1860 – Firmin Didot - Complément de l'Encyclopédie moderne

1860 Firmin didotComplément de l'Encyclopédie moderne
Dictionnaire abrégé́ des sciences, des lettres, des arts, de l'industrie, de l'agriculture et du commerce
Publié par MM. Firmin Didot frères
Sous la direction de MM. Noel Des Verges et Léon Renier et de M. Édouard Carteron
Tome neuvième
Paris.
Firmin Didot Frères, Fils et Cie
Imprimeurs libraires de l’Institut de France
Rue Jacob, 56.
1860

Article : Microcosme – Pages 403-405

MICROCOSME (μικρος, κοσμος, petit univers), « homme considéré comme abrégé de l'univers. » Telle est l'explication du Dictionnaire mytho-hermétique de D. Ant. Jos. Pernety, religieux bénédictin de la congrégation de Saint-Maur. (Delalain aine; Paris, 1787.) Il est, en ce sens, opposé au Macrocosme, ou grand univers.

C'est, en effet, l'idée fondamentale de la philosophie hermétique que cette corrélation entre le grand monde et le petit monde, entre l'univers et l'homme. Une grande partie des philosophes de l'antiquité, Platon, Pythagore, l'École stoïcienne tout entière, avaient considéré la nature comme un être vivant, semblable à l'homme en ce qu'elle aurait eu comme lui un corps et une âme. Cette âme du monde, plus ou moins bien définie, c'était la force occulte qui donne à la matière le mouvement et la vie.

… Deum namque ire per omnes
Terrasque, tractusque maris, cœlumque profundum [page 404]
Hinc pecudes, arments, viros, genus omne ferarum
Quemque sibi tenues nascentem arcessere vitas.
(Virgile, Georg., IV, 221.)

Ce principe d'une âme universelle circulant dans la matière et engendrant tous les êtres, l'homme comme les animaux, inspira la doctrine de la cabale, et cette secte mystique, philosophique autant que médicale, qui eut tant d'adeptes au moyen Age, qui eut son dernier représentant au siècle dernier, et prétendait recevoir sa tradition des livret d'Hermès Trismégiste. Que l'on parcoure tous les écrivains de cette École hermétique, Jacob Bœhm (Aurora, Les Principes de l'Essence divine , La triple Vie, Le Miroir de l'Éternité; Amsterdam, 10 vol., 1682); Van Helmont (Ortus medicinæ; Amsterdam, 1648, in-4°); Paracelse (Œuvres, 3 vol. in-f; Genève, 1658), Robert Flud, Saint Martin, on les verra tous dominés par l'idée d'un rapport rigoureusement symétrique, non seulement entre la vie qui nous anime et la vie des autres êtres, mais entre nos divers organes et les diverses parties de l'univers; et de cette concordance on les verra naturellement déduire la mutuelle action de la nature sur l'homme et de l'homme .sur la nature, de notre volonté sur le monde extérieur, des astres sur nos destinées.

Robert Flud est peut-être celui qui a poussé le plus loin cette comparaison ; il y a consacré deux gros volumes in-4° sous ce titre : Utriusque Cosmi majoris scilicet et minoris metaphysica, physica atque technica historia (Oppenheim, 1617). C'est, comme on le voit, l'encyclopédie hermétique. Le premier tome est consacré au macrocosme : le premier traité de ce tome retrace l'histoire métaphysique et physique du macrocosme, c'est-à-dire la génération des êtres; le second, l'histoire des productions de l'art, singe de la nature, c'est-à-dire de toutes les sciences et de tous les arts, l'arithmétique, la musique, la géométrie, la perspective, la peinture, l'art militaire, les sciences du mouvement et du temps, la cosmogonie, l'astrologie, la géomancie. Le second tome est consacré au microcosme, avec ce titre : De supernaturali, naturali, præternaturali et contranaturali microcosmi historia in tractatus tres distributa. C'est là qu'est développée l'idée fondamentale du système : « Nous concluons avec Trismégiste que le monde est l'image de Dieu, et l'homme l'image du monde. » Tel est le résumé du chapitre intitulé: « Que Dieu a fait en tout l'homme égal au monde en perfection ; d'où le microcosme. » (Tract. 1, sect. 1, l. 3, c. 1.)

