la nature

1887 NourrissonPhilosophes de la nature : Bacon, Boyle, Toland, Buffon

[Jean Félix] Nourrisson (1825-1898), Membre de l’Institut

Paris - Librairie Académique Didier.

Perrin et Cie, libraires éditeurs, 35, quai des grands Augustins

1887

Introduction. Extrait, pages LV-LVII

…Cependant, grâce au Ciel, cette épouvantable crise ne fut pour la France qu'une épreuve d'où elle sortit transformée, et peu à peu devait se produire, avec le relèvement de la philosophie, le relèvement même de la nation. Au spiritualisme idéaliste de l'âge précédent avait succédé le matérialisme effréné d'une seconde Renaissance, où la passion antichrétienne s'était donnée, cette fois, libre carrière. Le XIXe siècle, à son aurore, allait voir reparaître, par-delà les horizons toujours si bornés de l'idée de nature, les idées d'âme et de Dieu.

Et déjà, en 1785, parmi les sectes d'illuminés et les loges, au milieu des jongleries d'un Mesmer et d'un Cagliostro, Bernardin de Saint-Pierre avait essayé, en publiant ses Études de la nature, de rappeler aux doctrines spiritualistes ses contemporains. « 0 mon Dieu ! [LVI] s'écriait-il, donnez à ces travaux d'un homme, je ne dis pas la durée et l'esprit de vie, mais la fraîcheur du moindre de vos ouvrages ; que leurs grâces divines passent dans mes écrits et ramènent mon siècle à vous comme ils m'y ont ramené moi-même. » La voix de Bernardin de Saint-Pierre s'était perdue dans le tumulte de la Révolution.

Ce fut un disciple du Juif portugais Martinez Pasqualis, le mystique Louis-Claude de Saint-Martin, qui, le premier, réfutant, dans les séances des Écoles normales, le verbiage Condillacien de Garat, sut affirmer de nouveau et dogmatiquement l'existence de l'esprit. A cet oncle du chanteur Garat, lui-même espèce de chanteur, qui déclarait s'occuper des facultés de l'âme, non de sa nature, se disant d'ailleurs indifférent au spiritualisme et au matérialisme, Saint-Martin fort pertinemment répondait : « Si vous ne voulez ni de la matière ni de l'esprit, je vous laisse le soin de nous apprendre à quoi vous attribuez le gouvernement de notre pensée ; car encore faut-il qu'il y en ait un. — Quoi! vous n'êtes ni matérialiste ni spiritualiste ! c'est la manière indéterminée et mixte de beaucoup d'hommes sur terre ; mais un professeur ! Le matérialisme vous convient, mais vous en voulez le bénéfice sans les charges, et vous n'êtes pas non plus spiritualiste ; Bacon vous gêne, la statue de Condillac vous est une dérision de la nature et le système des sensations un vrai système musculaire. » Cependant il ajoutait : « La doctrine matérialiste n'a rien de vif ni de sensible pour s'étayer ; elle est réduite à crier partout : néant ! néant ! et ne peut porter aucun coup actif à ses adversaires ; en prise de tous côtés, elle n'a pas la moindre force défensive à opposer ; elle ressemble à ces Dieux de pierre et de bois, qui, selon Baruch, ne pouvaient se défendre ni des injures de l'air, ni des ordures des insectes, ni marcher, ni même se soutenir sur leurs pieds, sans être attachés [LVII] avec des crampons comme des criminels. » Et en même temps qu'il traduisait les Quarante questions de l'âme, La triple vie de l'homme, l'Aurore naissante, par Boehme ; Saint-Martin publiait lui-même de nombreux ouvrages, tels que ceux qu'il a intitulés d'une façon parfois bizarre ; Des erreurs et de la vérité ; Dieu, l'homme et l'univers ; le Crocodile ; le Ministère de l'Homme-esprit ; l'Homme de désir ; le Nouvel Homme ; Éclair sur l'association humaine. A dix-huit ans, Saint-Martin s'était dit : « Il y a un Dieu, j'ai une âme, il ne faut rien de plus pour être sage. » C'est là l'idée-mère de tous ses écrits. Constamment il soutient, d'une part, que l'homme, loin d'être tout matière, est pensée et moralité, de sorte qu'au lieu que l'homme s'explique par les choses, ce sont les choses qui s'expliquent par l'homme ; et, d'un autre côté, qu'en tout, loin de pouvoir se passer de Dieu, l'homme, pensée de Dieu, a un besoin irrésistible de Dieu ; qu'en Dieu se trouve sa consommation, et qu'ainsi la vie future est la véritable vie sur laquelle la mort nous ouvre un plus libre accès.

On ne peut lire Saint-Martin, sans se sentir pénétré de spiritualité. Malheureusement, sa doctrine qui est telle quelle, une philosophie spiritualiste de la nature, dégénère en un faux mysticisme. L'observation y est remplacée par l'inspiration, et la science par les conjectures numérales et la théurgie. Finalement, c'est une théosophie, ce n'est plus une philosophie.

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