1988 – Le Fonds Z
Les manuscrits réservés du Philosophe inconnu
Publiés par Robert Amadou (1924-2006)
La Magie des Élus Coëns
Théurgie
Instruction secrète
Paris
Cariscript
6 & 8 square Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie
75004 Paris
1988
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Qu’est-ce que la magie des Élus Coëns ? (pages 7-10)
Théurgie : « Puissance de faire des choses merveilleuses et surnaturelles par des moyens miraculeux et licites, et invoquant le secours de Dieu et de ses anges ». Dictionnaire de Trévoux (1704)
La théurgie de Martines de Pasqually
1) Martines de Pasqually (1727-1774) a élaboré une doctrine complexe et précise. À partir de quelles données, outre son expérience personnelle qui, disait-il, avait été jusqu’à lui faire prendre sous dictée les enseignements de la Sagesse divine même ? La critique externe ne dispose d'aucun élément de réponse. La critique interne désigne le courant de l’ésotérisme judéo-chrétien, et plus particulièrement certains de ses rameaux provençaux et espagnols (avec dans ce dernier cas, une influence islamique de seconde main).
2) Le titre du Traité de la réintégration des êtres créés dans leurs primitives propriétés, vertus et puissances spirituelles divines, par Martines, l’annonce : la doctrine de Martines est une doctrine de la réintégration des êtres. Réintégration implique expulsion préalable, drame et dénouement. En effet. Et de le savoir sauve. Mais c’est un savoir opératif. Martines est un gnostique.
La réintégration doit être universelle. Sa tâche incombe à l'homme. À lui d’apprendre quelle fut l’origine et quelle est la destination, quelles sont les [page 8] voies communes de la chute et de la remontée : apprentissage d’une théorie. Mais d'une théorie qui est, en fin de compte, théorie de l'action, qui se confond avec elle, c’est-à-dire théorie de la technique opératoire ; théorie des intermédiaires et technique des moyens ; technique des agents et des opérations. Théorie des opérations théurgiques à la manière de Martines de Pasqually. Voilà la gnose particularisée en gnosticisme martinésien, en martinésisme.
À cette particularisation concourent aussi — mais l'analyse de la théurgie particulière suffirait à l’indiquer — les modalités et les détails spécifiques, du moins en leur assemblage, de l’épopée martinésiste. Résumons-les.
3) Dieu est un, mais ses puissances sont trines et son essence « quatriple ». Au commencement, il émane des êtres spirituels, libres et discrets qui forment sa cour. Certains de ces êtres cèdent à l'orgueil et « opèrent » — c’est-à-dire agissent — à l'instar de Dieu, en infraction, c’est-à-dire en prétendant à l'autonomie. Pour les punir et sauver la cour divine, ils sont chassés de celle-ci et emprisonnés dans le monde matériel, spécialement créé pour l'occasion par des esprits restés fidèles. La matière est créée, non pas émanée : elle est illusoire.
Dieu émane alors l'homme : « mineur » spirituel puisqu'il vient en dernier lieu, mais doué de privilèges supérieurs à ceux de ses aînés. Adam, androgyne, sera tout à la fois chargé de la garde et de la réhabilitation.
Mais Adam s’élève, à son tour, par son orgueil [page 9] jusqu'à vouloir être créateur tout seul. Il lie sa puissance divine avec celle des démons et il effectue une création de perdition. Sa création, sa créature, Houwa, est ratée. Mais, après son forfait, il dégénère et devient l'opprobre de la terre.
Son corps glorieux devient ténébreux, en se matérialisant.
De pensant il devient pensif et la communication directe, dont il jouissait avec Dieu, est coupée. Elle ne pourra plus s’effectuer désormais que par le truchement, éventuellement obtenu, des esprits, des intermédiaires.
4) Pour entrer en rapport avec ceux-ci, l’homme en partie matérialisé devra user de procédés en partie matériels. La mystique s’est dégradée en théurgie cérémonielle, science et sacrement. Le théurge prie d’abord, il demande à Dieu de lui restituer son pouvoir primitif sur les esprits. Puis il commande aux esprits bons et exorcise les mauvais. Des signes, quelquefois auditifs et tactiles, mais habituellement lumineux, indiquent le succès.
La faute d'Adam fut suivie d’une seconde. Dieu avait maintenu le coupable dans ses droits et devoirs et l’avait pourvu des moyens nouveaux requis par la nouvelle situation. Pourtant, ingrat, l'homme s’unit à sa femme dans une fougue sexuelle digne des bêtes. De cet emportement Caïn est issu.
5) Mais Dieu demeure encore fidèle à ses promesses et l'homme n’est point destitué de son poste.
La postérité de Caïn est incapable de tenir le rôle du [page 10] mineur. Naissance d’Abel. Caïn le tue. Seth sera l’ancêtre des opérateurs, des théurges. Aussi bien, après le déluge, plus de Caïnites. Noé perpétuera la postérité de Seth (mais Cham réincarnera Caïn). Ainsi d’une race pure sortiront, au cours de l’histoire, des mineurs élus, grands et petits prophètes. Les coëns y seront agrégés par élection.
6) La gnose martinésiste discerne, et s'approprie, dans les choses ce qui tient des choses de l’esprit, les symbolise, y mène. Elle trace le plan de la figure universelle où toute la nature spirituelle, majeure, mineure et inférieure opère ; où les immensités céleste et temporelle qu’enceint l’immensité de l’axe feu central communiquent, à travers l’immensité surcéleste, avec l’immensité divine.