La correspondance ne s'arrêtera pas là. Le microcosme intérieur « ou invisible, a en lui [405] toutes les parties idéales du monde. » (C. 2.) De même, le microcosme extérieur reproduira toutes les parties du monde visible. (Tract. I, sect. 1, l. 5.) Et ici une figure du corps humain sert à faire comprendre, en la rendant sensible aux yeux, la théorie du philosophe. La tête, correspondant au cœlum empyreum, est divisée en trois régions, mens, intellectus, ratio; mens, c'est dans la tête de l'homme ce qu'est dans le ciel empyrée radius Dei seu lux increata; intellectus, c'est sphæra luminis seu lucis creatæ ; ratio : sphæra spiritus empyrei. Au-dessous de la tête se place la région de la poitrine, thorax, correspondant au cœlum æthereum, et contenant le cœur, l'analogue du soleil, sphæra vitæ. La troisième région, c'est celle du ventre, venter, correspondant au ciel des éléments, et contenant quatre parties principales, comme le ciel contient quatre éléments : cholera, cistæ fellis (le feu) ; sanguis hepatis et venarum (l'air) ; pituita ventriculi (l'eau) ; fæx seu stercus viscerum (la terre).

En voilà assez peut-être pour donner l'idée d'un système qui ne révèle une grande connaissance ni de la physique ni de la physiologie, et qui témoigne seulement des théories artificielles que peut échafauder un esprit rêveur, dans le silence du cabinet, quand il se débarrasse des liens étroits de l'expérience.

Le dernier et le plus profond des disciples de la même école, Saint-Martin, reproduit la même idée en essayant de la dégager des subtilités et des erreurs que répudie la science moderne, dans son ouvrage anonyme intitulé : Tableau naturel des rapports qui existent entre Dieu, l'homme et l'univers. (Edimbourg, 1782, 2 vol. in-12.) Il ne s'agit plus de macrocosme et de microcosme, ni d'un rapprochement factice entre la nature et l'homme, l'homme et le Créateur. Dieu même est nettement distingué de l'univers physique : « Comment s'est-il trouvé des hommes assez peu attentifs pour assimiler Dieu et cet univers physique, cet être sans pensée, sans volonté, à qui l'action même qu'il manifeste est étrangère, cet être enfin qui n'existe que par des divisions et par le désordre? » (C. 2.) Cette assimilation se réduira donc à des signes, à des symboles ; l'homme qui trouve en lui le type amoindri de la divinité retrouve à son tour dans la nature l'image de ses sentiments et de ses pensées: «Avouons-le donc hautement, si chacun des êtres de la nature est l'expression d'une des vertus temporelles de la sagesse, l'homme est le signe ou l'expression visible de la divinité même : c'est pour cela qu'il doit avoir en lui tous les traits qui la caractérisent ; autrement, la ressemblance n'étant pas parfaite, le modèle pourrait être méconnu.» (Ch. 3). [page 406] Et l'univers, d'un autre côté, offre à l'homme les signes de ses idées. « Aussi l'homme ne peut-il porter ses regards autour de lui sans apercevoir les images les plus expressives de toutes les vérités qui lui sont nécessaires. » (Ch. 8). De là découle tout un système de symboles. L'analogie de l'homme et du monde extérieur n'est plus que dans les images que la nature matérielle offre de la chose immatérielle. La mythologie antique est expliquée dans ce sens, et les diverses religions ramenées facilement à un culte commun. Aussi la conclusion naturelle du livre est-elle une prophétie de paix universelle et d'unité religieuse.

Ainsi se transforme la doctrine première, conservant sans doute une grande part de son obscurité et de ses principes arbitraires, mais répudiant ce panthéisme grossier qui faisait l'homme esclave du monde extérieur, et soumettait sa destinée aux obscures combinaisons de la matière et au cours lointain des astres. Cette doctrine, en effet, était intimement liée aux sciences occultes, qui ont été presque toute la science du moyen âge. L'homme, étant le résumé du monde, offrait dans son front, dans ses yeux et jusque dans les lignes de sa main les signes mystérieusement écrits des révolutions extérieures dont il devait ressentir le contrecoup; et à son tour il pouvait lire sa destinée dans le cours des astres auxquels elle se trouvait attachée. C'est ainsi que la doctrine hermétique renfermait dans son sein l'astrologie, la chiromancie, la géomancie, et toutes les prétendues sciences de prédiction qui se sont évanouies avec elle à l'aurore de la science moderne. (Voy. Eusèbe Salverte, Des sciences occultes, ou Essai sur la magie, les prodiges et les miracles. Baillière, un vol.in-8°, 1856.) A. BLANCIIET.

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