1879 – Moreau - Joseph de Maistre

1879 Moreau maistreJoseph de Maistre
Louis Moreau (1807-1881).
Société générale de librairie catholique
Paris
Victor Palmé, Directeur général,
25, rue de Grenelle-st-Germain
Bruxelles
J. Albanel, Directeur de la succursale.
29, rue des Paroissiens
1879

II. Sainte-Beuve, Critiques et portraits littéraires. Extrait, p.45-46

Ainsi, dès le début, en protestant de sa bienveillante équité, M. Sainte-Beuve appelle les catholiques, admirateurs du grand écrivain, les coreligionnaires d'un vertueux théoricien : il ne désignerait pas autrement les adeptes de quelque secte martiniste ou spirite. Puis, du même ton patelin, il leur coule en douceur la plus sanglante injure ; car, en quel sens entend-il maintenir contre eux les droits du bon sens, de la libre critique et de la tolérance humaine, s'il ne [page 46] les tient pour préalablement convaincus de sauvage intolérance, d'aveugle et servile crédulité ?

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Joseph de Maistre et le nouveaux critiques, III, page 186

On demande aux martinistes s'ils ne lui auraient pas communiqué quelque chose de leur « exaltation (1). » On s'adresse au naturaliste Bonnet, au jurisconsulte Vico, quoiqu'il soit difficile d'apercevoir le moindre trait d'union entre ses doctrines et la théorie palingénésique de l'un ou le système des évolutions cycliques de l'autre.

1. « Au moins avait-il une haute idée des disciples de saint Marlin qu'il appelle des chrétiens exaltés. » On se trompe ici sur le sens du mot exalté, et l'on exagère l'estime que M. de Maistre avait pour saint Martin et les martinistes.

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Joseph de Maistre et les nouveaux critiques, V. Extrait, pages 219-220

Le Critique s'imagine encore que M. de Maistre s'empare de l'ancienne maxime touchant l'universalité du dogme : quod semper, quod ubique, quod ab omnibus [Tenir pour vérité de foi ce qui a été cru partout, toujours et par tous], pour en détourner le sens légitime. « Cette maxime, dit-il, autrefois renfermée dans le cercle de l'Église, il l'étend à tous les peuples et à tous les temps, et la traduit ainsi : « Toute croyance constamment universelle est vraie, et toutes les fois qu'en séparant d'une croyance [page 220] quelconque certains articles particuliers aux différentes nations, il reste quelque chose de commun à toutes, ce reste est une vérité (1. Principe générateur)». On voit ici, continue le critique, combien l'idée était nouvelle dans la controverse catholique, et quelle portée il lui donne... Au reste, c'est aux martinistes qu'il l'a empruntée. « Je suis, dit-il, entièrement de l'avis du théosophie qui a dit de nos jours que l'idolâtrie était une putréfaction. Qu'on y regarde de près, on verra que parmi les opinions les plus folles,.. parmi les pratiques les plus monstrueuses,... il n'en est pas une que nous ne puissions délivrer du mal (depuis qu'il nous a été donné de savoir demander cette grâce), pour montrer ensuite le résidu vrai qui est divin (2. Essai sur les sacrifices).

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Joseph de Maistre et les nouveaux critiques, V. Extrait, page 222

L'Église est la vérité, et il faut dire avec un des plus anciens Pères : « Si l'éternité résume en elle-même l'avenir, le présent et aussi le passé, la vérité beaucoup mieux que l'éternité peut rassembler ses propres semences, bien que tombées dans les terres étrangères (Clem. Alex., Strom., lib. I, 13). » Ces seuls mots suffiraient pour faire justice de l'assertion singulièrement erronée qui affirme que le principe de l'universalité attendait M. de Maistre pour briser le cercle étroit de l'Église, -- et qui admire « combien l'idée était nouvelle dans la controverse catholique ». Il y a là une rare intrépidité d'ignorance. Le critique prétend aussi que l'idée appartient aux martinistes. M. de Maistre emprunte à Saint-Martin le théosophe une expression originale, et rien de plus. Cette vue profonde des choses est aussi ancienne que le catholicisme même; il n'y a que l'érudition des libres penseurs pour la trouver nouvelle.

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Joseph de Maistre et les nouveaux critiques, VIII, extrait pages 293-294

Mais ce qu'il n'aurait pu inventer, ce qui se rencontre à tout moment dans les discours de l'un et de l'autre, ce sont ces traits caractéristiques, ces particularités anecdotiques ou morales, qui dénoncent une existence réelle, et donnent comme le signalement d'une physionomie à part, personnelle, originale. Et à ne [page 294] considérer que la plus sérieuse de ces deux figures, ce n'est certes pas une abstraction, un simple possible, ce personnage qui représente au vif les errements troublés d'une âme religieuse et d'une intelligence supérieure trop à l'étroit dans une Église prostituée au czar, amusant sa faim de vérité aux appâts d'une gnose trompeuse, et demandant aux stériles spiritualités du martinisme, à l'Homme de désir, au Nouvel homme (1), l'aliment qu'elle ne sait plus trouver dans la simplicité de l'Évangile. Évidemment la part qui lui est faite dans le dialogue est bien la sienne et M. de Maistre ne lui prête que son style.

1. L'Homme de désir et le Nouvel homme sont deux ouvrages de Saint-Martin le philosophe inconnu.

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Joseph de Maistre et les nouveaux critiques. Extrait, page 312

Ici l'on engage obstinément la responsabilité de Joseph de Maistre, mais sans raison valable. Fallait-il donc, qu'en prévision de ce soupçon gratuit d'une entente avec son ami, il rédigeât dans le sens d'une étroite orthodoxie ces libres expansions de l'esprit étranger ? — On allègue à l'appui de cette secrète connivence la brièveté de sa réponse et le vague de ses conseils prudents. S'agiter en tous sens et forcer sa voix est tellement de mode aujourd'hui, que la prudence a l'air mesquin et collet-monté. Et pourtant, la prudence, c'est la force contenue et calme de la raison. Et les paroles du comte, dans leur gravité simple, sont plus que suffisantes pour réprimer les brillantes hardiesses du sénateur. Elles mettent à néant ses aventureuses illusions, son engouement martiniste, sa confiance un peu puérile dans les explorations de la critique et de la science.

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Joseph de Maistre, penseur catholique. Extrait page 381

Enveloppé dans les premières catastrophes de cette ère fatale, et atteint par l'explosion, le comte de Maistre sut garder la puissante liberté de sa pensée, pour considérer ces nouveaux spectacles. Il vit en action, et au bout de leurs conséquences, ces grandes utopies qui, faisant question de tout, remettent tout en question. Il vit les erreurs, les folles rêveries, les opinions néfastes, ivres de fureur et d'impiété, se briser entre elles comme les hommes, et les babels philosophiques s'abîmer dans le tourbillon où se perdaient les institutions et les constitutions. Devant tant de ruines, ruines, de choses, ruines d'idées, il n'eut pas le vertige mystique de ce théosophe orgueilleux (1), qui se faisait une logique avec des chimères, et un manteau de voyant avec des lambeaux d'hérésie.

1. Saint-Martin, le philosophe inconnu, a écrit une lettre à un ami sur la Révolution française.

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