Tome I (1832) : Extrait de L’abbé de La Mennais. Extrait, pages 568-569
Vers le même temps où l'esprit de M. de La Mennais acceptait si largement l'union du catholicisme avec l'état par la liberté, il tendait aussi à se déployer dans l'ordre de science et à le remettre en harmonie avec la foi. Pendant les intervalles de la controverse vigoureuse à laquelle on l'aurait cru tout employé, serein et libre, retiré de ce monde politique actif où le Conservateur l'avait vu un instant mêlé et d'où tant d'intrigues hideuses l'avaient fait fuir, entouré de quelques pieux disciples, sous les chênes druidiques de la Chesnaye, seul débris d'une fortune en ruines, il composait les premières parties d'un grand ouvrage de philosophie religieuse qui n'est pas fini, mais qui promet d'embrasser par une méthode toute rationnelle l'ordre entier des connaissances humaines, à partir de la plus simple notion de l'être : le but dernier de l'auteur, dans cette conception encyclopédique, est de rejoindre d'aussi près que possible les vérités [569] primordiales d'ailleurs imposées, et de prouver à l'orgueilleuse raison elle-même qu'en poussant avec ses seules ressources, elle n'a rien de mieux à faire que d'y aboutir. La logique la plus exacte jointe à un fonds d'orthodoxie rigoureuse s'y fraie une place entre Saint-Martin et Baader. Nous avons été assez favorisé pour entendre durant plusieurs jours de suite les premiers développements de cette forte recherche : ce n'était pas à la Chesnaye, mais plus récemment à Juilly, dans une de ces anciennes chambres d'oratoriens, où bien des hôtes s'étaient assis sans doute depuis Malebranche jusqu'à Fouché ; je ne me souvenais que de Malebranche. Pendant que lisait l'auteur, bien souvent distrait des paroles, n'écoutant que sa voix, occupé à son accent insolite et à sa face qui s'éclairait du dedans, j'ai subi sur l'intimité de son être des révélations d'âme à âme qui m'ont fait voir clair en une bien pure essence. Si quelques enchaînements du livre me sont ainsi échappés, j'y ai gagné d'emporter avec moi le plus vif de l'homme.