II. Bibliographie de Saint-Martin

Suivant ses disciples, le but de ses écrits est non seulement d'expliquer la nature par l'homme, mais de ramener toutes nos connaissances au Principe dont l'esprit humain peut être le centre. La nature actuelle, déchue et divisée d'avec elle-même et d'avec l'homme, disent-ils, conserve néanmoins dans ses lois, comme l'homme dans plusieurs de ses facultés, une disposition à rentrer dans l'unité originelle. Par ce double rapport, la nature se met en harmonie avec l'homme, de même que l'homme se coordonne à son Principe. Suivant la même doctrine, le spiritualisme, dont la voie lui avait été d'abord ouverte par Pasqually, et ensuite par Jacob Bœhm, n'était plus simplement la science des Esprits, mais celle de Dieu. Les mystiques du moyen âge et ceux des derniers temps, en s'unissant par la contemplation à leur Principe, suivant la doctrine de leur maître Rusbrock (Voyez ce nom), étaient absorbés en Dieu par l'affection. Ici, disent les martinismes, c'est une porte plus élevée : ce n'est pas seulement la faculté affective, c'est la faculté intellectuelle, qui connaît en elle son Principe divin, et par lui, le modèle de cette nature que Malebranche voyait, non activement en lui- même, mais spéculativement en Dieu, et dont Saint-Martin voit le type dans son être intérieur par une opération active et spirituelle, qui est le germe de la connaissance. C'est vers ce but que tous ses ouvrages sont dirigés.

I. Des Erreurs et de la Vérité ou les Hommes rappelés au Principe universel de la science, par un Ph... Inc..., Edimbourg (Lyon), 1775, in 8°.

Un court aperçu de cet inintelligible ouvrage, le plus remarquable de ceux qu’a publiés Saint-Martin, suffira pour faire apprécier ses autres propositions. Autrefois, selon lui, l’homme avait une armure impénétrable, et il était muni d’une lance composée de quatre métaux, et qui frappait toujours en deux endroits à la fois ; il devait combattre dans une forêt formée de sept arbres, dont chacun avait seize racines et quatre cent quatre vingt dix branches : il devait occuper le centre de ce pays ; mais s’en étant éloigné, il perdit sa bonne armure pour une autre qui ne valait rien ; il s’était égaré en allant de quatre à [25] neuf et il ne pouvait se retrouver qu’en revenant de neuf à quatre. Il ajoute que cette loi terrible était imposée à tous ceux qui habitaient la région des pères et mères ; mais qu’elle n’était point comparable à l’effrayante et épouvantable loi du nombre cinquante six ; et que ceux qui s’exposaient à celle-ci, ne pouvaient arriver à soixante quatre, qu’après l’avoir subie dans toute sa rigueur, etc., etc. Voilà sous quelles énigmes est cachée, ou plutôt voilà par quelles ridicules aberrations s’annonce une doctrine qui compte encore des sectaires ; qui au quinzième siècle eût fait élever des bûchers ; mais qui dans le dix huitième est restée tellement inaperçue, que le titre le plus exact et le plus mérité qu’ait obtenu son chef, est celui de Philosophe inconnu qu’il s’était donné lui-même. La Suite des Erreurs et de la Vérité, etc. (Salomonopolis (Paris), 1784, in-8°.), a été signalée, par Saint-Martin, comme frauduleuse, et entachée du vice des faux systèmes qu’il combattait. (V. Holbach, XX, 465).

II. Tableau naturel des rapports qui existent entre Dieu, l'homme et l'univers, avec l'épigraphe (tirée de l'ouvrage précédent, suivant l'usage de l'auteur) : Expliquer les choses par l'homme, et non l'homme par les choses, 2 parties, Edimbourg (Lyon), 1782, in-8°.

Ces deux ouvrages ont paru en allemand, avec commentaire par un anonyme, 2 tomes in 8°, 1784

III.  L'Homme de désir, Lyon, 1790, in-8° ; revu et plusieurs fois réimprimé ; nouvelle édition : Metz, an X (1802), in-12°.

Saint-Martin composa cet ouvrage à l'instigation du philosophe Thieman, durant ses voyages à Strasbourg et à Londres. Lavater, dans son journal allemand de déc. 1790, en fait l’éloge comme de l'un des livres qu'il avait le plus goûté, quoiqu'il avoue ingénument, quant au fond de la doctrine, l'avoir peu entendu. Kirchberger le regarde comme le plus riche en pensées lumineuses ; et l'auteur dit qu'en effet il s'y trouve des germes épars ça et là, dont il ignorait les propriétés en les semant, et qui se développaient chaque jour pour lui, depuis qu'il avait connu Jacob Bœhm.