Pour se réintégrer et aider à la réintégration des autres hommes et de tous les êtres (point de réintégration complète sans réintégration universelle), celui qui a cette vocation sacerdotale, l’élu coën, considère le nombre de ses doigts de pied (les nombres, fondement de toute loi de création temporelle et de toute action divine...) et s’instruit du nom des anges. Il suit une ascèse (actes de piété, règles alimentaires, etc.) et une morale. Il célèbre la théurgie.
La théosophie de Saint-Martin (pages 11-14)
1) Louis-Claude de Saint-Martin (1743 — 1803) abandonnera la théurgie cérémonielle pour une mystique spéculative dont la déité du Christ est le pivot. Mais la pensée de Saint-Martin se définit le mieux par sa continuité avec la pensée de Martines.
Le Philosophe inconnu est — l'aurai-je assez répété ? — un théosophe méconnu. Je veux dire que sa pensée n'est pas philosophique, sauf peut-être à prendre le terme en une vieille, voire primitive, acception ; elle est théosophique (et donc gnostique).
La théosophie, qui n’est pas la philosophie, n’est pas davantage la théologie et elle constitue une forme particulière de la mystique qu'on nomme « spéculative ». Mais elle réconcilie la philosophie et la théologie. Voyez ce qu'on peut tirer de là quant à la signification de la théosophie au siècle des Lumières.
La théosophie est un illuminisme, car la lumière, même parfois physique, est le symbole privilégié, de la Sagesse, le véhicule de la lumière incréée, et la quête sophianique est celle de l'illumination. Et c'est une quête en profondeur : de l’intérieur, par [page 12] l’intérieur (l'interne, dit Saint-Martin), donc un ésotérisme.
2) La théosophie prescrit une activité ad extra que Kirchberger, ami de Saint-Martin, qualifiait « scientifique » et une activité ad intra que le même qualifiait « ascétique ». Ces deux activités, dont Saint-Martin souligne la conjugaison, procèdent d’une même vision unitaire de Dieu, de l'homme et de l'univers, de leurs rapports donnés en un tableau naturel, dont précisément la Sagesse fait à la fois l'œil et l'objet.
Nous sommes tous veufs, notre tâche est de nous remarier. Nous sommes tous veufs de la Sagesse. C’est après l’avoir épousée, et d’abord cherchée puis courtisée, que nous pourrons engendrer le nouvel homme en nous, devenir un nouvel homme. Or, tout est lié au nouvel homme : la médecine vraie, la royauté vraie, la poésie vraie, le sacerdoce vrai ne peuvent être exercés que par l'homme régénéré, autrement dit le nouvel homme. La théosophie saint-martinienne est une mystagogie de la génération spirituelle.
Cette doctrine s'édifie comme un martinésisme en traduction et, quant à la théurgie, en transposition, que Boehme, à partir de 1788, confortera et explicitera sur plusieurs points, telle la sophiologie.
3) Saint-Martin, dans son vocabulaire qui module les notions martinésiennes, s’est efforcé de rappeler les vérités premières que voici : la dignité de l'homme malgré son avilissement dans cette région de ténèbres ; la distinction, par conséquent, de l'homme et de la nature, du physique et du moral ; comment la science de l’homme, la seule nécessaire, la seule vraie [page 13] science, est inscrite dans l'univers entier, dans les sciences de tous genres, les langues, les mythologies et les traditions de tous les peuples. Même les livres sacrés sont comme des accessoires postérieurs aux vérités qui reposent sur la nature des choses et sur l’essence constitutive de l’homme.
Surtout, l’homme est la clef : expliquons les choses par l'homme et non pas l'homme par les choses. L’âme humaine est le suprême témoin.
4) Admirer et adorer constituent le privilège de l'homme et la base sur laquelle doit reposer son mariage au temporel et au spirituel.
Il faut s’occuper de l’homme-esprit et de la pensée avant de s’occuper des faits, afin que germe ou sorte notre propre révélation, car toute chose doit faire sa propre révélation.
Avec des mots inspirés par Boehme, Saint-Martin exprime ainsi, dans son style, le but de la théurgie coën qu’il veut atteindre, mais autrement que Martines : « Nous sommes libres de rendre par nos efforts à notre être spirituel notre première image divine, comme de lui laisser prendre des images inférieures désordonnées et irrégulières, et que ce sont ces diverses images qui feront notre manière d’être, c'est-à-dire notre propre gloire ou notre honte dans l'état à venir ».
5) Si la théurgie n’est pas nécessaire, c’est que Saint-Martin, judéo-chrétien comme Martines, est plus chrétien, alors que le second est plus juif. La déité du Christ le qualifie comme médiateur suffisant et nécessaire. Saint-Martin ne rejette pas la théurgie, [page 14] il l'intériorise.
Car, si le Christ est Dieu et le nouvel homme un autre Christ, le théurge chrétien n’a besoin, pour revenir et contribuer au retour de tout être émané dans le Principe, que de se régénérer. Il doit, à cette fin, posséder la Sagesse. Et commencer par la chercher. Cette recherche, cette possession ont nom « théosophie ». Et leur instrument a nom « volonté ».
Sur Martines de Pasqually et Louis-Claude de Saint-Martin, voir « Martinisme », Paris, Documents martinistes n°2, 1979 ; 2e éd., revue, corrigée et augmentée, Paris, Cariscript, 1988 (collection « Documents martinistes »). Bibliographie.
Sur la situation et la vocation du martinisme, et de la théosophie, voir Illuminisme et contre-illuminisme au XVIIIe siècle, Paris, Cariscript, 1988 (collection « Gnostica »).
Sur la théurgie en général, voir l’introduction à L’Anacrise pour avoir la communication avec son bon ange gardien. Paris, Cariscript, 1988 (collection « Pietas »).
Source : Ballica BnF : Le Fonds Z - Les manuscrits réservés du Philosophe inconnu