Du terme « coën »

Note 1 du texte précédent [p.239-241] 

Nous avons vu ce nom orthographié de différentes manières dans plusieurs manuscrits. Les uns écrivent Koën, et d'autres Choën ou Coën. M. Caignard de Mailly l'a écrit Coin (Annales Maçonniques de France, tome 3, page 12). En tête d'un cahier qui nous a été communiqué par MM… de Munich, on lit ces mots : Rite des Élus-Koës. Un de nos amis, frappé de ces différences, a consulté M. Alexandre Lenoir, administrateur du Musée des monuments français, pour avoir son opinion sur l'étymologie du mot Coën. Ce savant lui écrivit à ce sujet, au mois de septembre 1809, une lettre dont voici un extrait qu'on nous a permis d'imprimer.

« Il n'est pas facile de déterminer l'origine du mot Coën, que l'on a donné dans des temps modernes à une société mystérieuse, parce que la signification de ce nom peut varier d'après la manière dont on l'écrit.

« Les uns l'ont écrit par un K ou un C, Koën ou Coën ; d'autres par Ch, Choën ou Coën. Ceux qui l'ont écrit par un K ou un C ont dû le tirer de la langue hébraïque, ce qui paraîtrait vraisemblable, car la plupart des mystères modernes sont pris des Hébreux ; dans ce cas-là ce mot désignerait un prêtre et viendrait du mot hébreu KHN, qui veut dire sacerdos. Dans la mythologie rabbinique, le mot Kohanin signifie un prêtre sacrificateur et les Juifs donnent encore ce nom aux prétendus descendants d'Aaron, qui en font les fonctions, quoiqu'ils ne soient plus dans l'usage de sacrifier des victimes à la Divinité.

« Ceux au contraire qui l'écrivent par Ch, Choës, l'ont emprunté du grec Choës, et doivent l'entendre d'un prêtre qui fait des libations, du mot χεω, faire des libations, des effusions en l'honneur de quelque Divinité ; faire des oblations, etc.; fundo, verser, épancher ; effundo, répandre une liqueur quelconque ; d'où est venu le mot χοευς, congius, , conge ; conge sacré, qui, chez les Athéniens, servait, dans les fêtes de Bacchus appelées Choës, faire des libations, et dans laquelle chacun buvait. Cette fête était célébrée dans le mois anthestérion, et Bacchus lui-même en était nommé Choopotés, qui boit dans un choes.

Pour ceux qui l'écrivent par K, et qui le tirent du grec, il vient nécessairement du grec χοετε [ ?], intelligo, entendre ; il rentre alors dans l'interprétation de Freret, quand il dit : Le prêtre nommé Koës porte un nom qui a rapport à son emploi. Il était chargé d'entendre la confession des initiés, et la traduction d'auditor, auditeur, qu'il en donne convient parfaitement. A Samothrace, le prêtre nommé Koës était une espèce de grand pénitencier qui entendait la confession des initiés aux mystères des Dieux Cabires, et qui avait le droit de les relever de leurs crimes.

En résumé, comme on vient de le voir, il y a trois manières d'orthographier ce mot. Je dirai donc :

Si ce nom est tiré de l'hébreu, et je pense qu'il en vient, il doit s'écrire Koën ou Coën, ainsi que je l'ai remarqué, et il désignerait une réunion de prêtres sacrificateurs, ou d'hommes qui en feraient les fonctions.

Si on le tire du grec, et qu'on l'écrive par Ch au lieu d'un K, ce qui fait Choës au lieu de Koën, la société dont il s'agit s'entendrait d'une réunion d'individus qui feraient des libations en l'honneur d'une Divinité quelconque. Si, au contraire, on met un K à la place de Ch, le nom dont on cherche l'origine serait en rapport avec le mot Koës, nom que l'on donnait au grand-prêtre de Samothrace, lequel avait le droit d'entendre la confession des initiés, et par conséquent le pouvoir de les relever de leurs fautes. Ainsi, dans cette dernière hypothèse, la société nommée Koen au lieu de Coen serait une espèce de tribunal Maçonnique auprès duquel les Maçons coupables de quelques fautes graves pourraient se faire absoudre après en avoir fait l'aveu, ou après avoir confessé leurs crimes au Koës moderne faisant, dans cette circonstance, les fonctions de grand-prêtre ou de chef du tribunal, etc.

Dans cette dernière hypothèse l'ordre des Élus-Coëns ou Koëns pouvait être considéré comme un tribunal dans lequel les initiés sont supposés faire l'aveu public de leurs fautes ou de leurs faiblesses à des Koës modernes ou autres personnages remplissant des rôles à peu près semblables, pour en obtenir le pardon, et mériter par une conduite exempte de reproche leur réintégration dans leur primitive innocence. »