1879 – Daruty - Recherches sur le rite écossais ancien accepté

1879 DarutyRecherches sur le rite écossais ancien accepté
Précédé d’un historique de l’origine et de l’introduction de la Franc-maçonnerie en Angleterre, en Écosse et en France
Jean Émile marquis Daruty de Grandpré
S.∙. G.∙. I.∙. G. .,33e
Paris
Chez le F.∙. Panisset, 14, rue de Metz
Île Maurice
General Steam Printing Cie
1879

Extrait : Le Martinisme, pages 227-230

Tandis que le chevalier de Bonneville, au sein du Chapitre de Clermont qu'il fonde à Paris, en 1754, donne un développement considérable au système templier, un autre novateur, Dom Martinez Paschalis (127), après avoir longtemps voyagé dans le Levant, visité l'Égypte, l'Arabie et la Palestine, inaugure dans le midi de la France, et principalement à Marseille, à Toulouse et à Bordeaux, le rite des Élus Coëns ou prêtres (du mot hébreux KHN, sacerdos), dont l'enseignement mystique comprend neuf grades : apprenti, compagnon et maître ; grand élu ; apprenti-coën, compagnon-coën et maître-coën ; grand architecte et chevalier commandeur.

Ce système, aujourd'hui abandonné, est un mélange de maçonnerie, de mysticisme et de sciences occultes, basé sur les révélations des esprits, les rapports cabalistiques des nombres, les illuminations produites par l'inspiration directe de la divinité [AGJ, 206] ; il embrasse la création de l'homme, sa punition, les peines du corps, de l'âme et de l'esprit, qu'il éprouve [CL, 169].

« Le but que se propose l'initiation, dit Clavel {. Note du W.}, est de régénérer le sujet, de le réintégrer dans sa primitive innocence, dans les droits qu’il a perdus par le péché originel. Elle se divise en deux parties distinctes. Dans la première, le postulant n'est, aux yeux de l'initiant, qu'un composé de boue et de limon. Il ne reçoit la vie qu'à condition qu'il s'abstiendra de goûter les fruits de l'arbre de la science. Le récipiendaire en fait la promesse, mais il est séduit ; il viole ses engagements et il est puni et précipité dans les flammes. Cependant si, par des travaux utiles et par une conduite sainte et exemplaire, il répare sa faute, il renaît à une vie nouvelle. Dans la seconde partie, le néophyte est animé du souffle divin : il devient apte à connaître les [page228] secrets les plus cachés de la nature ; la haute chimie, la cabale, la divination, la science des êtres incorporels lui deviennent familières » [CL, 169 et 170. B. Clavel Histoire pittoresque de la franc-maçonnerie et des sociétés secrètes anciennes et modernes, Paris Pagnerre, éditeur, 1843].

Par un arrêté du 12 Décembre 1765, la Grande Loge de France repousse les doctrines de Martinez Paschalis et rejette ce sectaire du sein des loges de sa constitution [AA, 362] ; néanmoins, en 1767, le novateur, tourmenté partout, introduit son système à Paris et réussit à y faire quelques prosélytes. Toutefois, ce n'est qu'en 1775 que le régime s'organise et qu'un certain nombre de loges s'y affilient. Il fixe dès lors l'attention des maçons, qui donnent aux loges du rite nouveau le nom de Loges Martinistes et à son système celui de Martinisme [Acta Latomorum, p.93].

Après un séjour d'environ dix ans à Paris [sic pour Bordeaux], Dom Martinez Paschalis se rend à Bordeaux, en 1778 [sic], et de là s'embarque pour Saint-Domingue où il a, dit-on, une succession à recueillir. Il y meurt, à Port-au-Prince, en 1779 [sic pour 1774], « ayant partout et sans cesse professé le rite des Élus-Coëns » [État du Grand Orient, 1804, ii, 370].

Voici le jugement qu'inspire le rite des Élus Coëns aux rédacteurs de l'État du Grand Orient [ET, ii, 369] :

« Parmi les différents rites dont se sont occupés, de temps immémorial, les Maçons les plus studieux, les plus pénétrés de la persuasion intime que la persévérance dans nos travaux doit accroître la somme de leurs connaissances, et les faire parvenir aux hautes sciences, le rite des Élus Coëns est celui qui a conquis le plus d'élèves et conservé avec le plus de soin le secret de ses mystérieux travaux. Au nombre des disciples les plus fervents de Paschalis, on compte particulièrement le célèbre peintre Van Loo [sic pour Onésime Henri de Loos]; le baron d'Holbach, auteur du Système de la Nature ; Duchanteau, à qui l'on doit des tableaux mystiques fort recherchés des amateurs du genre ; d'Hauterive ; de Grainville, créole de l'île Bourbon et chef de bataillon au régiment de Boulonnais ; l'abbé Fournier ; Cazotte, l'auteur du Diable Amoureux (128) ; le comte de Lerney ; Bacon de la Chevalerie ; Saint-Amand, et, enfin, le marquis de Saint-Martin (129), qui a été son continuateur et à qui, [page 229] surtout, l'on doit l'introduction, dans les loges de France, de la doctrine du Martinisme [Clavel, 1 70 ; Documents maçonniques recueillis et annotés par François Favre, Paris 1866,p. 645, p.49 ; Findel, Histoire de la Franc-maçonnerie depuis son origine jusqu’à nos jours, Paris 1866, p.280 ; État du GO, ii, 370 et 371 ; Extrait des colonnes gravées dans le Souv.∙. Chap.∙. du Père de Famille, vallée d’Angers, p.794].