IV. Ecce homo, imprim. du cercle social, an IV (1796), in-12°.

Ce fut à Paris qu'il écrivit cet opuscule, d'après une notion vive (dit-il), qu'il avait eue à Strasbourg. Son objet est de montrer à quel degré d'abaissement l'homme infirme est déchu, et de le guérir du penchant au merveilleux d'un ordre inférieur, tel que le somnambulisme, les prophéties du jour, etc. Il avait plus particulièrement en vue la duchesse de Bourbon, son amie de cœur, modèle de vertus et de piété, mais livrée à ce même entraînement pour le merveilleux.

V. Le Nouvel Homme, Paris, ibid., an IV (1792[1796]), 1 volume in-8°.

C'est plutôt une exhortation qu'un enseignement. Il l'écrivit à Strasbourg, en 1790, par le conseil du chevalier Silverhielm, ancien aumônier du roi de Suède, et neveu de Swedenborg. L'idée fondamentale de cet ouvrage est que l'homme porte en lui une espèce de texte, dont sa vie entière devrait être le développement, parce que l'âme de l'homme, dit-il, est primitivement une pensée de Dieu. Il a dit plus tard qu'il n'aurait pas écrit ce livre, ou qu'il l'aurait écrit autrement, si alors il avait eu la connaissance des ouvrages de Jacob Bœhm.

VI. De l'Esprit des choses ou Coup-d'œil philosophique sur la nature des êtres [26] et sur l'objet de leur existence, avec l'épigraphe : Mens hominis rerum universalitatis speculum est, Paris, an VIII (1800), 2 vol. in-8°.

Saint-Martin pensait qu'il devait y avoir une raison à tout ce qui existait, et que l'œil interne de l'observateur en était le juge. Il considère ainsi l'homme comme ayant en lui un miroir vivant, qui lui réfléchit tous les objets, et qui le porte à tout voir et à tout connaître : mais ce miroir vivant étant lui-même un reflet de la Divinité, c'est par cette lumière que l'homme acquiert des idées saines, et qu'il découvre l'éternelle nature (voyez n° X), dont parle Jacob Bœhm. Cet ouvrage est sans doute celui des Révélations naturelles, dont l'auteur annonçait le projet, en 1797, à Kirchberger, et au sujet duquel celui-ci conseillait à Saint-Martin de supprimer tout ce qui pouvait sentir le mystère. Les adeptes pensent que si l'Anthropologie, dont s'occupe un de ses disciples, secondé de tout ce que les connaissances modernes ont pu découvrir, embrassait les principes applicables aux diverses branches de la science de l'homme physique, moral et intellectuel, on aurait un véritable Esprit des choses.

VII. Lettre à un ami ou Considérations politiques, philosophiques et religieuses, sur la Révolution française, Paris, an III (1795).

Saint-Martin regardait la Révolution française comme celle du genre humain, et comme une image en miniature du Jugement dernier, mais où les choses devaient se passer successivement, à commencer par la France. Il serait difficile, d’après ce galimathias [sic], de deviner ce que furent à cette époque les opinions du philosophe inconnu ; mais on a dit qu’il était lié avec des illuminés étrangers, et que plusieurs de ceux qu’il appelait ses amis, étaient de ce parti.

VIII. Éclair sur l'association humaine, Paris, an V (1797), in-8°.

L’auteur découvre dans le Principe de l'ordre social, le foyer d'où émanent la sagesse, la justice et la puissance, sans lesquelles il n'existe point d'association durable, etc.

IX. Réflexions d'un observateur sur la question proposée par l'Institut : Quelles sont les institutions les plus propres à fonder la morale d'un peuple ?, an VI (1798).

Après avoir passé en revue les divers moyens qui peuvent tendre à ce but en liant la morale à la politique, il montre l'insuffisance de ces moyens, si le législateur n'asseoit lui-même, sur les bases intimes de notre nature, cette morale dont un gouvernement ne doit être que le résultat mis en action. Il avait traité, quinze ans auparavant, un sujet analogue, proposé par l'académie de Berlin, sur la Meilleure manière de rappeler à la raison les peuples livrés à l'erreur ou aux superstitions, question qu'il démontra insoluble par les seuls moyens humains (Mém. inséré dans ses Œuvres posthumes).

X. Discours en réponse au citoyen Garat, professeur d'entendement humain aux écoles normales, sur l'existence d'un sens moral, et sur la distinction entre les sensations et la connaissance.

Ce discours, prononcé à la suite d'une conférence publique (27 fév. 1795), se trouve imprimé dans la collection des Écoles normales (tome III des Débats), publiée en 1801.

XI. Essai relatif à la question proposée par l'Institut : Déterminer l'influence des signes sur la formation des idées, avec l'épigraphe : Nascentur ideæ, fiunt signa, an VII (1799), 80 pag.in-8°.

