Poèmes de Jehanne d’Orliac

Mercure de France I-VII-1908, pages 58-60

  • Émerveillement

Qui donc es-tu, toi que j'ai rencontré,
Venant à moi très doux, de ce pas assuré.
De quelqu'un qui se sait attendu... Que très bonne
Est ta voix... Et tu sais prier comme on ordonne ;
Ordonner comme on prie — Oh! laisse-moi passer ;
Las!... Ta main douce a pris ma main pour la presser ;

Ta lèvre a la fraîcheur d'un feuillage d'érable,
D'où vient qu'en toi je trouve un charme délectable,
Et que je reste là, d'un silence éploré...
Qui donc es-tu, toi que, j'ai rencontré?... —

— Oh ! petite, petite enfant, mets bien tes bras
Tout autour de ma tête ;
Il est pour toi des biens que tu ne connais pas,
Il est plus d'une fête.

Écoute-moi : Tes yeux curieux et sans fards,
Beaux de leur pureté troublante,
Tes yeux, écoute-moi, j'y mettrai des regards ;
J'y mettrai la flamme démente ;

Ta bouche, écoute-moi, belle de ses dessins,
Je la rendrai gourmande ;
Elle aura la saveur des baisers et des vins
Ta bouche qui quémande.

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Si ta taille est jolie, elle manque à mon gré
Des souplesses qui sont ma joie,
Je la rendrai flexible et ton corps bien cambré
Sur le bras qui le ploie.

Et tout ton être, enfin, sans désirs ni soupçons
Que l'orgueil cuirasse et isole,
Il s'évanouira, secoué de frissons,
Au seul contact de ma parole. —

— Oh ! laisse-moi passer !
Las ! Ta main douce a pris ma main pour la presser,
Ta lèvre a la fraicheur d'un feuillage d'érable,
D'où vient qu'en toi je trouve un charme délectable,
Et que je reste là, d'un silence éploré ;
Qui, donc es-tu, toi que j'ai rencontré ?

A peine ai-je entendu ta voix... J'ai l'amertume
Qui voile mon réveil d'une montante brume ;
A peine t'ai-je vu... j'ai le naissant regret
Du cœur inasservi que nul joug ne soumet...
Mais vais-je vous chérir, regret et amertume !
A la docilité tout être s'accoutume....
Du plus profond de moi la voix va me sommer...
« Il faut aimer… il faut aimer »...

— Oh! petite, petite enfant, mets bien tes bras
Tout autour de ma tête
Il est pour toi des biens que tu ne connais pas,
Il est plus d'une fête... —

Et je te reste là, d'un silence éploré.
Qui donc es-tu ? toi que j'ai rencontré ?...

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  • Les Paupières

Elles ont la douceur, la fraîcheur des pétales,
Le regard radiant sous l'éventail des cils
Coule doucement de leurs abris puérils
Les ombrant de carmins et les faisant fatales.

Lourdes et lasses des fatigues nuptiales,
Elles ont pour nos sens des attraits plus subtils ;
Curieux nous cherchons à voir sous les sourcils
Les secrets devinés des voluptés brutales.

Paupières sur nos yeux, vous êtes gardiennes
Des irréalités où se perdent nos peines ;
Vous voilés nos horreurs, nos hontes et nos pleurs.

Paupières sur ses yeux, oh ! délicates fleurs !...
Ma bouche aime à sentir palpiter sa prunelle,
Sous la chair, si peu chair, qui la cache et la scelle.

JEHANNE D'ORLIAC.