[Notes doctrinales]
On a vu, plus haut, quel était le sens général de l’enseignement donné par Martinez aux Élus Cohens, puis aux Chevaliers Bienfaisants par Willermoz. On a vu comment Saint-Martin avait éliminé, pour ses disciples personnels, les opérations magiques pour se cantonner dans la seule métaphysique du système. Il reste à délimiter la doctrine traditionnelle restituée par le G. M. Bricaud, depuis 1919, dans le cadre de la Science et de la Philosophie actuelles. Une adaptation était nécessaire ; la voici :
Tout d’abord, précisons que rien n’est changé aux bases théoriques de Martinez. Le but à atteindre est et sera toujours : la spiritualisation des individus et des sociétés. L’ennemi est toujours identique : le matérialisme doublé de l’agnosticisme. Mais, cette doctrine délétère a multiplié ses forces par toutes les conquêtes scientifiques réalisées depuis cent cinquante ans, et la philosophie qui l’étaye [page 14] a complété son arsenal par les arguments du subjectivisme, du synthétisme et autres systèmes modernes. Elle est donc plus redoutable que jamais.
C’est pourquoi, si l’on veut implanter le spiritualisme dans les milieux actuels, il faut partir de bases scientifiques irréfutables, faire la part de la matière et des phénomènes dont elle est le siège et la part de l’élément divin, c’est-à-dire de l’esprit. Donc, à la base de la doctrine Martiniste se trouvera une psycho-physiologie déterminant le rôle du corps, de l’âme et de l’esprit. Elle conduira l’adepte à la conviction scientifique d’un esprit recteur et, pour ainsi dire, créateur, et d’une matière servile, simple modalité de l’esprit nécessitée par les contingences spatiales et temporelles. L’esprit sera la seule réalité et la matière une apparence destinée à se résorber lorsque l’esprit n’aura plus besoin d’un support pour agir et penser, c’est-à-dire lorsqu’il aura reconquis sa puissance originelle perdue dans le procédé involutif des émanations divines.
Ainsi, la psychologie Martiniste conduit à la prépondérance, puis à la primordialité de l’esprit, pour conclure qu’il est la seule réalité. Pour elle, le corps et les séries phénoménales dont il est l’origine sont un résultat instable obtenu par la dispersion des éléments spirituels primitivement émanés par le Principe Divin.
L’involution de ses éléments spirituels constitue la cosmogonie dont le développement s’adapte avec rigueur à l’ensemble des théories astronomiques, géologiques et biologiques modernes.
Comment ils ont été émanés, puis appelés à s’involuer, tel est le but de la théodicée ou plutôt de la théologie Martiniste, dont il faut chercher les racines profondes dans les tréfonds de la pensée humaine ; mais, plus près de nous, dans l’alexandrinisme et la doctrine ésotérique du Christ, spécialement manifestée dans la Gnose.
Cette première partie de l’enseignement est constituée par une double démonstration. Dans un mouvement ascendant, elle va du corps, c’est-à-dire de la matière brute ou organisée, vers l’âme, l’esprit, les manifestations divines extérieures et, enfin, vers le Principe Créateur. Suivant le mouvement inverse, elle s’abandonne ensuite au courant centrifuge pour assister à l’involution des émanations [page 15] spirituelles, jusqu’à l’extrême limite de la réalisation, qui est la matière.
C’est une philosophie, donc une science théorique.
Mais le problème n’est pas épuisé. L’involution est une conséquence des cataboles successives dont il faut détruire les effets. Ce sera le rôle de la deuxième partie de l’enseignement.
Il faut juguler la force centrifuge et permettre à la force centripète de reprendre sa puissance attractive. Il faut mater le corps, discipliner l’âme et fixer la personnalité humaine dans son centre effectif, l’esprit. Puis, d’étape en étape, il faudra reconduire l’esprit du monde de l’espace et du temps dans le monde divin, son lieu d’origine.
Et ceci est une science non plus théorique, mais pratique. Elle commence dans la morale, elle s’élève par la religion universelle pour aboutir à la sainteté, c’est-à-dire à la déification, c’est-à-dire à l’union non pas hypostatique, mais virtuelle avec Dieu, principe et source de l’Etre, de la vie et de toutes les manifestations qui en découlent. C’est le plus haut sommet de la Mystique, c’est la Réintégration et le rassemblement des énergies dispersées, en un mot, c’est la Théurgie.
Comment une pareille science peut être pratique, il n’est pas difficile de le concevoir. Ce n’est pas par des théories que l’on peut agir sur la matière et la rendre docile au point de n’être plus un instrument. C’est par des opérations déterminées, par des actions fluidiques, par le contact et le maniement des forces spirituelles. De même qu’un savant manie et dirige des forces matérielles, ainsi le Martiniste opère avec l’énergie spirituelle. Parti de la connaissance expérimentale, il s’achemine vers la science intuitive, vers l’extase qui lui ouvrira les horizons de l’esprit. Du contingent, il va vers l’absolu. Certes, il ne l’atteindra pas, mais, à chaque palier de sa course indéfinie, son être multiplié par la Grâce sera plus grand et sa conscience sera plus pleine.
Evidemment, ceci n’est qu’un cadre, le cadre dans lequel évolue le Martiniste. La substance même de l’enseignement, les méthodes, les pratiques ne sont communiquées [page 16] qu’aux adeptes dont le désir s’est transformé en volonté de réalisation.
[Conclusion]
Telle est la constitution actuelle de l’Ordre Martiniste ; tel est son enseignement. Essentiellement spiritualiste, il est un centre de diffusion de la tradition occidentale chrétienne. Il a, comme base, toutes les sciences expérimentales, mais il se sert particulièrement des sciences symboliques et hermétiques pour arriver à la Gnose. Il poursuit la réintégration de l’homme dans son état primitif et la spiritualisation de toute la famille humaine.
Source gallica.bnf.fr / BnF : Jean Bricaud (1881-1934). Notice historique sur le martinisme