Un passage où le pro[27]fesseur soutenait l'antériorité des signes sur les idées, paraît avoir donné naissance à la question de l'Institut, qui suppose cette antériorité, et à laquelle l'auteur répond en traitant la question suivant des formes moitié théosophiques, moitié académiques. Dans l'allégorie facétieuse dont nous avons parlé, cet Essai qui s'y trouve intercalé, quoique d'un ton bien différent, est censé l'ouvrage d'un petit cousin de M me Jof (la Foi), tracé par un psychographe dans le cabinet de Sédir (le Désir). Ce sont deux personnages allégoriques principaux du livre qui a pour titre :

XII. Le Crocodile, ou la Guerre du bien et du mal, arrivée sous le règne de Louis XV, poème épico-magique en 102 chants, etc., en prose mêlée de vers : ouvrage posthume d'un amateur de choses cachées, Paris, an VII (1799), in-8°de 460 pages.

XIII.  Le Ministère de l'homme-esprit, Paris, Migneret, an XI (1802), in-8°, 3 parties : De l'homme ; — De la nature ; — De la Parole.

L'objet de ce livre est de montrer comment l'Homme-esprit (ou exerçant un ministère spirituel) peut s'améliorer, et régénérer lui-même et les autres, en rendant la Parole ou le Logos (le Verbe) à l'homme et à la nature.

XIV. Traductions d'ouvrages de Jacob Bœhm, savoir :

1°. L'Aurore naissante ou la Racine de la philosophie, etc., contenant une description de la nature dans son origine, etc. ; traduit sur l'édition allemande de Gichtel (Voyez ce nom), 1682, par le Philosophe inconnu, Paris, an IX (1800), in-8°.

Cette nature originelle, que Jacob Bœhm appelle l'éternelle nature, et dont la nôtre serait une altération, n'est point une nature sans engendrement , puisqu'elle est l'émanation d'un Principe un et indivisible, que Boehm considère comme trinaire dans son essence et septénaire dans ses formes ou modes. Un Précis de l'origine et des suites de l'altération de cette nature, suivant Jacob Bœhm, donné dans le Ministère de l'homme-esprit (p. 28-31), montre comment, en voulant dominer par le feu, dans le premier Principe, au lieu de régner par l'amour, dans le second, l'esprit prévaricateur entraîna dans sa chute l'homme, qui lui avait été opposé ; comment, l'homme ayant été absorbé dans sa forme grossière, l'amour divin voulut lui présenter son modèle, pour lui faire recouvrer sa ressemblance, etc. Saint-Martin dit au reste, avec Poiret, que l'auteur est à la fois sublime et obscur, et qu'en particulier son Aurore est un chaos, mais qu'elle contient tous les germes développés dans ses Trois Principes, et dans les productions subséquentes.

2°. Les Trois Principes de l'Essence divine, Paris, an X (1802), 2 vol. in-8°.

Cet ouvrage, composé sept ans après l'Aurore naissante, est un peu moins informe ; et l'on peut le regarder comme un tableau de la doctrine de l'auteur, sauf les éclaircissements et les nouvelles explications que présentent les ouvrages suivants, quoiqu'ils ne forment encore qu'une portion de ses Œuvres.

3°. De la Triple vie de l'homme, revu par l’éditeur, Paris, Migneret, 1809, in-8°.

C'est sur la manifestation de l'origine de l'essence et de la fin des choses, suivant les Trois Principes, qu'est établie cette Triple vie, comprenant la vie extérieure et corporelle, la vie propre et interne, et la vie divine, où l'âme [28] entre par une nouvelle naissance, et pénètre dans l'esprit du Christ.

4°. Quarante questions sur l'âme, etc., suivies des six points et des neuf textes, revus par le même, Paris, 1807, in-8°.

Ces questions, avaient été proposées à l'auteur, par un amateur de théosophie, le docteur Balthazar Walter.

Ces traductions forment à peu près le tiers des Œuvres de Bœhm, dont il n'y avait que deux ouvrages traduits jusqu'alors, en vieux langage : la Signatura rerum , imprimé à Francfort, en 1664, sous le nom du Miroir temporel de l'Éternité ; et le second, à Berlin, 1722, in-12°, intitulé Le Chemin pour aller à Christ.

XV. Œuvres posthumes de Saint-Martin, 2 vol. in-8°., Tours, 1807.

On distingue dans ce recueil :

  • 1. un choix des Pensées de Saint-Martin, par M. Tournier ;
  • 2. un journal, depuis 1782, de ses relations, de ses entretiens, etc., sous le titre de Portrait de Saint-Martin fait par lui-même ;
  • 3. plusieurs questions et fragments de littérature, de morale et de philosophie, entre autres, un fragment sur l'admiration et un parallèle entre Voltaire et J.-J. Rousseau, et un autre entre Rousseau et Buffon (par Hérault de Séchelles) ;
  • 4. des poésies où, comme on le pense bien, l'auteur s'attache plus au fond qu'à la forme :
  • 5. des Méditations et des Prières, où se peint l'homme de désir, qui forme de nouveau le vœu si souvent énoncé par l’auteur, pour que ses semblables recherchent les vraies connaissances, les jouissances pures de l'esprit, en les puisant dans leur propre centre, dans la source de la lumière et de l’amour pour laquelle il avait soupiré.

Z (anonyme).