Officier au régiment de Foix, le marquis de Saint-Martin s'était lié, pendant qu'il était en garnison à Bordeaux, à quelques mystiques qui lui avaient inspiré le désir d'être admis aux mystères de la maçonnerie martiniste ; initié par Martinez Paschalis, en 1769, il est tellement frappé des beautés de l'enseignement maçonnique qu'il quitte le service pour s'y consacrer exclusivement [Documents maçonniques, p048; État du GO, ii, p.361].

Il voyage d'abord pendant quelques années, se rend en Angleterre, en Allemagne, en Suisse [aucun des ces voyages en Allemagne et en Suisse n’est avéré] et en Italie, où il prêche la doctrine de son maître, puis se fixe à Lyon ; là, tout entier à ses idées nouvelles, il s'attache à les propager et à en organiser le régime ; mais, « nature tendre et timide, une des âmes les plus religieuses et les plus pures qui aient passé sur la terre, Saint-Martin, préférant les voies intimes et secrètes aux œuvres violentes de la théurgie préconisées par Paschalis, fait bientôt scission avec son maître et institue un nouveau rite dont le centre principal est établi à Lyon dans la Loge Les Chevaliers Bienfaisants [Documents maçonniques, p.48] [sic. Mais ici les auteurs se trompent puisque c’est Jean-Baptiste Willermoz qui crée le RER et les Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte (CBCS)] ». Aux absurdités cabalistiques du martinisme il ajoute les rêveries de l'illuminisme dont il a puisé les premières notions dans le suédois Swedenborg (130) et dans l'allemand Jacob Bœhme dont il a traduit plusieurs ouvrages.

Les degrés d'instruction de sa réforme, au nombre de dix, sont divisés en deux parties ou temples. Le premier temple comprend les trois grades symboliques et ceux d'ancien maître, élu, de grand architecte, et de maçon du secret ; les grades du second temple sont : le Prince [page 230] de Jérusalem, le Chevalier de Palestine et le Kadosch ou homme saint [DT, 110]. Quant à sa doctrine, un mot de lui la résume : Tous les hommes sont rois [Histoire de la fondation de GO de France, Thory, p.49].

Après avoir établi le centre de son système dans la loge Les Chevaliers Bienfaisants, de Lyon, qui acquiert bientôt une grande influence en France et en Allemagne, le marquis de Saint-Martin fixe sa résidence à Paris. « Maçon rempli de cœur, philosophe dévoué à la cause de l'humanité, sage digne de la plus grande vénération ». [Histoire du GO de France, 1865, p.78], il s'y voit recherché par les plus grands personnages et partage son temps entre la propagation de ses doctrines et l'exercice de la bienfaisance.

Notes

127. Portugais et Juif (?) suivant Ragon et Bouillet, allemand suivant d'autres [MC, 548], né en 1700, suivant les uns, en 1710 ou en 1715, suivant d'autres. Son nom a été écrit de diverses façons : Martinès Pascalis, Martinez Pasqualis ou Martinez de Pasqualli ; cette dernière orthographe est celle de l'Etat du Grand Orient [ET, II, 369]. Nous adoptons la plus répandue.

128. .Jacques Cazotte, né à Dijon, en 1720, guillotiné à Paris le 25 Septembre 1792, demeura toute sa vie un disciple fervent de Martinez Paschalis ; il avait été initié à Lyon, peu de temps après la publication du Diable Amoureux, laquelle date de 1772. Voir sur Cazotte une étude très intéressante de M. Alfred Hédouin [DM, 46 à 68].

129. Louis Claude, marquis de Saint-Martin, dit le Philosophe inconnu, né à Amboise, en Touraine, le 18 Janvier 1743, est mort, le 14 Octobre 1804, dans la maison de campagne du sénateur Lenoir La Roche, à Aulnay, près Paris. Il a écrit de nombreux ouvrages mystiques dont le principal a pour titre Des Erreurs et de la Vérité [A, 223 ; MO, 645 ; CL, 170], Convoqué, en 1785, au convent des Philalèthes, Saint-Martin refusa d'y participer [AA, 376].

130. « Emmanuel Swedenborg, (né à Upsale, le 29 Janvier 1688, et depuis 1716 assesseur au collège des mines) était un savant très estimé, qui par ses écrits s'était fait une grande réputation, non seulement dans sa spécialité, mais encore dans les sciences naturelles et la philosophie. Mais une imagination indomptée le jeta en dehors du domaine de la science et en fit la proie de toutes sortes de fantômes métaphysiques et d'illusions théosophiques La doctrine développée dans ses écrits théologiques, sur une nouvelle Jérusalem céleste, où le christianisme, dans sa pureté primitive, aurait pris une naissance nouvelle, cette doctrine, appuyée sur les maximes éminemment morales, qu'il avait érigées on principes et qu'il pratiquait lui-même très fidèlement, lui acquirent beaucoup de partisans et une grande renommée en Suède, en Angleterre, en Allemagne, en Hollande et en Russie. Après sa mort (1772) se formèrent des sociétés et des communautés Swedenborgistes qui se répandirent rapidement dans plusieurs contrées de l'Europe et semblent ne pas avoir été sans influence sur quelques loges particulières » [r, 411 et 112].

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